Accueil > 08- LUTTE DES CLASSES - CLASS STRUGGLE > Guerre et paix en Irak : quelques questions

Guerre et paix en Irak : quelques questions

samedi 24 décembre 2011, par Robert Paris

Quels étaient les buts de guerre ? Quelle paix l’impérialisme a-t-il légué à l’Irak avec le départ de ses troupes ?

On ne peut s’en tenir aux déclarations de satisfaction de tous ceux qui voient dans le retrait des troupes américaines d’Irak un retour à un monde plus pacifique... L’effondrement du capitalisme ne mène pas à un monde avec moins de guerre. Les USA ont dû se retirer d’Irak parce qu’actuellement ils ne pourraient plus faire accepter à la population américaine d’aller faire des nouvelles guerres extérieures comme l’a montré la Libye. Il faut donc repréparer l’opinion américaine ... à de nouvelles guerres extérieures...

Mais peut-être Obama serait-il moins fan des guerres que Bush ? Il n’aggraverait pas la guerre en Afghanistan et au Pakistan, n’entourerait pas de ceintures de pays hostiles la Russie, la Chine et la Corée du Nord et ne préparerait pas une intervention éventuelle en Iran !!!

La guerre d’Irak est paraît-il terminée par le retrait des troupes américaines. C’est bien, dirons certains, puisqu’on revendiquait leur départ. Certes ! C’est bien sans doute pour les jeunes américains qui vont cesser d’y mourir… Mais est-ce que le peuple irakien, lui, va connaître la paix ? Certainement pas. Car, en quittant, l’impérialisme n’a rien laissé d’autre que des bombes à retardement. L’instabilité du pays et l’insécurité de la population sont plus grands que jamais ! La misère, les oppositions interreligieuses, interethniques, intertribales et interrégionales ne sont qu’une petite partie de toutes les formes d’oppression qui, loin d’être diminuées par leur intervention, n’ont fait que d’augmenter. Et d’abord l’oppression due à la misère…

Le retrait vise aussi à démontrer qu’il ne s’agissait pas d’une guerre coloniale pour occuper le pays. Mais ce n’est encore nullement prouvé dans la mesure où il y reste un régime fantoche des USA qui utilise des bandes privées armées liées aux USA et qui ne pourra se stabiliser que grâce à l’aide financière des USA, s’il y parvient jamais.

Mais il faudrait d’abord savoir ce que cherchait cette guerre de l’impérialisme américain, comme aussi dans celle d’Afghanistan, pour dire si la guerre est véritablement terminée et qui y a gagné.

S’agissait-il de renverser Saddam Hussein, les troupes américaines n’y seraient pas restées neuf ans, faisant 4500 soldats US tués et dépensant 750 milliard de dollars. Si l’on se tourne vers les pertes irakiennes, les études d’experts soutiennent un chiffre allant jusqu’à 1,2 millions d’Irakiens morts, presque tous des civils. Deux millions d’Irakiens ont fui leur pays et deux autres millions ont été déplacés à l’intérieur de l’Irak.

S’agissait-il de lutter contre le terrorisme ? Celui-ci n’existait pas en Irak avant la guerre et il a atteint son sommet au départ des troupes US !

S’agissait-il d’y rétablir la démocratie et de permettre le développement économique, elles ne partiraient pas aujourd’hui alors que l’économie est loin derrière celle de l’époque de Saddam et la démocratie n’a pas spécialement avancé.

Un Irakien sur quatre est dans une misère extrême. Trois sur quatre sont dans le dénuement et la précarité. Même dans la capitale, le courant électrique fonctionne cinq heures par jour. Le pays tout entier est aux mains de bandes armées qui rançonnent et tuent et la bande armée officielle ne vaut pas mieux que les bandes inofficielles. Le statut des femmes a régressé. La production pétrolière n’est pas repartie.

Et pourtant, les guerres d’Afghanistan et d’Irak ont permis de gagner une autre guerre : celle contre les travailleurs, et d’abord contre les travailleurs américains. Sous prétexte de défense du peuple américain soi-disant menacé, on lui a imposé des droits réduits et des efforts sociaux inconnus jusque là sans grande réaction sous prétexte de guerre internationale contre le terrorisme. Aux USA même, la méthode du pouvoir a été ... terroriste contre les travailleurs américains !

