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"L’Ordre et la Morale", la version Kassovitz du massacre de la grotte d’Ouvéa en Nouvelle Calédonie, un film sur un crime colonial

lundi 14 novembre 2011, par Robert Paris

Sur une stèle, en Nouvelle Calédonie, on peut lire : "Éloi Machoro, combattant de la liberté, victime de l’ordre colonial d’État français, martyr noir, assassiné le 12 janvier 1985".

Tous les leaders kanaks pouvant gêner l’exploitation du nickel calédonien par la France ont été éliminés...

"L’Ordre et la Morale", la version Kassovitz d’un crime colonial

C’est sur ordre commun de Chirac et Mitterrand, par la volonté de l’impérialisme français, qu’a été commis le crime colonial d’Ouvéa pour supprimer les nationalistes kanaks. Même s’il révèle certains faits réels, le film de Kassovitz présente les faits comme un dénouement contraire au but des forces armées, comme si elles n’avaient pas été envoyées pour tuer… Le film est cependant dénoncé par les défenseurs de l’impérialisme.

Pour souligner que le point de vue de Kassovitz n’est pas en défaveur des forces de répression, citons le : « Le GIGN est un groupement qui est respecté dans le monde entier car son éthique est que toute mort d’homme, dans ses rangs et dans ceux de ses adversaires, est un échec. Son travail est de négocier et de trouver une solution à des conflits sans qu’il y ait d’effusion de sang, tout en étant prêt à agir dans la violence si nécessaire. »

Mathieu Kassovitz quand il parle de son personnage principal, le responsable du GIGN :

« J’avais une image très romanesque de Philippe Legorjus, quelqu’un qui avait un vrai conflit à trahir la personne en qui il avait confiance. En fait, je suis tombé sur un animal à sang froid, un professionnel. »

Eh oui ! L’Etat a ses professionels, même pour éliminer ses ennemis...

Le but du film de Kassovitz est la réconciliation... entre les victimes et les assassins ! Ce n’est pas notre but !!!

Ce n’est pas non plus celui des assassins qui ont fait interdire le film en Nouvelle Calédonie...

Les conciliateurs sont aussi ceux des nationalistes qui ont trahi les victimes de la grotte d’Ouvéa....

Il importe de souligner que l’Etat français a choisi de supprimer de manière très précise les dirigeants indépendantistes radicaux au sein du mouvement nationaliste en mouillant à ses côtés les nationalistes les plus modérés. Il convient de rappeler que la gauche revenue au pouvoir juste après le massacre l’a soutenu et couvert, notamment par la voix de son ministre Chevènement...

Jean-Pierre Chevènement, ministre de la Défense du gouvernement Rocard prétend « qu’aucun élément de l’enquête ne fait apparaître qu’il y a eu des exécutions sommaires ». Pourtant, on cite le cas de Wenceslas Lavelloi retrouvé mort d’une balle dans la tête et dont plusieurs témoignages confirment qu’il était encore vivant après la fin de l’assaut ; le cas d’Alphonse Dianou, chef du commando, blessé d’une balle au genou, laissé plusieurs heures sans soins et qui devait finalement décéder ; le cas de Patrick Amossa Waina, un « porteur de thé » de 18 ans qui ne faisait pas partie des preneurs d’otages, retrouvé mort d’une balle dans la tête alors qu’il était vivant à la fin de l’assaut ; de Martin Haiwe qui tentait de s’enfuir avant l’attaque et de Samuel Wamo. Le légiste ayant pratiqué les autopsies constatera également un nombre anormalement élevé de victimes tuées d’une balle dans la tête : douze sur 19 ont en plus de multiples blessures reçu une balle dans la tête.

Michel Rocard a déclaré lors d’une émission sur France Culture :
« Il y a eu des blessés kanaks et deux de ces blessés ont été achevés à coups de bottes par des militaires français, dont un officier. » Le gouvernement de Michel Rocard entame des discussions rapidement et boucle le dossier politique le 26 juin 1988, par la signature des accords de Matignon. Lesquels contiennent une loi d’amnistie qui s’applique à tous les faits de cette affaire. Fin de l’enquête.


LES FAITS

Le 18 novembre 1984, suite à la formation du FLNKS en remplacement du Front indépendantiste et à l’appel au boycott des institutions et des élections par Jean-Marie Tjibaou, il fracasse une urne d’un coup de hache et dénonce ainsi le système électoral qui selon lui avantagerait les anti-indépendantistes. Le 1er décembre 1984, Jean-Marie Tjibaou forme un gouvernement provisoire de la République socialiste de Kanaky, et Éloi Machoro en devient le ministre de la Sécurité et donc le véritable chef de guerre des indépendantistes.

Il désarme ensuite les gendarmes de Thio et prend le contrôle du village. Les habitants de Thio rapportèrent des humiliations subies pendant le siège : des pressions psychologiques, maltraitance physiques ainsi que des viols. Elles furent révélées sous l’anonymat des victimes mais restent encore à prouver juridiquement. Beaucoup de personnes craignaient des exactions violentes s’ils se prononçaient contre les indépendantistes. Les immigrants d’origine wallisienne et tahitienne ainsi que les mélanésiens non-indépendantistes étaient particulièrement vulnérables. Le seul décès mentionné est celui du boucher de Thio, qui se noya en tentant de s’échapper par la rivière. Après la fin du siège, le 12 décembre 1984, une vague de réfugiés fut évacuée vers Nouméa.

Le 11 janvier 1985, Yves Tual, fils d’un éleveur européen, est tué par des Mélanésiens. Cet évènement déclenche à Nouméa une émeute nocturne. Le lendemain, le 12 janvier, la gendarmerie déclenche une opération pour libérer la maison d’un Européen occupé par des militants indépendantistes emmenés par Éloi Machoro près de Canala. Les occupants s’enfuient, et se réfugient dans une autre demeure, de laquelle la gendarmerie finira par donner l’assaut après plusieurs sommations. Éloi Machoro et un autre Kanak Marcel Nonnaro sont tués pendant l’assaut. La gendarmerie laisse Machoro agoniser durant de longues heures sans lui porter secours, alors qu’il a été abattu à distance par un tireur d’élite. Daniel Cerdan, ancien membre du GIGN, apporte son témoignage sur la « neutralisation » d’Eloi Machoro.

130 militaires de l’armée française prirent part à l’OPERATION VICTOR, sous les ordres du général VIDAL.

