Accueil > 02 - SCIENCES - SCIENCE > Inconscience, conscience : Freud et les dernières découvertes en neurosciences > Psychanalyse et marxisme > Freud et les bolcheviks

Freud et les bolcheviks

dimanche 21 juin 2015

Comme les principaux protagonistes de la révolution bolchevique et de la Russie révolutionnaire des premières années après Octobre, à l’époque le seul pays au monde à reconnaitre Freud comme un scientifique éminent, Trotsky n’a cessé d’exprimer publiquement son intérêt pour la psychanalyse. Cela est d’autant plus remarquable que Freud a été interdit par l’URSS stalinienne et la pratique de la psychanalyse y a été interdite.

"La tentative de déclarer la psychanalyse « incompatible » avec le marxisme et de tourner le dos sans cérémonie au freudisme est trop simpliste, ou plutôt trop « simplette »."

Léon Trotsky

dans "Culture et Socialisme" (3 février 1926)

"La révolution communiste n’a pas la crainte de l’art. Elle sait qu’au terme des recherches qu’on peut faire porter sur la formation de la vocation artistique dans la société capitaliste qui s’écroule, la détermination de cette vocation ne peut passer que pour le résultat d’une collision entre l’homme et un certain nombre de formes sociales qui lui sont adverses. Cette seule conjoncture, au degré près de conscience qui reste à acquérir, fait de l’artiste son allié prédisposé. Le mécanisme de sublimation, qui intervient en pareil cas, et que la psychanalyse a mis en évidence, a pour objet de rétablir l’équilibre rompu entre le « moi » cohérent et les éléments refoulés. Ce rétablissement s’opère au profit de l’ « idéal du moi » qui dresse contre la réalité présente, insupportable, les puissances du monde intérieur, du « soi », communes à tous les hommes et constamment en voie d’épanouissement dans le devenir. Le besoin d’émancipation de l’esprit n’a qu’à suivre son cours naturel pour être amené à se fondre et à se retremper dans cette nécessité primordiale : le besoin d’émancipation de l’homme."

Léon Trotsky et André Breton dans "Pour un art révolutionnaire indépendant" (25 juillet 1938)

"L’anthropologie, la biologie, la physiologie, la psychologie ont rassemblé des montagnes de matériaux pour ériger devant l’homme, dans toute leur ampleur, les tâches de son propre perfectionnement corporel et spirituel et de son développement ultérieur. Par la main géniale de Sigmund Freud, la psychanalyse a soulevé le couvercle du puits poétiquement nommé « l’âme » humaine. Et qu’est-il apparu ? Notre pensée consciente ne constitue qu’une petite partie du travail des obscures forces psychiques. De savants plongeurs descendent au fond de l’océan et y photographient de mystérieux poissons. Pour que la pensée humaine descende au fond de son propre puits psychique, elle doit éclairer les mystérieuses forces motrices de l’âme et les soumettre à la raison et à la volonté.

Quand il en aura terminé avec les forces anarchiques de sa propre société, l’homme travaillera sur lui-même dans les mortiers, dans les cornues du chimiste. Pour la première fois, l’humanité se considérera elle-même comme une matière première, et dans le meilleur des cas comme un produit physique et psychique semi-achevé. Le socialisme signifiera un saut du règne de la nécessité dans le règne de la liberté, aussi en ce sens que l’homme d’aujourd’hui, plein de contradictions et sans harmonie, frayera la voie à une nouvelle race plus heureuse."

Discours de Léon Trotsky à Copenhague sur la révolution d’octobre le 7 nov 1932 :

"Durant les quelques années de mon séjour à Vienne, j’ai coudoyé d’assez près les freudiens ; je lisais leurs travaux et fréquentais même leurs réunions. Dans leur manière d’aborder les problèmes psychologiques, j’ai toujours été frappé par le fait qu’ils allient un réalisme physiologique à une analyse quasi littéraire des phénomènes psychiques.

Au fond, la théorie psychanalytique est basée sur le fait que le processus psychologique représente une superstructure complexe fondée sur des processus physiologiques et par rapport auxquels il se trouve subordonné. Le lien entre les phénomènes psychiques " supérieurs " et les phénomènes physiologiques " inférieurs " demeure, dans l’écrasante majorité des cas, subconscient et se manifeste dans les rêves."

Léon Trotsky

septembre 1923

"Je voudrais écrire sur la « loi du développement combiné » et faire un parallèle avec une remarque de la psychanalyse. L’arriération a ses avantages. Je veux dire qu’un pays arriéré, comme il se trouve contraint de surmonter son arriération, est en mesure de s’approprier des moyens techniques et des installations ultra-modernes, etc… On retrouve cette loi dialectique dans de nombreux autres domaines. Et comme actuellement, la psychanalyse est toujours à l’ordre du jour, je voudrais faire un parallèle entre la loi du développement combiné et le dépassement psychanalytique des handicaps. "

Léon Trotsky

Courrier de septembre 1931

"Cher camarade,

J’avais à éclaircir une question scientifique sur la psychanalyse et je voulais m’adresser à vous car cela touche votre métier, mais je craignais de vous gêner dans vos travaux universitaires par une digression. C’est pourquoi je me suis adressé au camarade Schürer. Il s’agit avant tout de quelques extraits d’œuvres de Freud, qui sont introuvables ici."

Léon Trotsky

Lettre à E. Bauer

4 septembre 1931

« Le mécanisme de sublimation, et que la psychanalyse a mis en évidence, a pour objet de rétablir l’équilibre rompu entre le « moi » cohérent et les éléments refoulés. Ce rétablissement s’opère au profit de l’ « idéal du moi » qui dresse contre la réalité présente, insupportable, les puissances du monde intérieur, du « soi », communes à tous les hommes et constamment en voie d’épanouissement dans le devenir. Le besoin d’émancipation de l’esprit n’a qu’à suivre son cours naturel pour être amené à se fondre et à se retremper dans cette nécessité primordiale : le besoin d’émancipation de l’homme. »

Léon Trotsky et André Breton dans le manifeste « Pour un art indépendant »

Trotsky dans une lettre à Bauer d’octobre 1931 :

"J’ai pris connaissance de divers ouvrages de Freud. Mais je dois avouer que j’ai toujours cru que c’était Freud qui avait jeté les bases de la théorie des handicaps surmontés, et qu’Adler n’avait fait que la développer par la suite. Mais je suis bien de votre avis : Freud est incomparablement plus profond et plus spirituel que cet Alfred Adler, limité et autosatisfait."

Discours de Léon Trotsky fait au club « Place Rouge » le 3 février 1926 et paru dans « Noviy Mir » en janvier 1927

"La dialectique et le matérialisme constituent les principaux éléments de la connaissance marxiste du monde. Mais cela ne signifie pas du tout, qu’on puisse, toujours en qualité de passe-partout, les appliquer à n’importe quel domaine de la connaissance. On ne peut pas imposer la dialectique aux faits, il faut la tirer des faits, de leur nature et de leur développement. Seul un travail minutieux sur un matériau inédit a donné à Marx la possibilité d’ériger un système dialectique de l’économie permettant de comprendre une valeur tel que le travail socialisé. Les travaux marxistes historiques aussi ont été construits de même, ainsi que les articles de presse. L’application de la dialectique matérialiste à de nouveaux domaines de la connaissance peut être possible à la seule condition d’assimiler ceux-ci de l’intérieur. Le nettoyage de la science bourgeoise suppose l’assimilation de la science bourgeoise. Ni par la critique inconsistante, ni par un commandement sans but tu n’obtiendras quoi que ce soit. L’étude et l’application vont ici de pair avec le traitement critique. Nous avons la méthode chez nous, mais il y a suffisamment de travail pour plusieurs générations.