Loin d’être un ennemi de impérialisme US, Saddam Hussein était sa marionnette. C’est sus l’égide américaine et française qu’il avait frappé l’Iran. Pourtant les USA et le monde ont prétendu lui faire la guerre pour supprimer sa dictature contre son peuple. mais dans la première guerre contre l’Irak, dès que le peuple s’est soulevé, les USa ont arrêté leur guerre !

En 1991, les armées de la coalition mise en place par les États-Unis repoussèrent en quelques jours l’armée irakienne, pourtant mensongèrement présentée auparavant comme « la quatrième du monde » ! Cependant, les États-Unis firent le choix de laisser en place le régime et lui permettre de noyer dans le sang deux révoltes, chiite dans le sud et kurde dans le nord.

La vraie raison de cette guerre, comme de celle d’Afghanistan ou du Pakistan, n’est pas à chercher là-bas. Déjà en 2001, la guerre américaine en Afghanistan a permis de faire face, momentanément, à la crise du système capitaliste. Cette guerre a eu l’avantage pour les USA d’obliger chacun à choisir un camp. Et ce sont les USA qui définissent les camps : d’un côté le terrorisme et particulièrement l’islamisme radical et de l’autre les USA. Ils veulent ainsi contraindre toutes les puissances à s’aligner mais ils veulent tout autant y contraindre les peuples. Et d’abord les travailleurs des USA auxquels ils peuvent ainsi justifier, par la nécessité de défendre leur sécurité, d’imposer des sacrifices d’une ampleur exceptionnelle. Obama déclare : « Dans ce monde incertain, le temps est venu pour un nouveau commencement, une nouvelle aube de leadership américain. » Son ambition ? « Notre puissance économique doit soutenir notre force militaire, notre influence diplomatique et notre leadership mondial. » « Je construirai une armée du XXIe siècle et un partenariat aussi puissant que l’alliance anticommuniste qui a remporté la guerre froide, afin que nous demeurions partout à l’offensive, de Djibouti à Kandahar. ». C’est bien la défense du système capitaliste et de la domination impérialiste que vise cette guerre.

Saddam n’était qu’un prétexte à un accroissement des interventions militaires impérialistes dans le monde. Dans les années 1990, les États-Unis envoyèrent aussi des troupes en Haïti, en Somalie ou en Yougoslavie - ils intervinrent plus en dix ans qu’ils ne l’avaient fait depuis la fin de la guerre du Vietnam. Cependant, ils se montraient prudents, en raison des réticences de leur opinion publique. Et cela dura jusqu’en 2001. Les attentats ont été une occasion de multiplier les guerres soi-disant contre le terrorisme et pour protéger le peuple américain. Si c’était l’objectif, il est loin d’être atteint. mais tel n’était pas du tout le but.

Comment l’impérialisme se sert des guerres pour contrôler le pétrole du Golfe Persique ?

Il convient de rappeler que les USA ont d’abord poussé le dictateur irakien Saddam Hussein à se lancer dans une guerre meurtrière contre l’Iran, guerre qui a duré de 1980 à 1989 et a qui a mis à genoux les deux pays. Ils l’ont alors amené à s’endetter notamment auprès des pétromonarchies. Puis ils l’ont lâché face à une situation financière, sociale et politique ingérable. C’est ce qui l’a incité à envahir le Koweit en 1990. Pour punir l’Irak de cette audace, les USA ont alors déclenché en 1991 la croisade internationale appelée « tempête du désert » qui a entraîné un massacre de civils irakiens. La mobilisation monstre était justifiée alors en prétendant que l’Irak était « la deuxième armée du monde » ! Le prétexte de cette guerre était le renversement de la dictature de Saddam Hussein et l’aide aux minorités opprimées, kurde et chiite. Une fois la guerre terminée, laissant Saddam en place faute d’une dictature de rechange, les USA ont lâché ces minorités et laissé le peuple irakien subir la misère, puis les conséquences dramatiques du blocus. Ils ont même poursuivi pendant des années les bombardements périodiques. En plus de faire mourir des milliers d’enfants irakiens, l’embargo a eu comme conséquence de soustraire au marché des quantités de pétrole, celui de l’Irak et, du coup, de soutenir les prix du pétrole. Cela a permis de maintenir à flots l’économie de l’Arabie saoudite, massivement endettée depuis la guerre du Golfe dont elle avait été le principal financier.

