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Dialogue de la discontinuité, du déterminisme et de la dialectique

vendredi 3 septembre 2010

Dialogue de la discontinuité, du déterminisme chaotique et de la dialectique

Samuel

Il me semble, pour commencer, que, du débat sur Zénon, sur Socrate aux remarques sur la physique et la société, tu développes un point de vue qui dépasse ce que l’observation peut nous apprendre, un a priori philosophique qui prend parti pour la discontinuité, le déterminisme chaotique et la dialectique, sans qu’on puisse dire que ce point de vue tranché soit vraiment tranché par les sciences. Est-ce que le débat ne continue pas de nos jours ?

Robert

Bien sûr, tu as parfaitement raison. Le débat continue et continuera. Les philosophes grecs antiques avaient eux aussi des points de vue tranchés mais ils n’avaient, pas plus que nous, définitivement tranché le débat. Car ce dialogue n’est pas seulement celui des hommes entre eux mais le dialogue de l’homme et de la nature. Or le fonctionnement naturel n’est nullement évident, transparent. L’apparence n’est pas la réalité et le bon sens n’est pas science. Cependant, il n’y a débat que lorsque les auteurs osent développer leur point de vue jusqu’au bout en ne se maintenant pas dans une position selon laquelle toutes les théories se valent, comme c’est trop souvent le cas de nos jours.

Samuel

Entendu. Alors examinons tes arguments à la lueur de nos connaissances actuelles. Car reconnais qu’elles ne sont pas partagées par tout le monde scientifique, universitaire ou des penseurs en général.

Robert

Des opinions philosophiques partagées par tout le monde scientifique n’auraient pas grand sens. En effet, les scientifiques, comme tous les autres auteurs, sont comme tous les hommes. Ils ont toutes sortes d’avis et personne, surtout pas moi, ne s’avise de vouloir leur dire comment ils doivent penser. Je me contente, sans fausse modestie, d’affirmer ce que je pense par moi-même. Et cet engagement, car il s’agit d’un engagement face au monde, me semble le seul point de départ possible du dialogue sur le fonctionnement du monde. Notre site « Matière et révolution » s’intitule d’ailleurs à juste titre : « contribution au débat » mais il rajoute, affirmativement cette fois, « sur la philosophie dialectique du mode de formation et de transformation de la matière, de la vie, de l’homme et de la société », ce qui est certainement une affirmation qui est loin d’être partagée d’une majorité d’auteurs de tous domaines et encore moins du commun des vivants !

Samuel

Il te faut des arguments et il est vrai que tu écris des pages nombreuses pour étayer tes dires mais peut-on examiner et critiquer une par une tes affirmations sur la discontinuité, le déterminisme chaotique et la dialectique ?

Robert

Allons-y. Nos propos n’engageront que nous-mêmes mais il est toujours bon de rendre public un tel débat.

Samuel
Peux-tu donner une illustration simple, issue de la vie courante, montrant cette fameuse discontinuité de l’univers naturel et cette aspiration humaine très artificielle à la continuité apparente ?

Robert

Tout autour de nous, les hommes ont disposé des immeubles, des meubles, des outils qui reflètent notre aspiration à voir le monde comme un continuum : des meubles, des voitures, des façades, des routes, des vêtements, etc… Tous ont une apparence lisse, continue, régulière. Pourtant, si on les laisse évoluer naturellement, ces revêtements, ces tentures, ces peintures, ces façades se lézardent, se fissurent, cassent, se rompent et rendent le matériau à sa discontinuité naturelle.

Samuel

D’un côté, nous disons que nous voulons transformer le monde de façon consciente et de l’autre que c’est le même monde déterministe, scientifique, que la matière. N’y a-t-il pas une contradiction ?