La critique marxiste de la science doit être non seulement vigilante mais également prudente, sinon elle pourrait dégénérer en un véritable sycophantisme, en une famousovtchina. Prenons par exemple la psychologie. L’étude des réflexes de Pavlov se situe entièrement sur la voie du matérialisme dialectique. Elle renverse définitivement le mur qui existait entre la physiologie et la psychologie. Le plus simple réflexe est physiologique, mais le système des réflexes donnera la « conscience ». L’accumulation de la quantité physiologique donne une nouvelle qualité, la qualité « psychologique ». La méthode de l’école de Pavlov est expérimentale et minutieuse. La généralisation se conquiert pas à pas depuis la salive du chien jusqu’à la poésie (c’est-à-dire jusqu’à la mécanique psychique de celle-ci et non sa teneur sociale), bien que les voies vers la poésie ne soient pas encore en vue.

C’est d’une manière différente que l’école du psychanalyste viennois Freud aborde la question. Elle part, tout d’abord, de la considération que les forces motrices des processus psychiques les plus complexes et les plus délicats s’avèrent être des nécessités physiologiques. Dans ce sens général, cette école est matérialiste, si l’on écarte la question de savoir si elle ne donne pas une place trop importante au facteur sexuel au détriment des autres facteurs (mais c’est déjà là un débat qui s’inscrit dans le cadre du matérialisme). Pourtant, le psychanalyste n’aborde pas expérimentalement le problème de la conscience, depuis les phénomènes primaires jusqu’aux phénomènes les plus élevés, depuis le simple réflexe jusqu’au réflexe le plus complexe ; il s’évertue à franchir d’un seul bond tous les échelons intermédiaires, de haut en bas, du mythe religieux, de la poésie lyrique ou du rêve, directement aux bases physiologiques de l’âme.

Les idéalistes enseignent que l’âme est autonome, que la source de la pensée est un puits sans fond. Pavlov et Freud, par contre, considèrent que le fond de la « pensée » est constitué par la physiologie. Mais tandis que Pavlov, comme un scaphandrier, descend jusqu’au fond et explore minutieusement le puits, de bas en haut, Freud se tient au-dessus du puits et d’un regard perçant, s’évertue, au travers de la masse toujours fluctuante de l’eau trouble, de discerner ou de deviner la configuration du fond. La méthode de Pavlov, c’est l’expérimentation. La méthode de Freud, la conjecture, parfois fantastique. La tentative de déclarer la psychanalyse « incompatible » avec le marxisme et de tourner le dos sans cérémonie au freudisme est trop simpliste, ou plutôt trop « simplette ». En aucun cas nous ne sommes tenus d’adopter le freudisme. C’est une hypothèse de travail qui peut donner — et qui incontestablement donne — des hypothèses et des conclusions qui s’inscrivent dans la ligne de la psychologie matérialiste. La voie expérimentale amène, en son temps, la preuve. Mais nous n’avons ni motif ni droit d’élever un interdit à une autre voie, quand bien même elle serait moins sûre, qui s’efforce d’anticiper des conclusions auxquelles la voie expérimentale ne mène que bien plus lentement.

A l’aide de ces exemples, j’avais l’intention de montrer, au moins partiellement, tant la diversité de l’héritage scientifique que la complexité des voies par lesquelles le prolétariat peut passer pour en prendre possession. S’il est vrai que dans l’édification économique, les problèmes ne peuvent être résolus par décret et qu’il nous faut « apprendre à commercer », de même dans les sciences de purs et simples ordres ne pourront rien produire d’autre que préjudice et déshonneur. Dans ce domaine il faut « apprendre à apprendre »."

Léon Trotsky "Sur le testament de Lénine" (1932) :

"L’affirmation que la personnalité est une notion abstraite peut paraître absurde. Est-ce que ce ne sont pas les forces extra-personnelles de l’histoire qui sont essentiellement des notions abstraites ? Qu’est-ce qui peut être plus concret qu’un homme vivant ? Cependant, nous insistons sur notre affirmation. Si vous enlevez à la personnalité, même la plus douée, l’apport du milieu, de la nation, de l’époque, de la classe, du groupe, de la famille, il ne reste qu’un automate vide, un robot psycho-physiologique, une matière pour les sciences naturelles mais non pour les sciences sociales ou " humaines ".

Les causes qui expliquent qu’on néglige l’histoire et la société doivent, comme toujours, être recherchées dans l’histoire et la société elles-mêmes. Deux décades de guerres, de révolutions et de crises ont porté de rudes coups à la souveraineté de la personnalité humaine. Pour peser d’un poids quelconque sur l’histoire contemporaine en raison de son ampleur, tout doit se chiffrer par millions. C’est pour cela que la personnalité offensée cherche une revanche. Incapable de lutter à égalité avec la société elle lui tourne le dos. Incapable de se comprendre en partant du processus historique, elle essaye d’expliquer l’histoire en se prenant elle-même comme point de départ. C’est ainsi que les philosophes hindous construisirent des systèmes universels à partir de la contemplation de leur nombril.

L’ECOLE DE LA PSYCHOLOGIE PURE

L’influence de Freud sur la nouvelle école biographique est indéniable mais superficielle. Par nature, ces psychologues de salon sont portés à des bavardages irresponsables. Ils emploient, non pas tellement la méthode que la terminologie de Freud, et moins pour procéder à une analyse, qu’en guise d’ornement littéraire. Dans ses récents ouvrages, Emil Ludwig, le représentant le plus connu du genre, a innové sur ces sentiers battus. Il a remplacé l’étude de la vie et des hauts faits de son héros par le dialogue. Derrière les réponses de l’homme d’Etat aux questions qu’on lui pose, derrière ses intonations et ses grimaces, l’écrivain découvre ses véritables mobiles. La conversation devient presque une confession. Dans sa technique, la façon nouvelle qu’adopte Ludwig pour approcher son héros rappelle celle qu’emploie Freud pour approcher son malade. Il s’agit d’amener la personnalité à s’ouvrir complètement avec sa propre participation. Mais en dépit de cette similitude extérieure, combien différentes dans leur essence sont ces méthodes ! Le travail de Freud ne devient fructueux qu’au prix d’une rupture héroïque avec toute sorte de conventions. Le grand psychanalyste est impitoyable. Quand il se met à l’œuvre, il est comme un chirurgien, presque comme un boucher, les manches retroussées. Prenez-le comme vous voudrez, mais il n’y a même pas un centième de diplomatie dans sa technique. Freud ne se soucie nullement du prestige de son malade ou de considérations de forme, ou de quelque autre espèce de fausses notes ou de fioritures. Et c’est pour cette raison qu’il ne peut mener son dialogue que face à face, sans secrétaire ou sténographe, derrière des portes calfeutrées.

Il n’en va pas de même pour Ludwig. Il engage la conversation avec Mussolini ou avec Staline pour doter le monde d’un portrait authentique de leurs âmes. Cependant, la conversation dans son ensemble suit un programme prévu d’avance. Chaque mot est pris par un sténographe. L’illustre patient sait très bien ce qui peut lui être utile dans ce processus et ce qui peut lui nuire. L’écrivain a suffisamment d’expérience pour distinguer les procédés de rhétorique et suffisamment de politesse pour ne pas les noter. Le dialogue qui se déroule dans de telles conditions, s’il offre quelques analogies avec une confession, ressemble à celle qu’on ferait devant un appareil de prise de son.

Emil Ludwig a toute sorte de bonnes raisons pour déclarer : " Je ne comprends rien à la politique ". Cela doit vouloir dire : " Je suis bien au-dessus de la politique ". En réalité, c’est une formule pure et simple de neutralité personnelle – ou, pour emprunter le jargon de Freud, c’est le censeur interne qui facilite au psychologue sa fonction politique. De la même façon les diplomates n’interviennent pas dans la vie intérieure du pays où ils sont en fonction, mais cela ne les empêche pas, à l’occasion, de soutenir des complots et de financer des actes de terrorisme."

Léon Trotsky dans "Défense du marxisme" :

"Psychanalyse et marxisme.

Certains camarades - ou anciens camarades, comme Bruno R. - oubliant les anciennes discussions et décisions de la IVe Internationale, recourent à la psychanalyse pour tenter d’expliquer le jugement que je porte sur le gouvernement soviétique.

