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Descartes est-il un des pères de la démarche scientifique ?

mardi 15 novembre 2011, par Robert Paris

Spinoza sur Descartes à De Vries : « Ne l’enviez pas, il est insupportable. »

« On ne trouve à peu près aucune science, les Mathématiques mises à part, où cette Méthode ait été suivie ; on en suit une autre presque diamétralement opposée… On a jugé en effet presque universellement que cette méthode est particulière aux Mathématiques et que toutes les autres disciplines y sont opposées et la rejettent. »
Spinoza dans « Sur les principes de la philosophie de Descartes »

Voltaire écrit dans sa "Lettre sur Descartes et Newton" : "Chez nos cartésiens tout se fait par une impulsion qu’on ne comprend guère ; chez M. Newton c’est par une attraction dont on ne connaît pas mieux la cause. A Paris vous vous figurez la terre faite comme un melon ; à Londres elle est aplatie, des deux côtés. La lumière, pour un cartésien, existe dans l’air ; pour un newtonien, elle vient du soleil en six minutes et demie. Votre chimie fait toutes ses opérations avec des acides, des alkalis, et de la matière subtile ; l’attraction domine jusque dans la chimie anglaise.... Ce fameux Newton, ce destructeur du système cartésien mourut au mois de mars de l’an 1727.... L’essence même des choses a totalement changé. Vous ne vous accordez ni sur la définition de l’âme, ni sur celle de la matière. Descartes assure que l’âme est la même chose que la pensée, et Locke lui prouve assez bien le contraire. Descartes assure encore que l’étendue seule fait la matière ; Newton y ajoute la solidité... La géométrie était un guide que Descartes lui-même avait en quelque façon formé, et qui l’aurait conduit sûrement dans sa physique ; cependant il abandonna à la fin ce guide, et se livra à l’esprit de système. Alors sa philosophie ne fut plus qu’un roman ingénieux, et tout au plus vraisemblable pour les philosophes ignorants du même temps. Il se trompa sur la nature de l’âme, sur les lois du mouvement, sur la nature de la lumière. Il admit des idées innées, il inventa de nouveaux éléments, il créa un monde, il fit l’homme à sa mode ; et on dit avec raison que l’homme de Descartes n’est en effet que celui de Descartes, fort éloigné de l’homme véritable. Il poussa ses erreurs métaphysiques jusqu’à prétendre que deux et deux ne font quatre que parce que Dieu l’a voulu ainsi ; mais ce n’est point trop dire qu’il était estimable même dans ses égarements. Il se trompa, mais ce fut au moins avec méthode et de conséquence en conséquence. S’il inventa de nouvelles chimères en physique, du moins il en détruisit d’anciennes : il apprit aux hommes de son temps à raisonner et à se servir contre lui-même de ses armes. S’il n’a pas payé en bonne monnaie, c’est beaucoup d’avoir décrié la fausse. "

Selon Descartes, nous possédons, dès la naissance, des "idées innées", sortes d’intuitions fondées sur l’évidence, et qui nous font admettre sans démonstration aussi bien le "cogito" ("Dubito ergo sum ; Cogito ergo sum" : "je doute donc je suis ; je pense donc je suis") que des évidences mathématiques (par deux points ne peut passer qu’une seule droite). Dans "Micromegas", Voltaire ridiculise cette théorie en représentant l’âme "dans le ventre de sa mère", puis "obligée d’aller à l’école" pour apprendre de nouveau ce que, selon Descartes, elle savait déjà à la naissance. L’effet comique naît du mélange de l’abstrait et du concret (l’âme qui va à l’école) ; la critique philosophique souligne la contradiction entre la théorie métaphysique des idées innées et l’expérience commune qui veut que le savoir provienne d’un apprentissage. Voltaire, en philosophe des Lumières, rejette les spéculations abstraites et incertaines qui lui semblent superflues pour l’objectif d’utilité sociale qu’il assigne à la philosophie.
Dans le même passage, Voltaire s’en prend aussi au "dualisme" cartésien, c’est-à-dire à la nette séparation qu’établit Descartes entre l’esprit et la matière : selon l’auteur de Micromégas, les philosophes cartésiens seraient incapables, en fait, de définir la nature respective de ces deux substances.

« Les deux définitions de Descartes, dira plus tard Rousseau, qui paraissaient incontestables, furent détruites en moins d’une génération. Newton fit voir que l’essence de la matière ne consiste point dans l’étendue ; Locke fit voir que l’essence de l’âme ne consiste point dans la pensée. »

Non ! Descartes n’est nullement un des pères de la démarche scientifique !

Contrairement à ce que croient encore nombre de scientifiques et de philosophes français, Descartes n’est nullement l’un des pères de la démarche scientifiques, mais le père de nombre de préjugés anti-scientifiques :

 l’opposition du corps et de l’esprit
 le refus de l’inconscient
 la soumission du physique au métaphysique
 le refus de toute animalité de l’homme
 le refus de l’action à distance
 l’opposition entre mouvement et repos
 le refus des contradictions internes
 le rejet de la méthode expérimentale
 la croyance dans le bons sens
etc, etc...