Les USA, en convaincant le roi Fahd en 1991 que l’Arabie saoudite était menacée par l’expansionnisme irakien, ont réussi à faire porter toute la responsabilité régionale de la guerre, politique et financière, sur la monarchie saoudienne. Officiellement c’est à sa demande que les USA sont intervenus contre l’Irak en 1991. Le pays a dû débourser 60 milliards de dollars (dont la moitié payée aux USA) et accueillir sur son sol un demi million de soldats américains. Une fois la guerre finie, l’Arabie saoudite a été obligée de rester sous la coupe des USA car elle était considérablement endettée. La monarchie a été discréditée politiquement par l’alliance américaine. Une partie des troupes américaines est restée dans le Golfe et même sur le sol saoudien. C’est à ce moment que Ben Laden a créé à l’intérieur du pays un mouvement islamiste saoudien contre le pouvoir. Il a eu des appuis au sein du pouvoir, de la haute bourgeoisie comme de la hiérarchie religieuse.

L’Etat saoudien était alors en situation économique très difficile. Déjà il était tombé de son haut lors de la chute des prix du pétrole du milieu des années 80. Les guerres avaient fait le reste. Le pays a dû contracter deux emprunts internationaux en 1991 d’un total de sept milliards de dollars et, malgré une augmentation spectaculaire de la production pétrolière, le déficit du budget était encore de 20 milliards de dollars en 1992. A la limite du krach, le pays a dû passer sous les fourches caudines du FMI, réduire son train de vie, supprimer ses projets, laisser une bonne partie de ses étudiants supérieurs sans emploi et sans ressources et réduire même les dépenses somptueuses des princes (paraît-il 20% du budget).

Le régime saoudien avait obtenu, lorsque le cours du pétrole était au plus haut (avec le quadruplement du prix du pétrole en 1973), de récupérer à l’amiable la possession de ses ressources naturelles, gaz et pétrole. L’ARAMCO (conglomérat de sept sociétés dont les principales sont Chevron, Mobil, Exxon et Texaco) était alors devenue société nationale saoudienne en échange de dédommagements et d’accords sur les investissements aux USA des revenus du pétrole et sur des achats aux sociétés américaines, en particulier en termes d’armement. Les milieux bourgeois saoudiens ont eu des rêves de grandeurs de 1976 à 1980, rêves qui se sont effondrés avec la chute des cours en 1984 puis avec les guerres. Depuis que l’Etat saoudien est endetté et sur la corde raide économiquement et socialement, les USA détiennent un moyen de pression sur le régime. Les trusts pétroliers américains mettent tout leur poids pour obtenir à nouveau les concessions pétrolières et gazières en échange d’une suppression des dettes saoudiennes. C’est ce que le prince Abdallah a commencé à négocier aux Etats-Unis en septembre 1998. Mais il n’a pu signer de sa propre autorité et a dû mettre en place un conseil des princes chargé de discuter des conditions d’un accord et, trois ans plus tard, rien n’est encore réglé. Pour la royauté, céder aux pressions américaines ne peut que soulever des oppositions au sein de toutes les couches sociales, financiers, bourgeois et petits bourgeois saoudiens qui accusent la royauté de brader les richesses, chefs religieux qui ne veulent pas de l’ouverture du pays aux intérêts étrangers ni de l’introduction d’un mode de vie occidental, des princes (plusieurs milliers de descendants des diverses femmes d’Ibn Saoud) qui refusent que l’on rogne leurs rentes pétrolières comme le proposent les plans de réduction des dépenses du FMI, sans même parler du peuple lui-même dont le niveau de vie dégringole et dont la jeunesse ne trouve plus d’emploi.

Le monde capitaliste est fondé sur une industrie basée en grande partie sur le pétrole or une grande partie de ce pétrole (25% des réserves de pétrole pour la seule Arabie saoudite, le plus grand producteur mondial) sort d’une région qui peut s’embraser facilement. Les USA savent parfaitement, même s’ils se gardent bien de dévoiler ces rouages secrets de Ben Laden sous peine de dévoiler les leurs, qu’une fraction de la classe dirigeante saoudienne veut les éloigner des lieux saints ... du pétrole.

