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L’internationale et la question polonaise

lundi 2 avril 2012, par Robert Paris

La question polonaise et l’Internationale

Karl Radek

La Pologne, avant-garde de la Révolution Européenne, contre la Russie du Tsar. La libération de la Pologne, tâche du prolétariat international, la Pologne, poste avancé de la contre-révolution capitaliste, contre la révolution ouvrière russe, foyer de la Révolution prolétarienne universelle. L’écrasement de la Pologne bourgeoise, tâche de la classe ouvrière Internationale. Et, à la tête de la Pologne réactionnaire, Joseph Piłsudski, un des leaders du Parti Socialiste Polonais, qui adhère à la 2e Internationale. Cela ne vous paraît-il pas une série de paradoxes ? Non ! Ce sont simplement des étapes du développement historique des phases de la lutte du prolétariat pour son émancipation. Rien ne pourrait mieux donner une idée des étapes de ce développement que le contraste des rôles de la question polonaise dans les trois époques du mouvement ouvrier, dont deux sont déjà du passé et la troisième de nos jours.

Par les discours et les articles qu’ont publiés Karl Marx et Friedrich Engels sur la question polonaise entre 1845 et l’œuvre d’Engels sur la politique extérieure du Tsarisme, parue en 1890, on peut juger malgré bien des hésitations de leur point de vue sur cette question de la manière suivante : à l’Occident le prolétariat prenait place dans les premiers rangs de la révolution bourgeoise, luttait pour la démocratie qui lui devait servir de moyen pour arriver à la Révolution prolétarienne.

Dans cette lutte il s’est heurté surtout à deux puissante ennemis. Premièrement : Le capitalisme anglais, despote du marché mondial sans la destruction duquel toutes les révolutions européennes sont vouées à l’échec, car il incarne la force la plus puissante du capitalisme. Deuxièmement, toute victoire en Europe occidentale était menacée par une deuxième puissance réactionnaire en Orient. Cette puissance, c’était la Russie tsariste et féodale qui, bien qu’à cette époque, sous l’influence du développement capitaliste elle commençât à se désagréger et ne puisât plus sa force que dans la rivalité des puissances capitalistes, n’en avait pas moins à sa disposition des millions de paysans abêtis qu’elle eût pu envoyer en Europe pour réprimer un mouvement révolutionnaire. En Occident, toute révolution pouvait de ce fait être noyée dans le sang par les troupes du tsar. La démocratie bourgeoise, de même que la naissante démocratie prolétarienne reconnaissaient que l’Europe, pour employer l’expression de Wilhelm Liebknecht « serait ou républicaine, ou cosaque », car elle comprenait qu’entre la Révolution et la réaction tsariste, il ne pouvait y avoir qu’une lutte à vie ou à mort.

Cette lutte était une nécessité historique. Le partage de la Pologne entre la Russie, l’Autriche et la Prusse a transformé ces deux derniers complices de cet acte de brigandage en vassaux du principal brigand. De peur de laisser échapper la proie, les deux puissances germaniques s’étaient livrées à la diplomatie du tsar, et étaient devenues les satrapes du tsarisme. Toute tentative des démocrates allemands de jeter bas ses propres despotes, se heurtait aussitôt à l’opposition de la diplomatie du tsar. La démocratie allemande était forcée d’avance de compter sérieusement avec le péril russe. Aussi, vaincre ce péril était devenu une dies conditions de lutte contre sa propre bourgeoisie. De ce fait, il ne pouvait y avoir pour Marx et Engels qu’une seule politique : la lutte implacable contre le tsarisme. Pour cette lutte ils cherchaient des alliés. Et le seul peuple en lutte contre le tsarisme était la Pologne.
La lutte révolutionnaire en Pologne

Le partage de la Pologne ne devait pas mettre fin à sa lutte émancipatrice. « Les Polonais conspirent toujours », écrivait Mochnacki, le brillant historien de la révolution de 1851. « Quand leurs affaires vont mal, ils se révoltent contre le besoin. Ils se soulèvent, car ils ne peuvent pas vivre autrement. Quand leurs affaires vont bien, ils se révoltent, car ils peuvent se révolter. Dans tous les cas, ils se révoltent. »

En réalité, ce n’était pas le peuple polonais qui se révoltait, mais la partie mécontente de la noblesse, autrefois toute-puissante en Pologne, qui ne pouvait se faire à l’idée de la perte de l’indépendance du pays et à la perte de son autorité de classe. Cette partie était fortement divisée. Sous le drapeau de la lutte pour l’indépendance de la Pologne se groupèrent les aristocrates qui comptaient davantage sur le soutien des cercles diplomatiques démocrates de l’Europe capitaliste que sur les révolutionnaires de l’Europe, et aussi des éléments de la petite noblesse qui voulaient lier le sort de la Pologne à celui de la révolution bourgeoise. Sous ce drapeau luttaient aussi tous les révolutionnaires honnêtes qui s’étaient pénétrés à l’étranger des fortes idées socialistes et qui tentaient de transformer la lutte pour l’indépendance de la Pologne en une lutte pour le socialisme. Marx et Engels avaient déclaré dans le Manifeste Communiste qu’ils soutiendraient toute fraction de polonais révoltés qui aurait pour devise la révolution agraire. Cette fraction était loin de représenter la plus puissante partie des forces patriotiques. Mais il était clair que la mobilisation par la Pologne de forces suffisantes contre le tsarisme n’était possible qu’à la condition que les classes possédantes polonaises et, en premier lieu, la noblesse terrienne, fissent abandon de leurs privilèges féodaux, libérassent les paysans et les intéressassent à la lutte pour l’indépendance de la Pologne.