"Trotsky, disent-ils, a pris part à la révolution russe ; il lui est donc difficile de renoncer à l’idée d’un Etat ouvrier, c’est-à-dire de désavouer dans une certaine mesure l’oeuvre de toute sa vie" [1], etc. Je pense que le vieux Freud qui était fort perspicace aurait tiré les oreilles à ce genre de psychanalystes."

From the reminiscences of Max Shachtman about Trotsky in Turkey in 1930 :

"After his mid-day meal Trotsky would “Relax on the sofa for an hour or two, and there… take a nap or… read for relaxation some German or Russian or French literature… novels sent to him by friends in France, some new editions of Sigmund Freud, whom he read very extensively and whom he admired enormously. I noticed that he would mark off and annotate page after page of Freud during this siesta period, and after an hour or two would resume work at his desk…”

Extracts of "Freud and the Bolsheviks"

Peter Myers, July 26, 2001 ;

The early "Trotskyist" period of the Soviet Union was favourable to Freud, and Freud co-operated with the Bolshevik system then, but Stalin ousted Freud in the wake of Trotsky’s expulsion.

Martin A. Miller, Freud and the Bolsheviks, Yale University Press, New Haven 1998.

p. 60 Freud was clearly impressed by the activities and plans which the Moscow Institute reported to him in Vienna. At the congress of the International Psychoanalytic Association (IPA) which met in Berlin September 25-27, 1922,

p. 61 Freud proposed "that the group in Moscow should be accepted as a member." However, there was opposition within the international association’s leadership. Ernest Jones, who presided at the congress, sought to delay a decision on the Russians for "administrative reasons."

p. 62 To put it starkiy, having won Freud to their side, they now needed Lenin’s approval. The Moscow Psychoanalytic Institute could not have functioned so visibly without either tacit or explicit support from the party. Despite the comparative openness of this era and the acceptance (if not encouragement) of experimental trends in the arts which bloomed, aibeit briefly, the fact that the psychoanalysts were publishing Freud’s works in the press of the State Publishing House and operating a children’s school in the capital at a time when most educational activities were already under party control suggests that more than mere tolerance was involved. There have aiso been indications in various published documents that certain key party leaders were favorably disposed toward psychoanalysis. This has been successfully demonstrated in the case of Trotsky (which I shail examine below), and suggested without evidence in the cases of Nikolai Bukharin, Karl Radek, and Adolf Ioffe. Newly available archival materials from Moscow, however, make it clear that the involvement of the party occurred earlier and was far more widespread than had been assumed.

By the summer of 1922, negotiations were well under way between the Moscow psychoanalytic group and the presidium of the scientific-pedagogical section of the State Scientific Soviet. The section of the Soviet reported directly to Anatoly Lunacharsky, Commissar of Enlightenment and Education, who had very close ties to Lenin. Each side was seeking something rather concrete from the other. The Freudians wanted official approval as well as financial support from the Communist authorities, without which it would have been virtually impossible to function. The government was in the process of formulating its ideological position regarding the field of psychology in general, and in addition, needed practical guidance in coping with the large problem of the homeless and orphaned children who had been victimized by the violence of the civil war. Because the psychoanaiysts had already started an experimentai school for disturbed children, party officials were willing to listen to a proposai which included that institution as part of its overall activities.

p. 63 About a week later, Ermakov submitted to the government on behalf of his colleagues the "Charter of the Psychoanalytic Society." ... The last clause, which would later prove to be of great significance, indicated that "in the event of the

p. 64 necessity to liquidate the Society," the government retained the right to control its activities. In this manner, the unique institution of state psychoanalysis was established.

p. 67 Clearly the years 1921-1923 were the high tide of the psychoanalytic movement in Russia. Apart from the one major casualty - the closing of the school for disturbed children - psychoanalysis achieved spectacular successes at this time. An institute with a fully recognized training program was inaugurated, an outpatient clinic was established together with the children’s home, all functioning on psychoanalytic principles. The extensive publication of psychoanalytic books and articles was proceeding at a level that was difficult to imagine a few years before. All of these activities were in some measure supported by the state. Indeed, it can safely be said (with all the implied ironies,

p. 68 given what was to come later) that no government was ever responsible for supporting psychoanalysis to such an extent, before or after.

It was no accident that all of this occurred during the New Economic Policy era. Lenin’s program, which permitted the reintroduction of private enterprise into the Communist experiment on a limited basis, was very beneficial for psychoanalysis. It ensured a certain measure of tolerance for the radical individualism in which Freudian theory was so rooted, at least for the time being.

p. 69 quote Theoretical Marxism, as realized in Russian Bolshevism, has acquired the energy and the self-contained and exclusive character of a Weltanschauung, but at the same time an uncanny likeness to what it is fighting against. Though originally a portion of science and built up, in its implementation, upon science and technology, it has created a prohibition of thought which is just as ruthless as was that of religion in the past. Any critical examination of Marxist theory is forbidden, doubts of its correctness are punished in the same way as heresy was once punished by the Catholic Church. The writings of Marx have taken the place of the Bible and the Koran as a source of revelation, though they would seem to be no more free from contradictions and obscurities than those older sacred books. end quote - Sigmund Freud, "The Question of a Weltanschauung " (1932)

Note however that this anti-Communist position by Freud came after Stalin ended the earlier "Trotskyist" period, which was more favourable to Freud

p. 87 The case for Trotsky is far less ambiguous, for his writings contain numerous references to Freud. In 1923 (September 27), Trotsky wrote in a private letter to Pavlov : "During my years in Vienna, I came in rather close contact with the Freudians, read their work and even attended their meetings." He expressed his belief that Pavlov and Freud were working toward a similar theory of the mind from opposite points of departure. The Freudians, he stated, had made "a series of clever and interesting albeit scientifically arbitrary conjectures about the properties" of the human mind. Although he stopped short of an endorsement of psychoanalysis in the letter to Pavlov, he did not hesitate to say in his book Literature and Revolution that he believed that "the psychoanalytic theory of Freud . . . can be reconciled with materialism." In another statement on the subject in 1926, Trotsky defended the work of Freud’s Russian followers against the growing determination of the party to take action against it.

quote It would be too simple and crude to declare psycho-analysis as incompatible with Marxism and to turn one’s back on it. In any case, we are not obliged to adopt Freudianism either. It is a working hypothesis. It can produce, and it does produce deductions and surmises which point to a materialist psychology. In due time, experimentation will provide the tests. Meanwhile, we have neither reason nor right to declare a ban on a method which, even though it may be less reliable, tries to anticipate results towards which the experimental method advances only very slowly. [end quote

Although Trotsky’s interest in maintaining psychoanalysis as part of the continuing debate over the establishment of a Marxist psychology was politically helpful to the Soviet Freudians during the mid-1920s, his association with

p. 88 them (however indirect it was in reality) soon became a fatal liability once Trotsky himself fell into political disfavor.

p. 95 The party’s reaction to Kollontai’s sexual ideology was clear but cannot be entirely separated from her involvement with the Worker’s Opposition groups, whose advocacy of worker autonomy was even more threatening. Still, Kollontai’s ideas, published in newspapers as well as in novels, were perceived by her critics to resonate widely in the society as a whole. Moreover, the resumption of prostitution under the less restrictive conditions of NEP, the apparent rise in the rate of suicides, especially high-profile cases like the death of the poet Sergei Esenin, and the presumed excesses of sexual behavior that took place in the student population all fed the flames ignited by Kollontai’s very public discussion of the potential values of love and sex for communism. Added to this was the trial in December 1926 of twenty-six defendants charged with gang-raping a young woman in Leningrad, an event which was covered very openly in the press and interpreted as a graphic illustration of the epidemic of sexual depravity against which the party had to take decisive action. The rape case in Leningrad was especially disturbing because the perpetrators were members of the Communist youth organization (Komsomol). Punishment was severe to make an example of the convicted defendants - six were sentenced to death and nineteen others received jail sentences.

