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Le tout est-il la somme des parties et …. du rien ?

mardi 29 mai 2012, par Robert Paris

L’étoile n’est pas un simple élément d’un groupe d’étoiles ni le groupe n’est une somme d’étoiles. Il manque à cette vision additive les interactions gravitationnelles et électromagnétiques, l’histoire du nuage de gaz et de particules qui a produit cette agrégation, l’histoire de cette région de l’univers et les interaction avec les autres agrégations régionales... L’étoile n’est pas un objet simple ni une simple partie d’un tout. Elle n’est pas la somme de ses gaz et poussières. Elle est histoire. Elle est interaction. Elle est auto-organisation. Elle est dans son actualité mais aussi dans ses potentialités. Elle est émergence de structure. Elle est issue du vide interstellaire... Elle est issue des énergies de la matière infiniment petite (énergie nucléaire) autant que des interactions à grande échelle (électromagnétisme). L’étoile est un niveau de la réalité matérielle mais elle n’est pas un objet, qui permettrait ensuite de parler de somme d’objets pour un groupe d’étoiles, parce qu’elle n’a rien d’indépendant des autres niveaux de la réalité.

L’étoile n’est pas un cas particulier. La matière n’est pas seulement dans son actualité mais dans ses potentialités, dans l’émergence de structure au sein du vide. La matière n’est pas somme de particules élémentaires. La société n’est pas non plus la somme des individus qui la composent. Le cerveau n’est pas la somme de ses neurones. L’économie mondiale n’est pas la somme des économies nationales. Le vivant n’est pas la somme des espèces. Il y manquerait les interactions, la coévolution, les échanges de matériel biologique, la concurrence pour les niches écologiques et les potentialités de l’espèce qui font que le matériel biologique est bien plus potentialités que simple actualité.

La première raison de la non additivité du monde est dans l’interpénétration des éléments artificiellement et intellectuellement séparés. La deuxième est dans l’interaction permanente qui amène les éléments à naître en connexion permanente et à mourir ensemble. La troisième est dans le fait que l’ensemble est lui-même élément et, comme tel, porteur d’une dynamique qui est contenue dans chaque élément, alors qu’isolément cet "élément" ne contient nullement cette dynamique.

La logique de la "somme des parties" est donc en contradiction avec la logique de l’univers...

Quel point la logique additive omet-t-elle d’essentiel ? Celui de la contradiction dialectique. Il y a en effet une interaction contradictoire entre le tout et le rien, entre les parties et l’ensemble, des parties entre elles... Cela signifie qu’elles s’opposent et se détruisent mutuellement et que leur opposition les construit. Ce n’est pas l’addition mais la destruction qui construit. Le vide n’est pas le rien mais le constructeur/destructeur de la matière.

Le tout est-il la somme des parties et …. du rien ?

Il nous arrive tous les jours de discuter de manière parcellaire du monde qui nous entoure, que ce soit en termes de politique, d’économie, de société ou encore de physique, de chimie, de biologie, de climatologie…

Qu’entend-nous ici par « de manière parcellaire » ? Il s’agit, par exemple, de discuter de ce qu’était l’URSS sans relation avec l’état lié, de manière contradictoire, de l’impérialisme mondial.

On nous propose aussi de discuter séparément de l’ « économie chinoise » et de ses perspectives, comme si celles-ci ne dépendaient que d’elle-même.

On trouve ce type de démarche également en science, puisqu’on y discute de l’ « intelligence humaine », comme un caractère propre au corps humain (en l’occurrence à son cerveau) indépendamment de son mode de vie, de son activité sociale.

Des séparations de ce type sont des attitudes plus que fréquentes chez bien des auteurs contemporains qui se méfient comme la peste des pensées globalisantes. Et ce d’autant plus que, s’étant spécialisés, ils seraient bien incapables de parler doctement d’autre chose que d’un sujet étroit qu’ils n’ont donc aucun intérêt à relier à « d’autres domaines ». Ces domaines sont-ils vraiment autres ? Là est toute la question…

On a souvent discuté sur le réductionnisme, mode de pensée consistant à disséquer la réalité pour en rechercher les rouages élémentaires. Elle a, durant de longues périodes, été à la base de toute pensée scientifique. La matière a semblé découvrir ses secrets par sa décomposition en parties. La matière en molécules, les molécules en atomes, les atomes en noyau et électrons, les noyaux en protons et neutrons. La physique quantique a mis un point final à cet espoir d’explication réductionniste de l’univers matériel.