« Le Monde » du 21 octobre citait Michael Klare, professeur dans le Massachussets, spécialiste des relations internationales, auteur de « guerres pour les ressources naturelles », interrogé sur les causes de la guerre actuelle, qui déclarait « La clé de la crise est l’engagement militaire américain en Arabie saoudite. Cette implication n’a d’autre objet que le pétrole : l’Arabie saoudite possède 25% des réserves mondiales et l’économie américaine est basée sur le pétrole. Les Etats-Unis sont engagés dans la protection de la monarchie saoudienne et se trouvent donc en conflit direct avec ceux qui veulent renverser cette monarchie, donc avec Ben Laden. (...) L’Afghanistan ne joue pas un grand rôle dans la crise actuelle. Ben Laden est un saoudien qui s’est réfugié en Afghanistan, et ses intérêts réels sont en Arabie saoudite. Les Etats-Unis n’attaquent l’Afghanistan que parce que c’est là que se trouve Ben Laden.

Un analyste écrivait au début de la guerre d’Irak : "Des raisons économiques tout d’abord. Les USA sont le pays le plus endetté du monde, subissant par ailleurs une grave récession bien qu’ils aient essayé de nous faire accroire que tout cela n’était que le résultat du "11/09". Leur économie va très mal – comme celle de tous les pays occidentalisés d’ailleurs – et ils s’agit donc impérieusement pour cet Etat d’outre-atlantique de profiter de ce qu’ils ont eux-mêmes appelés un "moment unipolaire" pour mettre en oeuvre dès aujourd’hui leur état de puissance de demain. Il y aurait eu une sorte de course contre la montre entre la survenance de la crise économique et le déclenchement des hostilités, ce dernier devant impérativement avoir lieu avant, tout d’abord parce que il eut été plus difficile, voire impossible, d’asseoir financièrement - même à crédit - la guerre, une fois cette crise économique survenue, enfin parce que lorsque paraîtra cette crise inéluctable, le gain de puissance aura déjà été acquis, l’accroissement de puissance opérée pour les Etats-Unis. "

Occupation en Irak et critique de l’anti-impérialisme

Solidarité Irak, 7 août 2011 :

Cet article est paru dans le n° spécial commun d’Offensive et de Courant alternatif consacré aux luttes de libération nationales en juin 2011.

L’occupation de l’Irak par la coalition militaire dirigée par les USA a été l’occasion de vifs débats sur la question de l’anti-impérialisme. L’existence d’un mouvement jouant un rôle significatif dans les luttes ouvrières et féministes dans l’Irak occupé, sur des bases politiques en rupture avec les « luttes de libération nationale », a permis de soulever le débat sur des bases concrètes. Cet article vise à mettre en évidence les principales étapes de la genèse de ce courant, depuis la révolution iranienne jusqu’aux manifestations actuelles en Irak. En effet, pour en comprendre l’origine, il faut se tourner d’abord vers la révolution iranienne de 1979 et son écrasement par la république islamique.


La révolution iranienne

Dès l’année 1978, le régime monarchique du Shah d’Iran est ébranlé par les manifestations et les grèves. Deux mouvements puissants, mais qui se rencontrent difficilement : la jeunesse étudiante, très influencée par l’extrême-gauche, et le mouvement ouvrier, qui va bientôt s’organiser en conseils ouvriers, les shuras. Reza Shah Pahlavi, monarque absolu appuyé par une police politique omniprésente, la savak, est soutenu par les USA. L’Iran fait alors partie des dictatures réactionnaires qui constituent autant de pièces dans l’échiquier de l’impérialisme américain en lutte avec l’Union soviétique.

La rhétorique anti-impérialiste influence donc fortement la jeunesse. Il existe, au sein de la gauche, un courant antioccidental, qui s’oppose à ce qu’elle assimile aux valeurs américaines, y compris sa contre-culture. Jean, mini-jupes et rock’n’roll fleurissent sur les campus, mais suscitent la méfiance de cette gauche anti-impérialiste. Le souvenir du coup d’état de 1953, qui avait mis fin à l’expérience nationaliste de gauche du Dr Mossadegh, marque les mémoires, de même que le soutien très limité du Tudeh, parti prosoviétique, à ce gouvernement. Cette défiance attire la sympathie des étudiants pour les mouvements prochinois, dont les Fedayin, et l’islamogauchisme (au sens strict) des Mujahidin, qui pratiquent la guérilla urbaine depuis des années.

L’islamisme dispose d’une certaine assise dans les milieux religieux, mais il est presque invisible aux yeux des militants d’extrême-gauche. Lorsque la monarchie vacille, sur fond de grève du pétrole et d’agitation ouvrière, les régimes occidentaux vont miser sur ce courant profondément anticommuniste, comme ils le font alors en Afghanistan en armant les islamistes contre l’Union soviétique. L’Allemagne et la France vont aider un leader religieux en exil, Rubollah Khomeiny, à devenir une figure de premier plan. Accueilli en France, soutenu par des intellectuels de gauche prestigieux malgré ses thèses réactionnaires et son obsession répressive en matière sexuelle, il prépare son retour triomphal en Iran.