These years also produced regulatory legislation on marriage, divorce, and abortion, committees to combat prostitution, and discussions in the press and Bolshevik party meetings about the need for greater moral vigilance. The Freudians became directly involved in this reaction when a member of their own community published a set of essays in which he offered a program to combat the sexual menace. Aron Zalkind hypothesized that sexual desire was a fixed amount of energy in each individual which could either be wasted in acts of depraved, excessive, and self-gratifying sexual relations or be utilized in

p. 96 healthier "collectivist activities" which would benefit the working class and the party.

p. 97 Freud himself, though obviously unable to follow the debate about his theory in the Bolshevik journals, was well informed about the demise of psychoanalysis on the clinical level in the Soviet Union. In an unpublished letter of February 23, 1927, he wrote about this situation to Osipov in Prague : "Things are going poorly for the [psycho]analysts in Soviet Russia, by the way. From somewhere the Bolsheviks have gotten it into their heads that psychoanalysis is hostile to their system. You know the truth that our science cannot be placed at the service of any party, but that it needs a certain liberal-mindedness [Freiheitlichkeit] in turn for its own development."

During the late l920s, Freud made further statements on what he saw as the implications of the Soviet experiment with socialism and revolution. In his Future of an Illusion (1927) and more directly in Civilization and Its Discontents (1930), he expressed serious reservations about the future prospects of a communist society in which private property was abolished and the bourgeois class made into an officially approved enemy. "The psychological premises on which the [communist] system is based," he wrote, "are an untenable illusion.". Human aggression has not been altered in its fundamental nature in this process and will probably only be rechanneled into new areas of social conflict. "One only wonders, with concern," he concluded, "what the Soviets will do after they have wiped out their bourgeoisie."

For Freud, Marxist political ideology played the role of religious commitment in Soviet Russia. While Freud conceded that Marx’s ideas had "acquired an undeniable authority" in recent times, he was skeptical of the notion that societies developed through different stages as a "process of natural history," and of the concept of a "dialectical process" of class confict operating in history with lawful consistency and regularity. In Freud’s view, "the class structure of society goes back to the struggles which, from the beginning of history, took place between human hordes only slightly differing from each other. Social distinctions were originally distinctions between clans and races. Victory was

p. 99 decided by psychological factors . . . and by material factors." but not by the latter alone, as Marx had argued. ...

Human nature was to be fundamentally altered in the "new order of society" under communism where work would supposedly be undertaken without compulsion or oppression.

Such a transformation, Freud wrote, was most doubtful. What would more likely occur was a shifting of the "instinctual restrictions which are essential in society," a diversion of "the aggressive tendencies which threaten all human communities" to enemies elsewhere while encouraging the hostility of the poor against the wealthy and "of the hitherto powerless against the former rulers." Bolshevism had to compensate its believers and followers for suffering in the present by promising a radiant future of complete gratification. Such an emotional paradise cannot exist, and thus new conflicts were bound to emerge. ...

In spite of these concerns, Freud acknowledged the boldness and courage of the country in its efforts to carry out "the tremendous experiment of producing a new order of this kind."

p. 100 Still, Freud worried that the Bolshevik "message of a better future" would fail because it had been undertaken prematurely : "A sweeping alteration of the social order has little prospect of success until new discoveries have increased our control over the forces of nature, and so made easier the satisfaction of our needs. Only then perhaps may it become possible for a new social order not only to put an end to the material need of the masses but also to give a hearing to the cultural demands of the individual. Even then, to be sure, we shall still have to struggle for an incalculable time with the difficulties which the untameable character of human nature presents to every kind of social community."

p. 103 The underlying goal of Zalkind’s project was to allow party supervisors to manage the problems which had been defined by the Freudians as crucial to development, while making it clear that all psychoanalytic concepts were to be repudiated. ...

p. 104 Nevertheless, the war against Freud went on without any public advocates willing or able to defend psychoanalysis. It was no longer a debate, but a search for the most effective criticism to discredit psychoanalysis. The only question was how devastating the attack would be. The answer came quickly. The first example of this coordinated attack appeared shortly after the 1930 Congress on Human Behavior had completed its deliberations. Titled Dialectical Materialism and the Mechanists, by A. Stoliarov, this book went through five editions in a matter of months. In one of its chapters, called "Freudism and the FreudoMarxists," the author not only criticized psychoanalytic theory, but, more important from the party’s point of view, also denounced communists who had been propagators of Freud’s work in the Soviet Union. This was a classic Stalin-era witch-hunt, with professional reputations destroyed overnight by publications like this one.

p. 105 The most damaging trend in this official assault on psychoanalytic theory was the association of Freud directly with counterrevolutionary political trends in the Soviet Union.

p. 106 Trotsky’s main difficulty, the authors continued, was his physiological reductionism, the belief that all psychological phenomena were reducible to the laws of physics and biology. Moreover, they argued that Trotsky had obliterated Lenin’s notion of "the relative boundary between thought and matter," between mental processes and brain functions. Apart from scoring ideological points, the authors mainly criticized Trotsky’s attempt to unify the theories of Freud and Pavlov, as evidenced by Trotsky’s letter to Pavlov, and his admission of involvement in Freudian circles while in Vienna before the revolution. Quoting the Klara Zetkin memoir where Lenin mentioned that Freud’s theory was a "faddish mode," the authors concluded that Trotsky had "capitulated to bourgeois psychology." Thus, Shemiakin and Gershonovich joined Freud’s work and Trotsky’s politics as "harmful to Marxism-Leninism," recommending that they both had to be countered vigorously on "the psychoneurological front."

Thomas Carolan

After his mid-day meal Trotsky would “Relax on the sofa for an hour or two, and there… take a nap or… read for relaxation some German or Russian or French literature… novels sent to him by friends in France, some new editions of Sigmund Freud, whom he read very extensively and whom he admired enormously. I noticed that he would mark off and annotate page after page of Freud during this siesta period, and after an hour or two would resume work at his desk…”

From the reminiscences of Max Shachtman about Trotsky in Turkey in 1930.

The great age of world exploration which opened late in the 15th century had as one of its characteristics a growing willingness on the part of European sailors to sail boldly out into the great seas.

Before that, with few deliberate exceptions, European sailors had hugged the shores, seldom choosing to go entirely out of sight of land. The Vikings who sailed across the Atlantic Ocean and "discovered" America hundreds of years earlier, and the Irish sailors who may have made the same journey hundreds of years before that (serious scholars such as Fernand Braudel think that the story is more than legend), were the exception.

The new spirit that emerged in the Renaissance grew and spread with its own successes, sailors boldly going where other sailors had gone before. Feats like the journeys of the great pioneers became unremarkable and commonplace.

The tremendous daring and courage of the pioneer explorers ceased to be fully intelligible to later generations for whom the deeds of a Christopher Columbus, a Vasco da Gama, or a Ferdinand Magellan, had become the common experience of many in their own times.

In terms of human understanding of our own psyche, of the construction of our minds, the relationship between our animal nature and our "god-like” dimension of reason and rational understand, Sigmund Freud, who was born 150 years ago, on 6 May 1856, was the Columbus, the da Gama, the Magellan and all the other terrestrial explorers made into one man. It is fashionable in general to disparage him, and Stalinist hostility has always made him anathema on much of the left. But he deserves our gratitude as one of the great heroes of human liberation. His discoveries have become so commonplace a part of our everyday understanding of ourselves that now it takes an effort of imagination to grasp the scale and scope of the lonely “voyage” of discovery into the psychicall unknown.

A physician by training, Freud became convinced that there were "forces" other than the accessibly physiological in play in his patients which sometimes governed both their falling-ill and their recovery or incapacity to recover. These were not mystic "forces" — though the phenomena Freud observed had often been explained in mystical terms such as "possession by demons" — but forces rooted in the physical, animal being of humankind.

Freud believed, and never ceased to believe, that the basic subject-matter of medicine was the physicality of humankind — our bones ; muscles ; nerves ; digestive, defecatory, and procreative systems. He was a 19th century naturalist, a materialist and an atheist.

Mind, for Freud as for Marx and Engels, was "a function of the movement of matter". But the phenomena he observed in his patients, neuroses, hysteria, psychosomatic manifestations, etc., could not, so he became convinced, be explained in terms of known anatomy.

