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Lutte de classes en Egypte : la situation en 1945

mardi 15 février 2011

Le texte suivant est basé sur « La lutte des classes en Egypte » (Mahmoud Hussein) , chapitre 2 (la crise du sytème de transition et l’essor du mouvement patriotique et démocratique) 1ère partie (la faillitte politique de la classe dominante).

Des passages ont été omis, des formulations modifiées. L’auteur est maoïste : ce sont les masses populaires qui font l’histoire lit-on dans la première phrase de la Présentation de l’ouvrage, et non la lutte des classes comme Marx et Engels l’ont écrit au début du Manifeste du parti communiste. A la fin de cette Présentation, écrite en mai 1969, l’auteur célèbre « la grande révolution culturelle » qui a lieu en Chine à l’époque, alors que l’Etat chinois moderne est anti-ouvrier depuis sa naissance en 1949. Il résulte de ces résidus de maoïsme une exaltation récurrente du patriotisme et une caractérisation de l’Etat d’Israêl qui sont loin d’un point de vue marxiste.

Mais les modifications sont surtout des raccourcis. 99% des formulations sont reprises de ce livre qui est précieux pour comprendre les événements actuels. Malgré son point de vue maoïste, l’auteur, en soulignant l’incapacité de la bourgeoise égyptienne à mener à bout la révolution bourgeoise en Egypte, illustre les thèses de la révolution permanente de Trotsky.

Tous les protagonistes d’aujourd’hui : l’armée egyptienne, les impérialismes européeens et américain, la classe ouvrière, la petite bourgeoisie luttant pour les droits démocratiques, les frères -musulmans, la bourgeoisie egyptienne soumise à l’impérialisme, sont intervenus à plusieurs reprises en Egypte, lors de soulèvements populaires, de grèves ouvrières analogues aux 18 jours de mobilisation populaire qui viennent de mettre fin aux 30 ans de règne de Moubarak.

Les prémisses de la révolution Nasserienne de 1952 permettent de comprendre la génèse de ce régime qui dirige actuellement l’Egypte.

Ce régime est né de la répression d’un mouvement ouvrier, il serait contre nature que les travailleurs y cherchent un soutien, aujourd’hui, à leur revendications politiques et économiques.

La situation politique et économique de l’Egypte à l’issue de la 2ème guerre mondiale était la suivante.

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La deuxième guerre mondiale a fondamentalement affaibli les vieilles puissances impérialistes, la France et la Grande-Bretagne. Un seul bastion impérialiste est sorti indemne : les Etats-Unis qui s’avançaient, dès le lendemain de la guerre, pour défendre ce camp, menacé par la révolution mondiale, avec la complicité de la bureaucratie stalinienne de l’URSS.

L’impérialisme US se prépare donc vers 1945 à devenir le principal gendarme du monde, en premier lieu face à tous les peuples colonisés d’Asie et d’Afrique.

Les peuples arabes étaient alors soumis principalement à deux puissances impérialistes décadentes, parmi les plus affaiblies par la guerre : l’Angleterre et la France. Mais les Etats-Unis qui avaient déjà pris position en Arabie Séoudite, se préparaient dès la fin de la guerre à se tailler dans la région des zones d’influence et d’exploitation nouvelles -au détriment de ces concurrents affaiblis. L’intértêt pour eux dans cette région était à la fois stratégique et pétrolier.

Les mouvements révolutionnaires arabes allaient ainsi se heurter non seulement à leurs colonisateurs directs, très affaiblis, mais de plus en plus au nouveau venu, l’impérialisme américain. L’Etat d’Israël créé en 1948 allait devenir un des principaux points d’appui de l’impérialisme américain dans cette région.

Dès la fin de la guerre, la révolte de chacune des classes populaires égyptiennes va converger, à travers leurs aspirations spécifiques, vers le symbole concentré de tous les maux et tous les griefs : la domination britannique incarnée par la présence de l’armée britannique en Egypte. Cette armée est la force répressive principale, la matérialisation continuelle de l’oppression nationale. Cette présence remonte à l’intervention militaire sanglante de l’Angleterre en 1882, visant à réprimer toute velleité nationale Egyptienne. 1882 est la date pivot où fut démontrée la supériroté du capitalisme européen sur le système semi-féodal égyptien, malgré la modernisation impulsée par Mohamed Ali à partir de 1805.