La molécule n’est pas la somme de ses atomes. L’atome n’est pas la somme du noyau et des électrons gravitant autour. Le noyau n’est pas la somme des neutrons et des protons.

Pire même, l’électron que l’on sépare de l’atome n’est pas l’électron qui y gravitait (que les physiciens appellent, pour le différencier, le quasi-électron). L’électron qui se déplace dans un matériau n’est pas l’électron isolé. Ses propriétés changent. L’objet ne s’est pas contenté de se séparer. Il a changé de nature.

En divisant les noyaux, on ne se contente pas de libérer leurs éléments de base, on en crée de nouveaux. L’énergie nécessaire à la séparation d’un noyau est partiellement utilisée pour créer des « objets » nouveaux… Il n’est pas possible de se contenter de séparer un système en ses éléments sans modifier ces éléments. Et ce n’est pas seulement vrai pour la matière inerte. C’est également vrai pour la matière du vivant, pour les êtres vivants et aussi pour la société humaine.

Ainsi, le cerveau n’est pas une somme de zones possédant chacune des fonctions dont le total donnerait les fonctions cérébrales.

Ainsi, on a compris qu’on ne pouvait étudier séparément l’évolution d’une espèce vivante et on a commencé à parler de la coévolution des espèces, et même de la coévolution du matériau biologique d’une espèce…

Des éléments qui sont en permanence en interaction, comme c’est le cas du monde où nous vivons, ne changent pas de manière séparée et indépendante. S’ils changent, ils modifient également leurs interactions et, si c’est avec succès, c’est qu’ils ont trouvé un nouveau mode d’interaction.

Ce n’est pas parce qu’on a arraché un électron à son atome qu’il est devenu un objet totalement indépendant. Certes, il se déplace maintenant dans le vide. Eh bien, cela ne signifie nullement qu’il est seul, indépendant de tout environnement physique. Non, il est dépendant de la physique du vide. De l’interaction avec les éléments positifs de l’atome, il est passé à l’interaction avec les éléments positifs du vide (les anti-électrons virtuels du vide).

Le tout constitué par l’atome s’est changé dans un nouveau tout, positif, lui aussi en interaction avec les particules virtuelles négatives du vide.

Le « tout », cassé, est devenu un nouveau tout grâce à un autre ensemble qu’est « le rien »…

La contradiction entre la positivité et la négativité qui existait au sein de l’atome n’a pas cessé. Elle a seulement changé de forme. Elle a produit deux nouvelles contradictions.

C’est ce caractère contradictoire qui pilotait la dynamique de l’atome et c’est encore ce caractère contradictoire qui pilote les deux ensembles maintenant séparés de l’électron et du noyau.

Et c’est encore la contradiction qui pilote l’interaction de la matière stable (comme l’atome ou la particule) et du vide quantique.

La matière durable trouve sa stabilité dans l’instabilité du vide. Le temps désordonné du vide permet à la matière d’y puiser les moyens de sa propre dynamique. L’énergie quasi inépuisable du vide permet à la matière de se structurer, de lier entre eux les éléments de sa structure. La matière trouve au sein du vide les moyens de donner aux particules leur masse.

La contradiction entre la matière et le vide fonde les sauts de chaque particule d’un état à un autre et les sauts des « objets » quantiques composés de plusieurs éléments.

Aucune particule, aucun éléments de la matière, qu’il soit simple ou composé, n’existe de manière opposé au vide sans exister en même temps composé au vide quantique.

Chercher la clef de la matière dite inerte bien qu’elle soit profondément dynamique, comme de la matière vivante ou de la société « en dehors » de la dynamique des contradictions du tout, des parties et du rien, c’est chercher à expliquer les nuages « en dehors » des effets du rayonnement solaire, ou la culture humaine en dehors des efforts économiques de l’humanité ou encore la civilisation indienne en dehors de la civilisation chinoise ou de la civilisation européenne.

Le dehors et le dedans sont des frontières qui ont un caractère trop fluctuant, trop dynamiques eux-mêmes, que l’on ne peut nullement les considérer comme fixes et comme base d’une séparation entre études distinctes.