En soutenant cette partie de la noblesse polonaise. Marx et Engels espéraient pousser contre la Russie du Tsar une véritable force révolutionnaire. L’indépendance de la Pologne était pour eux une revendication concrète, nécessitée par la situation historique ; c’était le but de la lutte au nom de laquelle le prolétariat international devait agir non par simple engouement pour les peuples asservis, mais par l’intérêt concret de fonder en Orient contre la Russie du Tsar une force considérable qui serait nécessaire pour servir de rempart à la Révolution Européenne contre l’Orient barbare.

Toutes les tentatives d’insurrection de 1846, 1848, 1863 qui ont eu lieu du vivant de Marx, ont succombé moins sous la pression militaire de la Russie d’alors, que du fait que les espérances fondées sur une insurrection paysanne contre la Russie ne se sont pas réalisées.

La majeure partie de la noblesse était loin de songer à se départir de ses privilèges. La tragi-comédie de l’histoire consiste dans le fait que la fraction la plus démocratique de la noblesse, la petite noblesse était la moins capable de renoncer à l’exploitation des paysans, car elle était la moins en état de remplacer l’exploitation capitaliste. Toute tentative de réforme agraire fondamentale se terminait en promesses tardives qui ne donnaient jamais rien de concret. Et c’est la raison qui faisait que pas une de ces tentatives ne pouvait faire naître le sentiment national des paysans, ou même simplement ébranler leur méfiance profondément enracinée contre leur bourreau : le seigneur. Toutes les révoltes polonaises se terminaient par de petites rencontres émanant d’une minorité insignifiante et dont le tsarisme venait facilement à bout. Et malgré cela, Marx et Engels se tenaient fermement à leur mot d’ordre. Après l’étouffement de la révolte de 1863, ils soulevaient constamment cette question dans les congrès de la Première Internationale, et faisaient toujours de nouvelles tentatives pour que la classe ouvrière européenne devint le champion de l’indépendance de la Pologne. Et ils ne lâchaient pas cette idée malgré la forte opposition du prolétariat français.

La lutte au sein de la Première internationale pour l’indépendance de la Pologne jette une lumière intéressante sur la façon dont ce problème a été posé par Marx et Engels. Les proudhoniens français étaient contre le mot d’ordre de l’indépendance de la Pologne, contre le soutien de cette idée par le parti ouvrier pour la simple raison qu’ils étaient proudhoniens. Ils étaient adversaires de la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière et niaient la nécessité de tout Etat. Ils se représentaient le socialisme comme la victoire du prolétariat, qui, organisé en associations industrielles, transformerait la société capitaliste en un certain nombre de communautés et de sociétés de production. Et ces sociétés liées entre elles par le libre échange industriel détruisaient le capitalisme. Adversaires de la lutte pour l’Etat prolétarien, ils étaient, cela va sans dire, les adversaires du soutien de la lutte pour l’indépendance de la Pologne, lutte qui, de plus, était menée par la noblesse polonaise.

D’autre part, Marx et Engels étaient placés devant le fait que Napoléon III avait également comme mot d’ordre la libération des nationalités. Marx et Engels pouvaient craindre que leur soutien de la Pologne ne facilitât la pénétration dans le prolétariat de l’idéologie mensongère bonapartiste. Mais Marx et Engels ont su brillamment contourner le danger menaçant et accomplir leur tâche contre les proudhoniens ; ils défendaient non seulement la nécessité de la dictature du prolétariat, c’est-à-dire de l’état prolétarien comme moyen pour briser la résistance des capitalistes, mais encore la nécessité de la démocratie bourgeoise, comme base sur laquelle la classe ouvrière, qui n’avait pas d’autre possibilité de s’emparer immédiatement du pouvoir, s’organiserait dans le cadre national pour la lutte contre le capitalisme. De plus, ils ont su, de la manière la plus évidente, souligner la différence profonde entre leur point de vue et celui de Napoléon III, pour qui la libération des petites nationalités n’était qu’un jeu. Cela a été fait en premier lieu par Friedrich Engels, dans ses articles du Commonwealth écrits en 1866. Il indiquait que la question ne consistait nullement à éveiller à la vie de l’Etat tous les fragments de différents petits peuples qui se sont formés historiquement dans les cadres des grandes puissances, mais à en faire des Etats indépendants. Il traitait cette tendance de réactionnaire du fait qu’elle poursuivait le but de morceler de grands Etats capitalistes, qui portent en eux la culture contemporaine, et de les affaiblir à la face du tsarisme russe qui ne pouvait fonder ses espérances que sur la victoire des peuples réactionnaires. Engels indique que le prolétariat européen est concrètement intéressé à la fondation de l’Etat polonais, comme rempart contre la Russie du Tsar, et que le prolétariat doit tendre à fonder cet Etat dans les frontières de 1772, bien que les Polonais forment la minorité dans les limites indiquées. Engels va même jusqu’à donner à la Pologne Riga et Odessa, pour la transformer en une puissance de premier ordre.
Le mouvement ouvrier