Robert

Tu as raison de soulever cette question qui a été d’ailleurs posée par nombre de philosophes. On l’a appelée aussi celle du libre arbitre et qui a longtemps amené les gens à considérer que la matière et l’homme appartenaient à des domaines différents. Cependant, le déterminisme scientifique a profondément changé de base et il n’est pas celui des siècles passés. C’est dû à des découvertes comme la physique quantique, la physique probabiliste, la physique des transitions de phase, la relativité et le chaos déterministe notamment. Il en découle que les sciences humaines et matérielles se sont considérablement rapprochées. La conception moderne du déterminisme n’inclut plus nécessairement la prédictibilité. Le changement radical nécessaire dans une transformation matérielle donnée peut dépendre de manière sensible aux conditions initiales. Il peut n’être qu’une probabilité, qu’une possibilité, qu’une virtualité. La transformation de système opérée par l’homme est également une virtualité. D’autre part, l’action des individus sur la société, une action de la petite échelle sur la grande n’est pas si distante de l’action des petites causes que nous trouvons dans la notion de « sensibilité aux conditions initiales ». Le rôle de l’individu dans l’Histoire se rapproche de cette interaction d’échelle et le changement radical de société de la notion de « transition de phase ».

Samuel

Est-ce que la matière, la vie ne sont pas des phénomènes qui témoignent plutôt de la continuité que de la discontinuité ?

Robert

Je te rapporte la réponse de Stephen Jay Gould dans « Le pouce du panda » :
« Le gradualisme, l’idée que tout changement doit être progressif, lent et régulier, n’est jamais né d’une interprétation des roches. Il représentait une opinion préconçue, largement répandue, s’expliquant en partie comme une réaction du libéralisme du 19ème siècle face à un monde en révolution. Mais il continue à pervertir notre prétendue vision objective de l’histoire de la vie. A la lumière des présuppositions gradualistes quelle autre interprétation pouvait-on donner de l’origine de la vie ? Le passage des éléments de notre atmosphère originelle à la molécule d’ADN constitue une énorme étape. La transition aurait donc dû s’effectuer laborieusement à travers une succession de phases multiples intervenant une par une, tout au long de milliards d’années. Mais l’histoire de la vie, telle que je la conçois, est une série d’états stables, marqués à de rares intervalles par des événements importants qui se produisent à grande vitesse et contribuent à mettre en place la prochaine ère de stabilité. »

Samuel

Y a-t-il des exemples qui montrent des contradictions dialectiques dans la nature ?

Robert

Il s’agit de bien plus que de quelques exemples. Si le monde est dynamique, changeant, s’il a produit au cours de son histoire des particules, des rayonnements, des molécules, de la matière, des étoiles, des planètes, des êtres vivants, c’est qu’il a la capacité de changer et pas seulement de se mouvoir. Et déjà la capacité de se mouvoir nécessite des contradictions dialectiques, comme le pensaient Parménide et Zénon, et comme l’avait souligné Hegel. Mais la nature change et ne se contente pas d’aller vers l’équilibre. Elle produit des structures loin de l’équilibre qui sont dynamiques. Ces structures dynamiques contiennent toutes des contradictions dialectiques, c’est-à-dire qu’elles sont dirigées par des tendances contraires qui non seulement coexistent mais sont inséparables.

Donnons des exemples de ces contradictions dialectiques dans les phénomènes naturels.

Le plus simple à mettre en évidence par chacun d’entre nous est celui des mécanismes contradictoires du cerveau. Fermez les yeux et convainquez vous que vous ne devez penser à rien. Un million de pensées vous viennent à l’esprit que vous avez du mal à chasser. Convainquez vous qu’il est très important que vous vous endormiez ce soir. Rien de mieux pour avoir du mal à dormir. Dans votre lit, pensez qu’il est important de ne pas bouger pour ne pas réveiller votre conjoint. Cela suffit à éveiller tous vos sens sur chacun de vos membres et à vous persuader qu’il est absolument indispensable que vous les bougiez. Convainquez vous que vous ne devez surtout pas manger entre les repas et vous voilà saisi de fringales systématiques qui vous apparaissent comme des besoins irrépressibles. D’une manière générale, il suffit que vous vous disiez que vous ne devez pas faire quelque chose, que ce n’est pas bien pour que vous ayez l’impression de vous priver de quelque chose dont vous aviez envie ! Vous touchez là un mécanisme général qui provient du fonctionnement du cerveau. Loin d’aller directement aux pensées et à l’analyse logique des situations, notre cerveau fonctionne par hypothèses successives suivies de leur contradiction. Les deux hémisphères déjà sont sources de pensées contraires. Leur dialogue, loin de résoudre la contradiction, en trouve toujours de nouvelles. Ce n’est pas généralement la source d’embarras particuliers ou de maladies mais la source de la richesse de notre pensée.