Quelques contrevérités scientifiques cartésiennes :

"Je veux découvrir ce qui est certain."

Descartes prétend qu’il rejette tout préjugé philosophique, alors que les présupposés philosophiques sont justement les progrès de la science. Il affirme ne se conformer qu’en des vérités non susceptibles de doutes. Dommage, la science est sans cesse susceptible de doutes. Mais elle ne se contente pas du doute : elle demande une démarche liée à des conceptions qui ont montré des capacités à décrire les faits observés. Telle n’est nullement le point de vue de Descartes ! Il affirme bien des choses qui se sont révélées inexactes, ce qui n’a rien de choquant, mais ce sont toutes les démarches qui se sont révélées fondamentalement fausses, ce qui l’est beaucoup plus… Le dualisme corps/esprit, le caractère mécaniste du vivant, l’opposition entre humain et animal, la croyance en l’évidence, le bon sens, la continuité, … Pour Descartes, le vrai s’oppose diamétralement au faux, la pensée fausse est absolument inutile et peut être écartée d’emblée par un esprit fort, la science doit lever tout doute et être fondée sur l’évidence, l’homme est caractérisée par sa capacité de penser, et s’oppose donc au reste du monde vivant et inerte qui n’est que mécanique, l’existence de l’idée préexiste à l’existence matérielle et dieu préexiste à tout, la matière est pure continuité, fondée sur le divisible à l’infini mathématique, etc…

Les fautes fondamentales de raisonnement de Descartes :

 la métaphysique prime sur la physique
 l’esprit l’emporte sur le corps et les deux sont séparés
 il faut diviser le plus possible avant de recomposer (réductionnisme - le tout est la somme des parties)
 tout l’esprit est la conscience (négation de l’inconscient)
 le repos est naturel et le mouvement n’existe que si un corps est poussé ou tiré
 tout est en continuité.

Toutes ces affirmations sont fausses !

La physique ayant choisi l’action à distance, la discontinuité, l’existence réelle du vide, l’appartenance de l’homme à l’animalité et bien d’autres idées opposées aux siennes, il ne se révèle pas être le père d’idées fondamentales de la science contemporaine... En ce qui concerne le mouvement des planètes, Descartes exclut une action à distance du Soleil. Descartes, ayant exclus toute action à distance et tout vide réel, est donc amené à rejeter les théories de Galilée sur la chute des corps dans le vide. Contrairement à Galilée, Descartes pensait que la propagation de la lumière était instantanée.

Dans les Principes de philosophie, parus en 1644, Descartes énonce les lois des chocs entre deux corps. Ses études s’opposent aux expériences. Tant pis ! Descartes, conscient de l’incompatibilité de sa théorie avec les faits expérimentaux, écrit :

« Les démonstrations de tout ceci sont si évidentes qu’encore que l’expérience nous semblerait faire voir le contraire, nous serions néanmoins obligés d’ajouter plus de foi à notre raison qu’à nos sens. » Le voilà le père de la démarche scientifique ? Tant pis pour les faits, vive les raisonnements abstraits...

En réalité, les découvertes de Descartes sont purement mathématiques : apport de l’algèbre à la géométrie, utilisation des coordonnées, géométrie analytique, topologie, algèbre, ou quelques cas de physique purement géométrique comme la loi de réfraction de la lumière.

Ce qui plait à Descartes dans les mathématiques, c’est qu’elles ont un air scientifique mais qu’elles ont un type métaphysique et il envisage de démontrer la métaphysique de manière mathématique... "On peut démontrer les vérités métaphysiques d’une façon qui est plus évidente que les démonstrations de géométrie."

« Ainsi toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale, j’entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui, présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse. Or comme ce n’est pas des racines, ni du tronc des arbres, qu’on cueille les fruits, mais seulement des extrémités de leurs branches, ainsi la principale utilité de la philosophie dépend de celles de ses parties qu’on ne peut apprendre que les dernières. »
écrit Descartes dans "Les Principes de la philosophie", lettre-préface de l’auteur.

Descartes souligne par là l’importance qu’il accorde à la métaphysique, mais il s’agit d’une métaphysique subjective reposant sur des objets abstraits.