Cette politique a pris fin en 1871. Dès cette époque cesse la période des révolutions bourgeoises en Europe occidentale. Après la formation de l’Empire allemand et de l’Italie libre, tous les espoirs de grandes révolutions dans les divers pays devinrent problématiques, du moins pour un avenir rapproché. La bourgeoisie, devenue conservatrice, ne pense plus à lutter contre la Russie. La démocratie bourgeoise se meurt. Il ne reste plus comme révolutionnaire que la classe ouvrière et encore dans une faible proportion. Le développement des colonies anglaises, la baisse du prix du pain en Europe, grâce à la concurrence du marché américain, ont concouru à diminuer l’énergie du prolétariat anglais. Le parti ouvrier français ne se remet que lentement de ses défaites de 1871 et ce n’est que vers 1890 qu’il apparaît de nouveau sur l’arène de l’histoire, comme force politique. Toutefois, il ne se consacre tout d’abord qu’aux questions de politique intérieure et non extérieure. En Allemagne, en Autriche, le mouvement social-démocrate grandit, aussitôt étouffé par la classe dominante ; il est d’esprit violemment révolutionnaire et tâche de suivre les traditions de l’Internationale, de se concentrer sur les grandes questions mondiales. C’est alors que, pour la première fois, Wilhelm Liebknecht soulève la question de l’indépendance de la Pologne. Friedrich Engels publie sur cette question une forte analyse de la politique extérieure du tsarisme. Mais de grands changements se remarquent déjà dans la position de Friedrich Engels et de Liebknecht. Désormais, il leur faut compter avec deux faits : d’abord, que la Russie a cessé d’être une force contre-révolutionnaire homogène. La Russie de 1870 et de 1880 est déjà un foyer de révolution. Les conséquences de la réforme agraire russe, les suites de la guerre russo-turque de 1878, les succès du développement capitaliste ont amené à la fondation de la Volonté du Peuple, à la lutte de la classe intellectuelle russe contre le tsarisme, sous le drapeau du nationalisme. Cette lutte prend une telle envergure qu’il apparaît par moments que la classe intellectuelle russe réussira à porter un coup mortel au tsarisme.

En même temps, il devient de plus en plus évident que les Polonais ne savent pas que conspirer et préparer des révoltes, ce que d’ailleurs ils oublient bien vite pour devenir des maîtres dans l’art de fabriquer l’eau-de-vie et les produits textiles dont l’exportation en Russie les réconcilie avec leur sujétion à la Russie tsariste. C’est à ce moment que surgit le mouvement révolutionnaire polonais. Il cesse d’avoir un caractère de lutte pour l’indépendance de la Pologne et se transforme déjà en lutte pour le socialisme. De nouveau, Marx et Engels, dans leur message du 27 novembre 1880, adressé aux représentants du socialisme polonais, réunis à Genève a l’occasion du cinquantième anniversaire de la révolte polonaise de 1830, déclarent que le prolétariat polonais ne lutte pas pour les mêmes buts, au nom desquels s’était battue la noblesse polonaise. Dans ce message, nous voyons que Marx et Engels, tout en rendant justice aux grands mérites des révolutionnaires polonais issus de la noblesse, n’en cessent pas moins de mettre en avant le mot d’ordre de la lutte pour l’indépendance de la Pologne. Quand fut fondée en 1889 la IIe Internationale, le point de vue traditionnel, sur la question polonaise, a trouvé son expression dans la décision d’organiser une section spéciale polonaise, composée de délégués des trois parties de la Pologne, c’est-à-dire de la Pologne autrichienne, allemande et russe.

Au cours des années suivantes, la scission dans le mouvement ouvrier polonais devait être provoquée par la question de l’indépendance de la Pologne. A ce sujet, les rapports des diverses fractions socialistes polonaises et de la IIe Internationale sur les désaccords de principes et de tactique sont très caractéristiques.

Le mouvement ouvrier polonais a revêtu, en 1886, un caractère de soulèvement de classe. Une avalanche de puissantes grèves a poussé le prolétariat à prendre part à la vie sociale, et devant les socialistes s’est dressée la question des buts de la lutte. Le socialisme polonais est né sous le signe de la négation de la question nationale en général. Dans sa lutte contre toutes les formes d’idéologie bourgeoise, il a dû s’élever violemment contre l’idéologie du patriotisme bourgeois, contre le fétichisme patriotique. Et la tâche essentielle des premiers protagonistes du socialisme polonais fut de démasquer les patriotes polonais. Ce point de vue, purement négatif à l’égard du patriotisme, correspondait également au fait que le socialisme polonais, né sous le joug du tsarisme, comme mouvement illégal de la classe intellectuelle dans sa première phase, ne pouvait discerner, de même que le socialisme russe, les étapes de la lutte pour le but final du mouvement ouvrier. Ce but final, les premiers militants socialistes de Pologne se l’imaginaient comme le résultat d’une courte période d’organisation et de lutte révolutionnaire. Le miracle révolutionnaire devait faire passer le prolétariat de l’enfer du tsarisme dans le paradis socialiste. Toute étape semblait superflue et toute lutte pour la création d’un Etat bourgeois était à leurs yeux une trahison des intérêts du prolétariat. Cette opinion eut fait son temps, dès que la leçon du mouvement en masse des ouvriers polonais eût démontré que le prolétariat, sur le chemin de la révolution, a besoin, dans la période d’organisation, d’être politiquement constitué comme classe et qu’il ne peut ni s’organiser, ni mener la lutte sans avoir conquis au préalable ses libertés politiques.

Les socialistes étaient placés devant la question du programme minimum, qui affirmait l’inévitabilité des étapes, et ils la devaient trancher dans une situation historique bien déterminée. Le trait caractéristique de cette situation historique était la coïncidence de l’élan du mouvement polonais avec la décadence du mouvement révolutionnaire russe. Pour parler brièvement, c’était l’époque qui suivit la grande défaite de la Volonté du Peuple, du nationalisme russe, et qui précéda l’apparition en Russie du mouvement ouvrier de masse qui a surgi de la grève générale des tisserands de Moscou en 1896. En même temps, la vie politique en Pologne se faisait plus vivante. Tandis que la noblesse polonaise et la bourgeoisie, après leur défaite de 1863, se lançaient simultanément à la poursuite du gain et du profit, renonçant à toute espèce de lutte politique, et vantaient hautement leur course à l’or comme un travail organique, nous assistons par contre, dans les années 90, à la résurrection de l’esprit patriotique et social-réformiste dans une partie de la bourgeoisie polonaise. C’est alors que la petite bourgeoisie, fortement renforcée par les nobles ruinés, a fait son apparition sur la scène politique, pour se protéger de l’action prolétarisante du capital.
Le rôle de la petite bourgeoisie

La petite bourgeoisie, devenue plus mesquine encore sous l’influence du capitalisme et prise de plus en plus dans l’engrenage de l’histoire, avait tourné ses regards vers le passé, alors que le capitalisme n’avait pas acquis sa formidable puissance et qu’elle menait encore une vie relativement paisible. Ce passé, c’était l’indépendance de la Pologne.