Couper au sein d’une même dynamique, cela peut signifier intellectuellement, interrompre la contradiction, mais cela signifie surtout la nier en prétendant l’expliquer. L’interrompre réellement, matériellement, physiquement, socialement ou politiquement, c’est effectuer un saut dans un autre tout qui constitue une nouvelle contradiction. Ainsi, Hitler a prétendu séparer l’Allemagne du marché mondial pour résoudre la contradiction catastrophique de crise mondiale. Il n’a fait qu’aggraver cette crise mondiale comme d’ailleurs celle en Allemagne, c’est-à-dire produire une forme nouvelle des mêmes contradictions.

L’idéologie de la séparation en parties reste très fréquente et cause de bien des déboires. Citons la séparation du corps et de l’esprit, la séparation entre recherche théorique et expérimentale, la séparation entre sciences et mathématiques, la séparation entre l’homme et l’animal, entre l’inerte et le vivant, entre physiologie et psychologie, etc…

On retrouve cette méthode, cette philosophie, parmi ceux qui discutent de l’avenir de l’économie européenne, de l’économie française ou chinoise, indépendamment de l’avenir de l’économie mondiale, c’est-à-dire en supposant relativement inchangé le reste du monde…

On la retrouve également parmi ceux qui discutent de manière syndicaliste – et plus largement de manière réformiste – de l’avenir des travailleurs en faisant comme s’il suffisait de poser des revendications économiques et de discuter et de mobiliser les travailleurs, et cela indépendamment des classes dirigeantes, de leurs propres difficultés ou incapacités à gérer le monde. Discuter du prolétariat indépendamment de la bourgeoisie, c’est aller directement dans le mur. Aussi surement que discuter des capacités d’un bateau indépendamment de l’état de la mer…

La philosophie des « parties constitutives » a connu de nombreux développements et mené à des domaines séparés des sciences. Mais, ainsi, elle a également atteint ses limites au point que la pensée dirigeante elle-même a ressenti le besoin d’en atténuer les effets par des efforts d’interdisciplinarité. Un peu comme si le chasseur essayait de diminuer l’effroi de sa victime tout en continuant à vouloir l’abattre…

La pensée séparative n’est pas prête à disparaitre malgré toutes les preuves que l’on pourrait lui opposer. Les classes dirigeantes ont plus que jamais besoin de ce type de pensée pour tromper les peuples.

Il est indispensable que le peuple malien ne voit nullement ce qui relie sa crise à celle du monde, comme les travailleurs ne doivent surtout pas ce qui relie les menaces sur leurs emplois aux menaces sur l’ensemble du système mondial. Il est indispensable que les travailleurs d’une entreprise ne voient surtout pas ce qui relie les menaces sur leurs emplois à celles des emplois des autres secteurs et ainsi de suite les travailleurs d’un pays à ceux du monde entier.

L’idéologie de la séparation, même si elle n’éclaire plus le fonctionnement du monde, a encore de beaux jours devant elle…

Physique quantique, chaos déterministe, émergence et auto-organisation donnent raison à la philosophie des contradictions dialectiques contre celle réductionniste de la « somme des parties »

Qu’en dit la physique quantique ?

Chacun sait que la physique a découvert que la matière, comme la lumière, est constituée de « grains » appelés particules. La matière serait appelée fermions, c’est-à-dire particules obéissant à la règle de Fermi qui empêche les particules de même état de s’agglomérer du fait du « principe de Pauli ». Les fermions sont de deux types : leptons (comme l’électron) ou quarks (constituant des neutrons et des protons). La lumière – expression employée ici pour regrouper toutes les particules dites d’interaction - serait formée de bosons, c’est-à-dire de particules qui obéissent à la règle de Bose qui concerne des particules qui ont tendance à s’agglomérer dans un état commun.

L’ensemble a semblé dans un premier temps fonctionner comme un jeu de construction : on additionne les particules pour former des ensemble plus importants comme l’atome, les molécules et les macromolécules. On additionne les neutrons et les protons pour former le noyau des atomes et on rajoute les électrons pour former l’entourage atomique qui permet à l’atome d’être globalement neutre électriquement.

Cette logique additive n’est pas entièrement fausse mais elle a atteint ses limites d’explication et depuis longtemps maintenant elle est abandonnée par les physiciens pour expliquer le fonctionnement de la matière/lumière. La première raison provient du fait que cette image additive supposait que les particules soient des objets statiques, individuels, existant en permanence ou au moins sur de longues durées. A chaque particule individuelle était attribuée une masse qui était considérée comme attachée à la chose matérielle. La physique actuelle est très différente. L’individualité de la particule n’est plus admise. La masse est une propriété qui se déplace et saute d’un point à un autre, sans être fixée à un objet. L’objet lui-même n’est plus une image reconnue. En fait, la matière ne s’explique plus par la fixité mais, au contraire, par une dynamique extraordinairement agitée : celle du vide qui n’est plus synonyme d’absence. Le fondement du caractère apparemment conservatif de la structure globalement conservée qu’est la matière est l’agitation permanente du vide !