La physique cartésienne est fondée sur l’identification de la matière avec la quantité géométrique (materia vel quantitas). Il évacue ainsi du monde physique les formes substantielles et les qualités de la scolastique : la pesanteur et le mouvement sont ramenés à une explication mécaniste. La notion de force, et a fortiori d’action à distance, n’apparaît pas chez Descartes. Sa description du monde est essentiellement cinématique, le mouvement se transmettant de proche en proche par contact. L’Univers, dans lequel le vide n’existe pas, est donc rempli de substance animée et de tourbillons. Toute action occulte étant exclue dans ce mouvement, celui-ci doit être conservé dans sa totalité, par le pouvoir conservateur de Dieu. Si un corps perd du mouvement, il le transmet à un autre. En l’absence d’interaction, un corps poursuivra indéfiniment son mouvement. Il s’agit du principe d’inertie, déjà présent chez Galilée, mais clairement affirmé par Descartes. Au sein de ce système, la théorie des chocs joue un rôle particulier. C’est elle qui est en effet susceptible de permettre des calculs prévisionnels de mouvement. Elle se révélera malheureusement fausse, et la physique cartésienne se heurtera violemment à la physique newtonienne dans la deuxième moitié du XVIIe et le début du XVIIIe siècle.

Sa philosophie de l’homme est tout aussi fausse. Pour Descartes nous sommes en dehors de la nature et "La technique nous rend comme maîtres et possesseurs de la nature."

« Il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir sinon nos pensées. » Eh bien non ! Nos pensées sont très loin d’être entièrement en notre pouvoir. L’inconscient existe et prend une part considérable de nos pensées. Celles-ci sont « impensables » sans l’inconscient !

Conformément à la tradition issue de Descartes, l’usage qu’aujourd’hui encore nous faisons en Occident du mot "pensée" comporte une grave ambiguïté. Le problème vient de ce que l’on assimile conscience, comme synonyme d’éveil, ou de vécu, et pensée, synonyme d’activité mentale, d’objet de conscience voire de représentation. Mais être éveillé et penser sont-ils une seule et même chose ? Si on croit dans cette assimilation, la continuité de l’âme est identifiée avec la continuité de l’acte de penser. Partant de là, l’âme, qui est pensée, doit pour exister penser toujours. Descartes le dit clairement « je trouve ici que la pensée est un attribut qui m’appartient : elle seule ne peut-être détachée de moi. Je suis, j’existe, cela est certain, mais pour combien de temps ? A savoir autant de temps que je pense, car peut-être se pourrait-il faire, si je cessais de penser, que je cesserais d’être ou d’exister ».

« Je pense, donc je suis. » Cela sous-entend que la lune n’existe pas puisqu’elle ne pense pas ? Ou bien qu’elle n’existait pas du moment que l’homme n’était pas là pour la voir ? Cela signifie que l’homme existe parce qu’il pense ? Cela signifie que c’est là la preuve de l’existence de l’homme ? Et le fait qu’il sente ? Et le fait qu’il mange ? Mais surtout cela sous-entend qu’il est nécessaire de s’interroger : est-ce que j’existe et non qu’est-ce qui fait que j’existe…. C’est donner un but métaphysique et non physique à l’étude…

« La raison est la seule chose qui nous rend hommes. » Est-ce que les hommes ne sont que raison ? Certainement pas ! Est-ce que c’est là ce qui a fait de nous des hommes, la racine même de l’homme ? Non plus ! Ce sont des changements matériels tout autre qui ont lancé la branche des hominoïdes…

« Passion est passivité de l’âme et activité du corps. » Encore cette opposition diamétrale de l’âme et du corps.

« Pour atteindre la vérité, il faut une fois dans la vie se défaire de toutes les opinions qu’on a reçues, et reconstruire de nouveau tout le système de ses connaissance. » De toutes les opinions qu’on a reçues ? Il faut un beau matin repartir à zéro ? Complètement zéro ? En serions-nous même capables ? Non !

La science se fonde sur des évidences ?

« Toute science est une connaissance certaine et évidente. »

« Ne recevoir aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle. »

La vérité est évidence, nous dit Descartes… La science actuelle ne lui donne pas du tout raison : la physique contemporaine est contraire à l’évidence… La science est très loin de l’évidence. Quant à la connaissance sure, c’est un objectif faux. On peut sans cesse revenir sur ce que l’on a cru en sciences….

Descartes propose de se fonder sur le bon sens car « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée. » Dommage ! Le commencement de la science consiste à remarquer que le « bon sens » est un sens très mauvais…

« L’erreur, c’est seulement un défaut. » Eh non ! L’erreur, c’est le moyen même de la progression de la science…

Le modèle mécaniste de l’animal selon Descartes est faux.

lire ici

Le raisonnement cartésien démarrant des définitions, lemmes, propositions et théorèmes n’a pas gagné l’ensemble des sciences

« C’est pourquoi en plus de l’intuition, nous avons ajouté un autre mode de connaissance qui se fait par déduction : nous entendons par là tout ce qui se conclut nécessairement de certaines autres choses conclues avec certitude. Il a fallu procéder ainsi parce que la plupart des choses sont l’objet d’une connaissance certaine, tout en n’étant pas par elles-mêmes évidences : il suffit qu’elles soient déduites à partir de ces principes déjà connus, par un mouvement continu et ininterrompu de la pensée qui prend de chaque chose une intuition claire : ce n’est pas autrement que nous savons que les derniers anneaux de quelque longue chaîne est rattaché aux premiers, même si nous ne voyons pas d’un seul et même coup d’œil, les anneaux intermédiaires… »

Le bon sens

Pour Descartes, la raison humaine, c’est le bon sens :

"La puissance de bien juger, de distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens, ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes."