Samuel

Tu veux dire que notre cerveau, lui aussi, serait contradictoire au sens dialectique ?

Robert

Le cerveau n’est pas plus particulièrement source de contradiction. On les retrouve partout, aussi bien dans l’inerte que dans le vivant. La plupart des gens restent sceptiques devant une telle affirmation. Comment une chose pourrait être elle-même et son contraire ? La lutte des contraires ne donne-t-elle pas la victoire finale à l’un des deux combattants ? La dialectique répond que la victoire donne naissance à un nouveau combat des contraires, qu’elle transforme autant le vainqueur que le vaincu. La fin de l’existence de contradictions serait la fin de toute dynamique. Car un système dynamique sans forces contradictoires aurait vite fait d’en venir à un état stable qui n’aurait plus aucune raison de changer. La mort de la structure est la seule fin possible des contradictions.

Samuel

Je n’ai pas remarqué le développement de courants de pensée dialectique chez les physiciens mais tu as sûrement des arguments qui se rapportent aux résultats de leurs recherches...

Robert

Commençons par la physique fondamentale.

Le principe d’incertitude d’Heisenberg qui règle les limites de la mesure dans tous les domaines matériels est fondé sur la remarque suivante : plus on essaie de cantonner une particule de matière dans un espace étroit, plus il reçoit d’énergie pour en sortir…

Partons dans la matière de l’extrêmement grand, dans les étoiles et les espaces interstellaires. Plus l’étoile est de grande taille et subit une forte pression de gravitation due à sa grande masse, plus elle émet une grande quantité de pression de rayonnement due à ses explosions nucléaires dans son noyau.

Examinons maintenant une échelle intermédiaire : celle de la terre. La météorologie et la climatologie, la tectonique des plaques, le volcanisme et tous les mécanismes de géophysiques sont remplis de contradictions dialectiques. Ce sont par exemple les rétroactions négatives de phénomènes comme les coexistence de deux phases (liquide et gazeuse) au sein d’un nuage. Plus il y a une grande partie du nuage qui condense (en gouttelettes) et plus il y en a une part importante qui vaporise. C’est le fondement même de la structure dynamique du nuage. Et c’est loin d’être un exemple isolé. Les structures émergentes sont toutes le produit de telles contradictions dynamiques.

Examinons l’émergence de la matière durable, dite réelle par opposition à la matière virtuelle qui est plus éphémère, au sein du vide. Elle est pleine de contradictions. Le vide contient autant de matière que d’antimatière et le temps y est symétrique (pas de flèche du temps). Par contre, le temps n’existe que sur de très courtes plages inversement proportionnelles aux émissions d’énergie. Le monde du vide engendre un monde de la matière qui lui est complètement contradictoire. Le monde dit matériel est formé de bosons et de fermions qui sont interdépendants mais complètement contradictoires. Ils obéissent à des logiques opposées. Par exemple, les bosons peuvent et apparaître et disparaître sans laisser de trace et sont grégaires. Les fermions sont anti-grégaires (principe de Pauli) et ne peuvent disparaître sans laisser de trace. Cependant ni les uns ni les autres ne peuvent exister sans leur contraire.

Passons au vivant. Il n’est pas de domaine où soit plus évident l’existence des contradictions dialectiques. Elles sont partout présentes. Elles jouent le rôle le plus fondamental, celui de pilote de la dynamique qui est permanente.

