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L’évolution est-elle régulière, progressive, linéaire, continue ou, au contraire, par sauts, par apparitions et disparitions, par équilibres ponctués, non-linéaire et non-régulière ?

vendredi 26 août 2011, par Robert Paris

Nous avons tous étudié en Mathématiques au collège les fonctions qui ont des propriétés de linéarité et nous y sommes accoutumés.

En Physique, le parti pris est connu : si on a les valeurs discrètes indiquées ici sur le schéma, nous les relions par des segments et si, en plus, ces segments sont alignés nous considérons que nous avons mis en évidence une probable propriété de linéarité de la fonction. Mathématiquement, elle est appelée fonction affine.

Mais c’est un parti pris qui dépasse largement les études scolaires.

Qu’il s’agisse des évolutions quantitatives ou qualitatives, nous sommes habitués à « les linéariser », c’est-à-dire à remplir l’infinité de trous qui existent entre les points en supposant que ce que l’on ne connaît pas est aussi dans l’alignement. Il peut s’agir par exemple d’une augmentation de température ou de l’évolution de la taille du cerveau des espèces humanoïdes ou encore de la taille de l’os d’un équidé. Il peut s’agir, en termes qualitatifs, de la chronologie des découvertes techniques de l’homme : découverte de la taille du silex puis découverte du feu, habitat stable, découverte de l’agriculture, découverte de la poterie, etc… Il peut s’agir des évolutions des espèces elles-mêmes avec leurs dates successives d’apparition.

Dans tous ces cas, notre attitude philosophique la plus « naturelle » consistera à aligner les résultats dans une progression régulière. Pourtant, nos connaissances portent toujours sur des mesures parfaitement ponctuelles donc discontinues. Nous ignorons ce qui se passe entre ces mesures et parfois nous savons qu’il y a des trous mais nous voulons marquer seulement la progression entre les avancées sans se figurer que les trous veulent eux aussi dire quelque chose !

Cela nous mène à des recherches fausses du type chaînon manquant, à des considérations également fausses sur le plan scientifique, historique et philosophique. Deux sociétés se sont succédé en Inde. L’une est-elle forcément la suite de l’autre dans un progrès et dans une continuité. Eh bien non ! La société hindoue classique n’est certainement pas la suite de la civilisation de l’Indus. D’autre part, rien ne prouve cette progression. Il y a pu y avoir des ruptures mais il y a aussi pu y avoir des régressions. Si on indique la suite : australopithèque puis homme de Néanderthal puis sapiens-sapiens, on aura tendance à dire que l’on est passé d’un homme qui n’était pas sapiens à un autre qui était seulement sapiens et à un troisième qui est sapiens-sapiens. On y voit le progrès dans une qualité qui serait le savoir mais qu’est-ce qui prouve que l’homme de Néanderthal en savait moins que le sapiens-sapiens ? Rien. C’est un présupposé qui découle de la présentation fallacieuse des faits. On en a d’abord conclu que Néanderthal ne savait pas fabriquer des outils, qu’il n’enterrait pas ses morts, que sa capacité cérébrale était inférieure ou sa capacité de chasseur-cueilleur, mais rien de tout cela n’est nullement prouvé. Et Néanderthal pourrait très bien avoir été supérieur en art, en techniques ou même en art de la guerre et avoir perdu la bataille, au plan historique, pour des raisons bien différentes qu’une capacité inférieure quelconque. Par exemple, il se pourrait que, sexuellement, il ait été attiré par les femelles sapiens-sapiens, de beauté plus fine, et ait fini par ne procréer qu’avec elles, donnant des enfants de plus en plus sapiens-sapiens. Ce n’est qu’une possibilité bien sûr mais elle montre que la survie du « supérieur » ne veut rien dire en l’occurrence. D’autant qu’il s’agit d’espèces interfécondes. On le sait puisque dans notre ADN de sapiens-sapiens, il reste quelque chose du Néanderthal !

L’image de la linéarité historique est tellement classique que, même quand elle n’a aucun sens réel parce qu’elle compare ce qui n’est pas comparable et à niveau qui n’est pas la cause des faits car on ne passe pas directement de l’un à l’autre, elle ne nous choque pas. En voici des exemples :

Par exemple, la comparaison des squelettes d’individus adultes est certainement intéressante mais les évolutions se situent à un autre niveau : celui des nouveaux-nés et, d’autre part, l’évolution est biologique et pas directement une évolution des os !