René Descartes dans le "Discours de la méthode"

Une démarche réductionniste

Ce que propose Descartes est une démarche réductionniste analytique : réduire le tout à ses parties, pour mieux le comprendre. Il s’agit de "diviser chacune des difficultés en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour le mieux connaître simplement". D’autre part, il développe l’idée que le tout est réellement la somme de ses parties. La science moderne adopte l’émergence contre le réductionnisme

Inséparables des parties, il y a les interactions entre les parties. Inséparables du corps, il y a l’interaction avec l’extérieur.

Le séparation corps/esprit

Le dualisme affirme la scission radicale entre deux domaines, esprit et matière, âme et corps.

On a d’un côté le domaine du purement spirituel, étranger à l’espace, indivisible : c’est l’intériorité pure. De l’autre, ce qui est purement géométrique et mécanique, le corps, fragment d’étendue, indéfiniment divisible ; domaine de l’extériorité. (Modèle d’intelligibilité des êtres physiques : l’automate, système de poulies et de ressorts) : ie, les mouvements du corps peuvent s’expliquer de manière purement mécanique La pensée est entièrement libre par rapport à la matière et inversement : les processus matériels peuvent se produire indépendamment de la pensée, et vice-versa. Possibilité d’un fonctionnement complet de l’âme et/ou du corps, indépendamment de l’autre.

Mais le dualisme est en fait quelque chose de plus complexe qu’il ne le paraît au premier abord, puisque s’il est l’affirmation d’une scission entre deux grands domaines de la réalité, il est aussi l’affirmation d’une certaine union entre deux parties de ces genres de réalités : le corps et l’âme dans l’homme.Descartes est en effet obligé de rendre compte de l’union "vécue" entre l’âme et corps (cf. ; sentiments, passions, etc.).

Le « je pense donc je suis » de Descartes est une profession de fois dualiste, c’est-à-dire qu’elle oppose diamétralement matière et esprit et place également l’esprit au-dessus de la matière. Ensuite, c’est à chacun d’estimer quelle philosophie il estime devoir choisir… Cependant, il faut en tirer toutes les conséquences. Pensons-nous que la lune n’existe que parce que nous la regardons ? Et l’Univers n’existait-il pas avant que l’homme ne puisse l’observer ?