Le commando d’assaut était composé de 75 hommes dont :

- 34 parachutistes du 11ème CHOC
- 16 du commando HUBERT
- 14 du G.I.G.N.
- 11 de l’E.P.I.G.N.

Ce commando d’assaut était placé sous les ordres du lieutenant-colonel DOUCET, en face de nationalistes kanaks civils.

Inutile de préciser que les membres de ce commando étaient des hommes d’élites de l’armée française, armée française utilisée dans une opération de police dans un territoire d’outre-mer français...

C’était vraiment une première dans les annales de la cinquième république française !

Le 05 mai 1988, date des deux assauts successifs de la grotte de GOSSANAH les personnes ci-dessous occupaient les fonctions suivantes :

FRANÇOIS MITTERAND président de la république.

JACQUES CHIRAC premier ministre jusqu’au 10 mai 1988.

ALBIN CHALANDON ministre de la justice jusqu’au 12 mai 1988.

CHARLES PASQUA ministre de l’intérieur jusqu’au 12 mai 1988.

CLEMENT BOUHIN haut-commissaire de la république en NOUVELLE-CALEDONIE.

Il est à noter les dates importantes suivantes :

22 avril 1988 Attaque de la gendarmerie de FAYAOUE OUVEA.

24 avril 1988 Premier tour des élections présidentielles françaises.

BERNARD PONS arrive en NOUVELLE-CALEDONIE.

28 avril 1988 BERNARD PONS demande la dissolution du F.L.N.K.S.

29 avril 1988 JOSE LAPETITE est abattu dans la région de VOH.

08 mai 1988 Deuxième tour des élections présidentielles françaises.

30 mai 1988 Le nouveau ministre de la justice PIERRE ARPAILLANGE ordonne une information judiciaire contre x dans le cadre de l’affaire d’OUVEA. Le juge d’instruction JOELLE RONDREUX du parquet de NOUMEA est chargé de cette enquête.

Depuis c’est le silence sur les morts survenues après la reddition des nationalistes kanaks.

HISTORIQUE DES EVENEMENTS PRECEDENTS

1953 : l’UC (union calédonienne, créée en 1951) remporte la majorité des sièges au Conseil Général « Colons et autochtones unissez-vous », « l’année du centenaire sera l’année de la libération ». Mouvement d’émancipation sociale réclamant une présence kanak dans les institutions mais ne proposant aucune modification du statut colonial.

 1956 : loi-cadre Defferre, décentralisation des pouvoirs ; l’UC obtient la majorité à l’assemblée territoriale en 1958 ; le Rassemblement Calédonien, formation de la droite coloniale obtient 37 % aux élections de 1958.

 1963 lois Jacquinot : coup d’arrêt donné par le régime gaulliste à l’évolution du statut politique de la Nouvelle-Calédonie et régression de statut en statut 1963, 1969, 1976, 1979...

 Une nouvelle vague de colons vient répondre aux nouveaux besoins de l’économie locale boostée par le boom du nickel des années soixante. Dans le même temps le retour de France des diplômés confrontés au chômage, leur politisation à l’épreuve de mai 68, l’accroissement de la population kanak et la nécessité corollaire d’extension des terres, concourent à la radicalisation de la situation politique.

 Création des Foulards Rouges, arrestation de Niddoish Hnaissilin 2 septembre 1969, apparitions de tract en « langue » (une des 23 langues kanak).

 1970 : création de l’Union Multiraciale (plus tard le FULK) considérée comme le premier parti créé par des kanak ; apparition du groupe 1878 dont la revendication principale porte sur la récupération des terres spoliées par les colons.

Les années soixante-dix

Elles marquent le passage de la revendication d’autonomie à celle d’indépendance :

 D’une part, le courant indépendantiste avec les foulards rouges et le Groupe 1978 se regroupent pour former le Palika (Parti de la libération kanak) en 1976.

 D’autre part en 1975 les divers courants autonomistes constituent avec les foulards rouges un comité de coordination pour l’indépendance kanak dont l’existence sera éphémère.

Le Palika représentera alors l’organisation la plus radicale du mouvement indépendantiste basant sa revendication foncière sur la redistribution à la collectivité des terres récupérées (par opposition à l’appropriation privée des parcelles). Il envisage « l’indépendance kanak populaire et révolutionnaire »

Parallèlement l’UC dont la plupart des adhérents européens se détache, se transforme en une organisation nationale kanak et se dirige progressivement vers la revendication indépendantiste pour laquelle elle se prononcera en 1978.

Durant cette période le Palika se trouvera à la pointe des mobilisations en particulier en 1978 dans la grève des ouvriers de la SLN (société le Nickel, plus de 3 000 employés à l’époque) qui durera 51 jours à l’issue de laquelle un comité de réflexion a été installé pour introduire le débat politique anticolonialiste sur le terrain syndical, en particulier à l’USOENC, principal syndicat, affilié à la CFDT.

Du FI au FLNKS

En 1981, à son arrivée au pouvoir, le PS tente d’appliquer le plan Dijoud de réforme foncière héritée du précédent gouvernement pour désamorcer les tensions qui se font sentir : les occupations des terres se multiplient et les attributions de terres se font dans le cadre des principes coutumiers .

Le PS et le PC revoient à la baisse le principe de la reconnaissance du droit à l’autodétermination inscrite dans le programme d’union de la gauche, se repliant sur une autonomie transitoire.

Sur le plan institutionnel, une alliance FI-FNSC (centriste) met en minorité le RPCR et constitue un gouvernement auquel participent 4 indépendantistes.

Les ministres des DOM-TOM se succèdent, Lemoine remplace Emmanuelli ; les statuts se succèdent : Pisani, Lemoine,...mais ils ne tiennent pas compte du « droit inné et actif à l’indépendance du peuple kanak » inscrit dans la déclaration de Nainville les Roches »

 1980 : création du Comité de revendication des terres de la côte ouest.

 1981 : assassinat de Pierre Declercq, secrétaire général de l’UC et création du STKE devenu USTKE Union des syndicats des travailleurs kanak et des exploités l’année suivante.

 Septembre 1984 : Congrès constitutif du FLNKS, boycott actif des élections territoriales, qui s’accompagne de barrages, occupations de terres, manifestations, et conduit avec Eloi Machoro au siège de Thio, village minier de la côte Ouest.

Le même mois, création du gouvernement provisoire de Kanaky.

