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La crise, c’est l’euro ? C’est l’Europe ? La solution, c’est le retour au produire français ? C’est le retour au franc ? C’est un discours qu’on commence à entendre dans les milieux syndicaux, socialistes, communistes, chez les patrons, et chez les hommes politiques de droite comme de gauche. Eh bien , c’est la porte ouverte non seulement vers la démagogie de Le Pen mais vers le national-socialisme, c’est-à-dire le fascisme !

samedi 4 février 2012, par Robert Paris

Ce type d’images se multiplie et ce n’est pas en Europe : c’est aux USA où la misère grimpe inexorablement et où la fracture entre riches et pauvres est plus importante que jamais !!!

La crise, c’est l’euro ? C’est l’Europe ? La solution, c’est le retour au produire français ? C’est le retour au franc ? C’est un discours qu’on commence à entendre dans les milieux syndicaux, socialistes, communistes, de droite comme de gauche. Eh bien , c’est la porte ouverte non seulement vers Le Pen mais vers le national-socialisme, c’est-à-dire fascisme !

Depuis des mois, on n’entend parler que de cela : la crise de l’euro et la crise de l’Europe. On croirait presque que la crise n’existe que là et que, sans l’Europe, le reste du monde ne serait même plus en crise !!! Quel baratin ! Le Japon coule. Les USA ne se relèvent pas. Partout, malgré les sommes colossales des Etats, les économies ne repartent pas et les banques menacent de couler. Les Etats sont en faillite et les banques centrales à la limite d’y être aussi. Une simple perte de confiance boursière ou bancaire et ce serait le château de cartes...

Il est bien possible qu’avec la situation actuelle, l’Europe explose, que l’euro sombre et qu’on en revienne à des monnaies nationales. Cela ne voudra pas dire qu’il y avait particulièrement une « crise de l’euro ». Si on casse sa colonne vertébrale, les membres inférieurs peuvent être paralysés, mais cela ne veut pas dire que c’est eux qui étaient malades.

Malades, d’ailleurs, est-ce une expression valable pour décrire le mal qui atteint la société capitaliste ? Quel est ce « mal » que l’on appelle couramment crise mais que l’on explicite rarement.

Certains parlent de maladie de l’ultralibéralisme, de maladie de la mondialisation, de maladie de l’euro, de maladie des dettes publiques et privées ou encore de maladie de la finance.

Ils prennent un facteur et en font le critère des difficultés que connaît le capitalisme.

Mais est-il même vrai que ce soient des « difficultés », ce qui sous-entend un caractère passager alors même qu’on n’a même pas expliqué ce que c’est !

Qui peut prétendre que la crise de 2007-2008 dans laquelle nous sommes encore plongés ait démarré du fait de l’euro, du fait de l’Europe, du fait de la dette des Etats, du fait de la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Italie... C’est risible !

Quasiment tous les candidats à l’élection présidentielle parlent de défendre la France ou le travail en France… Créer des emplois en France, sauver l’emploi en France, cela apparaît même une évidence alors que c’est un discours d’horreur nationaliste… dans une crise qui n’a rien à voir avec le seul pré carré français ! Les centrales syndicales, localement comme nationalement, prônent quasiment toutes l’isolement national, le produire en France, acheter en France, et on en est presque au travailler avec des travailleurs français !!! Certains y mettent seulement un peu de baume en disant que c’est parce que les conditions de travail en Chine sont mauvaises. Hypocrisie ! Aucun d’entre eux ne va jusqu’à aller contre l’oppression réelle de l’Etat chinois contre les travailleurs, par exemple en rendant publique le sort des victimes du goulag chinois. En France, c’est un sujet tabou !!!

Certains ont un discours social qui se rajoute au discours national. Il y a le discours national-socialiste de Le Pen qui mêle la dénonciation des marchés financiers au retour au franc et à la préférence nationale. Discours fasciste clair. Mis il y a aussi des discours de gauche qui approchent celui-ci de très près. Y compris dans les organisations les plus à gauche.

Se défendre par les frontières nationales dans la catastrophe économique est une tentation visiblement très forte. Mais a-t-elle un quelconque fondement et peut-elle sous une forme non nationaliste servir de quelque manière que ce soit les intérêts des travailleurs ? Non, non et non !!!!

La crise n’a rien de national, rien de régional, rien d’européen, rien de monétaire. L’euro n’y est pour rien.

Si quelqu’un d’aisé, disons millionnaire en euros, se met brutalement à distribuer en tous sens son argent, peut-il prétendre que son endettement ensuite est produit par une « crise de l’euro » ? Encore faut-il nous dire pourquoi il entassait des millions et brutalement s’est mis à les distribuer à tout va ! Et, dans le cas des Etats, encore faut-il se demander si les autres Etats de la planète qui n’ont rien d’européen n’ont pas fait exactement la même chose ou pire…

Et justement, c’est mondial. Aucun Etat au monde, face à l’effondrement de 2007-2008, n’a fait autre chose qu’ouvrir les finances publiques de manière massive pour faire face au retrait massif des investissements privés, au retrait massif des échanges monétaires entre banques, entre capitalistes, à la perte de confiance massive des capitalistes dans leur propre système.

L’idée de fond du produire français, du sauver les emplois en France est que la victime, ce n’est pas les travailleurs mais c’est le pays. C’est la base même de la montée d’idées fascistes en France !
Et c’est un mensonge éhonté. La France est un pays impérialiste qui opprime, qui exploite aux quatre coins du monde sans que personne ne cherche vraiment à en informer les travailleurs français.
Belle hypocrisie, par exemple, de dénoncer les conditions de travail en Chine qui rendraient la concurrence des travailleurs chinois redoutable pour nos emplois ! Qui est-ce qui s’est mobilisé pour dénoncer l’exploitation par les patrons français des travailleurs mauritaniens de la Miferma pour le fer, du Nickel calédonien (colonie française !), de l’uranium du Niger, de l’aluminium de Guinée, du pétrole du Gabon ? En France, quasiment personne ! Aucun syndicat et presque aucune organisation politique !!! Forcément, ce n’est pas nuisible aux « intérêts de la France » ! Qui ne sont pas les intérêts des travailleurs français…

Quand on ne s’est pas opposé, durant la phase de fonctionnement du capitalisme, aux mensonges impérialistes, va-t-on s’y opposer dans sa phase d’effondrement ?