La cellule vivante est le siège d’un combat permanent des gènes et des protéines de protection de la vie et des gènes et des protéines de la mort qui cherchent à suicider la cellule de l’intérieur (apoptose). C’est le mécanisme fondamental mais c’est loin d’être le seul mécanisme contradictoire du fonctionnement biologique et génétique. Les gènes qui servent à produire des protéines peuvent également servir à bloquer le fonctionnement d’autres gènes. Ainsi, l’ADN est auto-bloquant, ce qui signifie lui qui est d’abord chargé de produire des protéines ne fait rien s’il n’est pas activé par des protéines spécifiques qui débloquent les gènes de blocage. Activation et blocage sont donc des fonctions assurées par les mêmes types de molécules.

Samuel

D’accord pour dire que le bon sens n’est pas si bon. Mais se peut-il qu’il soit si erroné qu’il nous montre un monde qui existe en continu et que le monde soit complètement discontinu ? Par exemple, la vision nous montre un monde qui ne s’interrompt jamais.

Robert

La continuité de notre vision est une construction extrêmement complexe produite par notre cerveau. C’est un très bon exemple pour montrer l’illusion du continu. Notre œil ne communique à notre cerveau que des images séparées, déchiquetées, discontinues du monde. Ses messages sont neuronaux donc discontinus, le message neuronal se faisant par à-coups. Quant aux images que transporte ce message, elles ne donnent une impression discontinuité que parce le cerveau ne change pas son image pour les éléments du paysage qui ne bougent pas. La toile de fond est communiquée une fois pour toutes et c’est seulement ce qui change ou s’agite qui est envoyé au cerveau, charge à lui de reconstituer l’ensemble. C’est cela qui donne une impression de continuité…Et ce n’est pas tout : bien des dispositifs de l’œil visent à ce même résultat, comme les clignotements et autres mouvements des muscles de l’œil (saccades, clignements des yeux, clignotements des paupières et autres mouvements provoqués par le nerf optique). Ces mouvements désordonnés produisent une apparente vision continue. Quand ils s’arrêtent, la vision devient floue.

Samuel

Admettons que l’on se trompe pour la continuité car on sait que bien des phénomènes visuels ont lieu du fait de transformations réalisées par le cerveau : les fameuses illusions d’optique, mais comment peut-on dire, par exemple, que la vue soit un phénomène …dialectique ?

Robert

Eh bien, d’abord, la vision n’est pas un phénomène sujet à la logique formelle du syllogisme ou logique du oui ou (ou exclusif) du non.

Samuel

Pourtant, on parle bien de vision nocturne en noir et blanc ou, le jour, on dit bien que c’est rouge ou (exclusif) vert et jaune ou (exclusif) bleu.

Robert

C’est vrai que la vision obéit aux oppositions que tu cites mais elles ne sont pas diamétrales. Cela signifie qu’elles ne s’éliminent pas mutuellement. Les neurones du rouge inhibent les neurones du vert, mais ils ne les tuent pas. De même pour le jaune et le bleu. Et inhiber est un phénomène dialectique car l’inhibition de l’inhibition est une activation. Le « ou exclusif » n’autorise pas ce type de négation de la négation équivalent à une affirmation. Savoir qu’il s’agit de phénomènes opposés ne détermine pas le type de logique : formelle ou dialectique. Comme le rapporte le dernier numéro de la revue « La Recherche », pour prendre un exemple récent, des scientifiques comme Vincent Billock et Brian Tsou montrent que, dans le cerveau, des phénomènes contraires produisent des effets équivalents à ceux de la convection : des structures dissipatives. Les opposés ne s’annulent pas mais construisent un ordre. C’est le cas également dans une autre opposition liée à la vision : celle entre bandes horizontales et verticales de neurones connectés qui, ensemble, construisent la vision. Ou encore, avec les cônes et les bâtonnets. Là encore des opposés qui construisent l’ordre par leur combat. Cette dialectique n’est pas abstraite ni imaginaire : elle se fonde sur des cellules neuronales qui ont des canaux mutuellement inhibiteurs, par exemple pour la couleur.