Ce n’est pas les os qui vont nous dire s’il s’agit d’une évolution graduelle mais la composition génétique et, plus encore, les interactions génétiques et épigénétiques. Il suffit par exemple d’un changement de rythmes des interactions biochimiques des gènes homéotiques pour changer la bête qui en résulte.

De l’image faussée, on passe au concept et à la philosophie et on est en plein dans l’erreur.

André Gunthert écrit : "Dans La Vie est belle, le paléontologue Stephen Jay Gould note que « l’iconographie au service de la persuasion frappe (…) au plus profond de notre être ». Pour introduire à une réflexion d’envergure sur l’histoire de la vie, le savant s’en prend à une illustration : la fameuse « marche du progrès », dont il reproduit plusieurs parodies. La succession des hominidés en file indienne, « représentation archétypale de l’évolution – son image même, immédiatement saisie et instinctivement comprise par tout le monde », propose une vision faussée d’un processus complexe. « L’évolution de la vie à la surface de la planète est conforme au modèle du buisson touffu doté d’innombrables branches (…). Elle ne peut pas du tout être représentée par l’échelle d’un progrès inévitable. » (Gould, 1991, p. 26-35, voir également Bredekamp, 2008).

Spécialiste de l’usage des modèles évolutionnistes, Gould est conscient que « bon nombre de nos illustrations matérialisent des concepts, tout en prétendant n’être que des descriptions neutres de la nature ». Ce problème qui caractérise l’imagerie scientifique trouve avec la « marche du progrès » un de ses plus célèbres exemples.

Mais au contraire des nombreuses références que mobilise habituellement le savant, celle-ci n’est ni datée ni attribuée. Quoiqu’il en critique l’esprit et en regrette l’influence, Gould ignore quelle est sa source. Comme beaucoup d’autres images issues de la culture populaire, celle-ci s’est dispersée dans une familiarité indistincte, et a perdu chemin faisant les attributs susceptibles de situer une origine.

Il y a une bonne raison pour laquelle Stephen Jay Gould n’a pas été confronté à la source de l’illustration dont il traque les reprises. Lorsque celle-ci est publiée, en 1965, le jeune étudiant en géologie a 23 ans, et une formation déjà bien trop spécialisée pour avoir consulté ce livre destiné à l’éducation des enfants et des adolescents.

Dessinée par Rudolph Zallinger (1919-1995) pour l’ouvrage de Francis Clark Howell (1925-2007), The Early Man, cette image prend place dans la plus ambitieuse collection de vulgarisation jamais publiée : celle des éditions Time-Life, qui s’étend sur 51 volumes entre 1961 et 1967 (collections « Young Readers Nature Library » et « Life Science Library »).

Traduite dans de nombreux pays, cette collection s’inscrit dans la longue tradition inaugurée par Les Merveilles de la Science de Louis Figuier (1867), qui fait reposer sur une illustration abondante le récit des « connaissances utiles » nécessaires à l’instruction de la jeunesse. Elle se caractérise par la qualité des textes, confiés à des spécialistes, mais aussi par le soin sans précédent apporté à l’iconographie.

Inspirée des principes qui animent le magazine Life, la collection est le premier ouvrage de vulgarisation scientifique à pousser si loin le rôle de l’image. Les éditeurs ont voulu proposer une illustration haut de gamme, très largement en couleur, servie par une impression irréprochable, en faisant appel aux meilleurs dessinateurs et photographes.

L’iconographie est souvent spectaculaire. Elle offre une large variété de styles et témoigne d’une constante préoccupation pédagogique. L’image doit fournir une synthèse claire et lisible d’une information dense. La collection développe un savoir-faire élaboré en matière de schémas narratifs, combinaison de la représentation tabulaire des données scientifiques avec une mise en scène visuelle forte.

La contribution de Rudolph Zallinger fournit un exemple particulièrement abouti de ce genre. Anthropologue spécialiste de préhistoire, professeur à l’université de Chicago, Francis Clark Howell est également un vulgarisateur convaincu. C’est en connaissance de cause qu’il s’adresse à l’un des plus fameux illustrateurs de sciences naturelles, auteur de la fresque « L’Age des reptiles » pour l’université de Yale, exécutée entre 1943 et 1947, panorama chronologique de l’évolution des dinosaures du Devonien au Crétacé, longue de 33,5 sur 4,9 mètres. Zallinger sera contacté par Life en 1952 pour participer à l’illustration du feuilleton « The World We Live In », aux côtés de Chesley Bonestell, Alfred Eisenstaedt ou Fritz Goro.