D’autre part, une autre idée du produire en France, est que, pour aider l’emploi, il faudrait aider les patrons français, ces malheureuses victimes d’une concurrence déloyale...

Mais l’effondrement du capitalisme est mondial et n’est pas dû à la concurrence, même s’il l’exacerbe.

Par contre, le placer sur ce terrain de la concurrence économique s’est dresser les peuples les uns contre les autres pour finalement les envoyer à une nouvelle guerre mondiale, suite inévitable de la catastrophe actuelle.

En effet, il ne faut pas s’imaginer que les dirigeants de la planète vont laisser se développer l’effondrement économique et les réactions sociales et politiques des opprimés qui ne vont pas manquer à prendre un caractère plus violent sans trouver leur issue sous la formes des fascismes et de la guerre mondiale...

Dans ces conditions, tout opportunisme vis-à-vis du chauvinisme, du produire français, pour défendre l’"emploi français", est une caution du fascisme !

Toute propagande présentant des prétendues solutions du type le retour au franc, l’aide aux patrons français, la protection des entreprises françaises contre la concurrence est un pas vers le national-socialisme.

Et le discours selon lequel c’est l’Europe qui va nous en protéger, en augmentant son intégration économique et politique, ne vaut pas mieux. Aucune frontière, fut-elle européenne, ne nous protègera d’une crise mondiale qui frappe tous les plus grands impérialismes, USA, Japon, Corée du sud, Europe et même la Chine !

A l’inverse, l’issue est mondiale : c’est l’action du prolétariat qui ouvre un nouvel essor à l’humanité. Cela ne se fera pas sans difficultés. Les prolétaires, eux-mêmes, sont très loin d’être prêts et même très loin d’être des adversaires conscients du discours national. Raison de plus pour que les révolutionnaires s’y opposent résolument.


Le point de vue d’un économiste du capitalisme

« S’il apparaît que la crise des sub-prime aux Etats-Unis et l’effondrement boursier mondial qui a suivi ont bien été l’élément déclencheur de la crise mondiale, cette dernière n’est pourtant compréhensible, dans ses développements ultérieurs, qu’en considérant la séquence longue d’évolution de l’économie « réelle ». Si la mondialisation des économies (prééminence du « marché », libéralisation « sauvage » des échanges, dérégulation et décloisonnement des institutions de banque et de bourse, déréglementation du marché du travail) a favorisé l’avènement de la crise et ensuite permis sa diffusion dans le monde entier, il faut pourtant, par delà ce constat, la considérer d’abord comme une crise du capitalisme de concurrence. » Deuxième volet de l’analyse de la crise proposée par Robert Rollinat, Economiste, professeur à Paris X Nanterre.

Par Robert Rollinat, Professeur d’Université. Economiste, décembre 2011

Comment en est-on arrivé là ? Telle est la question qu’il faut aujourd’hui se poser, trois ans maintenant après le déclenchement de cette crise à l’automne 2008, le point de départ pouvant être constitué par la faillite de la banque Lehman Brothers aux Etats-Unis.

Rappelons qu’il y a à peine un an (au début de 2011), bon nombre d’économistes et d’experts avaient considéré que le gros de la crise était désormais passé et que la « reprise », bien que lente et difficile, était désormais assurée. D’autres avaient estimé que les nouveaux pays émergents (dont la Chine) constituaient désormais les « locomotives » de l’économie mondiale et que leur forte croissance, notamment en termes de Produit intérieur brut et de surplus à l’exportation, permettrait une relance progressive des échanges et de la production. Certaines projections quantitatives prévoyaient une reprise « en double creux » (double dip) : un premier redressement des indicateurs de la production serait suivi d’une rechute, avant une sortie définitive de l’ornière. Le problème est que, si l’on se situe à un niveau macro-économique global, ce premier redressement n’a pas eu lieu et que la grave crise financière et monétaire et les évènements de l’automne 2011 nous éloignent encore pour longtemps de cette perspective.

En fait, la crise actuelle, comme toute crise du mode de production capitaliste doit d’abord être considérée comme une crise de valorisation du capital [1] . Pour « réaliser » la valeur, il est non seulement nécessaire de dégager un profit pour rémunérer les investisseurs et les apporteurs de capitaux mais aussi d’assurer la reproduction du capital investi.

Pour le redire ici de manière très générale et d’un point de vue global, les difficultés pour le capital à dégager des profits suffisants dans la sphère « productive » faute de rencontrer, sur les marchés mondiaux, une demande solvable suffisante (en particulier aux Etats-Unis) a conduit le système à rechercher, par tous les moyens, d’autres modes de valorisation. Le secteur « réel », en raison d’une concurrence internationale accrue, ayant vu se restreindre les investissements « rentables », générateurs de profits, base même de l’accumulation capitaliste, d’autres opportunités de gain ont été explorées. Ainsi, au début des années 2000, l’orientation du capitalisme vers le support constitué par la « Net-économie » a pu être considérée comme une des manifestations les plus spectaculaires de la difficulté du capital à continuer sa valorisation dans le secteur réel. On assistera dans ce secteur à la création d’une bulle artificielle de sur-investissement qui engendrera une surproduction d’offres de services. La déconnection par rapport aux besoins réels du marché conduira au krach de cette « Net-économie ». D’autres formes de valorisation seront mises en œuvre, surtout par délocalisation vers des pays « périphériques » à bas coût de main d’œuvre.

S’affirmant progressivement, à partir des années 1980, la « financiarisation » des économies a donc consisté à rechercher dans l’activité bancaire, dans la spéculation financière des opportunités de profit à côté de la sphère « réelle » directement productrice de marchandises ou de services.

Le crédit a été un des principaux véhicules de cette financiarisation puisqu’il a permis de maintenir, pour un temps, un certain niveau de consommation en dépit de revenus salariaux en baisse. Jusqu’au déclenchement de la crise ouverte fin 2008, les Etats-Unis ont été l’exemple-type de ce modèle de crédit et de spéculation , modèle générateur de capital qu’on peut considérer comme « fictif » puisque ne conduisant pas à une véritable accumulation et étant financé avec des capitaux pouvant à tout moment refluer hors du système. Ce système de crédit a été poussé à l’extrême aux Etats-Unis où, avec la garantie de l’Etat, les banques ont pu faire souscrire, à des ménages en partie insolvables, des prêts immobiliers (les fameux prêts Ninja) pour accéder à la propriété. Lorsque le retournement du secteur immobilier se produira, ces prêts « sub-prime » deviendront irrecouvrables et ce sont les banques prêteuses et les organismes hypothécaires qui les ont garantis qui entreront en faillite. On sait comment, après 2008, cette crise s’est diffusée, via les supports titrisés de « prêts toxiques » dans de nombreuses banques dans le monde entier.