Werner Heisenberg, dans « La partie et le tout, Le monde de la physique atomique », expose le lien entre la physique quantique et les particules virtuelles du vide :

« Un quantum de lumière qui passe à côté d’un noyau atomique peut se transformer en une paire de particules : un électron et positron. Est-ce que cela signifie, en fait, que le quantum de lumière se compose d’un électron et d’un positron ? (…) On peut dire, peut-être, que le quantum de lumière se compose « virtuellement » d’un électron et d’un positron. Le mot « virtuellement » indique qu’il s’agit là d’une possibilité. (…) Le quantum de lumière se compose aussi virtuellement de quatre particules (deux électrons et deux positrons) et ainsi de suite. (… ) On pourrait dire, dans ce cas, que chaque particule élémentaire se compose virtuellement d’un nombre quelconque d’autres particules élémentaires. Car, si l’on envisage des collisions extrêmement énergétiques, un nombre arbitraire de particules (en fait autant de particules et d’antiparticules) pourra être créé dans ces collisions. (…) Peut-être existe-t-il encore de très nombreuses particules élémentaires que nous ne connaissons pas encore parce que leur durée de vie est trop courte. (…) On peut alors faire comme si la particule élémentaire se composait d’un grand nombre d’autres particules élémentaires, éventuellement diverses. (…) La particule élémentaire n’est en fait plus élémentaire ; elle constitue, au moins virtuellement, une structure très compliquée. (…) Etant donné que la durée de vie de ces nouvelles structures paraît plus brève que celle de toutes les particules élémentaires connues jusque-là, il peut exister encore de nombreuses autres particules de cette sorte, particules qui ont échappé jusque-là à l’observation grâce à une durée de vie encore plus courte que celle du méson pi. »

« Pour Héraclite, le monde est à la fois un et multiple, c’est tout simplement « l’électricité contraire » des contraires qui constitue l’unité de ce monde unique. Il déclare : « Nous devons savoir que la guerre est commune à toutes choses, (...) que toutes choses naissent et disparaissent par la lutte » (...). Nous pouvons remarquer que la physique moderne est à un certain point de vue très proche des doctrines d’Héraclite. » affirme le physicien quantique Werner Heisenberg dans « Physique et philosophie » .

Le concept d’émergence est de plus en plus utilisé. Il repose sur la constatation que dans un ensemble formé de parties différentes, le tout est davantage que la somme des parties. Si nous regardons une montre, la montre est davantage que la somme de ses rouages. Si nous regardons un organisme vivant, celui-ci est plus que la somme de ses organes. Par ailleurs, ce qu’indique la montre, la mesure du temps et ce que l’on fera de cette mesure, ou le comportement qu’adopte l’organisme, ne peuvent être déduit de ce que sont les organes, même additionnés.

« On appelle « émergence » une combinaison préexistante d’éléments préexistants produisant quelque chose de totalement inattendu. Un exemple classique de ce type de phénomène est celui de l’eau, dont les caractéristiques les plus remarquables sont totalement imprévisibles au vu de celles de ses deux composants, l’hydrogène et l’oxygène ; pourtant la combinaison des deux ingrédients donne naissance à quelque chose d’entièrement neuf. » expose le paléoanthropologue Ian Tattersall qui réfléchit à l’émergence du langage, car la sélection adaptative ne lui semble pas une bonne explication de son apparition : « l’apparition de la pensée symbolique ne semble nullement être le résultat d’une tendance opérant sur la longue durée, comme la sélection darwinienne l’exige. L’autre hypothèse est donc elle-ci : (...) cette innovation relève probablement de ce que l’on appelle l’émergence. » « Des phénomènes d’émergence se produisent dans toute une gamme de systèmes à l’échelle du laboratoire, depuis la mécanique des fluides jusqu’à la cinétique chimique, l’optique, l’électronique ou la science des matériaux. » rapporte Grégoire Nicolis dans « L’énigme de l’émergence ». L’ordre émergent n’apparaît pas seulement à cause des propriétés de chacun des éléments mais de leurs interactions qui s’auto-organisent. C’est un ordre collectif. Il a un caractère brutal d’apparition de nouveauté structurelle. L’émergence suppose un comportement global qui n’était pas inclus dans les propriétés de chacune des parties et un comportement survenant brutalement de façon discontinue. « On dira qu’une propriété ou un processus est émergent à un niveau d’organisation donné si, bien que réductible en principe aux propriétés de ses constituants de niveau inférieur, sa survenance semble impossible à prédire a priori à partir de la connaissance que l’on a de ces propriétés. » écrit Laurent Mayet dans son éditorial du dossier « L’énigme de l’émergence » dans la revue « Science et Avenir » de juillet 2005.