La composition de The Early Man s’inspire du précédent de Yale. Il s’agit de disposer sur un dépliant de 5 pages – la plus longue illustration de la collection – la série ordonnée des reconstitutions de fossiles de quinze espèces anthropoïdes sur une durée de 25 millions d’années. Les schémas chronologiques en haut de page sont dus à George V. Kelvin."

Prenons justement l’exemple de l’évolution des hominidés.

CE QUE L’ON SAIT

Ce que l’on observe est discontinu et indiqué dans le schéma ci-dessus. Ce que l’on transpose par une présentation linéaire est dans les deux schémas suivants et n’a rien à voir...

CE QUE L’ON PRÉTEND

La différence, c’est le parti-pris de la continuité, de la régularité, de l’inexistence de sauts, de reculs, d’apparitions et disparitions, de rétroactions, de redémarrages à partir de matériaux anciens, etc...

Il en résulte des fautes graves de compréhension.

Par exemple, on pourrait croire que les diverses espèces humanoïdes ou d’hominidés se sont succédé. En fait, elles ont coexisté aux même époques. Parfois, il y a eu en même temps et dans la même région, trois ou quatre espèces d’humanoïdes...

On pourrait croire qu’il y a un facteur appelé progrès qui pousserait vers l’homme actuel alors qu’il peut parfaitement avoir survécu par un simple hasard, puisque 99% des espèces et des individus avaient disparu. On a tressé des lauriers à celui qui a tenu le coup. Gloire au survivant !

Mais la civilisation romaine a survécu à la civilisation grecque. Etait-elle supérieure et en quoi ? On n’en sait rien !

Il en va de même dans tous les domaines dits évolutifs, que ce soient les modes de production, les techniques, les modes d’organisation sociale, les découvertes, nous avons en face de nous le "mythe du progrès continu".

En développant sa thèse dite des "équilibres ponctués" en termes d’évolution des espèces, Stephen Jay Gould a souligné que ce qui les caractérise ce sont de longues périodes d’équilibres entrecoupées de courtes périodes d’évolution brutale et non une évolution graduelle...

D’où vient ce fait ? Cela provient du type de stabilité des équilibres produits au sein d’un désordre.

Tout d’abord, remarquons que les équilibres globaux et moyens que nous constatons naissent au sein de désordres et ne sont pas des ordres préétablis et pré-programmés. C’est de l’ordre émergent au sein d’un désordre collectif, ce qui est très différent.

Ensuite, ces ordres restent durables puis sautent brutalement d’un niveau à un autre.

Prenons l’exemple de la thermodynamique. L’illusion est la croissance régulière et continue d’un température quand on chauffe un matériau. La réalité est que la structure reste le solide (par exemple la glace ou le cristal) jusqu’à un certain point, où, d’un seul coup, il saute au liquide, puis d’un coup au gaz puis d’un coup au plasma... La croissance quantitative régulière de la température n’est qu’une illusion de continuité d’un processus parfaitement discontinu, non régulier et non linéaire qui est appelé des transitions de phase.

Il suffit d’indiquer une suite chronologique pour que notre esprit, conditionné par la philosophie du continu, remplisse les vides et se convainque qu’il y a là une suite régulière.

Par exemple, on peut lire dans le numéro spécial de « Les cahiers de science de vie » consacré à « Aux origines du sacré et des dieux », les chronologies suivantes :

 Australopithèque – Galet ramassé

 Homo Habilis – Galets aménagés

 Homo Erectus – Invention du biface

 Homo Heidelbergensis – Biface en quartzite rouge

 Néandertal – silex taillé, outils en os

 Sapiens – pierres gravées

On voit ainsi la gradation régulière.

