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Luttes de classes en Egypte : révolte paysanne contre la loi de 1992

jeudi 10 février 2011

En 14 Thèses sur la Révolution permanente, Trotsky, en 1929, expose les taches de la dictature du prolétariat dans les pays ou le capitalisme n’est pas encore complètement développé, où des restes du féodalisme restent à détruire. La question nationale et la question agraire font partie de ces taches fondamentales. Ces questions restent-elles d’actualité dans l’Egypte de 2011 ?

La réponse est oui. Voici les quatre premières thèses sur la Révolution permanente, suivies d’un extrait d ’« Egypte : l’envers du décor » (Sophie Pommier, Editions La Découverte, 2008), qui illustre, en ce qui concerne la question agraire, l’actualité de cette théorie à travers une révolte paysanne récente : comités de résistance contre la loi dite 96, votée en 1992.

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Trotsky (1929) :

1. La théorie de la révolution permanente exige actuellement la plus grande attention de la part de tout marxiste, car le développement de la lutte idéologique et de la lutte de classe a définitivement fait sortir cette question du domaine des souvenirs des vieilles divergences entre marxistes russes et l’a posée comme la question du caractère, des liens internes et des méthodes de la révolution internationale en général.

2. Pour les pays à développement bourgeois retardataire et, en particulier pour les pays coloniaux et semi-coloniaux, la théorie de la révolution permanente signifie que la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être que la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée, avant tout de ses masses paysannes.

3. Non seulement la question agraire mais aussi la question nationale assignent à la paysannerie, qui constitue l’énorme majorité de la population des pays arriérés, un rôle primordial dans la révolution démocratique. Sans une alliance entre le prolétariat et la paysannerie, les tâches de la révolution démocratique ne peuvent pas être résolues ; elles ne peuvent même pas être sérieusement posées. Mais l’alliance de ces deux classes ne se réalisera pas autrement que dans une lutte implacable contre l’influence de la bourgeoisie libérale nationale.

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Egypte, l’envers du décor (2008)

Des paysans acculés à la rébellion

Une nouvelle loi sur la propriété terrienne a été votée en 1992 (loi 96) dans le cadre de la politique d’ajustement, dont la mise en application s’est échelonnée jusqu’en 1997. Qualifiée de « contre-réforme agraire », elle a pris le contre-pied des mesures adoptées pendant la période nassérienne pour mettre un terme au règne des grands propriétaires fonciers. Elle a réduit les droits des exploitants en restituant le plein contrôle de la terre aux proprié-taires. Les loyers ont progressivement été libérés, ce qui a abouti à la hausses pouvant aller jusqu’à décupler le prix initial.

Après la libéralisation des loyers de la terre, environ un million de familles, incapables de faire face à l’augmentation des baux, ont dû quitter leur exploitation. D’où la paupérisation et l’endettement de certaines cul*« gories de paysans et la reconfiguration de la propriété en faveur d’exploita¬tions à plus grands échelle pratiquant une agriculture spéculatif < i recourant à la main-d’œuvre bon marché, souvent recrutée parmi Ici anciens exploitants. Les mesures de compensation et de relogement prcvuei par la loi n° 96 de 1992 (art. 4) sont restées théoriques.
Des héritiers de latifundiaîres dépossédés par les lois agraires de 1952 et 1961 ont entrepris de récupérer les terres de leur famille, en toute légalité, chassant les paysans qui en étaient pourtant devenus légalement
nouveaux propriétaires. Si la grande jacquerie prophétisée par certains ne s’est finalement pas produite, des émeutes sporadiques ont eu lieu, opposant des paysans à la police et aux hommes de main des anciens propriétaires, faisant parfois des morts. Le village de Sarando, près de Damanhour, dans le delta du Nil, est devenu le symbole de cette confrontation pour des faits survenus en janvier 2005. Les forces de police ont arrêté femmes et enfants pour obliger les hommes à se rendre. Les paysans impliqués se sont retrouvés devant la Haute Cour de sécurité, et leur avocat a été incriminé pour incita¬tion à la rébellion.

Contraints par la loi du marché de se reconvertir dans de nouvelles cultures, surendettés et souvent insolvables, incarcérés pour dettes, poussés à la surproduction et écrasés par la hausse du prix des engrais, les agriculteurs sont confrontés à une répression brutale dès qu’ils tentent de faire entendre leurs revendications. Ils ont bien tenté de s’organiser en mettant sur pied des comités de résistance contre la loi 96, qui ont tenu de très nombreuses confé-rences et rédigé des documents à l’attention du président de la République ou du ministre de l’Agriculture, mais les décideurs y ont répondu en interdi¬sant tout rassemblement. Les procédures intentées pour faire valoir les droits des exploitants n’aboutissent pas. Des mesures plus indirectes sont également employées pour les faire plier, telles que des retenues d’eau pour empêcher l’irrigation des champs ou la non-livraison de semences. Pour autant qu’on puisse en connaître, le nombre de cas de contestation violente est pourtant resté assez limité eu égard à l’importance de la population concernée.

Créé en 1996 pour venir en aide aux agriculteurs, le Land Center for Human Rights (Centre des droits humains pour la terre) recense les litiges, les affrontements, les victimesa et les procès ; il estime que 30 % des paysans ont été affectés par le processus qui aboutit à une nouvelle redistribution inégalitaire des terres. Ceux qui sont acculés à la rébellion se battent pour leur survie, sans rattacher leur combat à une perspective nationale, sans mot d’ordre politique. Leur mobilisation dispersée, rarement couverte par les médias, est contrée par une répression brutale qui ne s’encombre ni des droits humains ni de considérations sociales. Les partis politiques, qui avaient entrepris de relayer les inquiétudes des paysans, ont vite retiré leur soutien devant la réaction des autorités.

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