S’il apparaît que la crise des sub-prime aux Etats-Unis et l’effondrement boursier mondial qui a suivi ont bien été l’élément déclencheur de la crise mondiale, cette dernière n’est pourtant compréhensible, dans ses développements ultérieurs, qu’en considérant la séquence longue d’évolution de l’économie « réelle ». Si la mondialisation des économies (prééminence du « marché », libéralisation « sauvage » des échanges, dérégulation et décloisonnement des institutions de banque et de bourse, déréglementation du marché du travail) a favorisé l’avènement de la crise et ensuite permis sa diffusion dans le monde entier, il faut pourtant, par delà ce constat, la considérer d’abord comme une crise du capitalisme de concurrence [2].

La concurrence est inhérente au système. Elle suppose la « chasse » permanente aux profits, aux opportunités de valorisation des capitaux disponibles. C’est « l’aiguillon de la concurrence » qui pousse à la baisse des profits compte tenu de l’insuffisance de la demande solvable sur les marchés. La « loi » de baisse tendancielle du taux de profit découle logiquement de cette analyse.

La crise a conduit à une baisse, souvent brutale, de l’activité économique et donc du chiffre d’affaires des entreprises. Dans la plupart des secteurs, elles en ont profité pour rationaliser la production : rationalisation des structures, délocalisation de certaines productions ou d’entreprises entières vers des pays à bas coût de main d’oeuvre, licenciements, chômage partiel, baisse des salaires lorsque la résistance des salariés était insuffisante.

Il n’est pas question ici d’analyser en détail les formes prises, dans les différents pays, par ces restructurations mais il est évident que leur objectif, dans un contexte de concurrence exacerbée par le déroulement même de la crise, était l’abaissement des prix de production des marchandises et des services afin d’en réduire le prix sur des marchés « globaux » de plus en plus compétitifs et mondialisés [3].

Dans les pays industrialisés du « centre », est apparu, dans de nombreuses branches, un excès de capacités de production. Des équipements, des usines entières ont été sont mises au rebut, d’autres ont cessé de produire. Une recomposition du capital s’est opérée à l’échelle mondiale non seulement dans les « vieux » secteurs de l’activité manufacturière [4] (maintenant d’ailleurs devenus, dans ces pays, un secteur restreint de la production globale : 7% du PIB aux Etats-Unis) mais aussi dans tous les autres secteurs : ceux de la distribution et du transport, dans les technologies de l’information et de la presse, dans toutes les activités de service, de Banque et de Bourse. La position de la Chine comme « atelier du monde » s’en est trouvée renforcée et d’autres pays dits « émergents » comme l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du Sud ont pu aussi, pendant un temps, bénéficier de transferts de capitaux en quête de valorisation.

Cette dimension géo-politique de la restructuration depuis 2008 d’un capitalisme déjà largement mondialisé est un élément essentiel pour comprendre la situation d’aujourd’hui. Ce qui s’est traduit sur le terrain par des « licenciements boursiers », en Europe, en Amérique et ailleurs, a été accompagné par des changements importants dans la structure financière de nombreuses entreprises : prises de participation de banques ou de fonds de pension, fusions entre firmes, changements de raison sociale suite à des concentrations, des fusions ou de nouvelles introductions en Bourse. Au lendemain de la crise, en 2009, les opérations sur le capital des entreprises (fusions, acquisitions, OPA amicales ou hostiles) ont été ralenties mais elles avaient repris fortement depuis lors et retrouvé leur rythme d’avant-crise. Ces transformations, plus ou moins rapides selon les résistances sociales rencontrées ont été parfois accompagnées par des « aides » financières des Etats et des banques centrales, l’objectif recherché étant toujours l’abaissement du « coût des facteurs de production et notamment du premier d’entre eux : le travail.

Du point de vue de la « séquence » de crise initiée en 2008, le brutal ralentissement de l’ économie a révélé, dans la plupart des « vieux » pays industriels d’importantes surcapacités de production (statistiquement mesurables à travers la baisse du « taux d’utilisation des capacités productives »). Dans de nombreux secteurs, la crise a conduit à rendre obsolescent une part du capital précédemment investi. Ce capital ne terminera jamais pas son cycle productif (en termes comptables, ne sera jamais amorti). Ce processus de dévalorisation, bien décrit par Marx, a conduit à une perte considérable de valeur, de fait à une destruction de valeur.

La « dévalorisation » du capital est permanente mais elle s’accentue pendant la crise. Elle se traduit par une forme de suraccumulation du capital : trop de capital accumulé par rapport aux potentialités du marché et donc aux possibilités de bénéfices. Cependant, même en temps de crise, la quête insatiable du profit, la nécessité de valoriser les capitaux disponibles n’interrompent pas le processus d’accumulation qui va se focaliser sur de nouveaux secteurs considérés comme porteurs d’avenir et donc supposés « rentables ». Pour les grandes firmes désormais mondialisées, les mécanismes déjà évoqués de la délocalisation vont favoriser cette évolution.

« L’accumulation de crise » se concentre donc sur les secteurs où le capital est encore susceptible de rapporter de la valeur et du profit. Les formes antérieures de production (parfois constituées d’équipements (de brevets) ou de bâtiments récents pas encore amortis) se retrouvent subitement obsolètes, hors circuit, perdant toute valeur. On a donc une énorme « destruction » de capital accumulé selon un mécanisme prédateur bien analysé par Marx : « la barrière du capital, c’est le capital lui-même ». Ce caractère « auto-destructeur » du mode de production capitaliste, particulièrement aigu pendant la crise, a été relevé, sinon analysé, par de nombreux économistes. C’est un facteur déterminant qui permet de saisir la « dynamique » et les spécificités de la crise en cours ainsi que ses conséquences sur la force du travail et les salaires.