Les yeux tournés vers le passé, la petite bourgeoisie n’a pas pu ne pas considérer les causes de la décadence de la Pologne et de l’impossibilité de sa renaissance. Elle en a rejeté toute la faute sur la noblesse polonaise, et elle a opposé à la politique aristocratique de celle-ci, la politique de la démocratie, la politique des réformes sociales. En tant que classe nombreuse et socialement persécutée, elle était profondément intéressée à voir ces réformes se réaliser. Aussi unissait-elle la volonté de rétablir la Pologne, à l’élan vers les réformes sociales, vers un socialisme de petite bourgeoisie. Du fait que la bourgeoisie polonaise était surtout allemande ou israélite, et que la noblesse (au dire des historiens bourgeois, qui mesurent l’histoire à leur aune) a joué dans l’histoire de la Pologne un rôle de traître, la petite bourgeoisie exigea la confiscation des biens de la noblesse et la remise des fabriques aux ouvriers, ce qui donna l’illusion d’une politique socialiste. Une partie des socialistes polonais n’a pas compris, n’a pas su discerner, dans les mots d’ordre socialistes, les éléments de leur caractère nationaliste et bourgeois. Elle a vu en eux des alliés dans la lutte pour la libération du prolétariat, qui devait remplacer les frères d’armes russes, les révolutionnaires russes.

Mais si la révolution russe s’était définitivement éteinte, comme l’affirmaient des socialistes polonais, il est clair que la lutte pour le socialisme, à laquelle le prolétariat aurait été en état de se préparer, ne pouvait être menée de front avec la révolution russe. Au contraire, elle ne pouvait compter sur le succès qu’en séparant nettement la lutte de la classe ouvrière polonaise de la lutte de la petite bourgeoisie contre le tsarisme. Dans de telles conditions, c’était l’évidence même que l’enjeu de la lutte ne pouvait être que l’indépendance de la Pologne et non pas le renversement du tsarisme. D’ailleurs, la victoire de la démocratie en Russie était, aux yeux des représentants de cette fraction des socialistes polonais, la plus vaine des utopies. Ils déclaraient qu’au cas même où le tsarisme se verrait dans l’obligation d’accorder quelques réformes, il ne pouvait être tout au plus question que d’insuffisantes réformes libérales, sans garantie aucune contre les persécutions nationales. Ceux des socialistes polonais qui s’en tenaient à l’indépendance de la Pologne, fondèrent le Parti socialiste polonais. Les autres socialistes polonais répondirent à cette façon de poser la question en invoquant le silence de mort qui régnait en Russie. Et s’il était bien vrai que la révolution en Russie fût morte pour longtemps, dès lors, l’espoir de la conquête de l’indépendance de la Pologne ne devait plus être qu’une vaine illusion, car cette période d’accalmie eût donné au tsarisme assez de forces pour étouffer tout mouvement révolutionnaire en Pologne. Ces socialistes polonais, comme preuve de leurs assertions, attiraient l’attention sur la situation générale en Europe, pour démontrer l’improbabilité d’une modification quelque peu importante de la carte européenne avant qu’elle ne l’ait été par le prolétariat victorieux, conformément à ses intérêts.

C’était l’époque qui précéda l’apparition des tendances impérialistes de la bourgeoisie. La bourgeoisie européenne semblait incapable de courir les risques d’une guerre sur les champs de bataille de l’Europe pour modifier la carte européenne. Il eût été difficile de prévoir à cette époque que la tempête s’élèverait des centres coloniaux. La social-démocratie polonaise, en rejetant le mot d’ordre de l’indépendance de la Pologne, en tant que revendication prolétarienne, ne faisait pas que le nier en tant que mot d’ordre du prolétariat, mais croyait à une certaine stabilisation de la corrélation des forces des puissances, jusqu’à la révolution sociale. Au mot d’ordre de l’indépendance de la Pologne, elle a opposé celui de la lutte de tout le prolétariat russe pour la démocratie. Elle a tourné en ridicule le programme du Parti Socialiste Polonais qui entendait passer immédiatement du tsarisme a la dictature du prolétariat. Elle a fondé sa politique sur l’union du prolétariat russe et polonais et s’est efforcée d’amener ce dernier à la conclusion que, du moment qu’il n’y avait pas en Russie de mouvement ouvrier de masse, la tâche du prolétariat polonais devait consister à hâter, par sa lutte, l’éveil du prolétariat russe. Ce point de vue, obtenu par voie empirique, fut théoriquement fondé par Rosa Luxemburg, qui rejetait en général tout rapport du prolétariat avec l’Etat national et tirait une réponse concrète du point de vue du développement de la Pologne. Rosa Luxemburg a expliqué que la tâche de la bourgeoisie consiste à faire de l’Etat bourgeois un organe de sa souveraineté, tandis que la mission historique du prolétariat consiste à supprimer et non à fonder l’Etat capitaliste. Partout où le prolétariat existe comme force de masse, il est prouvé que dans cette sphère concrète, la bourgeoisie n’a nullement besoin d’un Etat national spécial pour l’exploitation et l’oppression du prolétariat en tant que classe.

L’existence du prolétariat et de la bourgeoisie, de ces deux classes modernes sur un même territoire qui, bien qu’appartenant à la même nationalité, ne forme pas un Etat national, les a amenés à poser cette question concrète : pourquoi donc la bourgeoisie polonaise a-t-elle renoncé à la lutte pour l’indépendance ?