Samuel

Mais notre conscience, au moins quand nous sommes éveillés, n’est-elle pas présente en continu ? C’est bien ce que nous avons comme impression dans notre vie consciente puisque nous ne ressentons pas de rupture. Est-ce encore une erreur d’optique ?Et en quoi cela aurait-il à voir avec le chaos déterministe ?

Robert

La conscience n’est pas une propriété fixe qui appartiendrait définitivement au cerveau mais une structure émergente. Il s’agit donc bel et bien de chaos déterministe au sens de Prigogine. On vient d’en parler pour la vision comparée aux structures de la convection, comme dans les motifs d’auto-organisation de Turing. Quant à l’émergence de structure issue de phénomènes contradictoires, c’est bel bien des contradictions qui mènent à un nouvel ordre : une loi dialectique, par conséquent.

Samuel

La dialectique suppose-t-elle, selon toi, la discontinuité car tu sembles voir un lien entre les deux ?

Robert

C’est exact. La négation suppose une rupture à la fois réelle et logique.

Samuel

Qu’est-ce qu’apporte de fondamental de dire qu’il s’agit de discontinuité, de dialectique et de chaos déterministe ?

Robert

Cela signifie que le monde peut être étudié même s’il apparaît désordonné, qu’il peut produire de la nouveauté structurelle de manière brutale, qu’il a une histoire et n’est pas sans cesse en train de refaire périodiquement la même chose. Cela veut dire qu’il est passionnant et riche. Un monde sans discontinuité serait un monde sans structures, sans organisation, sans hiérarchisation des niveaux, sans interaction, sans transitions de phase, sans histoire…

Samuel

La « dialectique de la nature » n’est-elle pas une hypothèse d’Engels qui ne s’est finalement pas vérifiée ?

Robert

Tu dis que les scientifiques n’ont pas vu, contrairement à Engels, de dialectique de la nature. Je voudrais te montrer que ce n’est pas aussi simple.

Voyons un domaine, celui de la physique quantique :

« Cette description des particules, entremêlant les propriétés des ondes et celles des corpuscules, est révolutionnaire. Elle met en relation des images que notre esprit isole dans des catégories distinctes, voire opposées. L’étrangeté de la chose vient de ce que toutes les particules, qu’elles soient de lumière ou de matière, nous appariassent soit comme des ondes (elles peuvent interférer – l’interférence est une addition qui est inhibitrice) soit comme des corpuscules (elles semblent ponctuelles quand on détecte leur position), mais elles ne sont ni des ondes ni des corpuscules. (…) Puisque les concepts d’onde et de corpuscule apparaissent mutuellement exclusifs en même temps qu’indissociables, il n’existe aucune possibilité de définir leur sens au moyen, d’une seule expérience. On ne peut pas les combiner en une seule image. Néanmoins, ils sont nécessaires l’un à l’autre pour épuiser tous les types d’information que nous pouvons obtenir sur un objet quantique à l’aide des divers appareils de mesure. (…) Dans la bouche de Niels Bohr, le mot complémentarité n’est pas à prendre dans son sens usuel. La complémentarité ne signifie nullement pour lui quelque chose comme « collaboration » ou « association ». La dualité n’est pas un duo, l’association de l’onde et du corpuscule n’est pas une synthèse. Elle incluse toujours au contraire l’exclusion mutuelle et la disjonction des éléments qu’elle met en vis-à-vis. Il faut la voir comme une sorte de paradoxe irréductible qui lie un concept à sa négation. (…) Comme nous dit John Bell, dans la bouche de Niels Bohr, (…) la complémentarité est proche du concept de contradiction (…) Contradiction est le mot fétiche de Bohr, comme l’ont fait remarquer Wootters et Zurek dans un article de 1979. » écrit Etienne Klein dans « Dictionnaire de l’ignorance ».

L’un des fondateurs de la physique quantique, Heisenberg, donnait ses conclusions philosophiques contre la logique formelle du syllogisme en termes très dialectiques :

La théorie quantique peut s’exprimer comme une extension ou modification de la logique classique. Il existe en particulier un principe fondamental de logique classique qui semble avoir besoin d’être modifié : en logique classique, si une affirmation a le moindre sens, on suppose que soit elle soit sa négation qui doit être vraie. (…) En théorie quantique, il faut modifier cette loi du « tiers exclu ».