La vie a émergé de l’inerte. La matière a émergé du vide. Le temps et l’espace ont émergé de la matière. Les structures matérielles (des molécules aux galaxies) sont nées du temps et de l’espace…etc…

Il y a émergence d’un niveau d’organisation ou auto-organisation lorsqu’au sein d’un désordre apparaît un ordre. Cela semble miraculeux, mais cela ne l’est pas.

Les exemples de telles émergences sont courants dans notre vie quotidienne. Les changements d’ordre de la matière en sont un exemple. La cristallisation, la glaciation, l’apparition de rouleaux de convection, la formation des étoiles et planètes sont des phénomènes émergents. Dans la physique moderne, la notion d’émergence est indispensable dans toutes les transitions entre niveaux d’organisation et entre états de la matière. Cette dernière n’est pas une simple agglomération de particules. Le tout n’est pas la somme des parties. Le regroupement apparent de particules produit quelque chose d’étonnant : en se regroupant, les particules apparentes, qui se sont apparemment additionnées, ont minimisé leur énergie totale.

Comment l’auraient-ils pu s’ils se contentaient de s’agglomérer ? L’électron ou le proton, loin d’être des objets existant de manière individuelle, isolée, n’existent que par rapport à un environnement. Et toutes les caractéristiques de la matière n’existent que par rapport à un environnement, à des effets collectifs. Cet environnement peut être le vide quantique (qui n’est pas le rien) ou l’environnement matériel et énergétique.

Quant aux structures plus complexes que la particule, leurs caractéristiques n’existent qu’en relation avec le matériau et non individuellement. Par exemple, une molécule unique n’a pas de température ni de pression… Des effets collectifs d’organisation qui ne peuvent, Laughlin en a montré dans ses recherches sur des phénomènes de la physique.

Les questions de l’émergence contre le réductionnisme, de l’auto-organisation contre la conception mécaniste sont des questions philosophiques et dépassent largement le niveau de la physique. Elles ne concernent pas que des spécialistes des sciences. On trouve des réductionnistes en biologie, en anthropologie, en histoire, en politique. En biologie aussi, ils sont dominants. En histoire, en politique, en science des civilisations, le réductionnisme est plus facile à combattre. Une thèse réductionniste consisterait à affirmer que le caractère d’un état est déterminé par la personne qui gouverne ou a le plus d’influence. C’est une thèse très ancienne et peu défendue. La plupart des gens comprennent que l’Etat ne disparaît pas, ne change pas quand le chef de l’Etat meurt. Ce n’est les individus qui déterminent le caractère de l’état mais les grands groupes d’hommes, les relations entre collectivités d’hommes. Même ceux qui ne soutiennent pas la thèse marxiste de la lutte des classes la comprennent.

Le réductionnisme en physique, c’est la matière conçue comme un jeu de construction de particules élémentaires : en gris les électrons, en bleu et rouge les protons et les neutrons et l’atome comme un assemblage de ces particules, les molécules comme un assemblage d’atomes, les matériau comme un assemblage de molécules, les planètes comme un assemblage de matériau, les étoiles comme un assemblage de poussières et de gaz et les galaxies comme un assemblage d’étoiles, puis les amas de galaxies, puis les amas d’amas, etc...

L’idée de base du réductionnisme est de chercher dans les propriétés des éléments la base des lois des ensembles d’éléments et de fonder la recherche sur la décomposition en parties plus élémentaires. Ces parties sont censées préexister et fonder, par leurs propriétés préexistantes, la structure supérieure.