Or 1945 marque la fin de l’époque où une telle oppression pouvait être supportée. Non seulement parce que les luttes populaires contre l’occupation avaient, depuis la révolution de 1919, développé la conscience nationale et les revendications anti-impérialistes (en premier lieu : départ des troupes anglaises) , mais aussi parce que la guerre marquait le déclin brutal de l’Angleterre comme puissance impérialiste mondiale. L’heure de la révolte avait donné pour de nombreux peuples d’Asie et du moyen-orient opprimés par elle.

A partir de 1945-46 des assauts successifs ne rencontrent de la part des autorités britanniques en Egypte que des gestes répressifs malhabiles entrecoupés de tergiversations qui ne font qu’aviver, en retour les flammes anti-impérialistes.

Les classes dominantes égyptiennes, sont divisées en trois composantes économico-politique qui ne peuvent, ni séparément ni en s’unissant donner naissance à un courant politique capable de donner une issue à la crise du système.

Il y avait d’une part la tendance aristocratique, tournée vers le passé et attachée à tous ses privilèges semi-féodaux, ne pouvant concevoir d’autre réponse aux griefs du peuple que la répression brutale, ne pouvant imaginer l’Egypte que sous la protection britannique. Ses principaux représentants sont les grands propriétaires d’orogine turque, proches du palais, ne sachant souvent même pas parler arabe. C’est entre leurs mains, en particulier celles du roi, le plus puissant d’entre eux, que le pouvoir politique est concentré.

La tendance nationaliste sollicitait les éléments nationaux, egyptiens de souche ruraux et urbains, musulmans et coptes, de la classe dominante, que l’hégémonie du personnel aristocratique et occidental au sein de l’appareil d’Etat discriminait en partie et qui étaient, dans cette mesure, particulièrement enclins à élargir le cadre de l’egyptianisation de l’Etat et de l’économie par la voie réformiste et même à tirer profit du mouvement anti-impérialiste des masses populaires. Mais seulement dans la mesure où ce mouvement populaire était privé de direction prolétarienne, restait canalisable par eux.
La direction du Wafd reflétait à peu près cette tendance.

Mais cette tendance n’était pas la plus dynamique économiquement et exprimait au contraire le mariage de la bourgeoisie d’affaire avec certains propriétaires fonciers les plus rétrogrades (tels Serag Eddine, Badrawi etc, opposés à l’aristocratie d’origine turque mais hostiles à toute remise en cause du statut de la grande propriété). C’est pourquoi la direction du Wafd rejettera toute idée de réforme agraire.

La tendance moderniste efin, sollicitait les éléments de la grande bourgeoisie qui étaient résolument tournés vers les investissements urbains et plus détachés, historiquement , de la grande propriété traditionnelle. Mais ces éléments étaient les plus directement liés aux investissements étrangers (britanniques et français) et fondaient leurs espoirs d’expansion ultérieure sur les capitaux américains. Il s’agissait surtout de grands capitalistes égyptiens qui avaient liés une partie importante de leur fortune aux investissements urbains, formés à l’école de la banque Misr et dans le cadre de la Fédération égyptienne des industries (dominée par le capital étranger), ou bien de grands bourgeois egyptianisés, sans lien historique avec avec la propriété foncière. Leurs représentants les plus en vue étaient Hafez Afifi (ex-grand chambellan du Roi, président de la banque Misr), Sedky Pacha (ex-président de la Fédération égyptienne des industries, le Pre¬mier ministre symbolisant la répression), Ali Maher (ex-grand chambellan, ayant trempé dans toutes les combines de pouvoir), les Saadistes (dissidents du Wafd), etc. Les éléments les plus représentatifs de la tendance « moderniste » étaient prêts à sacrifier certains intérêts des grands propriétaires fonciers mais étaient absolument incapables, dans ce même temps, de remettre en cause leurs liens privilégiés avec les monopoles impérialistes. Ils ne pouvaient concevoir le développement de l’industrie en dehors du cadre étroit de la dépendance politique, financière et technique que lui avaient, à l’origine, tracé les monopoles britanniques. Pionniers de l’industrie égyptienne dépendante, ils étaient devenus un obstacle à l’industrialisation ultérieure du pays.

Les contradictions entre ces trois tendances avaient trouvé pour s’exprimer, entre les deux guerres mondiales, le cadre de la monarchie parlementaire établi au lendemain de la révolution de 1919. Dans ce cadre, en effet, la classe dominante était arrivée à résoudre ses contradictions intérieures, au mieux de ses intérêts communs, conformément aux exigences de la domination britannique et suivant les nécessités politiques changeantes (nécessité de réprimer brutalement, ou de chercher à canaliser démagogiquement le mouvement démocratique de masse.