 1985 : plan Pisani d’indépendance-association Assassinat le 12 janvier d’Eloi Machoro et de Marcel Nonnaro par les gendarmes français sur ordre de Matignon, en accord avec Mitterand.

 1987 : Boycott du référendum.

 août 1987, le FLNKS qui a opté pour la non-violence, voit son sit-in pacifique matraqué violemment de manière impressionnante...

 Avril 1988 : A Ouvéa, attaque de la gendarmerie dans le cadre d’une action décidée sur tout le territoire par la direction du FLNKS. Les militants kanaks se réfugient dans la grotte dont Pons et Chirac, avec l’assentiment de Mitterrand, ordonnent l’assaut : 19 kanaks sont assassinés.

 Juin 1988 : accords de Matignon-Oudinot, suivis d’un référendum, qui instituent une autonomie relative et un corps électoral particulier en vue d’un futur referendum sur l’avenir du Territoire.

Ce statut sera revu lors des accords de Nouméa en 1998 accordant un statut de large d’autonomie et de transmission des compétences au territoire repoussant la date du référendum aux calendes grecques.

Le FLNKS, majoritaire dans les provinces Nord et Iles, s’engage dans un processus de cogestion.

En avril 1988, la France a vécu deux ans de cohabitation droite/gauche. En Nouvelle-Calédonie, en 1984, une embuscade est menée à Hienghène dans laquelle 10 indépendantistes sont tués, dont deux frères du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou.

Devant ces événements, le gouvernement décide de tenter de calmer la révolte anti-coloniale en la détournant par l’annonce d’un référendum concernant l’indépendance éventuelle de la Nouvelle-Calédonie ; le 13 septembre 1987, Jacques Chirac étant Premier ministre de la première cohabitation sous la présidence de François Mitterand, a lieu le "référendum Pons" d’autodétermination : le question posée à près de cent cinquante mille habitants de la Grande Terre et des Îles Loyauté (Maré, Lifou et Ouvéa) est la suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à l’indépendance ou demeure au sein de la République française ? ». Si le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) appelle au boycott du scrutin, la participation est de 59 % pour un résultat de 98,3 % de voix favorables au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République Française.

En octobre 1987, un regain de tension se manifeste dans les rangs du FLNKS suite à l’acquittement, par la cour d’assise de Nouméa, des 7 auteurs de l’embuscade menée en 1984. Les indépendantistes manifestèrent leur colère, conspuant le fait que le jury - tiré au sort parmi les citoyens français selon les lois de la République - fût composé exclusivement d’Européens.

Parallèlement, l’élection présidentielle coïncida avec les élections régionales instaurant un nouveau statut pour le territoire, le controversé statut Pons. Le FLNKS, qui à l’époque rassemble la majorité des mouvements indépendantistes, rejette celui-ci et appelle à un « boycott actif » des élections.

Le vendredi 22 avril 1988 au matin, à Fayaoué, sur l’île d’Ouvéa, deux jours avant le premier tour des élections présidentielles, des indépendantistes kanaks et membres du FLNKS, attaquent la gendarmerie, dans le but de l’occuper jusqu’au jour du deuxième tour. L’attaque dégénère et quatre gendarmes sont tués par balles1 et trois indépendantistes blessés2. Les médias de l’époque relayant les propos du premier ministre Jacques Chirac1 annoncent pourtant que les trois gendarmes ont été « massacrés à l’arme blanche », ce qui est contesté par les autopsies et les témoignages des autres gendarmes.

Les 27 autres gendarmes, désarmés, sont pris en otage et séparés en deux groupes. Le premier groupe, mené par Chanel Kapoeri, se rend dans le sud de l’île à Mouli, où les otages sont finalement libérés trois jours plus tard, à la demande des « vieux » et des coutumiers. Le second groupe de 16 otages conduit par Alphonse Dianou est emmené dans une grotte près de la tribu de Gossanah.

L’argent ( du nickel calédonien ) n’a pas d’odeur

Alors qu’un mouvement de décolonisation s’amorce dans les autres colonies françaises au début des années 1960, le processus connaît pour la Nouvelle-Calédonie et les autres territoires français du Pacifique un brutal coup d’arrêt revenant sur l’essentiel des lois cadres : en 1963 le Conseil de Gouvernement est placé sous l’autorité du Gouverneur et en 1968, la loi Billotte retire à l’Assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie l’essentiel de ses pouvoirs, entre autres sur le nickel.

Eh oui ! Le nickel est le but de la colonisation du territoire et la raison pour la France de refuser de s’en retirer !!!

Trop de profit !

Le nickel calédonien, c’est 30% des réserves mondiales...

En France, très peu d’informations, encore moins de recherches, de témoignages, de publications, sur ce pan de nos forfaits coloniaux en Kanaky. Il faut, souvent, recourir à des travaux d’universités australiennes ou néo-zélandaises pour avoir des documents, des analyses. Seul le folklore Kanak est, à présent, célébré par l’administration coloniale… Hors folklore : silence !

Des européens courageux ont essayé de dénoncer, d’entraver, pareils comportements. Ils ont tous été la cible d’attaques et de menaces des milieux colonialistes.

Parmi les plus déterminés, citons le missionnaire protestant Maurice Leenhardt (7), ainsi qu’un de ses élèves, Jean Guiart. Ils n’ont cessé de critiquer l’administration, les milieux colons et l’idée même du colonialisme. Unanimement respectés par le peuple Kanak et dans le Pacifique. Luttant aux côtés des Kanaks, dont l’interdiction de se déplacer librement dans leur propre pays n’a été levée qu’en 1946 …

Deux témoignages :

Le premier, antérieur au soulèvement des années 1980, de Rock Pidjot, une des grandes figures de l’indépendance Kanak :
“… C’est un pays où les autochtones, qui représentent la moitié de la population, sont les seuls à ne pas être propriétaires des terres sur lesquelles ils vivent mais où trois gros propriétaires fonciers possèdent le tiers des terres données en concession lors de la colonisation française (90.000 hectares sur 280.000)…
La Nouvelle-Calédonie attend toujours sa décolonisation. Tous les autres pays du Pacifique sont devenus indépendants ou autonomes : Fidji, Samoa, Tonga, Nauru, Nouvelle Guinée. Il n’y a plus que la France qui conserve, sous de nouvelles dénominations, de véritables colonies…” (8)