D’autres chronologies servent de repère :

 De 7 à 6 millions d’années : premiers hominidés connus

 2,6 millions d’années : apparition du genre Homo – premiers outils de pierre (galets aménagés)

 Vers – 300.000 ans : apparition de l’homme de Néandertal, Homo Néandertalensis, en Europe

 Vers – 27.500 ans : plus anciennes sépultures attestées (Proche-Orient)

 Vers 6 200.000 ans : apparition de l’homme moderne, l’Homo sapiens, en Afrique

 Vers – 80.000 ans : plus anciennes manifestations artistiques connues (pierres gravées en Afrique du sud)

 Vers – 4.000 ans : installation des sapiens en Europe et première peintures rupestres en Australie

 De – 12.000 ans à – 11.000 : sédentarisation (Syrie, Palestine)

 De – 10.000 ans à – 9.000 ans : débuts de l’agriculture (Croissant fertile)

 Moins 9.000 ans : plus vieux temple mis à jour (Göbekli Tepe, Turquie)

 Moins 8.500 ans : débuts de l’élevage

 Moins 4.800 ans : apparition des premiers mégalithes (Bretagne)

 Moins 4.000 ans : débuts de la métallurgie

 Moins 3.700 ans : fondation des premières villes (Uruk, Mésopotamie)

etc, etc…

On peut avoir l’impression d’une progression de l’humanité au travers de ces dates. Cependant, cette chronologie n’est pas une succession d’événements qui se sont réalisés pour des peuples qui se sont succédé suivant une suite continue. La plupart n’ont rien à voir avec les autres. C’est purement arbitrairement qu’ils sont mis ici en parallèle les uns avec les autres. Les uns ne sont pas réalisés par les ancêtres directs des autres… Les premiers à avoir fait ceci n’ont pas engendré les premiers à avoir fait cela. Les progrès et découvertes, les modes de production ne se suivent pas en ligne directe, pas plus que les progrès conceptuels, sociaux ou artistiques.

Pourtant, la même revue (dont le texte est très sérieux par ailleurs) nous donne une gradation des arts :

 de 35.000 à 27.000 ans : art aurignacien

 de 28.000 à 2.000 ans : art gravettien

 de 21.000 à 17.000 ans : art solutréen

 de 18.000 à 11.000 : art magdalénien

Mais ce tableau intitulé « les cultures préhistoriques » n’intègre même pas les cultures dont la revue elle –même parle mais qui n’entrent pas dans la logique du tableau, comme les peintures Wandijnas des Woronas, il y a 20.000 ans ou encore les peintures des aborigènes d’Australie. Ni ceux d’Indonésie il y a 60.000 ans. Parce que cela n’entrerait pas dans la classification linéaire…

Cette revue qui se consacre aux religions est bien obligée de constater que les religions ne se succèdent pas. Elles meurent. Ou lorsqu’elles peuvent sembler avoir subsisté, c’est leur nom qui est resté mais pas le contenu, comme l’explique très Dan Sperber en article de fin de la revue.

Les sociétés ne se succèdent pas directement non plus. Ni les civilisations, ni les techniques, ni les arts. Il n’y a pas continuité. Il n’y a pas de régularité. On ne passe pas de l’une à l’autre. Elles se recouvrent. Elles succèdent à des plus anciennes que la dernière venue. Les formes les plus anciennes donnent naissance aux nouvelles formes dynamiques, plutôt que les dernières formes dominantes. L’évolution saute des étapes, est contradictoire, transforme des stagnations en bonds en avant, des grands progrès en échecs retentissants. Les dinosaures étaient justement ceux qui semblaient triompher de tous les règnes animaux. L’empire romain de toutes les sociétés occidentales. La Chine semblait devoir dominer le monde en 200 avant J.-C. Les plus arriérés ont dominé. Le capitalisme moderne s’est développée d’une ancienne colonie de l’Europe : les USA.

Il convient donc de ne pas confondre une série de révolutions en permanence, pour paraphraser Marx, avec une évolution graduelle, même si le goût exagéré des moyennes semble les faire se ressembler. Il ne faut pas confondre une suite de discontinuités avec sa moyenne qui a l’apparence de la continuité. Un élément nouveau peut provenir du matériau le plus ancien, bricolé et utilisé dans un cadre nouveau. L’un n’est pas à proprement parler une étape de l’autre. La première étape n’a nullement été faite pour avoir comme succession la seconde. Nous avons dans notre oreille d’humains les trois très petits os (les osselets) qui vibrent, nous donnant la possibilité d’entendre. Nous les avons hérité du poisson dont ils étaient les derniers os de la mâchoire, mais il serait faux de considérer que c’est une succession, comme si les poissons avaient eu pour suite les humains dans un fil conducteur du progrès linéaire…

Il peut y aussi avoir des éléments apparemment dans un fil conducteur du progrès si on les fait se succéder dans le temps. Et pourtant, ils ne sont nullement les successeurs physiques les uns des autres. Leur liste chronologique ne correspond pas à la logique réelle de l’Histoire. On n’est pas passé successivement de l’un à l’autre.