Le système fonctionnait à partir de deux institutions rivales — le Palais et le Wafd — sur lesquelles l’ambassade britannique pouvait s’appuyer tour à tour ou conjointement, au gré des circonstances. Le Palais était l’organe de gouvernement dictatorial, qui avait la prééminence aussi longtemps que la situation dans l’ensemble du pays le permettait et que les Anglais trouvaient plus profitable de diriger le pays par son intermédiaire.

Les appareils de l’Etat dépendaient, dans ces cas, entièrement du Palais : la police égyptienne, les organes de répression administrative, les postes de répression locale à la campagne — les omdehs (reposant généralement sur la couche inférieure, traditionaliste, de la paysannerie riche).

L’armée nationale — aux effectifs peu importants — ne jouait pas de rôle de répression directe dans ce système.

Au cours des périodes dominées par le Palais seul, c’est l’aspect répressif du pouvoir qui apparaissait surtout. D’autre part, dans la mesure où l’aristocratie groupée autour du Roi la tolérait et où les pressions britanniques l’encourageaient, la tendance moderniste de la classe dominante pouvait alors s’exprimer à travers les personnalités déjà citées et des ministères non représentatifs, du point de vue parlementaire.

Mais lorsque le mouvement démocratique et anti-impérialiste de masse prenait une certaine ampleur et lorsque les Anglais jugeaient opportun de changer de méthode de gouvernement, c’était le recours aux élections, à la démagogie parlementaire qui apparaissait. Et dans ces cas, un seul parti était capable — et certain — de remporter une majorité absolue : le Wafd.

Nous avons dit que la direction du Wafd, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, reflétait la tendance nationaliste de la classe dominante. Mais l’efficacité politique de cette direction, son influence de masse, n’a pas encore été analysée.

Elle ne peut être comprise que dans le cadre historique complexe qui l’a vu naître. Le Wafd est une organisation nationaliste réformiste qui a pris forme à partir de la révolution de 1919 — et qui a, le mieux, reflété la puissance et les limites du mouvement national égyptien entre les deux guerres.

Au départ, il s’agit d’un petit groupe de notables bourgeois traditionalistes qui réclamait, en tant que « délégation (Wafd) de la nation », un statut indépendant pour l’Egypte. Les autorités britanniques ayant fait déporter ses principaux personnages (dont Saad Zaghloul), un mouvement d’unanimité nationale anti-britannique se fait autour d’eux de l’extrême-nord à l’extrême-sud de l’Egypte, depuis les masses déshéritées jusqu’aux grands propriétaires égyptiens (à l’exclusion de l’aristocratie d’origine turque).

Ces personnages se transforment alors en hérauts du mouvement national auquel ils vont donner une orientation réformiste. Ils vont graduellement briser l’essor révolutionnaire autonome des masses populaires — en étouffant ses initiatives les plus violentes et les plus avancées — et propager l’illusion selon laquelle les problèmes nationaux pourraient être résolus par des pressions sur la Grande-Bretagne et des réformes intérieures graduelles.

Quand, en 1923, l’Angleterre finira par céder à l’Egypte un statut d’indépendance formelle, impliquant une constitution et un Parlement, les dirigeants du Wafd songeront à établir les structures d’un parti véritable — à partir duquel ils vont alors posséder un appareil électoral, puisant sa force dans le courant formé par toutes les couches proprement nationales en Egypte.
En effet, l’ensemble du mouvement national restera encadré par le Wafd jusqu’en 1952 et cela pour plusieurs raisons.

D’abord, l’Egypte est indirectement gouvernée par une puissance étrangère et directement dominée par un appareil politique et économique où l’élément étranger a la haute main (aristocratie turque, camarilla cosmopolite du Roi, hommes d’affaires égyptianisés ou directement liés aux étrangers). Ce sont là des adversaires communs à toutes les classes dont le statut social et politique n’a aucune assise hors d’Egypte.

Ensuite, la classe ouvrière égyptienne n’a pas réussi à donner une direction révolutionnaire conséquente au mouvement anti-impérialiste. Celui-ci n’a pas pu se radicaliser et réaliser des formes
d’organisation authentiquement populaires, indépendantes de la tutelle réformiste bourgeoise. Le mouvement national égyptien n’a donc pas dépassé le cadre réformiste et n’a pas lié les problèmes anti-impérialistes aux problèmes de la démocratie de masse (impliquant la destruction révolutionnaire du système de répression britannique et locale, une réforme agraire radicale, etc.).