Le second, de Marc Coulon :
“… Le 9 mai 1985… des commandos armés, menés par Henri Morini, chef du service d’ordre du RPCR [ancienne émanation de l’UMP local, NdA], ont attaqué un paisible meeting Kanak à Nouméa. Cela n’a pas suffi. Une chasse aux Kanaks s’est amplifiée démesurément, pendant des heures, dans plusieurs quartiers de la ville ; la droite déclenchait la guerre ethnique ou plutôt raciste. L’apartheid ne suffisait pas, il leur faut massacrer…
Les razzias des garde-mobiles [gendarmerie, NdA] dans les tribus (offensives à la grenade, attaques des femmes et des enfants, saccages des cases, destructions des matériels et mobiliers, passage à tabac…) ; les arrestations nombreuses et durables des militants politiques et leur séquestration dans des conditions sans rapport avec aucun discours sur les droits de l’homme, l’espionnage public et privé permanent des activités des leaders… ” (9)

La “gendarmerie”, considérée comme une armée d’occupation, une milice coloniale au service d’intérêts privés, et non pas d’un Etat républicain, démocratique. Honnie, méprisée, vomie, par le peuple Kanak…

Evidemment, cette féroce répression n’a pas pour finalité la préservation de milliers d’hectares ou la production de tonnes de viande pour le bénéfice d’une poignée de colons racistes. Mais, l’appropriation, la spoliation d’une colossale richesse à l’échelle de la planète.

Car, la Kanaky est fabuleusement riche : elle détient, au minimum, le quart des réserves mondiales de Nickel, non comprises celles qui se trouveraient offshore…

Ressource naturelle exploitée dès 1880 par une société constituée à cet effet, Le Nickel, propriété de la famille Rothschild qui en fit à la fin des années soixante la maison-mère de l’ensemble de ses sociétés minières, la locomotive de son pôle minier… (10) Après une multitude de tribulations boursières et juridiques, inévitables changements d’actionnaires et restructurations, cette richesse est actuellement exploitée par le groupe français “Eramet”. Dont le siège se trouve, non pas en Nouvelle-Calédonie, mais dans la Tour Montparnasse, à Paris. (11)

Ce groupe, organisé en plusieurs filiales, revendique ainsi les titres de 6ème producteur mondial de nickel, et 2ème producteur mondial de ferronickel, alliage utilisé dans l’élaboration des aciers inoxydables, et 1er producteur mondial de chlorure de nickel. Le marché des “aciers inoxydables et alliages” représentant 85% de son chiffre d’affaires, en 2010. (12)

Le monde étant petit, il n’est pas inintéressant de noter qu’Eramet dans ses actions de diversification a conclu des accords de partenariat avec le groupe Bolloré qui a affiché ses ambitions dans la construction de la voiture électrique. En février 2009, pour : « … l’extraction et la transformation de lithium pour la fabrication de batteries électriques rechargeables pour l’automobile ». En février 2010, pour : « … l’exploration assortie d’une option d’achat portant sur des gisements de lithium avec la société argentine Minera Santa Rita ». (13)

Les opérations d’extraction du minerai (garniérites) en Nouvelle-Calédonie, avec 5 centres miniers situés dans le Nord et le Sud de l’Ile, s’effectuent sous couvert d’une filiale qui a pour nom Le Nickel-SLN. Avec une usine de transformation du minerai en ferronickel dans l’usine métallurgique de Doniambo, à proximité de Nouméa (80%). Le reste (20 %) est transformé en France, à la raffinerie de Sandouville, sous forme d’une matte de nickel.

Curieuse configuration que l’actionnariat d’Eramet, suite à une rocambolesque jonglerie qui fait le charme subtil du Libéralisme Economique : aux côtés d’actionnaires et “porteurs” d’actions privés, l’Etat français se réserve 27,37 % des actions (dont Areva 26%), la part de la Nouvelle–Calédonie ou Kanaky [les 3 provinces regroupées dans une STCPI] se trouvant réduite à 4,16 %. (14) Autrement dit, la nation Kanak dont le nickel est à la source de la fortune de ce qui est devenu au fil du temps le groupe Eramet, avec ses cascades d’actionnaires et de filiales, doit se satisfaire d’un bol de pois-chiches…

Apartheid et révoltes

La nation Kanak, spoliée de ses terres et ressources naturelles, niée dans son droit à l’autodétermination, marginalisée dans sa représentation aux postes de responsabilité (administration, enseignement, professions libérales, directions d’entreprises, etc.), maintenue dans la pauvreté, la précarité, l’humiliation, refuse de se voir folklorisée dans des “réserves” ou des parcs nationaux pour touristes, de voir sa jeunesse sombrer dans le chômage, l’alcoolisme, la drogue, la délinquance.

Autorisant la puissance coloniale à toutes les répressions et les justifications racistes. La population carcérale est actuellement de 200%, le gouvernement français planifiant, dans sa stratégie visionnaire, la construction de nouveaux centres pénitentiaires et une augmentation des effectifs de police…

Alors, la révolte ne cesse pas et jamais ne cessera face à ce qui est, dans les faits, un abject apartheid destiné à maintenir la suprématie des colons européens.

Un évènement a marqué l’histoire récente, déformé, caricaturé et enseveli par les médias de la désinformation :

Le 5 mai 1988, des troupes spéciales françaises (15) donnent l’assaut à une grotte, dans l’île d’Ouvéa (16), où s’étaient retranchés des indépendantistes Kanaks, avec des gendarmes pris en otages. Point culminant de troubles qui avaient mené le pays au bord d’une guerre civile entre des colons, avec leurs auxiliaires, et des résistants d’origine Kanak. (17)

Les otages sont libérés. Mais les 19 indépendantistes sont tués, plusieurs “… après la prise de la grotte dans des circonstances déshonorantes pour l’armée française (18)”. Michel Rocard, dans une déclaration, dénonce l’assassinat de deux indépendantistes blessés :

“… J’ai honte aussi quand deux militaires ont achevé à coups de crosse deux preneurs d’otage à Ouvéa.”

D’après des témoins, beaucoup plus : sommairement exécutés, ou achevés pour les blessés. Dont Alphonse Dianou, qu’on retrouvera le visage défoncé et les pansements arrachés.