They were things of the mind and of the effect of the mind on bodily states and functions. The human brain, like the rest of the human body, could be cut up and explored in its physicality. The nervous system could be explored and explained physically. But even if one assumed, as Freud did, that the mind was ultimately a function of physiology, and might even (as he put it) be reduced to chemical processes, it could not be directly assessed in a physical way.

It could not be cut up. It could not be subjected to controlled scientific experiments in the same way as, for example, nervous reflexes. In terms of the techniques available to physical, inductive science, it was simply inaccessible. Yet its aspects and its effects could be observed, deduced, and compared. Predictions could be made and tested.

In terms of the human psyche, Freud was like the early astronomers, before telescopes were invented, who studied the skies and the movements of the stars, which they could see but not, or not fully, comprehend ; who studied such things as the gravitational effect of the moon on the tides and the seeming movements of the stars around the earth ; and who speculated, often fantastically, on the possible relations of the movements in the heavens to the affairs of humankind and to individual human lives.

Continuing to believe that ultimately psychic phenomena would be explicable in terms of chemical formulae, Freud adapted his methods of exploration of the human mind to the nature and accessibility of the thing he studied and the limited nature of his own tools of exploration. He studied and interpreted dreams for what they pointed to in the mind of the dreamer ; slips of the tongue — “Freudian slips” — for what they showed of divided and conflicting impulses and inaccessible, unconscious mental processes ; he listened patiently to the talk of the troubled and mentally ill, using free association of words to by-pass the censorship of the conscious mind and glimpse the unconscious processes behind the conscious.

He postulated the existence of an unconscious mind, the hidden part of the iceberg, under the conscious. Poets and imaginative writers had often depicted human beings in whom unconscious impulses, conflicts and repressed desires were prominent. Hamlet, for example, in whom deep inner and to himself inexplicable resistance to avenging the murder of his father is the bedrock of Shakespeare’s play. Freud himself spoke of writers like Schopenhauer and Dostoevsky as especially important here.

We associate “evolution” with Charles Darwin. In fact ideas of “evolution” were widely accepted before Darwin — for example it is known from geology that the earth had changed. Darwin focussed the general notion of evolution on animal and human evolution to explain evolution of “species”. So with Sigmund Freud and the unconscious, which was not unknown before him.

What Freud did was to make explicit and to study systematically and in as scientifically a way as possible, and try to map what artists had portrayed glancingly, or only in terms of instinctive knowledge of how people behaved.

On the basis of his study of patients Freud mapped out a metaphorical physiognomy of the mind, distinguishing between layers of feeling and awareness and different functions in the psychical economy — the id, the instinctual deeply buried parts of the mind ; the ego, the “executive” conscious part of the mind ; the super-ego, the conscience, which is made up of both conscious ideas and deep instincts.

He produced case studies of patients — such as the Wolf man, so called because of a recurring dream of wolves. He constructed a language of dreams, of the symbols of dreams and what they meant. For example a house in a dream represents the human body.

Freud broke through the taboos on sexuality and explored female sexuality, showing that sexual malfunction, frustration and repression lay at the root of neuroses and of much human suffering.

He laid the scientific basis for the tremendous sexual revolution of the 20th century. He constructed scientific papers from experience with patients which explored such fundamental things in human life as mourning.

Most of the great pioneering work which Freud did — on sexuality for example — is now so much part of the mental and social fabric of our lives that it is taken for granted. It is “common sense”. Freud made it “commonplace”. What tremendous Columbus-like daring Freud displayed first exploring the unexplored taboo-walled-off areas of human personality, is obscured by his very success, by the general acceptance of his ideas.

Yet Freud remains one of the great explorers. Though in politics he was a middle-European bourgeois liberal (who yet publicly wished what was then called the “experiment” of the USSR well) — he was one of the great liberators in human history. For example his explanations of sexuality, including female sexuality, contributed enormously to the tremendous unshackling of women in the 20th century.

Some of the things that rouse the ire of some feminists against Freud, his idea of female penis-envy for example, are simply misunderstood. Freud was here talking, in the first place, about the perceptions and misperceptions of very small children, and its effects on their developing personality.

The criticism that Freud was “unscientific” is largely beside the point. The things he dealt with simply could not be studied like geological specimens. Freud was as scientific as his subject matter and his tools in appraising it allowed him to be.

As with the ancient students of the stars, probably much that Freud postulated was wrong or inexact, or incomplete. His great pioneering work is the basis for future more exact work.

Freud founded a school, and it has generated dissidents and heretics. There are many Freudians, ex-Freudian, anti-Freudian schools of psycho-analysis. His work has bred both conservative and communist-revolutionary conclusions.

The ego, the personality, is at odds with its familial and social environment ? Teach the patient to be more at ease, to conform ! Or — change the familial and social framework. The latter was the conclusion of Wilhelm Reich who in his early years was a member of the German Communist Party and preached the revolution of sex morality.

Some of Freud’s early disciples were socialists, Alfred Adler for example, whom Trotsky knew. Today conformist Freudians are very much part of the academic and medical establishment in the USA. But the first Freudian to be appointed to an academic post, Sandor Ferenczi, was appointed by the six-week communist regime of Bela Kun in Hungary in 1919.

The Stalinists denounced Freudianism and made war on it — but that is a point in his favour. Trotsky respected and defended Freud. To the “materialists” in USSR who lauded Pavlov’s work on nervous reflexes etc and damned Freud, Trotsky explained the difference between them with a metaphor. The human mind is a deep dark well. Pavlov goes down in a diving suit and feels about in it ; Freud gazes into the depths and tries to understand it by way of observing the shifts and movements and shadows that he can discern. Giving the difficulities of the subject matter, both methods were valid techniques of exploration.

Freud still has a great deal to teach us. Living as we do in a left that grows appreciably crazier by the month, we socialists might benefit from paying more attention to Sigmund Freud and those he instructed and influenced.

Le legs de Freud

Le 23 septembre 1939, Sigmund Freud mourait à Hampstead, dans ce qui est aujourd’hui le Musée Freud à Londres. Quelques semaines auparavant avait débuté la Seconde Guerre mondiale. Il y a une histoire qui raconte que Freud, écoutant la radio ou parlant à son petit-fils (les versions varient), et répondant à la question brûlante : "est-ce que ce sera la dernière guerre ?", aurait laconiquement répondu : "En tous cas, ce sera ma dernière guerre".

Freud s’était exilé de sa maison et de son cabinet de Vienne peu après que les nervis nazis eurent pénétré dans son appartement et arrêté sa fille, Anna Freud, relâchée peu après. Freud faisait face à la persécution du pouvoir nazi mis en place après l’Anschluss entre l’Allemagne et l’Autriche, non seulement parce qu’il était juif, mais aussi parce qu’il était la figure fondatrice de la psychanalyse, discipline condamnée par le régime comme un exemple de la "pensée juive dégénérée" : les travaux de Freud, au même titre que ceux de Marx, d’Einstein, de Kafka, de Thomas Mann et d’autres, ont eu l’honneur d’être parmi les premiers livrés aux flammes des autodafés en 1933.