On efface aussi les disparitions, les échecs, les impasses. On fait comme si elles ne faisaient pas partie du fameux progrès. La disparition des dinosaures n’est-elle pas un progrès pour les mammifères, comme pour nous les humains ? On fait comme si un progrès naît d’un autre progrès alors qu’il peut naître d’un retard, d’un échec, d’une impasse. On refuse ainsi la logique dialectique et on l’exclue de l’histoire de l’évolution.

La linéarité récuse la vraie locomotive du changement : les contradictions dialectiques.

L’équilibre ponctué que défend Stephen Jay Gould pour l’évolution des espèce part de la constatation qu’il y a des marches en avant mais que la plupart du temps, ce sont les freins qui l’emportent. Du coup, les espèces sont le plus souvent à l’équilibre et, très rarement, évoluent de manière brutale : ponctuée.

La marche des plaques continentales de la Terre fonctionne de même. Généralement, elles ne bougent pas : ce sont les freins qui l’emportent. Le mouvement peut avoir une valeur moyenne mais cela ne signifie pas une avancée régulière et continue : au contraire, les plaques progressent par bonds en provoquant des tremblements de terre. La marche du changement biologique qui produit la diversité est elle aussi bloquée : par des molécules dites chaperons qui éjectent les nouveautés. Mais, en fonction des agressions, les chaperons peuvent être occupés ou inhibés, laissant cette diversité se développer. L’évolution des espèces n’est pas le développement de ceux qui réussissent et son perfectionnés au sein des nouveaux environnements, mais le développement de ceux qui ne réussissaient pas dans l’ancien environnement. Les inadaptés deviennent les mieux adaptés. La capacité à changer lentement a été longtemps mise en avant comme la principale capacité du vivant. Mais, dans des circonstances de changement rapide – par exemple au plan climatique ou environnemental – c’est la capacité à changer d’un seul coup brutalement qui change. En fait, il n’y a pas un changement d’une espèce dans une autre à proprement parler. C’est une forme diverse qui existait déjà et restait marginale qui est seulement favorisée. Le changement lent et graduel n’est pas le propre des changements d’espèces : c’est le changement brutal qui permet à une nouvelle espèce de se développer. L’incapacité de s’adapter qui était la sienne devient un avantage. La trop grande stabilité d’espèces très adaptées est le plus sûr garant de leur future disparition.

Le développement inégal et combiné, pour reprendre encore une fois une formule de Marx et Trotsky, caractérise non seulement les transformations des sociétés humaines, mais aussi les changements en général.

D’où vient la non-linéarité du monde ? Du fait que les lois ne sont pas le produit d’une action à un seul niveau hiérarchique mais à plusieurs interactifs. Du fait que les lois obéissent à des changements non seulement quantitatifs mais qualitatifs avec effets de seuil. Du fait que l’ordre est émergent et n’est pas à la base : c’est le désordre qui crée l’ordre et les niveaux d’ordre sautent d’un état à un autre.

A LIRE :

La révolution des espèces

Non linéarité des rythmes biologiques et discontinuité du vivant

Continuité et linéarité : une illusion d’optique

Dialectique des contradictions de la nature et de la société

Messages

  • Que s’est-il passé le jour où nos ancêtres de Néanderthal ont rencontré nos aïeux Homo sapiens ?
    Emission radio àecouter ici.
    Avec Marylène Patou-Mathis, préhistorienne et directrice de recherche au CNRS

  • La découverte d’outils humains vieux de 3,3 millions années, annoncée dans la revue Nature ce mercredi, révolutionne les connaissances sur l’évolution humaine.

    La découverte, faite à l’ouest du lac Turkana au Kenya, recule de 700 000 ans l’apparition des premiers outils de pierre taillée. A ce jour, les plus anciens instruments dataient de 2,5 millions d’années. Ils avaient été découverts sur le site de Gona en Ethiopie.

    Ces nouveaux vestiges sont également 500 000 ans plus anciens que les premiers restes du genre Homo, notre ancêtre direct.