Le 26 juin 1988, sont signés les accords de Matignon, mettant un terme provisoire aux déchirements que vit cette colonie. Accord signé grâce à l’influence modératrice du leader indépendantiste, Jean-Marie Tjibaou (19). Un référendum d’autodétermination est prévu “à partir de 2014”… Ce qui, en fait, ne veut rien dire.

Méconnu en France, où la propagande coloniale censure dans ses médias le discours et la présence d’une telle personnalité, il est considéré dans la région du Pacifique (20), comme une immense figure historique. Par son intelligence, sa sagesse, sa détermination, dans la grande lignée des Gandhi ou des Martin Luther King. De ceux qui ont su redonner la dignité à leur peuple et exiger le respect de leur identité, dans l’humanité à l’égard des autres.

Evidemment… Un an plus tard Jean-Marie Tjibaou est assassiné, avec son adjoint à la direction du parti indépendantiste FLNKS, Yeiwéné. Il s’y attendait.

Plusieurs de ses lieutenants avaient été tués par des snipers de la gendarmerie, Eloi Machoro (21) et Marcel Nannoro, pour ne citer que les plus connus. Deux de ses frères avaient été assassinés, en 1984, avec huit autres Kanaks, dans une embuscade tendue par des colons. Brûlés vifs, encore blessés, dans leurs voitures, criblées de balles. Le tristement célèbre, dans la région Pacifique, massacre d’Hienghène. En dialecte local, Hienghène : “Pleurer en marchant” …

Tous les assassins ont été acquittés pour “légitime défense”, à la suite d’un simulacre de procès, en 1987, analogue à ceux de l’Alabama, de l’Arkansas ou d’autres Etats racistes des USA, du temps de la ségrégation raciale. Tous les membres du Jury étaient des colons, les sinistres “caldoches”, qui ne dépareraient pas dans une assemblée du Ku-Klux-Klan. Il n’y a pas de juge ou d’avocat Kanaks, en Kanaky…

Son pressentiment s’est réalisé le 4 mai 1989. Une balle en pleine tête, tirée par un Kanak, à bout portant, lors d’une commémoration du massacre d’Ouvéa. Comme souvent dans ce genre d’opérations, l’assassin est immédiatement abattu, sans sommation, par un policier présent. Pas d’enquête, pas de procès. Affaire classée…

Le référendum est ainsi repoussé en 2018, par les Accords de Nouméa du 4 mai 1998. Le temps, pour la puissance coloniale, de s’assurer une majorité contre l’indépendance, par un basculement démographique. Schéma classique, que les USA ont pratiqué dans l’archipel d’Hawaii.

Certains hommes politiques français ont le courage d’avoir honte. Ils sont très rares. Combien ont souscrit aux propos de Michel Rocard ? Il avait découvert, il est vrai, le “Dossier Néo-Calédonien” dans tous ses “détails”, en tant que premier ministre lors de la présidence Mitterrand. Choqué, atterré, il s’était démarqué du cynisme colonial par cette volonté de contrition :
“… La France a fait des choses dont j’ai honte. Quand l’armée chassait les tribus de la mer [surnom des Mélanésiens, NdA] à coups de fusil pour faire place aux colons. le grand-père de Jean-Marie Tjibaou a couru comme ça en portant un enfant de quatre ans. A côté de lui, un proche est tombé d’une balle dans le dos…”

Mais, la honte ne change pas grand-chose… L’exploitation, la répression continuent, se perpétuent, dans l’autosatisfaction et l’hypocrisie. Au mépris des principes élémentaires d’une république dite démocratique et civilisée….

Parmi les infamies les plus marquantes de ces dernières années : le 16 janvier 2008. Une manifestation pacifique de militants syndicaux de l’USTKE (Union Syndicale des Travailleurs Kanaks et des Exploités), salariés de l’entreprise de transport en commun Carsud, en conflit avec leur direction (groupe Veolia), est réprimée, avec une violence féroce, par la gendarmerie mobile. (22)

On dénombre 20 blessés, dont cinq grièvement. A cela, s’ajoute arrestations et emprisonnements préventifs, en attente d’un jugement par le tribunal correctionnel de Nouméa. Le 21 avril 2008, ce tribunal rend son jugement : 23 de ces syndicalistes sont condamnés à des peines de prison ferme, allant de 1 mois à 1 an, associées à une privation des droits civiques pendant 3 ans pour les responsable syndicaux…

Dernièrement : le 8 août 2011. Oui, le mois dernier. Gravissime évènement, totalement étouffé dans nos médias, dans le mensonge. L’île de Mare (Nengone en Kanak), à une demie heure de vol de Nouméa, 4 morts et 30 blessés dans un conflit avec la société de transport aérien desservant l’archipel, Aircal (Air Calédonie). Devant une augmentation des tarifs inacceptable pour les insulaires, un collectif des usagers et des travailleurs des îles de Nengone (Mare), Drehu, Iaai, et Kunie, occupe pacifiquement piste et aéroport de l’île.

Une milice patronale, coloniale pour être sociologiquement plus précis, comme il y en a tant en Kanaky, surgit, attaque, mitraille, pour tuer et terroriser. Orgie sanguinaire, d’une implacable cruauté. S’évanouissant dans la nature et provoquant l’envoi aéroporté des forces de l’ordre. En Kanaky, on ne discute pas : on tire dans le tas… Inévitablement, parfaitement rodée, la propagande prend le relais pour désinformer : guerre tribale, règlement de comptes clanique, etc. (23)

Sous-entendu : « Que voulez-vous chez ces sauvages… Ils se complaisent dans le sous-développement… Passant leur temps à se battre entre eux… Heureusement que nous sommes là… »

Ne noyons pas notre tête dans le sable : un massacre organisé de 4 tués et 30 blessés dans une petite île, est l’équivalent de 4.000 tués et 30.000 blessés à la dimension d’un pays. Un crime contre l’humanité. Les responsables, commanditaires, qui organisent, cautionnent, couvrent, l’action de ces milices ou escadrons de la mort, similaires à ceux qui sévissent en Colombie et autres pays d’Amérique latine, méritent le Tribunal de La Haye.

Kanaky : symbole du pillage colonial, de la sauvagerie prédatrice, de la terreur raciste, de l’impunité criminelle.