La prépondérance des éléments étrangers au sein de la structure politico-économique de l’Egypte allait, dans ces conditions, créer un terrain favorable à l’illusion selon laquelle « tous les Egyptiens » avaient des intérêts fondamentaux communs — c’est-à-dire favorable à la prépondérance de l’influence bourgeoise au sein du mouvement national.

Enfin, le système de transition qui caractérisait le mode de production dominant déterminait — en l’absence d’un processus révolutionnaire radical qui aurait permis de polariser définitivement les extrêmes et de briser le mécanisme de cette transition — un climat politique où l’éclectisme, l’amalgame de tendances, la fluidité des options tactiques reflétaient plus fidèlement l’imbrication objective d’intérêts contradictoires que les courants idéologiques nettement tranchés.

Le Wafd allait dans ces conditions, à partir de 1919, canaliser en permanence le courant principal des différentes classes nationales dans le cadre réformiste constitutionnel. De son sommet et de sa base se détacheront, aux divers tournants de l’histoire égyptienne après 1919, de petits groupes politiques tendant, ou bien à se séparer du courant national ou bien, au contraire à se joindre à des groupes politiques minoritaires aux options plus claires et plus cohérentes (les Frères musulmans, les communistes, Jeune Egypte, les Officiers libres, etc.).

C’est à ce titre, que le Wafd allait servir d’instrument annexe de pouvoir — toléré ou appelé par les Anglais quand la situation politique leur semblait nécessiter une autre forme de gouvernement que celle, dictatoriale, du Roi.

Dans ces cas, il faut préciser que le Wafd ne possédait qu’une certaine marge de pouvoir. Non seulement les Anglais lui imposaient les limites absolues de cette marge de pouvoir, mais le Palais conservait toujours une partie des pouvoirs — les postes clés de l’appareil d’Etat étant plus ou moins solidement tenus par des hommes du Roi, celui-ci possédant en outre des services de police dépendants de lui, une « Maison » constituant un véritable ministère parallèle, etc.

C’est pourquoi les ministères wafdistes n’ont jamais été qu’une forme annexe de gouvernement. Mais leur importance politique était énorme. Elle permettait de désamorcer tout élan patriotique généraisé, en l’orientant dans la voie des élections et de la « délégation » de ses espérances au « parti de la Nation ». Une fois au pouvoir, ce dernier ne pouvait que chercher à aménager le système
de transition conformément aux exigences les plus pressantes du mouvement nationaliste qui l’avait porté au gouvernement.

Il montrait aux Anglais les concessions qu’il leur était inévitable de faire dans de telles conditions et montrait à son électorat que rien de plus ne pouvait, dans ces conditions, être obtenu. Le ministère wafdiste était toujours démis par le Roi quand il avait démobilisé l’élan national et que la forme autoritaire de gouvernement pouvait reprendre le dessus. En conclusion, le Wafd canalisait un sentiment commun à tous les égyptiens brimés, à divers degrés, par la domination étrangère — l’aspiration à la dignité nationale, à l’indépendance nationale. Mais il donnait à cette aspiration un cadre d’expression traditionaliste et réformiste, permettant à la grande bourgeoisie égyptienne de manipuler le mouvement national et décourageant toute initiative de masse autonome.

Le Wafd faisait donc, en dernière analyse, partie de la structure politique d’ensemble fonctionnant au service des classes dominantes
—  étrangère et locale — c’est-à-dire, tendant à perpétuer l’incapacité des masses populaires à se doter d’un mouvement révolutionnaire authentique, autonome.

A la fin de la guerre, le Wafd était devenu un parti dont une section importante de la classe dominante entendait faire un instrument de pouvoir plus influent et plus décisif que par le passé
—  au détriment, en particulier, de la tendance aristocratique farouchement pro-britannique.

Une partie des éléments modernistes allait
même graduellement se grouper autour de lui, pensant que, désormais, il était utile d’arracher d’importantes concessions aux Anglais
et que seul ce parti en était capable, à la faveur de l’essor patriotique antibritannique des masses.

Mais il était déjà trop tard. Le mouvement populaire ne pouvait plus être utilisé dans le cadre des intérêts généraux de la classe dominante.
Les aspirations anti-impérialistes des plus larges masses et les problèmes que la crise du système de transition leur posait n’avaient plus de solution dans ce cadre. La vague patriotique populaire allait, par étapes, déborder les institutions politiques créées par la constitution de 1923 — déborder à la fois le Palais et le Wafd.