Dans une série de brillants travaux historiques, Rosa Luxemburg a démontré comment la bourgeoisie polonaise, fondée sous l’égide du tsarisme, n’a pas trouvé dans ce dernier qu’un instrument de domination sur le prolétariat polonais, mais aussi d’expansion économique extérieure. La dépendance de l’industrie polonaise des marchés russes, selon l’expression de Rosa Luxemburg, a été la corde qui a étranglé, dans la bourgeoisie polonaise, toute velléité de lutte pour l’Etat national.
Le mouvement ouvrier polonais et l’Internationale

Dans la lutte des deux tendances du mouvement ouvrier polonais qui a fait naître pendant la grande guerre l’épithète de social-patriote, les deux fractions du socialisme polonais ont tenté chacune de leur côté de gagner les bonnes grâces de l’Internationale.

D’un côté, les représentants du Parti Socialiste Polonais s’efforçaient de raviver les vieilles traditions de l’attitude de Karl Marx et de Friedrich Engels sur la question polonaise, trouvant un appui en premier lieu chez le détenteur de ces traditions, F. Engels.

D’un autre côté, Rosa Luxemburg, dans les plus importantes revues du socialisme européen, tâchait de faire comprendre les changements qui se produisaient tant dans la situation internationale que polonaise, et qui empêchaient l’acceptation sans réserve du point de vue de Marx. Le désir de faire de la Pologne un rempart contre la Russie était une preuve de méfiance contre la force révolutionnaire du prolétariat russe qui s’éveillait ; il était le résultat de l’ignorance du fait que le tsarisme, pendant les dix dernières années du siècle passé, n’était plus le pilier de la réaction mondiale, mais un mercenaire de la haute finance.

La IIe Internationale tâcha — et c’est ce qui démontre son caractère opportuniste — d’éviter de préciser sa position dans cette question en litige. En ce qui concerne la résolution proposée par le Parti Socialiste Polonais, faisant allusion à la conquête de l’indépendance de la Pologne selon la tradition marxiste, comme une des tâches les plus immédiates du prolétariat européen, le Congrès de Londres de la IIe Internationale, en 1896, déclare qu’il est à fond pour le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes, que sa sympathie va aux travailleurs de tout pays qui gémit sous le joug du militarisme et du despotisme social ou autre. Il fait appel aux travailleurs de tous les pays pour qu’ils prennent place dans les rangs des prolétaires conscients du monde entier, pour vaincre le capital international et pour réaliser les buts de la social-démocratie internationale. La 2e Internationale, dans cette résolution, n’a pas soufflé mot en ce qui concerne sa position à l’égard des questions litigieuses du socialisme polonais. Elle n’a pas osé faire de l’indépendance de la Pologne un but politique concret.

Elle ne l’a pas fait parce que la social-démocratie allemande, déjà à ce moment, ne voulait en aucun cas renoncer à défendre le butin polonais dont s’était emparé l’aigle prussien.

Même alors les idées que les social-démocrates allemands avaient sur les minorités nationales opprimées de l’Allemagne étaient d’ordre opportuniste et ils cherchaient à les voiler de lieux communs sur les sympathies qu’ils nourrissaient à l’égard des peuples opprimés. Si la 2e Internationale a fait à cette date ressortir la nécessité de la solidarité du prolétariat dans sa lutte pour le socialisme, elle n’en a cependant tiré aucune conclusion sur l’inadmissibilité de la rupture du front commun prolétarien international par l’admission de divers programmes politiques dans les cadres d’un seul Etat. Elle a non seulement toléré l’œuvre désorganisatrice du Parti Socialiste Polonais qui tendait en Pologne russe, et en Allemagne à éloigner les Polonais de leurs frères de classe, mais elle a poursuivi une campagne acharnée contre les social-démocrates russes et allemands qui les accusaient d’aspirations chauvines. Les social-démocrates allemands, qui jouaient un rôle prédominant dans la 2e Internationale, n’ont pu soutenir une lutte systématique contre le nationalisme polonais, parcequ’ils savaient qu’il ne tenait qu’aux socialistes patriotes polonais de tour démontrer que le passé des social-patriotes allemands n’était pas meilleur que le leur. Aussi, la 2e Internationale assistait-elle passivement à la lutte de tendances politiques au sein de la classe ouvrière polonaise, sans faire le moindre effort pour se créer une position politique indépendante. Seuls les social-démocrates russes devaient tenter d’occuper une position bien déterminée, comme le prouve l’article du camarade Lénine en date du 15 juillet 1903, paru dans l’organe central des social-démocrates révolutionnaires russes de cette époque.