Mais les Nazis n’étaient pas les seuls à haïr Freud. Leurs homologues staliniens avaient également décidé que les théories de Freud devaient être dénoncées du haut des chaires de l’État. Tout comme il mit un terme à toute expérimentation dans l’art, l’éducation et dans d’autres sphères de la vie sociale, le stalinisme triomphant mena une chasse aux sorcières contre les tenants de la psychanalyse en Union soviétique et, en particulier, contre ceux qui estimaient que les travaux de Freud étaient compatibles avec le marxisme. Le pouvoir des soviets avait eu, au départ, une tout autre attitude. Bien que les bolcheviks n’aient nullement adopté une démarche homogène vis-à-vis de cette question, nombre de bolcheviks connus comme Lounatcharski, Boukharine et Trotsky lui-même avaient des sympathies pour les buts et les méthodes de la psychanalyse ; de ce fait, la branche russe de l’Association internationale de Psychanalyse avait été la première au monde à obtenir le soutien, y compris financier, d’un État. Au cours de cette période, l’un des buts fondamentaux de cette branche a été de créer une "école pour les orphelins" qui devait élever et soigner les enfants traumatisés par la perte de leurs parents au cours de la guerre civile. Freud lui-même portait un grand intérêt à ces expériences : il était particulièrement curieux de savoir jusqu’à quel point les différents efforts pour élever les enfants de façon collective, et non sur la base confinée et tyrannique du noyau familial, joueraient sur le complexe d’Œdipe qu’il avait identifié comme une question centrale dans l’histoire psychologique de l’individu. En même temps, des bolcheviks comme Lev Vygotsky, Alexander Luria, Tatiana Rosenthal et M.A. Reisner apportaient des contributions à la théorie psychanalytique et exploraient ses relations avec le matérialisme historique. 2

Tout cela prit fin lorsque la bureaucratie stalinienne eut assuré son emprise sur l’État. Les idées de Freud furent de plus en plus dénoncées comme petite-bourgeoises, décadentes et avant tout idéalistes, alors que la démarche plus mécaniste de Pavlov et sa théorie du "réflexe conditionné" étaient promues comme exemple de la psychologie matérialiste. À la fin des années 1920, il y eut une formidable inflation de textes rédigés par les porte-parole du régime s’opposant à Freud de façon pernicieuse, une série de "défections" de ses anciens adeptes comme Aron Zalkind, et même des attaques hystériques contre une "morale relâchée" crapuleusement associée aux idées de Freud dans ce qui fut plus généralement le "Thermidor de la famille" (selon l’expression de Trotsky).

La victoire finale du stalinisme contre le "Freudisme" fut entérinée au Congrès sur le Comportement humain de 1930, en particulier à travers le discours de Zalkind qui ridiculisa l’ensemble de la démarche freudienne et avança que sa vision du comportement humain était totalement incompatible avec "la construction du socialisme" : "Comment pouvons-nous utiliser la conception freudienne de l’homme dans la construction socialiste ? Nous avons besoin d’un homme socialement "ouvert", qui soit facile à collectiviser, à transformer rapidement et en profondeur dans son comportement – un homme qui sache se montrer solide, conscient et indépendant, bien formé politiquement et idéologiquement…" (cité dans Miller, Freud and the Bolsheviks, Yale, 1998, p. 102, traduit par nous). Nous savons très bien ce que cette "formation" et cette "transformation" signifiaient réellement : briser la personnalité humaine et la résistance des travailleurs au service du capitalisme d’État et de son impitoyable Plan quinquennal. Dans cette vision, il n’y avait évidemment pas de place pour les subtilités et la complexité de la psychanalyse, qui pouvait être utilisée pour montrer que le "socialisme" stalinien n’avait guéri aucune des maladies de l’humanité. Et, bien entendu, le fait que la psychanalyse avait joui d’un certain degré de soutien de la part de Trotsky, à présent exilé, était monté en épingle dans l’offensive idéologique contre les théories de Freud.
Et dans le monde "démocratique" ?

Mais qu’en est-il des représentants du camp démocratique du capitalisme ? L’Amérique de Roosevelt n’a-t-elle pas fait pression pour que Freud et sa famille proche puissent quitter Vienne. Et la Grande-Bretagne n’a-t-elle pas attribué une confortable demeure à l’éminent Professeur et Docteur Freud ? La psychanalyse n’est-elle pas devenue en Occident, notamment aux États-Unis, une sorte de nouvelle église orthodoxe de psychologie, certainement rentable pour beaucoup de ses praticiens ?

En fait, la réaction des intellectuels et des scientifiques aux théories de Freud dans les démocraties a toujours été très mélangée, faite de vénération, de fascination et de respect, combinés à l’indignation, la résistance et le mépris.

Mais au cours des années qui ont suivi la mort de Freud, on a vu deux tendances majeures dans la réception de la théorie psychanalytique : d’un côté, une tendance parmi ses propres porte-parole et praticiens à diluer certaines de ses implications les plus subversives (comme l’idée que la civilisation actuelle est nécessairement fondée sur la répression des instincts humains les plus profonds) au profit d’une démarche plus pragmatique et révisionniste, plus apte à se faire accepter socialement et politiquement par cette même civilisation ; et, d’un autre côté, chez un certain nombre de philosophes, de psychologues appartenant à des écoles rivales et d’auteurs ayant plus ou moins de réussite commerciale, une tendance à rejeter de plus en plus l’ensemble du corpus des idées freudiennes parce qu’elles auraient été subjectives, invérifiables et fondamentalement non-scientifiques. Les tendances dominantes de la psychologie moderne (il y a des exceptions, comme dans la "neuro-psychanalyse" qui réexamine le modèle freudien de la psyché en fonction de ce que nous connaissons aujourd’hui de la structure du cerveau) ont abandonné le voyage de Freud sur la "route royale vers l’inconscient", son effort pour explorer la signification des rêves, des mots d’esprit, des lapsus et autres manifestations immatérielles, au profit de l’étude de phénomènes plus observables et mesurables : les manifestations physiologiques, externes des états mentaux, et les formes concrètes de comportement chez les êtres humains, les rats et d’autres animaux observés dans des conditions de laboratoire. En matière de psychothérapie, l’État-providence, très intéressé à réduire les coûts potentiellement énormes induits par le traitement de l’épidémie grandissante de stress, de névroses et de maladies mentales classiques engendrée par le système social actuel, favorise les solutions rapides telles que les "thérapies cognitives et comportementales" plutôt que les efforts de la psychanalyse pour pénétrer aux racines profondes des névroses 3. Surtout, et c’est particulièrement vrai pour les deux dernières décennies, on a vu un véritable torrent de livres et d’articles tenter de faire passer Freud pour un charlatan, un fraudeur ayant fabriqué ses preuves, un tyran vis-à-vis de ses disciples, un hypocrite et (pourquoi pas ?) un pervers. Cette offensive a beaucoup de traits en commun avec la campagne anti-Marx lancée au lendemain de l’effondrement du prétendu "communisme" à la fin des années 80 et, tout comme cette dernière campagne avait donné naissance au Livre noir du communisme, on nous a servi maintenant un Livre noir de la psychanalyse 4 qui consacre pas moins de 830 pages à traîner Freud et tout le mouvement psychanalytique dans la boue.
Le marxisme et l’inconscient

L’hostilité à la psychanalyse n’a pas surpris Freud : elle a confirmé qu’il avait visé juste. Après tout, pourquoi aurait-il été populaire en développant l’idée que la civilisation (au moins la civilisation actuelle) est antithétique aux instincts humains et en infligeant une blessure, en portant un nouveau coup à "l’amour-propre naïf" de l’homme – selon son expression ?

"C’est en attribuant une importance pareille à l’inconscient dans la vie psychique que nous avons dressé contre la psychanalyse les plus méchants esprits de la critique. Ne vous en étonnez pas et ne croyez pas que la résistance qu’on nous oppose tienne à la difficulté de concevoir l’inconscient ou à l’inaccessibilité des expériences qui s’y rapportent. Dans le cours des siècles, la science a infligé à l’égoïsme naïf de l’humanité deux graves démentis. La première fois, ce fut lorsqu’elle a montré que la terre, loin d’être le centre de l’univers, ne forme qu’une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur. Cette première démonstration se rattache pour nous au nom de Copernic, bien que la science alexandrine ait déjà annoncé quelque chose de semblable. Le second démenti fut infligé à l’humanité par la recherche biologique, lorsqu’elle a réduit à rien les prétentions de l’homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l’indestructibilité de sa nature animale. Cette dernière révolution s’est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de Charles Darwin, de Wallace et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains. Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu’il n’est seulement pas maître dans sa propre maison, qu’il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique." (Introduction à la psychanalyse, Troisième partie, Conférence 18, "Rattachement à une action traumatique – l’inconscient", 1917 5)

Pour les marxistes, cependant, il n’y a rien de choquant dans l’idée que la vie consciente de l’homme soit – ou ait été jusqu’ici – dominée par des motifs inconscients. Le concept marxiste d’idéologie (qui englobe toutes les formes de conscience sociale avant l’émergence de la conscience de classe du prolétariat) est ancré exactement sur cette notion.