La sur-accumulation de capital suppose implicitement la surproduction de marchandises (et de services) [5]. Cette surproduction n’est que le sous-produit de la loi de concurrence, de la « guerre économique » qui se mène entre les détenteurs de capitaux. La surproduction ne se traduit pas nécessairement par des stocks physiques de biens invendus (bien que cet aspect soit bien évidemment toujours présent). Désormais, grâce à une politique « rationnelle » de gestion de la production, des flux d’importation ou d’exportation, la « surproduction » n’est que latente. De toute manière, elle ne sera que relative, dans un monde où des besoins essentiels d’une part importante de la population ne sont pas satisfaits.

Elle ne peut être que relative car elle reste limitée par les capacités d’absorption du marché et conditionnée par l’existence d’une demande solvable qui dépendra pour l’essentiel, à l’issue du cycle de production, de la part de plus-value revenant à la force de travail, au « partage » entre les profits et les salaires. Que la position politique et sociale du salariat ait, dans ce « partage », un rôle déterminant relève de l’évidence.

De 2008 à aujourd’hui, la mise en valeur du capital s’est donc poursuivie, mais dans des conditions de plus en plus difficiles et prédatrices. Les grands groupes mondialisés ont été évidemment les mieux placés pour tirer bénéfice d’une situation où la base d’extorsion de la plus-value s’est restreinte, notamment dans les pays du « centre ». Les grands groupes se sont organisés autour de certains secteurs-clé de l’économie, souvent les plus rentables [6]. Cette « rationalisation » de la production n’a pu se faire qu’en introduisant de nouvelles technologies, c’est-à-dire des modes de production plus « efficients » (productivité accrue), en fait en réduisant encore, dans ces secteurs, la part du travail dans la production. Ces gains de productivité expliquent pourquoi il n’y a pas eu de créations nettes d’emplois lors des brefs « rebonds » conjoncturels qui se sont produits depuis 2008 (croissance sans emploi ou « jobless recovery ») et que les embauches réalisées ont été le plus souvent réalisées à des conditions salariales inférieures à celles de l’avant-crise. . Mais la « destruction » de capital ne concerne pas seulement le secteur « réel » de l’économie, elle concerne aussi les « bulles » de capital fictif accumulées, tout au long des phases récurrentes de la spéculation monétaire et financière. Il est évidemment difficile d’appréhender l’ampleur de ces processus permanents de destruction de valeur mais le comportement de la Bourse, très volatile en période de crise, permet cependant d’en avoir une idée. On a ainsi estimé qu’en deux jours, les 5 et 8 août 2011, en Europe et aux Etats-Unis, la capitalisation boursière aurait baissé de plus de 900 milliards d’euros, soit 37% des pertes des six mois précédents au cours desquels la seule baisse des marchés boursiers aurait fait perdre 3400 milliards d’euros de capitalisation boursière [7]des deux côtés de l’Atlantique (soit près d’un tiers du Produit Intérieur Brut des Etats-Unis).

Le secteur bancaire est un des secteurs où la « destruction » de capital fictif accumulé (générateur de confortables profits dans la phase d’ascension du cycle) est aujourd’hui le plus spectaculaire. Face à des débiteurs défaillants (les Etats dits « souverains » mais aussi des entreprises en difficulté) on assiste (voir plus haut) à une brutale dévalorisation de leurs actifs. Il leur faut réduire drastiquement leurs bilans et envisager des « recapitalisations » d’autant plus difficiles que les risques de leur faillite n’a jamais semblé aussi proche. En conséquence, la nouvelle « purge » envisagée dans le secteur en termes d’emplois, en Europe mais aussi aux Etats-Unis, apparaît comme particulièrement sévère : plus de 6000 licenciements à Unicredit en Italie, 4000 à la Société Générale et 1400 à la BNP en France, 50.000 dans les banques anglaises.
Texte communiqué par l’auteur

[1] Pour un rappel de l’explication générale des crises chez MARX, nous renvoyons à notre texte : « La crise du capitalisme d’aujourd’hui : une analyse marxiste » [2009], 32 pages.

En anglais, pour une présentation particulièrement claire et pédagogique, voir HARMAN Chris [2010] : « Zombie Capitalism : Global Crisis and the Relevance of Marx ». Booksmarks Publications. Londres. En particulier, les trois premiers chapitres, pp. 21 à 85.

[2] Dans cette optique, dire de la crise actuelle qu’elle est « systémique », antienne commune aux réformistes et « régulateurs » de tout acabit, relève de la pure tautologie. Elle consiste, le plus souvent, à stigmatiser « les excès » de la finance, à dénoncer l’âpreté au gain et l’inconséquence des banquiers, à quémander une « nouvelle répartition des richesses ». Sont escamotées les bases matérielles de la crise du capital, son mode d’évolution et son approfondissement depuis le krach bancaire et financier de l’automne 2008. HARMAN (op.cit., p. 57-59) rappelle sur ce point les conceptions de MARX sur « l’essence » même du capitalisme et ses réflexions sur la possibilité/ inévitabilité des crises.

[3] Un exemple-type : le secteur automobile. Il a été, aux Etats-Unis, sauvé de la faillite par l’Etat et profondément restructuré avec des fermetures de sites, des licenciements, des fusions ou des accords avec des firmes européennes ou asiatiques. En 10 ans, constructeurs et équipementiers ont supprimé 640.000 emplois aux Etats-Unis. Depuis 2009, la firme General Motors (avec Ford désormais allié à Wolskswagen) a survécu mais en fermant quatorze usines et en réembauchant, pour l’automobile électrique, une petite partie des licenciés mais à des salaires deux fois moins élevés : « General Motors renaît mais dans un Detroit à l’agonie ». Le Figaro Economie, 14 mars 2011. En France, la firme Renault, ex-symbole « national » » du secteur, a donné naissance à un conglomérat qui associe désormais le Japonais Nissan, le russe Avtovaz, le roumain Dacia, le coréen Samsung, avec un partenariat avec l’allemand Daimler. Désormais, trois voitures Renault sur quatre sont produites à l’étranger (Slovénie, Turquie, Espagne, Corée) pour les marchés locaux ou « réimportées ». En 2009, l’Etat français qui possédait encore 15% du capital de l’ex-Régie lui avait « prêté » 3 milliards d’euros (tout comme à Peugeot) afin de faciliter une « mutation » productive qui n’a pas jusqu’à présent sauvé les emplois à Flins, Sandouville ou Douai. Carlos Ghosn , le PDG de Renault est cependant resté le patron le mieux payé de France en 2010. Peugeot-Citroën, groupe désormais mondialisé, a annoncé en Novembre 2011, la suppression de plus de 4000 postes de travail en France.