Avec une certaine intelligence tactique, Khomeiny s’empare de la thématique anti-impérialiste, relayée par de jeunes islamistes radicaux comme Mousavi. Son discours se radicalise contre les USA. L’extrême-gauche étudiante l’identifie alors comme représentant de la « bourgeoise nationale progressiste », « objectivement anti-impérialiste ». Dès lors, la majorité des organisations va soutenir la montée au pouvoir des islamistes, sous un vernis marxisant. Ils vont aussi en accepter les conséquences, notamment l’imposition du port du voile pour les femmes et la mise en place d’institutions religieuses à la place des institutions civiles. Puis, le régime va écraser systématiquement ses alliés de gauche. En 1982, le premier ministre Mousavi – qui se présente aujourd’hui comme l’alternative au régime d’Ahmadinejad – fait massacrer des milliers de prisonniers communistes.

C’est dans ce contexte que nait la critique de l’anti-impérialisme dans la gauche iranienne : il ne s’agit pas d’une critique purement théorique, mais de l’opposition résolue à un régime qui s’en réclame. Au départ, elle émane d’un groupuscule, l’Union des combattants communistes, qui mène une vigoureuse campagne théorique pour dénoncer le « mythe de la bourgeoisie nationale progressiste » et s’ancrer dans le mouvement ouvrier. Son audience va croissante, amenant des débats au sein de l’extrême-gauche, car nombre de militants sont déboussolés par l’orientation pro-islamiste.

En 1980, la révolution est très active, au Kurdistan, mais la population hostile aux islamistes. Le régime va envoyer l’armée occuper les villes, provoquant un soulèvement massif. Une organisation d’origine marxiste-léniniste, Komala, va alors s’imposer comme l’un des piliers de la résistance, d’abord en menant la résistance dans les villes, puis plusieurs années de guérilla dans les campagnes. Contrairement aux nationalistes du Parti démocrate du Kurdistan, elle refuse tout compromis avec le régime.

D’abord influencée par le maoïsme à la sauce albanaise, Komala se trouve en décalage avec l’extrême-gauche pro-Khomeiny, puisqu’elle affront ce dernier sur le terrain militaire – déployant plusieurs milliers de combattants. C’est ce qui l’amène à entrer en contact avec l’Union des combattants communistes, dont elle se rapproche très rapidement. Les deux organisations fusionnent sous le nom de Parti communiste d’Iran, un parti qui dénonce aussi bien l’URSS que la Chine comme des états capitalistes et cherche à articuler guérilla et organisation de cellules clandestines dans les usines d’Iran, avec un certain succès. Komala reste la branche armée du parti au Kurdistan.

Le soulèvement de 1991 en Irak

La guérilla menée par Komala contre la république islamique en Iran n’est pas sans attirer l’attention de l’extrême-gauche irakienne. La vaste zone libérée détenue par les peshmergas (guérilleros) de Komala, son puissant émetteur radio qui diffuse en Kurde et en Persan, lui donnent une certaine influence. De plus, dans le cadre de la guerre Iran-Irak, le régime de Saddam Hussein accorde aux guérillas iraniennes le droit d’installer des bases arrière en Irak à condition de n’avoir aucun contact avec l’opposition irakienne. Komala bénéficie de ces facilités, mais la découverte par la police politique irakienne de brochures traduites en arabe va entraîner une répression terrible : alors que le congrès doit se tenir, l’armée irakienne emploie les gaz de combat contre le camp de Komala, faisant un massacre parmi les peshmergas.

Malgré cela, des groupes communistes radicaux, liés à Komala et au Parti communiste d’Iran, se créent clandestinement au Kurdistan et à Bagdad. En 1991, alors que se déclenche la première guerre du Golfe, ils vont prendre l’initiative du soulèvement contre régime de Saddam Hussein. Dans le sud, le soulèvement est rapidement pris en main par les islamistes, tandis que dans le nord, au Kurdistan, les conseils ouvriers fleurissent dans les usines et dans les quartiers. Pendant près d’un mois, ils vont contrôler la situation, au grand dam des nationalistes kurdes et surtout, au grand étonnement des USA.