La gravité de l’erreur du dualisme corps/esprit ne peut être sous-estimée, comme l’a souligné le neuroscientifique Antonio R. Damasio dans « L’erreur de Descartes » : « Comme vous l’avez vu, j’ai combattu dans ce livre à la fois la conception dualiste de Descartes selon laquelle l’esprit est distinct du cerveau et du corps et ses variantes modernes. Selon l’une de ces dernières, il existe bien un rapport entre l’esprit et le cerveau, mais seulement dans le sens où l’esprit est une espèce de programme informatique pouvant être mis en œuvre dans une sorte d’ordinateur appelé cerveau (…) Quelle a donc été l’erreur de Descartes ? (…) On pourrait commencer par lui reprocher d’avoir poussé les biologistes à adopter – et ceci est encore vrai à notre époque – les mécanismes d’horlogerie comme modèle explicatif pour les processus biologiques. Mais peut-être cela ne serait-il pas tout à fait équitable ; aussi vaut-il mieux se tourner vers le « Je pense, donc je suis ». (…) Prise à la lettre, cette formule illustre précisément le contraire de ce que je crois être la vérité concernant l’origine de l’esprit et les rapports entre esprit et corps. Elle suggère que penser, et la conscience de penser, sont les fondements réels de l’être. Et, puisque nous savons que Descartes estimait que la pensée était une activité complètement séparée du corps, sa formule consacre la séparation de l’esprit, la « chose pensante », et du corps non pensant qui est caractérisé par son « étendue » et des organes mécaniques. (…) A mes yeux, le fait d’exister a précédé celui de penser. Ceci est d’ailleurs vrai pour chacun de nous : tandis que nous venons au monde et nous développons, nous commençons par exister et, seulement plus tard, nous pensons. (…) C’est là qu’est l’erreur de Descartes. Il a instauré une séparation catégorique entre le corps, fait de matière, doté de dimensions, mû par des mécanismes, d’un côté, et l’esprit, non matériel, sans dimensions et exempt de tout mécanisme, de l’autre. (…) Et spécifiquement, il a posé que les opérations de l’esprit les plus délicates n’avaient rien à voir avec l’organisation et le fonctionnement d’un organisme biologique. (…) Dans le problème de l’esprit, du corps et du cerveau, l’erreur de Descartes continue à exercer une grande influence. (…) En fait, si l’on peut considérer l’esprit séparément du corps, on peut peut-être même essayer de le comprendre sans faire appel à la neurobiologie, sans avoir besoin de tenir compte des connaissances de neuro-anatomie, de neurophysiologie et de neurochimie. (…) On peut aussi voir un certain dualisme cartésien (posant une séparation entre le cerveau et le corps) dans l’attitude des spécialistes des neurosciences qui pensent que les processus mentaux peuvent être expliqués seulement en termes de phénomènes cérébraux, en laissant de côté le reste de l’organisme, ainsi que l’environnement physique et social (…) L’idée d’un esprit séparé du corps a semble-t-il également orienté la façon dont la médecine occidentale s’est attaquée à l’étude et au traitement des maladies. (…) Le phénomène mental n’a guère préoccupé la médecine classique et, en fait, n’a pas constitué un centre d’intérêt prioritaire pour la spécialité médicale consacrée à l’étude des maladies du cerveau : la neurologie. (…) Depuis trois siècles, le but des études biologiques et médicales est de comprendre la physiologie et la pathologie du corps proprement dit. L’esprit a été mis de côté, pour être surtout pris en compte par la philosophie et la religion, et même après qu’il est devenu l’objet d’une discipline spécifique, la psychologie, il n’a commencé à être envisagé en biologie et en médecine que récemment. (…) La conséquence de tout cela a été l’amoindrissement de la notion d’homme telle qu’elle est prise en compte par la médecine dans le cadre de son travail. Il ne faut pas s’étonner que l’impact des maladies du corps sur la psychologie ne soit considéré que de façon annexe ou pas du tout. (…) On commence enfin à accepter l’idée que les troubles psychologiques, graves ou légers, peuvent déterminer des maladies du corps proprement dit (…) La mise à l’écart des phénomènes mentaux par la biologie et la médecine occidentales, par suite d’une vision cartésienne de l’homme, a entraîné deux grandes conséquences négatives. La première concerne le domaine de la science. La tentative de comprendre le fonctionnement mental en termes biologiques généraux a été retardée de plusieurs décennies, et il faut honnêtement reconnaître qu’elle a à peine commencé. Mieux vaut tard que jamais, bien sûr, mais cela veut dire tout de même que les problèmes humains n’ont jusqu’ici pas pu bénéficier des lumières qu’aurait pu leur apporter une compréhension profonde de la biologie des processus mentaux. La seconde conséquence négative concerne le diagnostic et le traitement efficace des maladies humaines. (…) Une conception faussée de l’organisme humain, combinée à l’inflation des connaissances et à une tendance accrue à la spécialisation, concourent à diminuer la qualité de la médecine actuelle plutôt qu’à l’augmenter. "

Le philosophe des sciences Karl Popper, auquel bien des scientifiques accordent une importance imméritée, a théorise l’existence de plusieurs mondes, ce qui justifierait, selon lui, une séparation entre corps et esprit. Il écrit ainsi dans « La connaissance objective » : « Je propose donc, comme Descartes, l’adoption d’un point de vue dualiste bien que je ne préconise pas bien entendu de parler de deux sortes de substances en interaction. Mais je crois qu’il est utile et légitime de distinguer deux sortes d’états (ou d’événements) en interaction : des états physico-chimiques et des états mentaux. » Le neurologue John Eccles, collaborateur de Karl Popper, théorise la même séparation cerveau/conscience dans « Comment la conscience contrôle le cerveau » : « Le présent ouvrage a pour objectif de défier et de nier le matérialisme afin de réaffirmer la domination de l’être spirituel sur le cerveau. (...) Cette conclusion a une portée théologique inestimable. Elle renforce puissamment notre foi en une âme humaine d’origine divine. Cela va dans le sens d’un dieu transcendant, créateur de l’univers. Il rappelle un autre livre que j’écrivis en compagnie de Popper : « La Conscience et son cerveau » (1977). (...) La transmission synaptique chimique constitue donc le fondement de notre monde conscient et de sa créativité transcendantale. »