Dans cet article, les social-démocrates russes déclaraient d’une façon catégorique, que le devoir de la classe ouvrière est de s’opposer à l’incorporation forcée de nations dans les cadres d’Etats étrangers. Sans détour, les social-démocrates russes reconnaissaient le droit à chaque nation de se séparer de ses oppresseurs, ajoutant en même temps que cela ne veut point dire que les partis ouvriers soient tenus, en présence de toute situation politique dans tout pays, d’y soutenir les tendances séparatistes. En refusant leur concours aux efforts de la bourgeoisie tendant au maintien des Etats spoliateurs, les partis ouvriers ne doivent appuyer activement les aspirations du peuple vers son indépendance que dans le cas où celles-ci correspondent parfaitement aux intérêts de la classe ouvrière. Quoi qu’il en soit, le devoir des ouvriers de tous les pays, oppresseurs ou opprimés, est de tendre vers la création du front commun prolétarien pour la lutte contre le capitalisme. Car seule la plus étroite union de toute la classe ouvrière, sans distinction de nationalités, peut assurer au prolétariat, dans sa lutte contre le capitalisme, la victoire décisive qui lui apporterait la liberté nationale et l’émancipation sociale. L’article précité déclare ensuite que, dans la question polonaise, la classe possédante de la Pologne s’unit de plus en plus au tsarisme et renonce à la lutte pour l’indépendance. En même temps, l’article adoptait le point de vue de ceux qui signalaient le changement qui s’opérait dans la situation polonaise depuis que la classe ouvrière russe menaçait de plus en plus le tsarisme. L’article faisait aussi remarquer qu’il se peut créer une situation internationale où la bourgeoisie polonaise posera comme une revendication l’indépendance de la Pologne, et dans ce cas tout dépendra de la situation politique concrète pour déterminer l’attitude de la classe ouvrière à l’égard de cette question. Ce point de vue de la social-démocratie russe lui a permis de faire de son côté la plus vive opposition à la politique d’oppression nationale du tsarisme et de gagner ainsi la confiance des ouvriers polonais. Dans nul pays, les rapports des social-démocrates du pays dominant à l’égard des masses ouvrières polonaises n’étaient si étroits et si intimes qu’en Russie, où non seulement les marxistes polonais (la social-démocratie de la Pologne russe) constituaient une fraction du parti général russe, mais même les ouvriers contaminés de sentiments nationalistes par le Parti Socialiste Polonais créaient à tous les moments critiques un front commun avec la classe ouvrière russe. Mais, comme nous l’avons déjà dit, la 2e Internationale ne pouvait adopter entièrement cette position, parce qu’elle exigeait une rupture définitive avec la bourgeoisie, ce qui était chose absolument impossible pour la 2e Internationale, divisée par des tendances opportunistes. Si les social-démocrates russes ont pu agir ainsi, c’est parce qu’ils formaient dans leur majorité un parti révolutionnaire, et le fait que l’article précité fut écrit par Lénine dans l’Iskra est très caractéristique.

La question litigieuse du mouvement polonais fut éprouvée au feu de la révolution et de la guerre impérialiste de 1914. La première révolution russe, celle de 1905, a montré la corrélation réelle des forces en Pologne : la classe ouvrière polonaise se joignit tout entière à la classe ouvrière russe et abandonna le Parti Socialiste Polonais. A cette époque, la majeure partie des ouvriers polonais ont non seulement lutté pour la république démocratique russe, sous le drapeau de la social-démocratie de Pologne qui faisait partie de l’organisation social-démocrate russe, mais leurs masses très nombreuses, qui se trouvaient derrière le Parti Socialiste Polonais, dans leur tendance instinctive vers l’union avec la classe ouvrière russe, poussaient de plus en plus ce parti vers la gauche et l’ont réduit à abandonner le mot d’ordre qui proclamait l’indépendance de la Pologne. Certains éléments du Parti Socialiste Polonais qui s’en tenaient encore à ce mot d’ordre formèrent un petit groupe de chefs sans troupes et organisèrent un parti indépendant. Mais ce parti prouva tout de suite qu’il ne pouvait plus compter sur les ouvriers du fait qu’il avait substitué à la révolution en masse, qui était le seul moyen d’obtenir l’indépendance de la Pologne, nombre de petites organisations militaires révolutionnaires nouvellement constituées qui devraient, dans le cas d’une guerre mondiale, lutter pour l’indépendance de la Pologne aux côtés de l’impérialisme allemand et autrichien. La faillite des social-patriotes polonais pendant la première période de la révolution conduisit à la formation des organisations défensistes de Piłsudski, présentement maréchal des troupes polonaises. La position qu’adopta alors la classe ouvrière fut la conséquence naturelle du fait que dans le processus du développement capitaliste avait fusionné l’économie nationale polonaise avec celle de la Russie et fait de la bourgeoisie polonaise une partie de la bourgeoisie russe, et de la classe ouvrière polonaise une partie de la classe ouvrière russe.

De ce fait, la Pologne ne comptait, au début de la guerre, parmi ses partis politiques aucune organisation dont le drapeau portât, comme devise, l’indépendance de la Pologne. Les classes aisées polonaises en Allemagne et en Autriche tendaient au renversement du tsarisme russe et à la réunion des vieux territoires polonais soit sous le sceptre des Habsbourgs, soit sous la forme d’un vaste Etat de l’Europe centrale, autrement dit sous la forme d’un trust capitaliste allemand. Les leaders de la bourgeoisie polonaise en Russie déclarèrent également que les Polonais veulent, tout en restant en contact plus ou moins étroit avec l’Etat russe, reconstituer le territoire de la Pologne. Se rendant parfaitement compte de la conjoncture politique internationale, ils déclarèrent qu’il n’y avait plus lieu de constituer de petits Etats indépendants et que pareille politique ne correspondait plus aux intérêts de la bourgeoisie de ces petites nations. Il était évident qu’ils préféraient participer au développement du capital plutôt que de se laisser enfermer dans un petit Etat sans accès direct aux routes mondial. De son côté, la classe ouvrière des centres industriels de Pologne adoptait une ferme attitude antimilitariste. Elle protesta contre la guerre et, dès le début des hostilités, elle tenta, à Varsovie, de manifester contre la guerre.