"Chaque idéologie, une fois constituée, se développe sur la base des éléments de représentation donnés et continue à les élaborer ; sinon elle ne serait pas une idéologie, c’est-à-dire le fait de s’occuper d’idées prises comme entités autonomes, se développant d’une façon indépendante et uniquement soumises à leurs propres lois. Que les conditions d’existence matérielles des hommes, dans le cerveau desquels se poursuit ce processus mental, en déterminent en fin de compte le cours, cela reste chez eux nécessairement inconscient, sinon c’en serait fini de toute idéologie." (Friedrich Engels, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie allemande classique, 1888, IV "Le matérialisme dialectique" 6)

Le marxisme reconnaît donc que, jusqu’à aujourd’hui, la conscience que l’homme a de sa position réelle dans le monde a été inhibée et déformée par des facteurs dont il n’est pas conscient, que la vie sociale telle qu’elle a été constituée jusqu’ici a créé des blocages fondamentaux dans les processus mentaux de l’homme. Un clair exemple en est l’incapacité historique de la bourgeoisie d’envisager une forme de société supérieure, autre que le capitalisme, du fait que cela impliquerait sa propre disparition. C’est ce que Lukács appelait un "inconscient conditionné de classe" (Histoire et conscience de classe). Et on peut aussi envisager la question du point de vue de la théorie de Marx sur l’aliénation : l’homme aliéné est séparé de son semblable, de la nature et de lui-même, tandis que le communisme dépassera cette dichotomie et que l’homme y sera pleinement conscient de lui-même.
Trotsky défend la psychanalyse

Parmi tous les marxistes du 20e siècle, c’est probablement Trotsky qui a contribué le plus à l’ouverture d’un dialogue avec les théories de Freud, qu’il avait rencontrées au cours de son séjour à Vienne en 1908. Alors qu’il était toujours impliqué dans l’État soviétique mais de plus en plus marginalisé, Trotsky insistait sur le fait que la démarche de Freud envers la psychologie était fondamentalement matérialiste. Il s’opposait à ce qu’une école particulière de psychologie devienne la ligne "officielle" de l’État ou du parti, mais au contraire appelait à un débat large et ouvert. Dans Culture et socialisme, écrit en 1925/26, Trotsky évalue les démarches différentes des écoles freudienne et pavlovienne, et esquisse ce qu’il pense que devrait être l’attitude du parti vis-à-vis de ces questions :

"La critique marxiste de la science doit être non seulement vigilante mais également prudente, sinon elle pourrait dégénérer en un véritable sycophantisme, en une famousovtchina. Prenons par exemple la psychologie. L’étude des réflexes de Pavlov se situe entièrement sur la voie du matérialisme dialectique. Elle renverse définitivement le mur qui existait entre la physiologie et la psychologie. Le plus simple réflexe est physiologique, mais le système des réflexes donnera la "conscience". L’accumulation de la quantité physiologique donne une nouvelle qualité, la qualité "psychologique". La méthode de l’école de Pavlov est expérimentale et minutieuse. La généralisation se conquiert pas à pas depuis la salive du chien jusqu’à la poésie (c’est-à-dire jusqu’à la mécanique psychique de celle-ci et non sa teneur sociale), bien que les voies vers la poésie ne soient pas encore en vue.

C’est d’une manière différente que l’école du psychanalyste viennois Freud aborde la question. Elle part, tout d’abord, de la considération que les forces motrices des processus psychiques les plus complexes et les plus délicats s’avèrent être des nécessités physiologiques. Dans ce sens général, cette école est matérialiste, si l’on écarte la question de savoir si elle ne donne pas une place trop importante au facteur sexuel au détriment des autres facteurs (mais c’est déjà là un débat qui s’inscrit dans le cadre du matérialisme). Pourtant, le psychanalyste n’aborde pas expérimentalement le problème de la conscience, depuis les phénomènes primaires jusqu’aux phénomènes les plus élevés, depuis le simple réflexe jusqu’au réflexe le plus complexe ; il s’évertue à franchir d’un seul bond tous les échelons intermédiaires, de haut en bas, du mythe religieux, de la poésie lyrique ou du rêve, directement aux bases physiologiques de l’âme.

Les idéalistes enseignent que l’âme est autonome, que la ’pensée’ est un puits sans fond. Pavlov et Freud, par contre, considèrent que le fond de la ’pensée’ est constitué par la physiologie. Mais tandis que Pavlov, comme un scaphandrier, descend jusqu’au fond et explore minutieusement le puits, de bas en haut, Freud se tient au-dessus du puits et d’un regard perçant, s’évertue, au travers de la masse toujours fluctuante de l’eau trouble, de discerner ou de deviner la configuration du fond. La méthode de Pavlov, c’est l’expérimentation. La méthode de Freud, la conjecture, parfois fantastique. La tentative de déclarer la psychanalyse ’incompatible’ avec le marxisme et de tourner le dos sans cérémonie au freudisme est trop simpliste, ou plutôt trop ’simplette’. En aucun cas nous ne sommes tenus d’adopter le freudisme. C’est une hypothèse de travail qui peut donner — et qui incontestablement donne — des hypothèses et des conclusions qui s’inscrivent dans la ligne de la psychologie matérialiste. La voie expérimentale amène, en son temps, la preuve. Mais nous n’avons ni motif ni droit d’élever un interdit à une autre voie, quand bien même elle serait moins sûre, qui s’efforce d’anticiper des conclusions auxquelles la voie expérimentale ne mène que bien plus lentement." 7

En fait, Trotsky a très rapidement mis en question la démarche quelque peu mécaniste de Pavlov, qui tendait à réduire l’activité consciente au fameux "réflexe conditionné". Dans un discours prononcé peu après la publication du texte cité plus haut, Trotsky se demandait si on pourrait vraiment parvenir à une connaissance des sources de la poésie humaine à travers l’étude de la salivation canine (voir Notebooks de Trotsky, 1933/35, Writings on Lenin, Dialectics and Evolutionism, traduits en anglais et introduits par Philip Pomper, New York, 1998, p. 49). Et dans les réflexions ultérieures sur la psychanalyse contenues dans ces "carnets philosophiques", composés en exil, il insiste bien plus sur la nécessité de comprendre le fait que reconnaître une certaine autonomie de la vie psychique, si elle est conflictuelle avec une version mécaniste du matérialisme, est en réalité parfaitement compatible avec une vision plus dialectique du matérialisme :

"Il est bien connu qu’il existe toute une école de psychiatrie (la psychanalyse, Freud) qui en pratique ne tient aucun compte de la physiologie, se basant sur le déterminisme interne des phénomènes psychiques tels qu’ils sont. Certaines critiques accusent donc l’école freudienne d’idéalisme. […] Mais en elle-même la méthode de la psychanalyse, qui prend comme point de départ ’l’autonomie’ des phénomènes psychologiques, ne contredit nullement le matérialisme. Tout au contraire, c’est précisément le matérialisme dialectique qui nous amène à l’idée que la psyché ne pourrait même pas se former si elle ne jouait pas, dans certaines limites il est vrai, un rôle autonome et indépendant dans la vie de l’individu et de l’espèce.

Tout de même, nous approchons ici une question en quelque sorte cruciale, une rupture dans le gradualisme, une transition de la quantité en qualité : la psyché, qui émerge de la matière, est ’libérée’ du déterminisme de la matière et peut de façon indépendante, par ses propres lois, influencer la matière."

(Carnets de Trotsky, op.cit., p. 106, notre traduction)

Trotsky affirme ici qu’il existe une véritable convergence entre le marxisme et la psychanalyse. Pour les deux, la conscience, ou plutôt l’ensemble de la vie psychique, est un produit matériel du mouvement réel de la nature et non une force existant en-dehors du monde ; elle est le produit de processus inconscients qui la précèdent et la déterminent. Mais elle devient à son tour un facteur actif qui, dans une certaine mesure, développe sa dynamique propre et qui, plus important, est capable d’agir et de transformer l’inconscient. C’est là la seule base d’une démarche qui fait de l’homme plus qu’une créature des circonstances objectives, et qui le rend capable de changer le monde autour de lui.