En visite au Québec, à Montréal en 1967, le général de Gaulle avait eu le courage, l’audace, de crier devant micros et caméras : « Vive le Québec Libre ! ». A Nouméa en vain, j’ai attendu, espéré, rêvé, un même élan chevaleresque, Don Quichotesque. Sarkozy, bras levés, pin de l’OTAN à la boutonnière, épingle à cravate siglée ONU, charismatique de panache, christique de grandeur d’âme, rugir face à la foule :

« Vive la Libye Kanaky Libre ! »…

(1) In Le Dossier Calédonien, Jean-Paul Besset, Cahiers Libres, La Découverte, 1988, p. 75.

(2) Deckker, Paul & al., ouvrage collectif, Le Peuplement du Pacifique et de la Nouvelle-Calédonie au XIX° siècle – Condamnés, colons, convicts, chan dang, Actes du Colloque Universitaire International, publiés sous la direction de Paul de Deckker, Editions l’Harmattan, 1994, p. 318.
(3) Soussol, Alain, Université de Montpellier, in Paul de Deckker, (Op. Cit.), p. 362.
(4) In Paul de Deckker, (Op. Cit.), p. 363.
(5) In Paul de Deckker, (Op. Cit.), p. 365.
(6) Guiart, Jean, La Terre est le sang des Morts – La Confrontation entre Blancs et Noirs dans le pacifique sud français, Editions Anthropos, 1983.

(7) Clifford, James, Maurice Leenhardt – Personne et Mythe en Nouvelle-Calédonie, Editions Jean-Michel Place, 1987.
(8) Rollat Alain, Tjibaou le Kanak, (Op. Cit.), p. 149.
(9) Coulon, Marc, L’Irruption Kanak – de Calédonie à Kanaky, Messidor Editions Sociales, 1985 p. 219.

(10) Cf. : Histoire et évolution de la société sur le site officiel : http://www.eramet.fr/fr/Site/Template/T1.aspx?SELECTID=47&ID=54

(11) ERAMET Nickel – Tour Maine Montparnasse – 33, avenue du Maine – 75755 PARIS – Cedex 15 – Tel. : 33 1 45 38 42 00 – 33 1 45 38 73 48

(12) Cf. : Nos activités – Nickel : Chiffres clés – Chiffre d’affaires par marché en 2010 : http://www.eramet.fr/fr/PRODUCTION_GALLERY_CONTENT/DOCUMENTS/Nickel_In_Society_FR.pdf & Rapport Annuel 2010 (téléchargeable), notamment p. 3.

(13) Nos activités, Op. & site Cit.

(14) STCPI : Société Territoriale Calédonienne de Participation Industrielle

(15) Plenel, Edwy et Rollat, Alain, Mourir à Ouvéa – Le Tournant Calédonien, La Découverte, 1988.

(16) Picard, Gilles, L’affaire d’Ouvéa, Editions du Rocher, 1988.

Exemple emblématique de l’ouvrage de désinformation et de propagande, destiné à discréditer l’aspiration à l’indépendance d’un peuple. La presse de l’époque reprenait, dans sa majorité, les mêmes clichés pour anesthésier l’opinion publique métropolitaine. Avec, face à des “barbares”, “l’élite de l’élite de l’armée” représentant la défense de la civilisation, sans craindre boursouflure et ridicule :

“… les muscles des maxillaires se sont contractés…” (p. 94).
(17) Face à la censure du débat, en France, sur la situation coloniale en Nouvelle-Calédonie, saluons le courage de Mathieu Kassovitz pour avoir réalisé un film sur l’affaire d’Ouvéa. Dans les pires difficultés. Notamment : refus de l’armée et de l’administration de collaborer. Sortie prévue : le 16 novembre 2011. Le titre du film est en soi tout un programme : « L’Ordre et la Morale ».

(18) Spencer, Michael & al., Nouvelle-Calédonie – Essai sur le Nationalisme et la Dépendance, Editions L’Harmattan, 1987. p. 299.

(19) Rollat, Alain, Tjibaou le Kanak, Editions La Manufacture, 1989.

(20) Cf. Michael Spencer (Op. Cit.).

Le rôle et l’influence de Jean-Marie Tjibaou, en Kanaky et dans le Pacifique, systématiquement occultés par la propagande française (il n’est même pas cité dans l’article français de Wikipedia sur la Nouvelle-Calédonie !…), sont unanimement reconnus chez les chercheurs et responsables de la région Pacifique, notamment anglo-saxons, y compris en Australie et en Nouvelle-Zélande…
(21) La stèle, commémorant ce crime d’Etat, porte comme mention :

“ Eloi Machoro, combattant de la liberté, victime de l’ordre colonial d’Etat français, assassiné le 12 janvier 1985 ”.

(22) Le groupe Veolia, une fois de plus, fait étalage de son constant souci éthique dans le respect des droits de l’homme et de la dignité humaine…

(23) Cf. : communiqué de l’UGTG sur cette tuerie coloniale : Guadeloupe-Kanaky même combat, http://ugtg.org/article_1557.html & http://www.internationalistes13.org/article-guadeloupe-kanaky-meme-combat-communique-de-l-ugtg-81091710.html

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Messages

  • “La colonisation de la Nouvelle-Calédonie fut l’une des pires qu’il y eut au monde.”

    Rosselène Dousset Leenhardt – Ethnologue

  • Dans le centre de l’île où de larges territoires ont changé de mains, les mélanésiens sont exsangues. Déportations et cantonnements ont dépeuplé le pays, rompu les réseaux, cassé les dynamiques sociales, brisé les groupes coupés de leur environnement familier. Ponctuant une succession de révoltes menées un peu partout dans l’île entre 1856 et 1869 et toujours réprimées ou soldées par des dépossessions de terres, l’échec de la grande insurrection généralise, parmi les Kanaks, un découragement suicidaire.

  • Le Premier ministre s’est rendu samedi à Ouvéa, 25 ans après la sanglante prise d’otages dans cet atoll de la Nouvelle-Calédonie, "pour rassembler les mémoires" des gendarmes et des militants indépendantistes kanaks morts dans ce drame. Jean-Marc Ayrault est le premier chef de gouvernement à se rendre sur Ouvéa depuis ces événements, qui débouchèrent sur les accords de Matignon puis de Nouméa, permettant à la France de conserver sa colonie au prix d’un tout petit peu d’autonomie.

  • Le Syndicat général des travailleurs de l’industrie de Nouvelle-Calédonie a annoncé mardi la signature d’un accord avec la direction de la Société Le Nickel (SLN) après une grève de cinq jours, mais a exprimé ses inquiétudes sur l’avenir de l’entreprise. Le SGTINC, deuxième force syndicale de cette filiale du groupe Eramet, a fait grève du 26 au 30 juin avant de parvenir à un protocole d’accord lundi soir.