La paralysie des différentes tendances à l’œuvre au sein de la classe dominante — on l’a dit — était l’expression de la solidarité objective des intérêts entre ces tendances. La transition du féodalisme au capitalisme ne pouvait même pas être effectuée, au bénéfice de la voie capitaliste, par les représentants de la bourgeoisie urbaine — du fait de ses liens organiques soit avec la propriété foncière, soit avec les intérêts britanniques, soit encore avec les deux à la fois.

C’est pourquoi ce que les masses vont ressentir avec de plus en plus de netteté, c’est la désintégration de toute structure politique efficace dans le cadre du système existant. Elles vont ainsi avancer, par vagues de plus en plus puissantes, pour arriver fin 1951 à organiser les premiers embryons de guérilla anti-impérialiste. Mais elles n’auront pas, de leur côté, de structures politiques et organisationnelles représentatives de leurs aspirations les plus radicales, capables de mener leur élan révolutionnaire aussi loin que la situation objective le permettait : c’est-à-dire de dépasser définitivement les cadres légaux, de passer résolument à l’armement et à l’organisation des larges masses, de briser tous les carcans constitutionnels et de créer, ainsi, les premières institutions réellement révolutionnaires, les premiers détachements de l’armée populaire anti-impérialiste.

Ainsi la désintégration des structures politiques existantes ne verra pas naître de force politique populaire, dirigée par de véritables révolutionnaires prolétariens — ne verra pas naître, en un mot, la voie prolétarienne. Elle va seulement permettre à de nouvelles forces de classe, attachées à la voie capitaliste nationale égyptienne, de s’imposer — et de procéder au déblocage relatif de la transition vers le capitalisme que la classe locale dominante était définitivement incapable d’effectuer.

La paralysie de la classe dominante apparaît déjà comme irrémédiable, dans la chute rapide du prestige du Roi et l’affaissement des valeurs traditionnelles qui avaient fait la force du régime jusqu’à la guerre. C’est la contestation de plus en plus large de tout l’édifice des hiérarchies, des respects et des coutumes, porté par l’aristocratie et que le mouvement de masse d’après-guerre balayait déjà à mesure qu’il mettait en évidence la crise générale de la classe dominante et en particulier son attitude de servilité ou de faiblesse vis-à-vis des Anglais.

Le système des valeurs sur lequel reposait le régime de dépendance et d’exploitation était désarticulé. C’était « la fin d’un monde » — perçue comme telle, non seulement par les classes populaires, mais par la classe dominante elle-même qui, perdant tout dynamisme, sombrait dans le désarroi ou dans la débauche.

La faillite politique des institutions existantes va s’accomplir en deux temps : d’abord, le Palais utilisera contre le mouvement de masse la dictature répressive (ministère Sedky en particulier), puis tentera de détourner le mouvement de ses objectifs anti-impérialistes et démocratiques en canalisant ses énergies dans le cadre d’une guerre régulière contre l’Etat d’Israël (1948).

La défaite de l’armée régulière égyptienne dans cette guerre est d’abord la défaite du Palais — dont il ne se relèvera plus.

Le Wafd viendra ensuite prendre son temps de relève. Il sera, en l’espace de deux brèves années, véritablement bousculé par le mouvement de niasse dont l’ampleur et la profondeur vont croître sans cesse à partir de 1950. Les gestes politiques minimaux que la situation appelait étaient l’évacuation des Anglais, la fin des pouvoirs effectifs du Palais, une réforme agraire brisant l’hégémonie des grands propriétaires fonciers, un nouvel essor industriel — en d’autres termes, des gestes transformant la tendance nationaliste de la classe dominante en section politique distincte, capable de sacrifier les intérêts du reste de cette classe. Ce dont elle était, justement, incapable et ce qui allait entraîner la faillite du Wafd tout entier — devenu prisonnier de sa crise.

Ces gestes politiques étaient donc au-dessus des forces des éléments les plus nationalistes au sein de la classe dominante. Ce que le Wafd allait alors démontrer, c’est la collusion fondamentale des différentes sections de cette classe face à l’essor du mouvement de masse — et en particulier son inaptitude totale, dans une telle situation, à remettre en cause le statut royal, c’est-à-dire le statut de l’aristocratie, des hiérarchies et des valeurs féodales.

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