[4] Un autre exemple, celui de l’acier. Le n°1 mondial de la sidérurgie, ArcelorMittal, désormais indien, avait fermé en 2008-2009 la moitié de ses sites de production dans le monde. Il avait depuis lors développé au niveau mondial une stratégie de fusions-acquisitions, privilégiant les pays émergents et réduisant massivement les effectifs au travail, avec d’énormes surcapacités industrielles en Europe et aux USA. C’est désormais un acteur global présent de l’extraction des minerais à la commercialisation des produits sidérurgiques. Son principal client en 2011 : la Chine qui consomme 40% de la production mondiale d’acier. En France, sont maintenant en train de disparaître les dernières aciéries rachetées à Arcelor. Dans un tout autre domaine, d’innovation récente, voir la « guerre » engagée par les principaux opérateurs de téléphonie mobile mondiaux , en matière de commercialisation des iPad et des nouveaux iPhone

[5] Parmi les secteurs où la suraccumulation paraît particulièrement importante : le transport, et en particulier le transport maritime. Face à une baisse générale du commerce mondial (moins 8% entre début 2010 et début 2011), d’énormes surcapacités de transport maritime sont apparues (minéraliers, pétroliers, porte-conteneurs). La flotte de transport de biens lourds n’est aujourd’hui utilisée qu’à un tiers de ses capacités, compte tenu de la livraison de nouveaux bateaux commandés avant la crise. Les coûts de transport se sont effondrés, menaçant la survie des plus grandes compagnies. Des surcapacités du même type existent aussi dans le transport aérien cargo et dans le transport routier. Outre les secteurs industriels ou de service, il faut aussi considérer l’immobilier. Suite à la bulle spéculative dans ce secteur, des millions de logements, des programmes entiers, aux Etats-Unis, en Espagne, en Irlande sont devenus invendables et le sont restés. Même constat dans l’immobilier de bureau où d’importantes surcapacités sont apparues. Une forme visible et incontestable de « destruction » de capital.

[6] Ainsi, en France, les bénéfices des sociétés du CAC 40, (le résultat net) selon un cabinet d’audit lié au « Monde » avaient progressé de 9,5% au 1er semestre 2011 à 46, 2 milliards d’euros avec un chiffre d’affaires en hausse de 6,6% ( 650 milliards d’euros). On s’attendait à ce que ces grands groupes dégagent 94 milliards d’euros en 2011, soit 15% de plus qu’en 2010. Les raisons de cette divergence avec l’évolution « moyenne » du PIB ? Une croissance qui a continué en Asie, une rationalisation « mondiale » renforcée des systèmes de production, la poursuite des délocalisations vers pays à bas coût de main d’œuvre, de multiples opérations de fusion-acquisition intensifiant cette stratégie de mondialisation.

[7] Sont ici prises en compte les pertes des 500 entreprises américaines de l’indice boursier SP 500 et celles des 600 entreprises européennes du DJ Stoxx 600. Estimations de Dexia Securities, filiale de courtage de la Banque Dexia (avant sa disparition...).

Tous ceux qui se réfèrent à Marx l’ont appris depuis longtemps : pour survivre, le capitalisme doit continuer, vaille que vaille, à « extorquer » la plus-value pour réaliser le profit. C’est un impératif absolu pour le fonctionnement du système mais aussi pour sa reproduction. C’est aujourd’hui ce qui lui donne ce caractère prédateur et brutal, non seulement au niveau du travail et de l’emploi, mais dans tous les domaines de la vie sociale.
LA CRISE DE L’EURO : LA CHINE, L’EUROPE ET L’AMERIQUE

Pour illustrer concrètement les mécanismes généraux de la concurrence dans le cadre du « capitalisme mondialisé » , on peut simplement, au niveau européen, rappeler quelques éléments récents de la chronique financière de l’automne 2011.

Le mardi 13 septembre 2011, alors que les Bourses européennes continuaient leur dégringolade, que les taux d’intérêt des obligations d’Etat italiennes s’envolaient, la Chine réaffirmait « sa confiance dans l’économie européenne et dans l’euro », tout en engageant des discussions, par l’intermédiaire du fonds souverain China Investment Corp., pour le rachat d’une partie de la dette « souveraine » de l’Italie. En effet, selon un économiste chinois autorisé cité par l’A.F.P., pour la Chine, « les obligations italiennes pourraient s’avérer de bonnes affaires » et la Chine « devrait voir si elle peut tirer un avantage de cette opportunité (la crise de la dette) pour faire une percée dans ses relations et sa coopération avec des pays européens comme l’Italie et la France". Pour la Chine, « l’aide » à l’Europe serait une occasion de diversifier le placement de ses réserves de change (2300 milliards d’euros), trop exclusivement orientées vers les obligations d’Etat américaines mais aussi (selon le « China Daily » cité par « Le Monde » du 15 septembre) de réaliser, en ces temps de crise, « des fusions et des acquisitions dans la zone euro, plus particulièrement pour les entreprises de haute technologie ».

Finalement, ce même 13 septembre, les discussions entre la délégation du fonds souverain chinois et l’Italie échoueront, accentuant, le jour même, la rechute des Bourses en Europe et à Wall Street, mais l’ épisode est révélateur de l’ampleur de la crise de l’euro et l’impuissance politique et financière des pays créanciers censés « sauver » la Grèce de la faillite. Si, bien évidemment, les Chinois avaient pu prendre en charge une partie de la dette italienne (plus de 1900 milliards d’euros), d’une toute autre dimension que celle du Portugal ou de la Grèce, les « marchés » et surtout les banques créancières en très grosse difficulté ( notamment françaises et allemandes) en auraient été soulagées d’autant. Peut-être la dette souveraine italienne n’aurait-elle pas été dégradée par Standard & Poor’s une semaine plus tard avec maintenant un endettement équivalent à 120% de son Produit Intérieur Brut.

L’Italie, troisième économie de l’Union monétaire et selon un expert, ultime « pare-feu » de la France, est directement menacée d’une crise de liquidité de ses banques et ne sera pas en mesure, pour des raisons sociales et politiques évidentes, de mettre en pratique les plans « d’austérité » préconisés par la Banque Centrale Européenne. Restera alors le recours à un « fonds de sauvetage » de la zone euro encore dans les limbes et dont l’Italie devait justement être un des principaux contributeurs.