L’auto-organisation est une thèse qui s’oppose au réductionnisme.
Robert B. Laughlin dans « Un univers différent » :

« Les lois de la nature qui sont importantes pour nous émergent par un processus collectif d’auto-organisation (…) Le tout n’est plus la somme de ses parties » n’est pas seulement une idée, mais aussi un phénomène physique : voilà le message que nous adresse la science physique. La nature n’est pas uniquement régie par une règle fondamentale microscopique, mais aussi par de puissants principes généraux d’organisation. Si certains de ces principes sont connus, l’immense majorité ne l’est pas. (…) Les éléments fondamentaux de ce message sont formulés dans les très nombreux écrits d’’Ilya Prigogine (…) Je suis de plus en plus persuadé que toutes les lois physiques que nous connaissons – pas seulement certaines – sont d’origine collective. La distinction entre lois fondamentales et lois qui en découlent est un mythe, de même que l’idée de maîtriser l’univers par les seules mathématiques. La loi physique ne peut pas être anticipée par la pensée pure, il faut la découvrir expérimentalement, car on ne parvient à contrôler la nature que lorsque la nature le permet, à travers un principe d’organisation. On pourrait baptiser cette thèse « la fin du réductionnisme » (réductionnisme c’est-à-dire le principe « divisons en composantes de plus en plus petites et nous finirons forcément par comprendre »). (…) Puisque le principe d’organisation – ou plus exactement leurs conséquences – peuvent être des lois, celles-ci peuvent elles-mêmes s’organiser en lois nouvelles, et ces dernières en lois encore plus neuves, etc. Les lois du mouvement des électrons engendrent des lois de la thermodynamique et de la chimie, qui engendrent les lois de la cristallisation, qui engendrent les lois de la rigidité et de la plasticité, qui engendrent les lois des sciences de l’ingénieur. Le monde naturel est donc une hiérarchie de descendance interdépendante (…) »

Voyons ce que disaient les philosophes grecs antiques :

Les zénoniens pouvaient dire : « Si l’étendue existait, elle serait composée ou.., ou.., ou… Or elle n’est composée ni de points mathématiques, ni de points physiques, ni de parties divisibles à l’infini ; donc elle n’existe point. »

Contre Zénon, Aristote affirme la solidarité entre les notions de continuité et de divisibilité à l’infini. (...) « J’appelle continu ce qui est divisible en parties toujours divisibles. »

Aristote va établir au livre VI de la « Physique » la thèse fondamentale : il est impossible qu’un continu existe à partir d’indivisibles. (...) Si la ligne était composée de points, le continu serait divisible en indivisibles (...) mais nul continu n’est divisible en éléments sans parties. » Aristote en conclut que la droite n’est pas formée de points consécutifs. S’ils l’étaient ils seraient en contact. « A) Le contact est impossible car a) s’il a lieu de la partie à la partie, il est impossible parce que l’indivisible n’a pas de parties ; b) s’il a lieu de tout au tout, les points en contact ne formeront pas un continu c’est-à-dire seront confondus.(...) B) La consécution est impossible car si deux points sont distincts, ils ont comme intermédiaire la ligne (un intervalle). (...) Les indivisibles, les points, n’ont dans le continu qu’une existence potentielle qui ne s’actualise qu’aux extrémités d’un segment, ou qu’on choisit un en le désignant distinctement. Les individus sont les bornes, mais non les constituants du continu. (...) Le continu se trouve être représenté comme une collection bien enchaînée de parties virtuellement séparées par des points-limites (...) Aristote éludait la difficulté de concevoir que tout point d’un continu, bien qu’ayant des successeurs, n’a pourtant pas de successeur immédiat. (Souligné par moi) Quels que soient les arguments qu’Aristote pouvait puiser dans l’observation de la nature en faveur de l’existence du continu physique, on ne peut se dissimuler (l’absence de) preuve rigoureuse de la divisibilité infinie des grandeurs. (...) D’où la conviction de plusieurs philosophes, dont Aristote, que les grandeurs physiques sont continues, et divisibles à l’infini seulement en puissance. »

Ecoutons Zénon rapporté par Platon :