    "La direction s’est engagée à plus de communication et de transparence sur les sujets essentiels à l’entreprise tels que le plan minier, les investissements, la sous-traitance ou les réductions de coût", a déclaré à la presse Germain Djawari, secrétaire général adjoint du SGTINC. Il a précisé qu’un calendrier de réunions avait été établi. L’accord porte également sur le cas de deux salariés qui ont été licenciés et pour lesquels "une transaction" et "une réintégration future" ont été conclues.

    M.Djawari a toutefois fait part de ses vives inquiétudes sur l’avenir de la SLN, qui perd actuellement 20 millions d’euros par mois en raison de la chute des prix du nickel. "Le Plan de performance 2018 (lancé début 2016, NDLR) prévoit 300 suppressions d’emplois, mais on pense que ce sera plus sévère avec peut-être 500 postes concernés", a déclaré le syndicaliste, déplorant que les efforts "portent surtout sur les ouvriers et les agents de maîtrise et pas trop la direction". Premier employeur privé du Caillou, la société métallurgique a perdu 140 millions d’euros l’an dernier. Une avance de 325 millions d’euros d’Eramet et un prêt de l’Etat de 200 millions doivent lui permettre de faire face jusqu’en 2018.

    Parallèlement, le coût de production de la livre de nickel doit être amené à 4,5 dollars fin 2017 contre 6 en 2015. Le SGTINC a affirmé mardi que "la SLN ne serait pas au rendez-vous des 4,5 dollars comme il est prévu" et que les avances en trésorerie seraient insuffisantes. Chargé de la communication de la SLN, Olivier Béligon a confirmé que l’entreprise avait "acté la volonté de renforcer l’échange avec les partenaires sociaux". Il a toutefois souligné qu’il "était urgent de se remettre au travail", cette grève ayant fait perdre "plusieurs centaines de tonnes de production".

  • La grève se creuse à la mine de Karembé...

    Une centaine de personnes mobilisées, une douzaine de camions à l’arrêt, deux mines bloquées avec le soutien des coutumiers et propriétaires fonciers : de source syndicale, la grève lancée lundi à la mine de Karembé, à Koumac, prend de l’ampleur.

    Au cinquième jour de grève, le conflit semble prendre l’ampleur....

    Les grévistes expliquent avoir reçu le soutien des coutumiers et du clan propriétaire terrien, ainsi que des rouleurs sous-traitants qui exercent sur les deux mines. Soit plus d’une centaine de personnes mobilisées, et une douzaine de camions arrêtés à l’entrée de la route de Karembé, seul accès au massif.

  • L’ordre colonial français a signifié le vol des terres des kanaks !!!

    La spoliation foncière se traduit par la création de réserves où sont cantonnées les populations océaniennes, à l’image de ce qui a pu se produire avec les Amérindiens aux États-Unis et au Canada. Après l’arrêt des convois pénitentiaires en 1897 (le bagne en tant que tel cessera son activité en 1924, NDLR), la Nouvelle-Calédonie se transforme en une colonie de peuplement rural qui voit arriver des paysans français de métropole, mais aussi des travailleurs vietnamiens et indonésiens sous contrat. Déjà fortement limitée, l’emprise foncière des réserves se réduit à peau de chagrin : au début du XXe siècle, on estime qu’elles représentent 8% seulement du territoire de la Grande Terre.

    Une catastrophe économique pour ce peuple d’agriculteurs qui pratiquait la culture en terrasse et avait déployé un système d’irrigation sophistiqué, mais aussi une catastrophe culturelle car la terre avait une fonction symbolique forte. Le cantonnement des populations océaniennes dans les réserves est réglé par un code de l’indigénat. Les Kanaks qui ne sont pas citoyens, mais sujets français, sont soumis à des restrictions de circulation et ne peuvent quitter leur arrondissement sauf autorisation particulière. Ils n’ont pas accès au système judiciaire classique, mais relèvent de sanctions administratives. Ils ont interdiction de porter des armes, doivent acquitter un impôt de capitation – par individu, donc – et effectuer plusieurs jours de travaux forcés par an pour le compte des colons ou des autorités.

    La situation des kanaks au début du XXe siècle est calamiteuse. Les Kanaks qui étaient selon les estimations autour de 45 000 au moment de la prise de possession française ont vu leurs effectifs tomber à 20 000 environ en 1920, le plus bas démographique jamais enregistré. Cela est dû aux guerres coloniales menées dans la deuxième moitié du XIXe siècle sur le territoire calédonien, à la répression des révoltes comme celle de 1878 qui a fait entre 2 000 et 3 000 morts chez les Kanaks, mais aussi et surtout aux pathologies importées du continent européen qui ont décimé ces populations. Si on remonte à l’arrivée de Cook et aux premiers contacts avec les Européens, on parle d’un effondrement de 70 à 90% de leurs effectifs. Au début du XXe siècle, les autorités françaises considèrent que le peuple océanien est voué à la disparition et qu’il est destiné à être remplacé par une population européenne supposément plus résistante – on est en plein darwinisme social ! Mais tout le monde ne partage pas ce point de vue : très implantés dans les réserves, où ils sont notamment chargés de l’enseignement, les missionnaires catholiques et protestants considèrent eux que la dénatalité est due au désespoir, mais aussi aux ravages de l’alcoolisation chez les Kanaks, et ils décident de les aider à survivre et à reprendre espoir.

    Constituées de militaires, d’ex-bagnards, de colons…, les premières populations européennes sont essentiellement masculines. Si l’on décide assez vite d’envoyer des orphelines depuis la France métropolitaine pour assurer une présence féminine auprès de ces hommes, une partie d’entre eux forme des couples mixtes avec des femmes kanakes. Mais cela ne crée pas un monde métis pour autant, contrairement à ce qui a pu se passer dans d’autres territoires d’outre-mer. La faute à la mise en réserves et à la division juridique stricte entre Européens et Kanaks. S’il est reconnu par son père, un enfant né d’un couple mixte devient européen à 100% : il accède pleinement à la citoyenneté et à la société des Blancs. S’il n’est pas reconnu par son père, il est élevé dans la réserve par sa mère et ses oncles maternels, et devient alors 100% kanak. En Nouvelle-Calédonie, jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, la coupure est radicale entre ces deux mondes.

    Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en 1946 plus précisément, le régime de l’indigénat est aboli et l’ensemble des Kanaks accèdent à la citoyenneté. Il faudra néanmoins attendre 1957 pour que la première élection au suffrage universel intégral soit organisée en Nouvelle-Calédonie, et 1962 pour voir le premier bachelier kanak. Et si les Kanaks ne sont plus assignés à résidence dans les réserves, cela ne veut pas pour autant dire la fin de celles-ci.

    En 1946, un enchaînement très particulier d’événements vient cristalliser les revendications politiques kanakes. En effet, l’abolition du régime de l’indigénat n’est pas mise en œuvre immédiatement et Jeanne Tunica, une Européenne qui vient de fonder le parti communiste calédonien, décide d’informer les Kanaks de leurs nouveaux droits et notamment du fait qu’ils ne sont plus assujettis aux travaux forcés. En quelques semaines, des milliers de Kanaks deviennent communistes, sous l’œil réprobateur des missionnaires qui étaient très influents dans les réserves. En réaction, deux associations sont créées par les missionnaires eux-mêmes, qui demandent l’accès immédiat à la citoyenneté et l’extension du territoire des réserves : l’Union des indigènes calédoniens amis de la liberté dans l’ordre (UIALCO), catholique, et l’Association des indigènes calédoniens et loyaltiens français (AICLF), protestante.

    En 1953, ces deux associations donnent naissance au premier parti politique kanak, l’Union calédonienne, qui accueille également des « Européens de brousse ». L’Union calédonienne porte les premières revendications autonomistes en Nouvelle-Calédonie, sous le slogan « Deux couleurs, un seul peuple ». Cette demande d’autonomie aboutit à la création d’un conseil de gouvernement et d’une assemblée locale dotée de droits spécifiques. Mais la tendance s’inverse dès les années 1960, lorsque la France redécouvre la valeur stratégique de la Nouvelle-Calédonie et décide de limiter le poids du gouvernement local.

    La domination de la Nouvelle-Calédonie devient-elle stratégique pour la France à cause du nickel. La Nouvelle-Calédonie possède en effet l’une des plus grosses réserves mondiales de ce métal devenu crucial pour l’essor de l’industrie française : s’il est en réalité exploité depuis près d’un siècle, ses propriétés physiques, notamment anticorrosion, le rendent indispensables dans le secteur aéronautique et pour la fabrication de biens de consommation. Mais ce n’est pas la seule raison : après l’indépendance de l’Algérie (proclamée en 1962, NDLR), la France a déplacé ses essais nucléaires du Sahara vers le Pacifique, plus précisément dans les atolls de la Polynésie française, et craint un effet de contagion si l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie « voisine » (elle est tout de même distante de plusieurs milliers de kilomètres) devient trop forte. En 1972, la circulaire Messmer pointe le risque que la population autochtone devienne indépendantiste et majoritaire, et décide de faire venir des personnes des autres territoires d’outre-mer – Réunion, Wallis-et-Futuna, Polynésie… –, mais aussi de métropole, afin de diluer la part des Kanaks dans la population calédonienne. Résultat, alors que ces derniers ont une natalité plus dynamique que celle des Européens, leur poids relatif se met à baisser dans la population de l’archipel.

    Avec les événements de mai 1968, les étudiants kanaks qui vivent en métropole découvrent le marxisme et le tiers-mondisme et trouvent un langage d’expression nouveau. Ils reviennent en Nouvelle-Calédonie et fondent les premiers mouvements indépendantistes dès le début des années 1970. Immédiatement, le mouvement indépendantiste se cristallise autour des revendications foncières. La démographie des Kanaks est dynamique et ils étouffent littéralement dans les réserves. Car ne plus être assigné à résidence ne signifie pas pour autant que l’on peut s’installer où l’on veut, il faut pour cela de l’argent mais aussi des terres disponibles… Les revendications foncières vont plus loin que de simples revendications économiques : grâce à la transmission orale de son histoire, chaque famille kanake sait exactement de quelles terres elle est originaire et quel est le nom des colons qui se sont installés sur celles-ci. Tous les Kanaks de la Grande Terre, qu’ils soient autonomistes, indépendantistes, se mettent donc à envoyer des lettres aux familles des colons et aux représentants de l’État français pour réclamer la restitution des terres de leurs aïeux. En 1977, l’Union calédonienne, jusque-là autonomiste, bascule à son tour vers l’indépendance, ce qui entraîne le départ d’une partie importante des Européens qui en faisaient partie.

    Dès 1978, la France met en place une première réforme foncière. Mais, sans expropriations, cela ne suffit pas. L’élection de Mitterrand, premier président de gauche élu depuis la Seconde Guerre mondiale, suscite un immense espoir chez les indépendantistes qui pensent que le nouveau pouvoir va accéder à leur demande. Après la table ronde de Nainville-les-Roches qui reconnaît aux Kanaks leur « droit inné et actif à l’indépendance », c’est la douche froide : en 1984, le statut Lemoine ne prévoit qu’une autonomie accrue, sur une base électorale incluant l’ensemble de la population de Nouvelle-Calédonie : les Kanaks, les Européens installés depuis des générations – appelés aussi « Caldoches » –, les descendants d’Indonésiens et de Vietnamiens, mais aussi les Réunionnais, Polynésiens, Wallisiens et Futuniens arrivés de fraîche date et l’ensemble des « métro » présents sur le territoire…

    Les Kanaks dénoncent la négation de leur droit de peuple colonisé à l’autodétermination et décident d’organiser le boycott actif des élections territoriales du 18 novembre 1984 par la mise en place de barrages et mettent en place un « Gouvernement provisoire de Kanaky » présidé par Jean-Marie Tjibaou. C’est à ce moment que l’on bascule dans les « événements ». Soit quatre années de violence - et des dizaines de morts - qui s’achèvent dans un bain de sang avec la prise d’otages dans la grotte d’Ouvéa et l’assaut du GIGN : 4 gendarmes, 2 parachutistes et 19 Kanaks sont tués ; un an plus tard, lors du premier anniversaire de ce dramatique événement, c’est au tour du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou d’être assassiné. Après ce déferlement de violence, tout le monde y compris les Kanaks veut trouver une issue et sortir de cette situation.

    Michel Naepels, anthropologue

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