Ce n’est donc pas faire preuve de catastrophisme que de considérer que l’ensemble du système de banques européen est maintenant menacé. L’impuissance des différents « sommets » et réunions « de crise » à simplement stabiliser ( sinon résoudre) la situation, révèle le profond désarroi politique des responsables d’une Europe économique « virtuelle », construction institutionnelle et juridique artificielle, mise au service des partisans de la mondialisation et des dirigeants du capital international.

Que le premier ministre chinois Wen Jiabao se dise aujourd’hui « prêt à aider les Européens » s’ils font preuve « de plus de responsabilité et s’ils mettent de l’ordre dans leurs maisons » n’est pas simplement une outrecuidance vexatoire, cela témoigne de l’évolution de la crise mondiale depuis 2008 : de nouveaux rapports de force politiques et économiques, une nouvelle configuration géo-politique mondiale se sont progressivement mis en place où, incontestablement la « vieille Europe » mais aussi les Etats-Unis se voient directement contester leur place au plan international.

L’accélération de la crise ouverte de la zone euro commencée en Août 2011 a pu être aussi considérée comme une nouvelle phase de la rivalité entre l’euro et le dollar [1]. Certains analystes ont cru y voir un « complot » des anglo-saxons contre la monnaie européenne. Selon « l’eurosceptique » « Financial Times » de Londres, des financiers à « Wall Street » et à la « City » auraient été suspectés de participer à des attaques contre l’Euro afin de mettre les banques européennes (et françaises en particulier) en difficulté afin de faciliter ainsi leur rachat par des banques américaines (thèse reprise en France par Laurence Parisot, responsable du MEDEF). En fait, il n’était nul besoin d’organiser un complot pour que les spéculateurs, notamment ceux liés aux « hedge funds », fonds de placement à risque, décident de « jouer à la baisse » la dette grecque pour concrétiser leurs gains. C’est ce qui s’est effectivement passé début septembre.

Il est aussi évident que les Etats-Unis ( pays surendetté et qui a donc besoin que les autres pays, notamment la Chine, lui achètent une part de son énorme dette) doivent aujourd’hui faire en sorte que le dollar reste, par-delà ses difficultés, la monnaie de référence internationale et qu’ils ont donc tout intérêt à « décrédibiliser » l’euro. Pourtant la faillite d’un Etat européen aurait aujourd’hui d’énormes conséquences pour l’économie mondiale. C’est la raison pour laquelle, Timothy GEITHNER, secrétaire au Trésor américain et artisan des « plans de relance » du Président OBAMA est venu, le 16 septembre à la réunion de l’Eurogroupe en Pologne pour inciter les Européens à « agir de façon décisive et à parler d’une seule voix ». La « division » des Européens fait peser un « risque catastrophique à l’économie mondiale » a t’il estimé, considérant que la croissance européenne « pourrait être virtuellement à l’arrêt à la fin de l’année » . Mais le Président de l’Eurogroupe lui a, au cours de cette même réunion, répondu qu’il n’y avait plus, dans la zone euro, « aucune marge de manœuvre pour lancer un nouveau plan de soutien à l’économie ».

En effet, les mécanismes dits « keynésiens » de relance [2] , en fait surtout jusqu’à présent la création massive de monnaie par la planche à billets (la « monétisation » des dettes) n’ont fait que repousser les échéances, sans permettre la relance des investissements. Ils n’ont contribué qu’à l’augmentation incontrôlable de l’endettement des Etats. Désormais inopérants, ils rendent nécessaire une nouvelle « purge » du système où cette fois, il faudra bien tenter de solder les comptes. C’est la raison pour laquelle les banques européennes, renflouées à grand frais par les Etats après 2008 et qui avaient ensuite, pour élargir leurs profits, massivement prêté à des pays insolvables seraient maintenant contraintes de « sacrifier » une partie de leurs créances afin de pouvoir être rapidement « recapitalisées ».
FAILLITES-RECAPITALISATION DES BANQUES : UN NOUVEAU 2008 ?

Aujourd’hui, selon des données récentes, les banques de l’Union monétaire seraient dotées de 32.500 milliards d’euros d’actifs, dont une part de crédits pourris ou toxiques. Ce montant représente 350% du PIB de cette même zone euro (aux Etats-Unis, ce même ratio est d’environ 80%). Cela confirme le fait que, pour les banques européennes (et le capital financier auquel elles sont adossées), le crédit a constitué, dans la période 2008-2010, un élément très important, bien que parfaitement artificiel et pervers, de valorisation du capital.

Non seulement ces banques ont massivement souscrit aux emprunts d’Etat émis par des Etats souverains du Sud et de l’Est européen, non seulement elles ont « accompagné » des projets d’investissement non rentables (les autoroutes portugaises et des nouveaux aéroports espagnols aujourd’hui non exploités en sont un bon exemple) mais elles ont aussi pris des participations, voire directement le contrôle de banques dans ces mêmes Etats. Ces banques (dans la plupart des cas des filiales des grands groupes bancaires européens) n’ont pas été en mesure d’impulser une activité productive rentable donc de « rembourser » les avances en capital consenties. Ce sont ces trois éléments cumulés qui constituent aujourd’hui les bases de l’endettement considérable des principaux réseaux de banque européens.

Mais c’est le cadre européen de l’euro, « monnaie unique » et aussi les fonds européens qui ont été le véhicule de la politique « monétaire » de la Banque Centrale Européenne qui a pu fournir, à très bas taux, aux banques créancières, le crédit nécessaire à ces diverses opérations. Ces banques prêteuses en ont tiré, pendant un temps, de substantiels bénéfices puisque prêtant elles-mêmes à un taux beaucoup plus élevé. C’est le défaut de paiement de la Grèce qui a été le révélateur d’un surendettement qui trouve sa source, à la fois dans la poursuite de la dérégulation financière et dans l’appât du gain des banquiers [3].

Aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement pour les banques de tenter de récupérer leurs créances sur la Grèce, pays quasi-insolvable, mais aussi, avec des montants plus importants encore, sur l’Italie, l’Espagne (dont les notes de dettes souveraines ont été de nouveau rabaissées début Octobre 2011) mais aussi sur le Portugal et d’autres pays est-européens. Alors qu’il y a quelques mois à peine, ces banques avaient fait l’objet de « tests » de résistance positifs (« stress » tests), elles révèlent brutalement l’insuffisance de leurs fonds propres, leur sous-capitalisation. Encombrées de titres de dette souveraine fortement décotés (négociables parfois à moins de la moitié de leur valeur d’émission), elles en appellent de nouveau aux Etats, et en premier lieu au « couple » franco-allemand, censé garantir la stabilité de la zone euro.

En France, la faillite de la Banque DEXIA est venue confirmer la difficulté de la situation. DEXIA est l’exemple-type de ces banques qui avaient « prospéré » avec la crise, à partir, en France, essentiellement d’activités « de marché » et de souscription de dettes « souveraines » [4] .

La faillite de DEXIA est annonciatrice d’autres défaillances bancaires en Europe.

Désormais, la crise du « politique » aux Etats-Unis, en Allemagne, en France et dans tous les pays endettés interfère directement avec la crise financière et sociale. Aucune mesure partielle ne peut résoudre les problèmes de fond. Toutes les mesures financières actuellement prises relèvent de l’urgence, destinées à parer au plus pressé, sans vraiment « rassurer les marchés », c’est-à-dire le capital et la finance spéculative [5].

Le Fonds Européen de Stabilisation Financière (FESF), laborieusement mis en place il y a quelques mois ne dispose pas de moyens suffisants pour les recapitaliser (c’est-à-dire augmenter leurs fonds propres). Les banques les plus exposées aux dettes souveraines des pays en détresse comme la Grèce ou l’Italie (mais aussi l’Espagne dont la dette a été de nouveau dégradée à la mi-octobre) sont donc maintenant directement menacées de faillite, avec toutes les conséquences sociales et politiques qui peuvent en découler. En un mois, leurs cours de Bourse se sont effondrés [6] et leur capitalisation boursière s’est brutalement réduite. Se recapitaliser consisterait pour elles à s’adresser aux « marchés », à leurs actionnaires (notamment à leurs dirigeants qui ont profité largement des « bonus ») pour augmenter le niveau des fonds propres, voire à solliciter des « repreneurs » étrangers. Mais qui accepterait de s’engager maintenant vers des opérations aussi risquées ? Donc, l’ultime recours de la finance, face à la menace d’une déconfiture bancaire généralisée, ce sont désormais les Etats.

C’est bien ce qui s’est encore passé le 27 Octobre 2011 à Bruxelles, à l’issue d’une folle semaine de négociations et d’un nouveau « sommet » volontairement dramatisé. Pour « sauver » la Grèce, il a été nécessaire de lui consentir une aide supplémentaire de 30 milliards d’euros et surtout, les banques prêteuses ont été cette fois contraintes d’accepter une décote de 50% de leurs titres sur ce pays, « effaçant » ainsi une partie de leur dette publique. Cet abandon de créances, considéré comme « volontaire » n’entraînera pas les mécanismes classiques « d’assurance » (notamment les fameux CDS, : Credit Default Swaps,) qui sont censés protéger les créanciers de la faillite d’un emprunteur. L’endettement de la Grèce envers le FMI et la Banque centrale européenne ne sera pas réduit d’un dollar.

Mais quelle sera la contrepartie de cette aide ? Que la Grèce poursuive les plans d’austérité en cours et accélère les privatisations pour atteindre quinze milliards d’euros. Ces mesures devraient alors, à l’horizon 2020 ( !!), ramener l’endettement de la Grèce de 160 à 120% de son Produit Intérieur Brut, lui permettant alors de revenir « sur les marchés » [7]. En fait, tout cela supposerait un redémarrage de l’économie grecque (en « croissance négative » depuis 2008) et un bond de ses exportations (seulement 7% du PIB dont tourisme et armement maritime, le plus faible taux de la zone euro) et aussi des rentrées fiscales provenant d’activités économiques rentables. Les récents développements de la situation dans ce pays ne vont pas dans ce sens.

L’avenir reste très problématique dans la mesure où le FESF censé constituer un « fonds de sauvetage » financier de la zone euro n’a pas été « autorisé », suite au refus de l’Allemagne, à avoir accès aux ressources en principe « illimitées » de la Banque Centrale Européenne. Simplement sa « force de frappe » a été théoriquement accrue puisqu’il pourrait désormais « garantir » jusqu’à 1000 milliards d’euros de prêts émis par les Etats européens. Mais cet échafaudage instable de garanties révèle d’emblée ses limites si l’on veut bien considérer que les principaux contributeurs à ce fonds (en 2ème, 3ème, 4ème position : la France, l’Italie et l’Espagne) pourraient, dans un proche avenir, être amenés à solliciter son aide.

Qui pourrait donc désormais, dans ce chaos politico-financier, « sauver » l’Euro en participant au « fonds de sauvetage » européen et au renflouement des banques créancières de pays en déficit ? Les pays dits « émergents » ont été sollicités pour fournir leur « aide ». Parmi ceux-ci, la CHINE revient en première ligne. Déjà souscriptrice d’obligations émises par le FESF, elle pourrait apporter encore de 35 à 70 milliards d’euros. La condition : accéder rapidement au « statut d’économie de marché » de l’Organisation Mondiale du Commerce, c’est-à-dire permettre à ses marchandises (et à ses investissements) d’accéder plus librement aux pays européens. La Chine, la plus grande économie du monde à surplus d’exportation, donc avec des réserves considérables, serait financièrement la mieux placée pour aider l’Europe. Elle demandera cependant des garanties solides pour souscrire aux dettes souveraines de l’eurozone ainsi que l’accès à ses marchés. D’un autre côté, pour poursuivre ses exportations, affirmer son influence en Europe, elle a tout intérêt à « sauver » la zone euro, l’empêcher si possible d’entrer dans une nouvelle phase de dépression.

Ces conflits « d’hégémonisme » ne découlent pas directement des mécanismes généraux de la concurrence mais ils lui sont liés. Ils révèlent surtout la place prise par les nouveaux venus dans les échanges mondiaux. L’interdépendance mondiale accrue , la « pression » chinoise, pourraient, selon certains, favoriser une plus grande intégration du capital au niveau européen, pour d’autres contribuer davantage à aiguiser les rivalités commerciales au sein même de l’eurozone [8].