C’est dire à quel point la dialectique n’est pas étrangère à la physique. C’est ce qu’explique le physicien Ilya Prigogine et la philosophe Isabelle Stengers dans « Order out of chaos » (l’ordre issu du désordre) : « Jusqu’à un certain point, on peut trouver une analogie entre le conflit entre la physique newtonienne et les nouvelles idées en physique et celles qui sont issues du matérialisme dialectique. L’idée d’une histoire de la nature partie intégrante du matérialisme fut développée par Marx, puis plus en détails par Engels. Des développements contemporains en physique, la découverte du rôle constructif joué par l’irréversibilité, ont fait réapparaître dans les sciences naturelles une question qui avait été posée par les matérialistes. Pour eux, comprendre la nature signifiait expliquer comment elle était capable de produire l’homme et ses sociétés. De plus, au moment où Engels écrivait sa « Dialectique de la nature », les sciences physiques semblaient rejeter les conceptions mécanistes et se rapprocher de l’idée du développement historique de la nature. Engels mentionne trois découvertes fondamentales : l’énergie et les lois gouvernant ses transformations qualitatives, la cellule comme base matérielle de la vie et la découverte de l’évolution des espèces par Darwin. »

Le caractère discontinu, brutal, entre des transitions, de la nature est reconnu aussi :

« Seules les situations de crise sont propulsives. »

Le physicien Etienne Klein
dans « Conversations avec le sphinx »

« En étudiant la dynamique des galaxies, c’est toute leur histoire que l’on peut reconstituer. Une histoire prodigieusement complexe (...) qui est jalonnée d’évolutions très lentes mais aussi de collisions et de déchirements brutaux. »

Valérie Greffoz
dans l’article « Galaxies » de la revue « Ciel et espace » d’octobre 2005.

« C’est précisément parce que les états dynamiques sont suspendus dans l’état critique que tout arrive à travers des révolutions et non graduellement. (...) Les grands systèmes comportant un grand nombre de composants évoluent vers un état intermédiaire « critique », loin de l’équilibre, et pour lequel des perturbations mineures peuvent déclencher des événements de toutes tailles, appelés « avalanches ». La plupart des changements se produisent au cours de ces événements catastrophiques plutôt qu’en suivant un chemin graduel et régulier. »

Le physicien Per Bak dans « Quand la nature s’organise »

Le physicien-chimiste Ilya Prigogine et la philosophe Isabelle Stengers en donnent de multiples exemples physiques dans « La nouvelle alliance » où ils expliquent que « La nature bifurquante est celle où de petites différences, des fluctuations insignifiantes, peuvent, si elles se produisent dans des circonstances opportunes, envahir tout le système, engendrer un régime de fonctionnement nouveau. »
« Voici un atome d’uranium qui est resté absolument passif et invariable au milieu des atomes de la même espèce qui l’entourent pendant d’innombrables millions d’années ; tout à coup, sans aucune cause extérieure, dans un intervalle de temps dont la brièveté défie toute mesure, cet atome explose avec une violence auprès de laquelle la brisance de nos explosifs les plus formidables n’est qu’un jeu d’enfant. Ajoutez à cela qu’il en va de même pour un volcan éteint depuis des millions d’années, une espèce invariable depuis des millions d’années, une étoile stable depuis des millions d’années, etc… » écrit le physicien Max Planck dans « Initiation à la physique »

Samuel

Et en ce qui concerne le vivant ?

Robert

Il y a là aussi des auteurs qui ont développé des thèses sur la dialectique du vivant.