La logique cartésienne

La pensée syllogistique – méthode déductive et abstraite – est propre à la tradition française, en particulier depuis Descartes. La tradition anglaise, très influencée par l’empirisme, était complètement différente. D’Angleterre, l’école de pensée empirique fut très tôt importée aux Etats-Unis, où elle s’est profondément enracinée. Ainsi, le mode de pensée formel et déductif n’était pas du tout caractéristique de la tradition intellectuelle du monde anglo-américain. « Au contraire », écrivait Trotsky, « on peut dire que cette [école de] pensée se distinguait par le mépris de l’empirisme souverain à l’égard du pur syllogisme, ce qui n’empêcha pas les Anglais de réaliser des conquêtes colossales dans de nombreux domaines de la recherche scientifique. Si l’on y réfléchit correctement, il est impossible de ne pas en arriver à la conclusion que ce rejet empirique du syllogisme est une forme primitive de la pensée dialectique. » Historiquement, l’empirisme a joué à la fois un rôle progressiste (en luttant contre la religion et le dogmatisme médiéval) et un rôle négatif (dans son interprétation très étroite du matérialisme et sa réticence vis à vis des généralisations théoriques). La fameuse thèse de Locke selon laquelle il n’y a rien dans l’intellect qui ne provienne de l’expérience contient les germes d’une idée profondément correcte. Mais présentée de façon unilatérale, elle pouvait avoir – et eut effectivement – des conséquences néfastes sur le développement de la philosophie. Peu avant son assassinat, Trotsky écrivait à ce sujet : « " Nous ne connaissons du monde que ce qui nous est donné par l’expérience. " Cette idée est correcte à condition de ne pas comprendre par " expérience " le témoignage direct de nos cinq sens. Si l’on réduit la question à l’expérience dans son sens étroitement empirique, alors il nous est impossible de parvenir à un quelconque jugement sur l’origine des espèces, et encore moins sur la formation de la croûte terrestre. Dire que l’expérience est à la base de tout, c’est en dire trop ou ne rien dire du tout. L’expérience est la relation active entre le sujet et l’objet. Analyser l’expérience en dehors de ce cadre – c’est-à-dire en dehors de l’environnement matériel objectif du chercheur, environnement dont il est distinct mais dont cependant, d’un autre point de vue, il fait partie intégrante – reviendrait à dissoudre l’expérience dans une unité informe où il n’y a ni sujet, ni objet, mais seulement la formule mystique de l’expérience. Une " expérimentation " ou une " expérience " de ce type ne vaut que pour le bébé dans le ventre de sa mère – mais le bébé est malheureusement privé de l’opportunité de partager les conclusions scientifiques de son expérience. »


La continuité mathématique

Descartes épousait l’objectif de ramener la nature à une mathématique et, pour y parvenir, de choisir une mathématique du continu, ramenant la courbe à une droite (sans discontinuité) courbée : « Que tous les points (des courbes) qu’on peut nommer géométriquement (...) ont nécessairement quelque rapport à tous les points d’une ligne droite (...) » écrivait-il dans « Géométrie ».

Diderot écrit dans "Entretien entre Diderot et D’Alembert" : "Je t’ai dit, jeune homme, que « les qualités, telles que l’attraction, se propageaient à l’infini, lorsque rien ne limitait la sphère de leur action ». On t’objectera « que j’aurais même pu dire « qu’elles se propageaient uniformément ». On ajoutera peut-être qu’on ne conçoit guère comment une qualité s’exerce « à distance », sans aucun intermède ; mais qu’il n’y a point d’absurdités et qu’il n’y en eut jamais, ou que c’en est une de prétendre qu’elle s’exerce dans le vide diversement, à différentes distances ; qu’alors on n’aperçoit rien soit au-dedans soit au-dehors d’une portion de matière, qui soit capable de faire varier son action ; que Descartes, Newton, les philosophes anciens et modernes ont tous supposé qu’un corps animé dans le vide de la quantité de mouvement la plus petite irait à l’infini, uniformément, en ligne droite, que la distance n’est donc par elle-même ni un obstacle ni un véhicule ; que toute qualité dont l’action varie selon une raison quelconque inverse ou directe de la distance ramène nécessairement au plein et à la philosophie corpusculaire ; et que la supposition du vide et celle de la variabilité de l’action d’une cause sont deux suppositions contradictoires. » Si l’on te propose ces difficultés, je te conseille d’en aller chercher la réponse chez quelque newtonien ; car je t’avoue que j’ignore comment on les résout."

Les infinitésimaux

On a longtemps cru que la méthode ordinaire de calcul différentiel devait réaliser en physique l’idée de Descartes. On allait décomposer l’objet à étudier en des parties très petites pour faire en sorte que chacune de ces parties tende vers zéro. L’espoir était de rendre simple l’objet considéré à partir de ses éléments extrêmement simples et où rien ne bougeait ; il n’y avait plus ensuite qu’à intégrer sur tout l’objet de manière à obtenir ses propriétés globales. Dans la réalité, ça ne marche pas ainsi, car, quand on observe les sous-parties de plus en plus petites d’un objet, on voit apparaître des choses constamment nouvelles. On peut très bien avoir des objets plus compliqués vers les petites échelles que vers les grandes, ce qui prouve que l’identification « naïve » de la méthode cartésienne au calcul différentiel ne marche pas. Un objet, comme l’électron, vu classiquement comme un simple point, devient compliqué vers les petites échelles : il émet des photons, les réabsorbe, ces photons deviennent eux-mêmes des paires électrons-positons, etc… A l’intérieur de l’électron, il y a une espèce de foisonnement de particules virtuelles qu’on ne voit pas à grande échelle. (...) Un électron est objet élémentaire qui contient toutes les particules élémentaires existantes. (...) Donc, on ne va pas se contenter d’observer des déplacements dans l’espace et le temps comme dans la physique ordinaire, on va également observer les déplacements dans les changements d’échelle (...). »