Tournons-nous maintenant de ce côté. — Lequel ? — Nous disions que l’un participe de l’être, et que c’est ce qui fait qu’il est un être. — Oui. — Et c’est par là que l’un qui est nous est apparu comme multiple. — Oui. — Mais quoi ! ce même un, que nous disons qui participe de l’être, si nous le considérons seul en lui-même, séparément de ce dont il participe, nous apparaîtra-t-il comme simplement un, ou comme multiple ? — Comme un, à ce qu’il me semble. — Voyons. Il faut bien que son être et lui soient deux choses différentes, si l’un n’est pas l’être, mais seulement participe à l’être en tant qu’il est un. — Il le faut. — Or, si autre chose est l’être, autre chose l’un, ce n’est pas par son unité que l’un est autre que l’être, ni par son être que l’être est autre que l’un : c’est par l’autre et le différent qu’ils sont autres. — Oui. — De sorte que l’autre n’est pas la même chose que l’un ni que l’être. — Évidemment. — Mais quoi ! si nous prenons ensemble, soit l’être et l’autre, soit l’être et l’un, soit l’un et l’autre, comme tu l’aimeras le mieux, n’aurons-nous pas pris à chaque fois un assemblage que nous serons en droit de désigner par cette expression, tous deux ? — Comment ? — Le voici. Ne peut-on pas nommer l’être ? — Oui. — Et nommer l’un ? — Aussi. — Ne les nomme-t-on donc pas l’un et l’autre ? — Oui. — Mais lorsque je dis : l’être et l’un, ne les ai-je pas nommés tous deux ? — Sans doute. — Et lorsque je dis l’être et l’autre, ou l’être et l’un, ne puis-je pas également dire chaque fois tous deux ? — Oui. — Et ce dont on est en droit de dire tous deux, cela peut-il faire tous deux sans faire deux ? — C’est impossible. — Or, où il y a deux choses, est-il possible que chacune ne soit pas une ? — Ce n’est pas possible. — Si donc les choses que nous venons de considérer peuvent être prises deux à deux, chacune d’elles est une. — Assurément. — Mais si chacune est une, en ajoutant une chose quelconque à l’un quelconque de ces couples, le tout ne formerait-il pas trois ? — Oui. — Trois n’est-il pas impair, et deux n’est-il pas pair ? — Oui. — Or, là où il y a deux, n’y a-t-il pas aussi nécessairement deux fois, et où il y a trois, trois fois, s’il est vrai que le deux se compose de deux fois un, et le trois de trois fois un ? — Nécessairement. — Et là où il y a deux et deux fois, n’y a-t-il pas aussi nécessairement deux fois deux ? Et là où il y a trois et trois fois, trois fois trois ? — Certainement. — Et là où il y a trois par deux fois, et deux par trois fois, n’y a-t-il pas aussi nécessairement trois fois deux et deux fois trois ? — Il le faut bien. — On aura donc les nombres pairs un nombre de fois pair, les impairs un nombre de fois impair, les pairs un nombre de fois impair, les impairs tin nombre de fois pair. — Oui. — S’il en est ainsi, ne crois-tu pas qu’il n’y a pas un nombre qui ne doive être nécessairement ? — Fort bien. — Donc, si l’un est, il faut nécessairement que le nombre soit aussi. — Nécessairement. — Et si le nombre est, il y a aussi de la pluralité et une multitude infinie d’êtres. Ou n’est-il pas vrai qu’il y aura un nombre infini et qui en même temps participe de l’être ? — Si, cela est vrai. — Mais si tout nombre participe de l’être, chaque partie du nombre n’en participe -t- elle pas également ? — Oui. — Donc, l’être est départi à tout ce qui est multiple, et aucun être, ni le plus petit, ni le plus grand, n’en est dépourvu. N’est -il même pas déraisonnable de poser un pareille question ? car, comment un être pourrait-il être dépourvu de l’être ? — C’est impossible. — L’être est donc partagé entre les êtres les plus petits et les plus grands, en un mot, entre tous les êtres ; il est divisé plus que toute autre chose, et il y a une infinité de parties de l’être. — C’est cela. — Rien n’a donc plus départies que l’être ? — Rien. — Parmi toutes ces parties, en est-il une qui fasse partie de l’existence sans être une partie ? — Comment serait-ce possible ? — Et si telle ou telle partie existe, il faut, ce me semble, que tant qu’elle existe elle soit une chose ; et il n’est pas possible qu’elle n’en soit pas une. — Il le faut. — L’un se trouve donc en chaque partie de l’être ; grande ou petite il n’en est aucune à laquelle il manque. — Oui. — Mais s’il est un, se peut-il qu’il soit tout entier en plusieurs endroits à la fois. Pensez-y bien. — J’y pense, et je vois que cela est impossible. — Il est donc divisé, s’il n’est pas partout tout entier ; car ce n’est qu’en se divisant qu’il peut se trouver à la fois dans toutes les parties de l’être. — Oui. — Mais ce qui est divisible est nécessairement autant de choses qu’il a de parties ? — Nécessairement. — Nous n’avons pas dit vrai tout à l’heure, en disant que l’être était distribué en une multitude de parties ; il ne peut pas être distribué en plus de parties que l’un, mais précisément en autant de parties que l’un ; car l’être ne manque jamais à l’un, ni l’un à l’être : ce sont deux choses qui vont toujours de pair. — Cela est manifeste. — L’un, partagé par l’être, est donc aussi plusieurs et infini en nombre. — Évidemment. — Ce n’est donc pas seulement l’être un qui est plusieurs, mais aussi l’un lui-même, divisé par l’être. — Sans aucun doute. — Et puisque les parties sont toujours les parties d’un tout, l’un sera limité en tant qu’il est un tout ; ou bien les parties ne sont-elles pas renfermées dans le tout ? — Nécessairement. — Mais ce qui renferme doit être une limite. — Oui. — L’un est donc à la fois un et plusieurs, tout et parties, limité et illimité en nombre. — Il semble bien. — Mais s’il est limité, n’a-t-il pas des bornes ? — Nécessairement. — Et s’il est un tout, n’aura-t-il pas aussi un commencement, un milieu et une fin ? ou bien un tout peut-il exister sans ces trois conditions ? et s’il vient à en manquer quelqu’une, sera-t-il encore un tout ? — Il n’en sera plus un. — L’un aurait donc, à ce qu’il paraît, un commencement, un milieu et une fin. — Il les aurait. — Or, le milieu est à égale distance des extrémités ; car autrement il ne serait pas le milieu. — Tu as raison. — Cela étant, l’un participerait d’une certaine forme, soit droite, soit ronde, soit mixte. — Assurément. — Et, alors ne sera-t-il pas et en lui-même et en autre chose ?— Comment ? — Toutes les parties sont dans le tout, et il n’y en a aucune hors du tout.