Alors qu’ils avaient appelé la population irakienne à se soulever contre la dictature de Saddam Hussein et juré au monde entier qu’ils allaient renverser ce « nouvel Hitler », les américains stoppent les combats. Ils laissent ouvertement l’armée de Saddam Hussein se réorganiser pour écraser le soulèvement. Il y parvient assez rapidement dans le sud, mais se heurte à la résistance kurde. Les nationalistes reprennent l’initiative. D’un côté, ils appellent la population des villes à s’enfuir, provoquant un exode de centaines de milliers de personnes vers la frontière iranienne, sous une pluie battante, causant de nombreuses victimes. De l’autre, ils mobilisent leurs peshmergas face à la progression des troupes irakiennes. Le soulèvement laisse place au chaos, même si les conseils ouvriers vont perdurer quelques temps. L’ONU impose finalement une zone de non-survol aérien, qui va figer la situation pendant 12 ans : le Kurdistan restera autonome, quasi-état sous direction nationaliste, sans jamais accéder à l’indépendance.

Le soulèvement de 1991 est à bien des égards symboliques : c’est la première insurrection communiste après la chute de l’URSS, menée par des militants qui critiquent ouvertement le capitalisme d’état soviétique et chinois ; elle s’oppose à un régime « anti-impérialiste », au beau milieu d’une guerre menée par l’impérialisme US, sans se référer à un autre cadre que celui de la lutte de classes ; c’est une expérience courte, mais réussie, de mise en place de conseils ouvriers qui dirigent la production et la société.

L’occupation de l’Irak

Pendant les années 90, les nationalistes kurdes vont mener une dure répression contre les communistes, réduisant progressivement leur influence dans la classe ouvrière. Pourtant, des expériences sont tentées, qui auront un impact sur la suite : la création d’un syndicat de chômeurs, celle de l’organisation indépendante des femmes, et naturellement, la fusion de plusieurs groupes d’extrêmes gauche sous le nom de Parti communiste-ouvrier d’Irak, organisation-sœur du Parti communiste-ouvrier d’Iran issu de Komala en 1991. En 2003, alors que les USA reprennent la guerre contre le régime de Saddam Hussein, ces organisations vont servir de modèle. Dès les premiers mois de l’occupation, Qasim Hadi, un militant communiste-ouvrier clandestin, anime un syndicat de chômeurs qui regroupe des dizaines de milliers d’adhérents et combat pour obtenir la création d’un indemnité chômage, face aux troupes américaines qui mènent la répression. Sur cette base, Falah Alwan, un autre militant ouvrier clandestin, constitue la Fédération des conseils ouvriers et syndicats en Irak, qui joue un rôle significatif dans l’organisation des grèves. Yannar Mohammed, créé l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak, héritière directe de l’organisation indépendante des femmes, et devient une figure mondialement connue de la lutte pour le droits des femmes. Samir Adil, revenu clandestinement en Irak dès 2002, après avoir été libéré de prison par une campagne internationale, prend la direction du Congrès des libertés en Irak, cherchant à coaliser les syndicats et les organisations de la société civile autour d’un projet de libération de l’Irak sur une base laïque.

Ces organisations doivent faire face à un problème complexe, celui de l’attitude vis-à-vis de l’occupation. Leur héritage communiste-ouvrier leur permet de l’aborder sans aprioris « anti-impérialistes » au sens classique. Les USA leurs proposent, comme à toute l’opposition irakienne, de prendre part à la conférence de Londres en 2003, où vont être partagés les postes pour le futur pouvoir sous occupation : ils refusent d’y prendre part. Mais ils refusent également de prendre part à la résistance armée contre l’occupation : refus de s’allier aux islamistes, refus de pratiquer une guérilla urbaine qui fait plus de victime civiles que militaires, priorité à l’action ouvrière et à l’organisation dans les quartiers. Ils vont donc mettre en avant leur propre alternative : la résistance civile à l’occupation et à ses conséquences, sur une base ouvrière et féministe ; les exactions des islamistes, qu’ils soient au gouvernement ou dans l’opposition militaire, sont considérées comme faisant partie des conséquences de l’occupation américaine.