Dans son article intitulé « Expérience et Méthode » de l’ouvrage collectif « La philosophie des sciences aujourd’hui », Antoine Danchin, mathématicien devenu généticien, remarque à ce sujet : « On sait qu’il est habituel de représenter les points d’un segment par des nombres qu’on appelle les nombres réels. Et il est habituel de considérer que la structure de l’ensemble de ces nombres est identique à la structure réelle des choses. Les formes géométriques seront donc dérivées des particularités de cet ensemble et l’étude du continu sous-jacent au réel (matériel) se fait au moyen de ces réels (mathématiques) (...). La très belle théorie des catastrophes est un exemple particulier où l’étude du continu et de ses déformations amène Thom à faire toutes sortes de projections sur notre monde et à affirmer (...) qu’il existe des « formes » arbitraires dont la force attractive s’impose au réel et explique les formes que nous observons dans la réalité du monde. (...) » Et il explique que ce passage du continu au discontinu –mathématique- , la « catastrophe », suppose un ensemble des nombres réels qui soit continu. Il rappelle alors comment a été construit cet ensemble des nombres dits « réels » : « Après les entiers naturels, on a construit un ensemble beaucoup plus continu, celui des nombres rationnels. Il a fallu rapidement compléter cet ensemble, encore trop discontinu, pour en faire l’ensemble des réels. Là, chaque point d’un segment semble être représenté. Le nombre de ces points est infini mais d’un infini beaucoup plus « grand » que celui des nombres rationnels (...) Mais je suis d’accord avec Thom pour privilégier le continu – il me semble que cet ensemble des réels est encore trop discontinu et bien incomplet - . Chaque point y est en certain sens isolé, et manque d’une certaine « épaisseur » qui le relierait immanquablement à ses voisins : c’est ce qui explique deux paradoxes issus de la mathématique du continu (utilisant les nombre réels), à savoir l’apparition de « singularités » dans certaines circonstances, et surtout l’improbabilité de traiter directement d’intégrales comme celle de la mesure de Dirac (...). C’était aussi, me semble-t-il l’intuition de Leibniz lorsqu’il parlait des infiniment petits : il y aura un nouveau corps (« surréels » ?) qui rendra sérieusement compte de la réalité continue des choses, dans l’avenir mathématique… »

L’homme et l’animal

Diderot écrit dans "Entretien entre Diderot et D’Alembert" : "Cet animal se meut, s´agite, crie ; j´entends ses cris à travers la coque ; il se couvre de duvet ; il voit ; la pesanteur de sa tête, qui oscille, porte sans cesse son bec contre la paroi intérieure de sa prison ; la voilà brisée ; il en sort, il marche, il vole, il s´irrite, il fuit, il approche, il se plaint, il souffre, il aime, il désire, il jouit ; il a toutes vos affections ; toutes vos actions, il les fait. Prétendrez-vous, avec Descartes, que c´est une pure machine imitative ?"

Car Descartes considère que l’animal n’a rien de commun avec l’homme !

Le but philosophique de Descartes ; défendre la religion malgré le progrès inévitable des sciences...

Au moment où arrive Descartes, le système d’Aristote s’est effondré. Il existe une science nouvelle qui se constitue mais qui n’a plus de philosophie. En effet, la science nouvelle issue de l’astronomie et de la physique naissante, est le mécanisme et, si l’esprit du temps est favorable à cette science nouvelle, cela n’a d’égal que son préjugé défavorable envers l’ancienne métaphysique qu’on associe à l’ancienne science. Les scientifiques tendent à refuser la philosophie et à faire des sciences des disciplines autonomes sans corrélation philosophique.
Dans le même temps, le catholicisme est déchiré par la réforme et le libertinage s’installe. On discute les dogmes, les miracles et même la foi. Or le libertinage qui détruit la religion réjouit la science qui s’oppose justement à la scolastique (c’est-à-dire à cette synthèse de christianisme et d’aristotélisme qu’était la religion de l’époque).
D’où une mêlée absurde aux yeux de Descartes : l’alliance de la religion qu’il considère comme vraie et la scolastique (c’est-à-dire la doctrine d’Aristote) qui est fausse d’une part, et l’alliance de l’irréligion qui est fausse à ses yeux et de la physique qui est vraie d’autre part. Pire, le mécanisme critiquant la scolastique risque d’atteindre la religion et la religion, en couvrant la scolastique, risque d’entraver le mécanisme. On risque de perdre sur les deux tableaux.
Descartes, dès lors, veut dissocier le destin de la scolastique et celui de la religion pour réconcilier la religion et la science. Tel est son projet.

La philosophie de Descartes

Messages

  • Pourquoi Hegel a-t-il écrit que Descartes est un héros de la pensée ?

  • La métaphysique prime sur la physique pensait Hegel comme Descartes, mais Hegel avait un sens de la dynamique des idées comme de celle de la matière que Descartes n’avait nullement...