Le Parti Socialiste Polonais, qui avait pris parti, au nom de ses masses ouvrières, pour l’impérialisme allemand, trouva de la sympathie parmi les intellectuels polonais, mais non parmi les masses ouvrières. Ce parti a subi, dans cette guerre, une défaite irréparable. L’impérialisme allemand après avoir tiré tout le profit possible, le repoussa dédaigneusement et alla même jusqu’à jeter en prison son héros national Piłsudski, chef des légions polonaises. La tentative du Parti Socialiste Polonais de conquérir l’indépendance de la Pologne avec l’aide de l’impérialisme allemand eut pour résultat l’occupation de la Pologne par les troupes allemandes et le complet asservissement du peuple polonais par l’impérialisme allemand qui devait l’émanciper. Les aventuriers polonais qui s’étaient jetés dans les bras de l’impérialisme allemand, n’en tirèrent qu’une seule conclusion : se jeter dans les bras de l’impérialisme français et anglais. Ainsi au bout de la troisième année de guerre, ils firent preuve à l’égard de cet impérialisme qu’ils considéraient comme le futur sauveur de la Pologne, d’autant de vénération qu’ils en avaient témoigné à l’impérialisme allemand durant la première année de guerre. La victoire de la révolution russe, ainsi que l’explosion révolutionnaire allemande, ont brisé les forces qui enchaînaient la Pologne depuis plus de cent ans.
La Troisième Internationale et la question polonaise

La Pologne est devenue indépendante. Et de ce fait, il se créa une conjoncture politique que Lénine avait prévue dans son article de 1903, où la bourgeoisie polonaise allait trouver intérêt dans l’indépendance de la Pologne. La révolution russe créa une menace pour la bourgeoisie polonaise qui ne pouvait défendre ses intérêts que dans le cadre d’un Etat indépendant et avec l’appui du capitalisme victorieux de l’Entente. Toutefois, elle ne renonçait pas par là à mettre à profit l’impérialisme russe, de même qu’à l’exploitation du peuple qu’elle tenait sous son joug. Mais l’impérialisme russe mort, elle n’avait plus rien à espérer de celui-ci. En créant son indépendance, la bourgeoisie polonaise épousa les intérêts du prolétariat qu’elle avait défendus jusqu’alors dans les cadres de l’Etat impérialiste russe. Maintenant elle cherchait à devenir un parasite de l’impérialisme de l’Entente. La France impérialiste qui a vaincu l’Allemagne avec le concours de ses alliés, et qui par les conditions de la paix voulait la crucifier, avait besoin d’un allié qui aurait une frontière commune avec l’Allemagne et qui aiderait le capital français à la maîtriser. Ce rôle fut dévolu à la Pologne. Aujourd’hui, la bourgeoisie polonaise vend au capital français ses ouvriers et soldats comme chair à canon, pour la guerre future contre l’Allemagne, tout comme le faisait auparavant le tsarisme russe. En récompense de ses services, elle ne reçoit pas d’emprunts, mais des canons et des munitions qui doivent lui servir pour l’oppression du prolétariat polonais. Si, lors de la formation de l’Etat républicain polonais, on entendait dire, dans certains milieux, que la politique des social-démocrates polonais, qui refusaient opiniâtrement de faire leur mot d’ordre de l’indépendance de la Pologne, avait été erronée, la politique de la bourgeoisie polonaise prouve maintenant au prolétariat combien les social-démocrates avaient raison quand ils lui disaient qu’il n’a aucun intérêt à lutter pour l’instauration d’une république bourgeoise indépendante qui ne pourrait être qu’une arme d’exploitation.

Mais cette position des social-démocrates polonais n’épuise nullement la question de l’attitude de la 3e Internationale à l’égard de la Pologne. Il est évident pour tout le monde que la classe ouvrière polonaise doit lutter, par tous les moyens en son pouvoir, contre son gouvernement capitaliste et que la classe ouvrière internationale doit combattre de toutes ses forces la Pologne qui a pris les armes contre la Russie Soviétiste. Cependant, la question qui se pose devant nous est celle de l’attitude de l’Internationale Communiste à l’égard de l’indépendance de la Pologne au moment de la victoire de la classe ouvrière polonaise ou au moment de l’écrasement de l’armée blanche polonaise par l’armée rouge de la Russie soviétiste, à laquelle la criminelle agression de la Pologne a imposé la guerre. Mais cette question ne pourra pas provoquer de divergences de vue au sein de l’Internationale Communiste.

Le peuple polonais qui a supporté plus d’un siècle le joug d’une oppression nationale, manifeste naturellement de la défiance pour toute domination étrangère. Cette raison est suffisante pour que la 3e Internationale se prononce clairement et nettement en faveur de l’indépendance de la Pologne. La classe ouvrière polonaise doit lutter maintenant pour la conquête de son propre pouvoir et non pour mettre la Pologne sous la tutelle d’un autre Etat quelconque. Aucun Etat prolétarien, tant la Russie Soviétiste que la future Allemagne prolétarienne, n’a d’intérêt à imposer au peuple polonais sa domination politique. Au contraire, l’une et l’autre sont intéressées à tout ce qui peut affermir la situation de la classe ouvrière polonaise le jour de sa victoire. Elles ont donc intérêt à dissiper la défiance nationaliste des masses de la petite bourgeoisie polonaise. Voilà pourquoi la République Soviétiste reconnaît ouvertement l’indépendance de la Pologne et c’est pour les mêmes raisons, que l’Internationale doit également adopter franchement et nettement une attitude analogue. La République Soviétiste a déclaré qu’en cas de victoire sur les hordes blanches polonaises elle ne songerait en aucune circonstance à conquérir la Pologne et qu’elle reconnaîtrait sans réserve l’indépendance de la Pologne communiste. La Pologne indépendante pourra résoudre elle-même la question de ses relations avec la Russie et l’Allemagne soviétiste, s’il en existe une à ce moment. Il va de soi que si la bourgeoisie polonaise fait appel à l’appui de la bourgeoisie victorieuse de l’Europe occidentale, le prolétariat polonais fera appel aux Etats prolétariens victorieux, et plus le danger qui menace le prolétariat se fera grand, plus la désorganisation économique que le régime capitaliste lui aura léguée sera profonde, et plus les prolétariats de ces pays chercheront a s’entr’aider et à se soutenir mutuellement. L’attitude de la classe ouvrière polonaise au cours des longues années de lutte pour son émancipation sous le tsarisme et sous l’occupation militaire allemande, sa lutte contre la bourgeoisie polonaise dans les cadres de l’Etat indépendant polonais, tout cela est une preuve que, quelle que soient les grandes difficultés qui l’attendent au moment où elle aura conquis le pouvoir, le nationalisme étroit ne constituera jamais une menace ou un obstacle à l’action commune du prolétariat polonais et du prolétariat mondial.