Et nous en arrivons ici à ce qui est, peut-être, la plus importante conclusion que tire Trotsky de son investigation dans les théories de Freud. Freud, rappelons-le, avait affirmé que la principale blessure infligée par la psychanalyse au "narcissisme naïf" de l’homme, était la confirmation que l’ego n’est pas maître dans sa propre maison, que dans une large mesure sa vision et son approche du monde sont conditionnées par des forces instinctives qui ont été refoulées dans l’inconscient. Freud lui-même, à une ou deux occasions, a été jusqu’à envisager une société qui aurait dépassé la lutte sans fin contre les privations matérielles et ainsi n’aurait plus à imposer cette répression à ses membres 8. Mais dans l’ensemble, son point de vue restait prudemment pessimiste du fait qu’il ne voyait pas de voie pouvant mener à une telle société. Trotsky, en tant que révolutionnaire, était tenu de soulever la possibilité d’une humanité pleinement consciente qui deviendrait ainsi maîtresse dans sa propre maison. En fait, pour Trotsky, la libération de l’humanité de la domination de l’inconscient devient le projet central de la société communiste : "Enfin, l’homme commencera sérieusement à harmoniser son propre être. Il visera à obtenir une précision, un discernement, une économie plus grands, et par suite, de la beauté dans les mouvements de son propre corps, au travail, dans la marche, au jeu. Il voudra maîtriser les processus semi-conscients et inconscients de son propre organisme : la respiration, la circulation du sang, la digestion, la reproduction. Et, dans les limites inévitables, il cherchera à les subordonner au contrôle de la raison et de la volonté. L’homo sapiens, maintenant figé, se traitera lui-même comme objet des méthodes les plus complexes de la sélection artificielle et des exercices psycho-physiques.

Ces perspectives découlent de toute l’évolution de l’homme. Il a commencé par chasser les ténèbres de la production et de l’idéologie, par briser, au moyen de la technologie, la routine barbare de son travail, et par triompher de la religion au moyen de la science. Il a expulsé l’inconscient de la politique en renversant les monarchies auxquelles il a substitué les démocraties et parlementarismes rationalistes, puis la dictature sans ambiguïté des soviets. Au moyen de l’organisation socialiste, il élimine la spontanéité aveugle, élémentaire des rapports économiques. Ce qui permet de reconstruire sur de tout autres bases la traditionnelle vie de famille. Finalement, si la nature de l’homme se trouve tapie dans les recoins les plus obscurs de l’inconscient, ne va-t-il pas de soi que, dans ce sens, doivent se diriger les plus grands efforts de la pensée qui cherche et qui crée ?" (Littérature et révolution, 1924, Ed. La Passion)

Évidemment, dans ce passage, Trotsky regarde vers un futur communiste très lointain. La priorité de l’humanité dans les premières phases du communisme portera sûrement sur les couches de l’inconscient où les origines des névroses et des souffrances mentales peuvent être dépistées, tandis que la perspective de contrôler des processus physiologiques encore plus fondamentaux soulève d’autres questions qui vont au delà de cet article et qui, de toutes façons, ne seront probablement posées que dans une culture communiste d’un niveau plus avancé.

Les communistes aujourd’hui peuvent être d’accord ou pas avec beaucoup d’idées de Freud. Mais il est sûr que nous devons exprimer la plus grande méfiance vis-à-vis des campagnes actuelles contre Freud et conserver une démarche la plus ouverte possible, comme le défendait Trotsky. Et, au minimum, nous devons admettre que tant que nous vivrons dans un monde où les "mauvaises passions" de l’humanité peuvent exploser avec une force terrifiante, où les relations sexuelles entre les êtres humains, qu’elles soient emprisonnées dans des idéologies médiévales, ou dévaluées et prostituées sur le marché, continuent à être une source de misère humaine indicible, où, pour la grande majorité des hommes, les forces créatrices de l’esprit restent largement étouffées et inaccessibles, les problèmes abordés par Sigmund Freud restent non seulement aussi pertinents aujourd’hui que lorsqu’ils furent soulevés pour la première fois, mais aussi que leur résolution sera certainement un élément irremplaçable dans la construction d’une société réellement humaine.

Amos -CCI

"The Austrian psycho-analytic school (Freud, Jung, Albert Adler and others) made an immeasurably greater contribu. tion to the question of the r6le of the sex-element in the forming of individual character and of social consciousness. In fact, there can be no comparsion here. Even the most paradoxical exaggerations of Freud are much more significant and fertile than the broad surmises of Rozanov who constantly falls into intentional half-wittedness, or simple babble, repeats himself, and lies for two."

Leon Trotsky

in "Litterature and revolution"

"Anthropology, biology, physiology and psychology have accumulated mountains of material to raise up before mankind in their full scope the tasks of perfecting and developing body and spirit. Psycho-analysis, with the inspired hand of Sigmund Freud, has lifted the cover of the well which is poetically called the “soul.” And what has been revealed ? Our conscious thought is only a small part of the work of the dark psychic forces. Learned divers descend to the bottom of the ocean and there take photographs of mysterious fishes. Human thought, descending to the bottom of its own psychic sources, must shed light on the most mysterious driving forces of the soul and subject them to reason and to will."

Leon Trotsky
The Future of Man

"Léon Trotsky fut sans doute l’un des premiers marxistes à pressentir l’importance de la méthode de Freud et à entrevoir son contenu émancipateur."

Pierre Broué

dans "Le parti bolchevique"

Le stalinisme

La reprise en mains, dans le domaine idéologique, a consisté dans l’emploi de tous les moyens de persuasion, de propagande et même de coercition, afin de convaincre les masses russes, par l’intermédiaire des militants du parti, de la supériorité de la « civilisation soviétique » dans tous les domaines. Malenkov déclare, dans son rapport au comité central de septembre 1947 : « Le parti a été contraint de développer une lutte énergique contre diverses manifestations d’admiration servile à l’égard de la culture bourgeoise en Occident, attitude qui est assez répandue dans certains milieux de notre intelligentsia et qui constitue une survivance du maudit passé de la Russie tsariste. » (...)
La campagne idéologique s’accompagne d’une épuration énergiquement conduite dans les journaux, les revues, les Instituts savants, les Académies, chez les philosophes comme les économistes, les savants, les peintres, les romanciers, les poètes, les compositeurs et les cinéastes, les biologistes, les physiciens, les esthéticiens, les clowns ou les agronomes. Les personnalités condamnées - parfois à la suite de retentissantes interventions de Staline, comme dans le cas de la discussion sur la génétique ou celle sur la linguistique - perdent leurs fonctions officielles dans les Instituts, leurs chaires dans les universités, leurs laboratoires, se voient privées de leurs moyens de subsistance, leurs manuscrits ou partitions étant désormais écartés de toute publication. Certains ont été arrêtés, et, comme le célèbre biologiste Vavilov, sont morts dans les camps. Jdanov, le tout-puissant maître de l’idéologie, et les fonctionnaires qui lui succèdent fixent désormais les cadres de l’esthétique officielle. Le « réalisme socialiste » doit être la peinture de la société telle que la veulent les dirigeants, car il est un moyen de la diriger et de la façonner : il condamne le « libéralisme pourri » qui laisse s’exprimer les « traits négatifs » ou les « survivances du passé », comme le « sentiment de la solitude », qui est « étranger à la société soviétique ». Les héros de roman doivent être des parangons de conformisme et le comité central n’hésite pas à condamner définitivement aussi bien la biologie de Morgan et la mécanique ondulatoire que la physique nucléaire, baptisée bourgeoise pour la circonstance, la cybernétique et la psychanalyse, elle aussi « idéologie bourgeoise ». Les excès de la jdanovtchina traduisent en réalité un besoin frénétique de contrôle que la bureaucratie ne parvient pourtant pas à assouvir, dans la mesure où il contredit les besoins profonds de la société et de sa structure économique : il faudra, dans les années suivantes, revenir sur presque toutes les condamnations « définitives » prononcées au lendemain de la guerre dans le domaine culturel.

dans "Le parti bolchevique" de Pierre Broué

Messages

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.