  • Dans Platon, Descartes ne rejette pas la métaphysique mais la dialectique : " C’est la dialectique, puisqu’elle nous enseigne à traiter de toutes choses, plutôt que la logique qui donne des démonstrations de toutes choses. Elle ruine ainsi le bon sens plus qu’elle ne le constitue, car tandis qu’elle nous détourne et nous égare dans ces lieux communs et ces divisions qui sont extérieures au réel."

    Citons seulement une affirmation dialectique de Hegel, pour comparer :

    "Le développement de la contradiction... est le retournement de la nécessité en contingence et inversement." Hegel dans sa philosophie du droit !!!!

  • "C’est une abstraction vide de vouloir éviter d’aboutir à des contradictions. (...) De semblables contradictions ne se rencontrent pas seulement en philosophie, mais partout. (...) On dit que l’un exclut l’autre ; Nous considérons les déterminations diverses comme s’excluant réciproquement (... ) Or, la vérité c’est l’unité des antinomies. (...) Le divers doit être considéré comme en mouvement."

    Hegel

    dans "Leçons d’histoire de la philosophie"

    Voilà ce qu’écrit Hegel et que Descartes aurait été loin d’imaginer...

  • La physique de Descartes exposée dans le Monde (1633) :

    « Et mon dessein n’est pas d’expliquer […] les choses qui sont en effet dans le vrai monde ; mais seulement d’en feindre un à plaisir, dans lequel il n’y ait rien que les plus grossiers esprits ne soient capables de concevoir, et qui puisse toutefois être créé tout de même que je l’aurai feint. »

    (Le Monde, AT, XI, 36).

  • S’opposant à Descartes, Spinoza écrit dans son « Traité théologico-politique » :

    « Chercher la sagesse et la connaissance des choses dans les livres des prophètes, c’est donc s’écarter entièrement de la voie directe… Les prophètes ont différé non seulement par l’imagination et le tempérament corporel propre à chacun d’eux, mais aussi par les opinions dont ils étaient imbus ; par suite, la prophétie n’a jamais fait que les prophètes eussent plus de science… La révélation différait pour chaque prophète suivant la disposition de son tempérament, de son imagination et en rapport avec ses opinions antérieures. »

  • Descartes : je pense donc je suis. J’existe parce que ma pensée reconnaît que j’existe, moi ! Je ne suis pas parce que je sens matériellement mon existence… Les animaux, eux, ne pensent pas et… alors ? Ils n’existent pas ?!!! Non, ils existent parce qu’une pensée supérieure les a pensés : dieu !! Comme tout cela est moche… On pourrait penser que Descartes développe un idéalisme puisque la matière est dépendante de l’esprit mais ce n’est même pas le cas : il est dualiste et considère matière et esprit comme deux mondes !!! Cela n’a rien à voir avec les origines de la pensée scientifique !!! Le dualisme homme/univers et matière/esprit n’a rien à voir avec la science !

  • Y a-t-il un texte qui montre toute la limite du « cogito » de Descartes ?

  • Citons « Méditations métaphysiques » qui développe l’ontologie métaphysique de Descartes :

    « Moi donc à tout le moins ne suis-je capable de les produire (ces pensées sur le monde et sur l’existence de dieu- NDLR) de moi-même. Moi donc à tout le moins ne suis-je pas quelque chose ? Mais j’ai déjà nié que j’eusse aucun sens ni aucun corps. J’hésite néanmoins, car que s’ensuit-il de là ? Suis-je tellement dépendant du corps et des sens, que je ne puisse être sans eux ? Mais je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni aucun corps ; ne me suis-je donc pas aussi persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qu’il emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit. »

    Descartes choisit comme « objet » d’étude lui-même en tant qu’homme conscient et il pose la question de l’existence à cet homme-là. Et il répond par une pensée circulaire : c’est ma conscience du fait que j’existe qui est ma seule preuve que j’existe. Il en conclue que le « je » n’existant que parce que nous en sommes conscients, le reste du monde n’existe aussi que parce que nous en sommes conscients.

    Il dit en somme supposons que je n’existe pas et tentons de nous interroger sur nous-même. Je n’existe pas, aucun de mes sens ne peut rien me dire sur mon existence matérielle et il ne reste donc que ma conscience, considérée comme purement spirituelle par Descartes, et elle me dit que j’existe !!!

  • A comparer au déterminisme scientifique de Spinoza :

    « Toute chose particulière, autrement dit toute chose qui est finie et possède une existence déterminée, ne peut exister ni être déterminée à produire un effet, si elle n’est déterminée à exister et à produire un effet par une autre cause, qui est finie aussi et possède une existence déterminée ; et à son tour cette cause ne peut de même exister ni être déterminée à produire un effet, si elle n’est déterminée à exister et à produire un effet par une autre, qui est finie aussi et possède une existence déterminée et ainsi à l’infini. »

    Spinoza dans « Ethique »

    Il écrit encore :

    « Rien non plus de particulier ne peut exister par la seule force de son être car chaque être existant a besoin d’une infinité de choses extérieures à lui. »

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