Cela va causer un débat dans l’extrême-gauche internationale, où l’anti-impérialisme acritique domine : on leur reproche de refuser l’alliance avec les islamistes. Certains s’éprennent des milices chiites de Muqtada al-Sadr, qui alternent offensives anti-américaines et participation au gouvernement d’occupation, tout en massacrant les femmes qui s’opposent à leur dictature religieuse. D’autres jettent leur dévolu sur les organisations islamo-nationalistes, dont le programme patriarcal diffère peu de celui de leurs rivaux chiites, et qui causent des milliers de victimes civiles innocentes par leurs attentats. Leurs espoirs s’envoleront quand ces organisations finiront par rallier les USA dans leur lutte contre Al-Qaeda, leur principale concurrente. Les massacres interreligieux vont achever de leur ôter tout crédit. Timidement, certains courants d’extrême-gauche finirons par accorder aux organisations liées au Parti communiste-ouvrier ou à ses organisations de masse la sympathie qu’elle leurs avaient refusée en 2003, sans faire de véritable critique de leur attitude passée.

L’Irak montre ainsi une situation paradoxale en apparence, qui témoigne de l’obsolescence du concept de « libération nationale » : les nationalistes kurdes ont obtenu la présidence du pays, et se montrent hostiles à toute idée d’indépendance pour le Kurdistan ; les nationalistes de gauche, comme le Parti communiste d’Irak, sont les meilleurs alliés des USA ; les nationalistes arabes, type baathistes, ont fini par rallier les mêmes USA pour lutter contre l’internationalisme islamiste d’Al-Qaeda. Les luttes sont directement sociales, et les revendications ou les formes classiques du nationalisme de gauche n’y jouent plus le rôle central qu’elles avaient autrefois. Cela ouvre des horizons nouveaux pour les courants qui se fondent sur la lutte de classe sans référence au nationalisme.

Cette position, assumée par les communistes-ouvriers, est en rupture avec l’anti-impérialisme classique. Elle est fondée sur une analyse différente. Là où la gauche traditionnelle identifiait lutte de libération nationale et lutte pour le socialisme, ils considèrent que nationalisme et communisme sont fondamentalement inconciliables, qu’ils représentent les intérêts de classes différentes et opposées. Deux conceptions s’articulent : d’une part, l’unité de la classe ouvrière, contre les divisions ethniques ou religieuses – ce qui a amené le Congrès des libertés en Irak à intégrer des syndicats religieux hostiles aux divisions entre les travailleurs ; d’autre part, l’universalisme, qui refuse toute forme de division de l’humanité, la lutte de classes menant à l’abolition de toutes les classes et à la libération du genre humain.

Dans le contexte irakien, ce refus n’est pas simplement intellectuel, il est à la fois opératoire par rapport à la situation, et dispose d’une base réelle dans la société. C’est ce qui lui permet de jouer aujourd’hui un rôle significatif dans les émeutes et les manifestations contre la corruption et la vie chère, qui se déroulent aujourd’hui en Irak et, de manière plus vive encore, au Kurdistan, dans le sillage de la vague de soulèvements au Proche et Moyen-Orient. C’est contre la corruption du gouvernement nationaliste du Parti démocrate du Kurdistan, que les manifestations sont les plus importantes, rassemblant des milliers de personnes chaque jour depuis 5 semaines.

Nicolas Dessaux

Messages

  • Trois questions au réalisateur de "Battle for Haditha", Nick Broomfield

    Cinéma | Dans sa première fiction, Battle for Haditha, le documentariste Nick Broomfield raconte une histoire vraie : le massacre de villageois irakiens par un convoi de marines.

    En quoi le massacre de Haditha est-il représentatif ?
    Battle for Haditha est d’abord un film sur la guerre. Quel que soit le conflit, le langage des armes fait toujours couler le sang, y compris celui des innocents. La guerre « propre » est un fantasme destiné à alléger nos consciences. Le carnage de Haditha montre que les principales victimes de la guerre d’Irak sont les Irakiens eux-mêmes. Or, depuis le début du conflit, qui s’est intéressé au quotidien des Irakiens ou aux motivations des insurgés ? La guerre est couverte depuis la Maison-Blanche et Downing Street... Il y a eu d’autres Haditha en Irak : si nous en ignorons l’existence, c’est parce qu’il n’y avait pas d’images pour en témoigner. Dans un monde saturé de moyens de communications, c’est un comble.