L’Internationale avait pris fait et cause pour l’indépendance de la Pologne afin de l’utiliser comme rempart contre le tsarisme russe. Aujourd’hui, le centre de l’Internationale se trouve sur le territoire de la Russie révolutionnaire, et la Russie Soviétiste est en ce moment le cœur de la révolution prolétarienne universelle. La Pologne ne doit plus désormais servir à l’Internationale de rempart contre la Russie, mais d’un pont jeté de la Russie Soviétiste à l’Allemagne prolétarienne. Aujourd’hui, par suite des modifications gui se sont produites dans la situation internationale, l’indépendance de la Pologne n’a plus l’importance d’un rempart contre la Russie, pays de la révolution, qu’aux yeux du Capital Universel. Entre l’époque de la la 1re Internationale, qui avait considéré la Pologne comme un rempart dressé par la révolution bourgeoise contre les bordes du tsarisme, et l’époque de la 3e Internationale, arme de la révolution mondiale, qui réunira à travers la Pologne ses avant-gardes aux armées du prolétariat occidental, se trouve celle de la 2e Internationale, époque des phrases radicales et de l’absence complète de toute action, époque de lutte contre l’oppression nationale en paroles et de la coalition en fait avec la bourgeoisie qui incarnait cette oppression. En fait, l’Internationale communiste n’a rien de commun avec cette époque et quiconque voudrait rappeler à sa mémoire l’image de la 2e Internationale n’aurait qu’à jeter un coup d’œil sur la Pologne mourante où à la tête des armées combattantes contre la Russie et pour les intérêts de la contre-révolution mondiale se trouve Józef Piłsudski, leader et idéologue du Parti Socialiste Polonais et qui incarne, mieux que personne, l’esprit de la 2e Internationale. Que l’époque de la 2e Internationale expire, qu’elle soit vouée à la mort, c’est ce que prouve d’une façon éclatante la politique suivie par le Parti Socialiste Polonais. Bien que la Pologne blanche fasse la guerre à la Russie Soviétiste sous les ordres du leader actuel du Parti Socialiste Polonais, lequel se tient derrière son chef à tous les moments décisifs, sans l’oser critiquer ; bien que l’armée blanche polonaise ne soit conduite et inspirée que par l’état-major des « Piłsudski » composé de membres du Parti Socialiste Polonais, — ce parti n’a pas, malgré tout, le courage d’appuyer ouvertement la politique de son leader. Le parti soutient Piłsudski lors des votes parlementaires, il l’aide à voiler l’état de choses réel, mais, en face des masses ouvrières, il se voit forcé de combattre, bon gré mal gré, sa politique et de participer aux manifestations publiques en faveur de la paix.

La 2e Internationale est morte : elle ne peut donner signe de vie qu’au moyen de manœuvres frauduleuses, gui peuvent encore lui donner un semblant de vie, mais qui ne sont plus en état de lui rendre sa vitalité. La 3e Internationale remplit son devoir, non seulement par des manifestes et par des résolutions, mais aussi dans la lutte de la classe ouvrière russe, dans les exploits héroïques de l’armée rouge, dans toute action des travailleurs anglais, français, autrichiens, italiens, allemands a l’égard de la Pologne blanche. Et le point de vue adopté par ces travailleurs quant à la question polonaise ne restera pas dans le domaine théorique, mais il acquerra bientôt une importance pratique considérable. Aujourd’hui l’Internationale est encore une organisation révolutionnaire illégale, mais elle sera demain l’union des Etats prolétariens. Et la Pologne, la Pologne des ouvriers et des prolétaires, la Pologne unie à la Russie Soviétiste et au prolétariat universel, deviendra membre de cette Internationale révolutionnaire, membre de l’union des Etats révolutionnaires.

Messages

  • entre la Révolution et la réaction tsariste, il ne pouvait y avoir qu’une lutte à vie ou à mort.

  • Bien des commentateurs ont dit que la révolution prolétarienne en Russie allait croire les schémas de Marx sur la révolution dans les pays les plus avancés de l’Europe de l’ouest.

    Voici ce qu’écrivait Engels le 17 septembre 1894 à Laura Lafargue, fille de Marx :

    « Renverser le tsarisme et en finir avec ce cauchemar qui pèse sur toute l’Europe est, à nos yeux, la condition première de l’émancipation des nations de l’Europe centrale et orientale. Dès lors que le tsarisme sera renversé, nous assisterons à l’effondrement de cette puissance funeste, représentée par Bismarck, celle-ci étant alors privée de son soutien principal . L’Autriche se désagrégera, étant donné qu’elle perdra la seule justification de son existence, à savoir empêcher par sa simple existence le tsarisme de s’incorporer les nations éparpillées des Carpathes et des Balkans ; la Pologne sera restaurée ; la Petite-Russie pourra choisir librement ses liens politiques ; les Roumains, les Magyars et les Slaves du Sud, libres de toute immixtion étrangère, pourront régler entre eux leurs affaires et leurs problèmes frontaliers ; enfin, la noble nation des Grands-Russiens ne fera plus une chasse insensée à des conquêtes qui ne profitent qu’au tsarisme, mais accomplira son authentique mission civilisatrice en Asie et, en liaison avec l’Ouest, ils développeront leurs capacités intellectuelles impressionnantes, au lieu de livrer au travail forcé et à l’échafaud les meilleurs d’entre eux. »

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