    « Alors que la communauté scientifique a longtemps supposé que les premiers outils de pierre avaient été fabriqués par le genre Homo, notre découverte montre qu’un autre genre d’hominidé, peut-être une forme d’australopithèque plus ancienne, avait déjà toutes les capacités cognitives et motrices nécessaires à la fabrication d’outils », explique Sonia Harmand, de l’université Stony Brook, chargée de recherche au CNRS.

    Jusqu’à maintenant les scientifiques considéraient que les Australopithèques étaient capables d’utiliser des outils, mais incapables de les fabriquer.

    « Notre découverte réfute l’hypothèse de longue date selon laquelle Homo habilis a été le premier fabricant d’outils », poursuit la chercheuse française qui codirige le West Turkana Archaeological Projet.

    Ces nouveaux instruments mis au jour sont en majorité des blocs de lave, lourds et volumineux servant d’enclume, des percuteurs, des éclats ou des nucléus (des blocs de pierre débités pour produire des éclats ou des lames).

    Ces objets évoquent deux modes de fabrication d’outils : la technique dite « sur enclume » - le bloc est maintenu sur l’enclume par une main pendant que l’autre utilise le percuteur pour frapper et obtenir des éclats tranchants - et la technique dite « sur percuteur dormant » - le bloc à tailler est directement percuté sur l’enclume.

    Selon le CNRS, la grande variété des objets trouvés montre clairement que l’intention de ces hominidés était de créer des outils.

    « Il est difficile de reconstituer le mode de vie des premiers hommes et des Australopithèques », commente Sonia Harmand : « On en sait plus sur leurs caractéristiques anatomiques grâce à la découverte de leurs restes osseux, que sur leurs comportements de subsistance ou même leur organisation sociale ».

    « L’idée que les outils ont servi à découper de la viande (pour les éclats tranchants) ou à avoir accès à la moelle des os (pour les plus gros blocs) est la plus conventionnelle », souligne-t-elle. « Mais à ce stade de nos recherches, il est trop tôt pour en dire plus ».

  • Frans de Waal dans « Le bonobo, dieu et nous » :

    « Si certains croisements (avec les néandertaliens, par exemple, ont contribué au succès de notre espèce en fin de parcours, peut-être en a-t-il été de même au début. L’ADN des humains et celui des grands singes montrent des signes d’hybridation initiale. Après s’en être séparés, nos ancêtres ont probablement continué à fréquenter les grands singes, comme cela se passe aujourd’hui, nous le savons, entre grizzlis et ours polaires ou entre loups et coyotes. Certains paléontologues sceptiques font valoir qu’il est peu probable que nos ancêtres bipèdes aient continué à s’accoupler pendant plus d’un million d’années avec des grands singes quadrupèdes, mais le mode de locomotion, que je sache, ne dit pas avec qui l’on peut se reproduire ou non. Ce raisonnement me fait penser à une assertion encore plus extravagante qui date du temps où nous n’étions pas encore sûrs de l’hybridation entre hommes et néandertaliens : tout rapport sexuel entre ces deux hominidés était évidemment exclus, disait-on, puisqu’ils ne parlaient sûrement pas la même langue…. »

    • « Il est certain, d’une part, que la stérilité des diverses espèces croisées diffère tellement en degré, et offre tant de gradations insensibles ; que, d’autre part, la fécondité des espèces pures est si aisément affectée par différentes circonstances, qu’il est, en pratique, fort difficile de dire où finit la fécondité parfaite et où commence la stérilité. On ne saurait, je crois, trouver une meilleure preuve de ce fait que les conclusions diamétralement opposées, à l’égard des mêmes espèces, auxquelles en sont arrivés les deux observateurs les plus expérimentés qui aient existé, Kölreuter et Gärtner. Il est aussi fort instructif de comparer — sans entrer dans des détails qui ne sauraient trouver ici la place nécessaire — les preuves présentées par nos meilleurs botanistes sur la question de savoir si certaines formes douteuses sont des espèces ou des variétés, avec les preuves de fécondité apportées par divers horticulteurs qui ont cultivé des hybrides, ou par un même horticulteur, après des expériences faites à des époques différentes. On peut démontrer ainsi que ni la stérilité ni la fécondité ne fournissent aucune distinction certaine entre les espèces et les variétés. Les preuves tirées de cette source offrent d’insensibles gradations, et donnent lieu aux mêmes doutes que celles qu’on tire des autres différences de constitution et de conformation. »

      Charles Darwin dans l’ « Origine des espèces »

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