    Pourquoi la fiction ?
    Je voulais toucher un large public : une fiction me semblait le meilleur moyen d’y parvenir. En tant que réalisateur, c’était très exaltant d’apprendre à raconter une histoire différemment : dans la fiction, l’action a une vertu libératrice. Cela dit, quand je tourne avec des acteurs non professionnels, anciens marines et survivants de la tuerie, j’utilise mon savoir-faire de documentariste. Pendant le tournage en Jordanie, les interprètes des marines vivaient dans de vraies casernes et portaient des uniformes toute la journée. Il s’agissait de créer des situations extrêmement réalistes pour insuffler au film une forte authenticité.

    Que pensez-vous de la manière dont Hollywood s’empare de l’Irak ?
    J’ai vu Redacted, de Brian De Palma (sortie le 20 février). Je préfère Scarface !... Plus sérieusement, je remarque, et je le déplore, que mon film est le seul à faire de la place aux personnages irakiens. Les autres fictions récentes sur l’Irak reflètent un point de vue américain. Or, si nous voulons nous sortir de ce guêpier, il nous faut apprendre à connaître et à comprendre le peuple irakien. N’en déplaise aux va-t-en-guerre, le temps des croisades est fini.

    Pour voir ce film : LCP samedi 17 novembre à 17H00.

    Ou sur Yoo Tube ici.

  • Ce lundi, alors qu’un haut responsable américain évoque pour la première fois des "signes forts" montrant que la Syrie a eu recours à des armes chimiques, Foreign Policy révèle que 25 ans plus tôt les services de renseignement américains ont aidé l’armée irakienne à gazer les troupes iraniennes au cours de la guerre qui les opposait. Le site s’appuie notamment sur des documents déclassifiés de la CIA et sur les témoignages de hauts-gradés. Le 23 mars 1984, alors que la guerre Iran-Irak bat son plein, un rapport de la CIA intitulé "Irak : utilisation de gaz innervant" (dont fait parti le gaz sarin) rapporte que l’allié officieux des Etats-Unis, l’Irak de Saddam Hussein, a commencé à expérimenter ses armes chimiques sur les troupes iraniennes. "Une fois que la production de masse commencera [probablement à l’été 1984 estime le rapport], l’Irak devrait être en mesure de produire assez de gaz innervant pour remplir 40 bombes de 250 kg par jour", peut-on lire dans ce rapport. Des armes pourtant interdites par le protocole de Genève ratifié par les Etats-Unis neuf ans plus tôt, comme le rappelle Le Monde. En 1988, les Etats-Unis ne sont cette fois pas restés passifs : ils ont délibérément fourni à l’Irak des informations décisives sur les positions des troupes iraniennes sans ignorer que le pays pouvait faire usage de son arsenal chimique. Cette année-là, quatre attaques chimiques de grande envergure causèrent des milliers de morts parmi l’armée de la République islamique d’Iran, précipitant le succès de l’Irak.

  • La commission d’enquête anglaise sur la guerre d’Irak a reconnu que Tony Blair et Bush mentaient sciemment en prétendant que Saddam Hussein avait des armes de destruction massive et rejoignait le terrorisme. Tony Blair a eu des mots d’excuse mais c’est pure hypocrisie puisqu’il plaide la bonne foi et prétend encore que « renverser Saddam Hussein était la bonne décision. Le monde est plus sûr. » Plus sûr ! Eh bien, il continue à s’aveugler comme cela lui chante ! Ou plutôt comme cela convient aux intérêts des classes dirigeantes. Voilà celui qu’on avait appelé le « caniche de Bush », voilà ce qu’est un des leaders de la social-démocratie, un menteur et un chien sanglant responsable d’un monde de plus en plus sanglant.

  • Une autre question : l’impérialisme viserait-il à découper les pays d’Orient en petits bouts ?!!!

    C’est ce qui est en train de se passer en Irak et en Libye...

    Les Kurdes d’Irak ont voté massivement lundi en faveur de leur indépendance, mais ce rêve qu’ils chérissent depuis un siècle risque de provoquer une escalade en raison du refus total du pouvoir central de voir le pays amputé de sa région nord.

    Le Parlement à Bagdad, en présence des députés arabes et en l’absence de leurs camarades kurdes, a appelé le même jour au déploiement de l’armée dans les zones que se disputent le pouvoir central et la région autonome du Kurdistan.

    La Turquie et l’Irak ainsi que la Syrie, trois pays qui ont des minorités kurdes, ont vivement dénoncé le référendum car ils craignent que cela ne fasse tâche d’huile et que la carte de la région issue de la Première guerre mondiale ne soit redessinée.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.