« Avec chaque niveau d’organisation, apparaissent des nouveautés, tant de propriétés que de logiques. (…) Une dialectique fait s’interpénétrer les contraires et s’engendrer la qualité et la quantité. »

François Jacob dans « La logique du vivant »

Le géologue et paléontologue Stephen Jay Gould écrit dans « Un hérisson dans la tempête »

« Il nous faut comprendre au sein d’un tout les propriétés naissantes qui résultent de l’interpénétration inextricable des gènes et de l’environnement. Bref, nous devons emprunter ce que tant de grands penseurs nomment une approche dialectique, mais que les modes américaines récusent, en y dénonçant une rhétorique à usage politique. La pensée dialectique devrait être prise plus au sérieux par les savants occidentaux, et non être écartée sous prétexte que certaines nations de l’autre partie du monde en ont adopté une version figée pour asseoir leur dogme. (…) Lorsqu’elles se présentent comme les lignes directrices d’une philosophie du changement, et non comme des préceptes dogmatiques que l’on décrète vrais, les trois lois classiques de la dialectique illustrent une vision holistique dans laquelle le changement est une interaction entre les composantes de systèmes complets, et où les composantes elles-mêmes n’existent pas a priori, mais sont à la fois les produits du système et des données que l’on fait entrer dans le système. Ainsi, la loi des « contraires qui s’interpénètrent » témoigne de l’interdépendance absolue des composantes ; la « transformation de la quantité en qualité » défend une vision systémique du changement, qui traduit les entrées de données incrémentielles en changements d’état ; et la « négation de la négation » décrit la direction donnée à l’histoire, car les systèmes complexes ne peuvent retourner exactement à leurs états antérieurs. »

Messages

    • Dans un processus dialectique, le négatif se change en positif et le mouvement est basé sur des discontinuités successives avec changement qualitatif. Le passage du négatif au positif sans passer par la nullité est bel et bien une discontinuité puisqu’en continuité on ne peut pas passer du négatif au positif.

      Mais le lien entre les deux questions n’en reste pas là. En logique non-dialectique, il n’y a pas de rupture et on peut parler de lien de cause à effet. Donc la causalité elle-même est continue en logique formelle ce qui n’est pas le cas en logique dialectique.

      Si la réalité matérielle est discontinue, cela signifie qu’elle ne peut évoluer que par sauts, que tout mouvement et tout changement est fondé sur des bonds, et c’est seulement la dialectique qui peut décrire ce type de dynamique.

      La discontinuité amène également des états différents et opposés qui coexistent. Ainsi, la discontinuité quantique entraîne la superposition d’états, la coexistence de la réalité corpusculaire et ondulatoire, la double réalité matière/lumière et particule réelle / particule virtuelle du vide, etc… La discontinuité entraîne que les contraires coexistent de manière dialectique.

      En effet, le noyau radioactif peut sauter d’un état à un autre parce que l’état du noyau actuel devait être considéré en superposition avec son état décomposé avec émission de rayonnement radioactif. De même, les divers états de la particule, celui actuel et les autres potentiels ou virtuels doivent être considérés comme un ensemble. C’est ainsi que la particule peut sauter d’un de ses états à un autre. Le saut, la discontinuité, est inséparable de l’existence d’une superposition d’états permettant ce saut d’un état à un autre. L’autre état n’est pas créé de l’extérieur mais existait déjà à l’intérieur. Dans plusieurs états à la fois, la matière est bel et bien dialectique…

      L’onde lumineuse est discontinue comme le photon parce que la lumière est à la fois onde et corpuscule. Cette dialectique permet à l’onde d’agir de manière discontinue, notamment pour arracher brutalement des électrons à la matière (effet photoélectrique).

      Cela marque aussi le caractère dialectique du mouvement. La physique quantique a montré que l’énergie ne peut être fournie que de manière discontinue et donc que le mouvement est aussi discontinu que la matière. Le résultat est que le déplacement est un saut. Ce saut provient du fait que la propriété de matière contenue le boson de Higgs saute d’une particule virtuelle du vide à une autre. La particule ne se déplace que parce qu’elle est à la fois elle-même puis une autre, puis encore une autre. Changement de particule donc en même temps que déplacement dans l’espace et échange entre particule et espace, l’image du déplacement est profondément dialectique. Ce n’est pas l’image du simple changement de position d’un objet inchangé dans un espace vide inchangé.

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