Le scénario qui semble le plus probable, à l’aube de cette année 2012, est bien celui de nouvelles faillites ou de fusions-restructurations de banques au sein même de la zone euro comme le prévoit le dernier rapport trimestriel de la Banque Centrale Européenne elle-même. Selon ce rapport , l’indicateur du « risque systémique », celui qui renseigne sur la solidité du « réseau bancaire » dans son ensemble, n’a jamais été aussi élevé, bien supérieur à celui qui avait prévalu lors de la crise des subprimes. Les actions des grandes banques européennes ont en effet perdu près des deux tiers de leur valeur depuis le début de 2011 et les contrats financiers de « garantie » comme les CDS, Credit Defaut Swaps, censés faire face au défaut des Etats, des entreprises, des banques elles-mêmes risquent d’être inopérants. La perte de « confiance » est telle que le manque de liquidités peut aujourd’hui faire tomber une Banque, et par contagion d’autres banques car tout se conjugue : la crise des dettes souveraines, la fragilité du système bancaire et le marasme grandissant des économies. La crise de liquidités est telle que la BCE a du, une nouvelle fois, le 20 décembre, mettre à la disposition des banques européennes, à « guichet ouvert », près de 500 milliards d’euros pour éviter la déconfiture.

[1] Voir notre texte précédent : « La guerre des monnaies comme révélateur de la crise du capitalisme » , mars 2011, 12 pages.

[2] En fait, les monétaristes « à la FRIEDMAN » considéraient également que les Etats, via la Banque Centrale, devaient, en période de crise, permettre la croissance de la masse monétaire et des dépôts bancaires. Dans un texte célèbre, FRIEDMAN avait ainsi estimé que si, en 1929, la Réserve Fédérale avait agi ainsi, la crise aurait pu être évitée aux Etats-Unis.

La divergence avec les « vrais » keynésiens porte en fait sur le « volume » de la création ex-nihilo de monnaie. C’est ainsi que Paul KRUGMAN (dans ses chroniques du « New York Times ») mais aussi Martin WOLF (dans le « Financial Times » de Londres, relayé par « Le Monde » ) n’ont eu de cesse, depuis 2009, de critiquer la « timidité » des plans de relance américains et surtout l’incapacité des gouvernements européens à suivre la même voie.

[3] Cette dimension « cupide » de la Banque, parfois difficile à comprendre pour les non-initiés, a été, pour les Etats-Unis, bien analysée dans l’ouvrage de Jeff MADRICK : « Age of Greed. The Triumph of Finance and the Decline of America. 1970 to the Present », Knopf éditeur, 2011

[4] La banque Dexia, déjà « sauvée » en 2008 (avec 6 milliards d’euros) par la France et la Belgique était spécialisée en France dans les prêts aux collectivés locales. Privatisée et entrée dans la logique des « banques de marché », elle était à la fin de l’été 2011, « plombée » par 95 milliards d’euros d’actifs « toxiques » dont elle n’a pu se délester mais aussi fortement engagée sur les dettes grecque, espagnole et italienne. Après la cession des actifs encore « rentables » (la filiale turque Denizbank et le secteur de « banque privée ») ce sont, cette fois encore, les Etats belge et français qui ont été appelés à la rescousse pour liquider les pertes. En France, le portefeuille de prêts aux collectivités locales évalué à 70 milliards d’euros serait repris par la Caisse des dépôts et la Banque Postale. Une fois de plus, socialisation des pertes après privatisation des gains. En avril 2011, le PDG s’était vu attribuer 600.000 euros de bonus au titre de l’exercice 2010.

[5] Ainsi, le 16 septembre 2011, trois ans jour pour jour après la faillite de Lehman Brothers, les banques centrales (FED, BCE, Banque d’Angleterre, Banque du Japon) ont décidé une « action coordonnée » pour fournir, de manière illimitée des dollars à tous les établissements financiers européens. La Banque Centrale Européenne a, quant à elle, décidé de fournir, « à guichets ouverts » et, pour le moment sans limite, les liquidités demandées par les banques. Assurer d’urgence la « liquidité » du système, c’est éviter le grippage complet des financements bancaires, notamment ceux du commerce international (le dollar restant encore la principale devise d’échange sur les marchés des matières premières)

[6] Les banques françaises ont été les plus attaquées en Bourse. L’indice Euro Stox des valeurs bancaires européennes a perdu 46% entre le 7 juillet et le 12 septembre 2011. Entre le 1er juillet et le 12 septembre, la capitalisation boursière de BNP Paribas a diminué de 52%, celle de la Société générale de 60%, celle du Crédit agricole de près de 55% (moyenne des banques européennes : baisse de 33% sur les trois derniers mois). En deux mois plus de 69 milliards d’euros se sont ainsi volatilisés pour les trois banques françaises. A noter qu’il y a 3 mois, ces banques avaient satisfait aux « stress tests » (indicateurs de solvabilité) et Madame Parisot avait encore affirmé il y a peu : « les banques françaises sont les plus solides du monde ». Fin septembre, on apprenait pourtant que les fonds américains avaient, en trois mois, réduit de plus d’un quart leurs placements dans les banques européennes. Les banques européennes ont de nouveau très attaquées en Bourse fin Octobre, suite à la « décote » des titres grecs. La première banque italienne UNICREDIT a annoncé le 15 Novembre 2011, une perte historique de 10,5 milliards d’euros. Sa capitalisation boursière est tombée de 43 à 14,5 milliards d’euros entre avril 2010 et Octobre 2011 suite à la dépréciation de ses filiales en Europe de l’Est.

[7] Pendant tout ce temps, la spéculation a continué. La « finance de l’ombre » et notamment les « hedge funds » qui avaient d’abord « joué », avec succès, les banques françaises à la baisse en Septembre, ont pu racheter, à très bon compte, de la dette grecque (40 milliards d’euros depuis la fin juillet selon une estimation de la City de Londres). Même décotés de 50%, ces titres de dette pourraient être encore très rentables pour leurs détenteurs.

[8] C’est ainsi qu’il faut tenter de mesurer l’impact de la vague récente d’investissements chinois en Europe. En Grèce, le géant chinois Cosco veut faire du port du Pirée sa porte d’entrée dans l’Union européenne (investissement de 3,4 milliards d’euros). De nouveaux contrats sont prévus avec la Chine qui investirait dans les services bancaires, les télécommunications et même l’industrie de la bière. Elle est déjà candidate à la privatisation des chemins de fer.

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