Qu’est-ce que le rien en physique ?

La masse d’un objet n’est pas l’addition des masses des composants

Les propriétés du tout ne sont pas la somme des propriétés des parties ou l’émergence

L’ensemble possède une structure qui ne préexistait pas dans les éléments ou l’auto-organisation

Messages

  • Les propriétés d’une molécule d’eau ne sont pas celles, combinées, de l’hydrogène et de l’oxygène.

    Les propriétés du nuage ne sont pas la somme des propriétés de chacune de ses gouttes d’eau additionnées aux propriétés des grains de poussière en additionnant celles de l’énergie du soleil.

    Les propriétés physiologiques du corps humain ne sont pas l’addition des propriétés du corps et de celles du cerveau.

    Ces additions négligent de nombreux points. Et le premier : qu’aucun des "éléments" n’existerait sans les autres. Sans le reste du nuage, la goutte d’eau chute instantanément et irrémédiablement. Sans le corps, le cerveau ne nait aps et ne se développe pas...

  • Les zénoniens pouvaient dire : « Si l’étendue existait, elle serait composée ou.., ou.., ou… Or elle n’est composée ni de points mathématiques, ni de points physiques, ni de parties divisibles à l’infini ; donc elle n’existe point. »

  • Le « tout », cassé, est devenu un nouveau tout grâce à un autre ensemble qu’est « le rien »…

  • Ecoutons Zénon rapporté par Platon :

    Tournons-nous maintenant de ce côté. — Lequel ? — Nous disions que l’un participe de l’être, et que c’est ce qui fait qu’il est un être. — Oui. — Et c’est par là que l’un qui est nous est apparu comme multiple. — Oui. — Mais quoi ! ce même un, que nous disons qui participe de l’être, si nous le considérons seul en lui-même, séparément de ce dont il participe, nous apparaîtra-t-il comme simplement un, ou comme multiple ? — Comme un, à ce qu’il me semble. — Voyons. Il faut bien que son être et lui soient deux choses différentes, si l’un n’est pas l’être, mais seulement participe à l’être en tant qu’il est un. — Il le faut. — Or, si autre chose est l’être, autre chose l’un, ce n’est pas par son unité que l’un est autre que l’être, ni par son être que l’être est autre que l’un : c’est par l’autre et le différent qu’ils sont autres. — Oui. — De sorte que l’autre n’est pas la même chose que l’un ni que l’être. — Évidemment. — Mais quoi ! si nous prenons ensemble, soit l’être et l’autre, soit l’être et l’un, soit l’un et l’autre, comme tu l’aimeras le mieux, n’aurons-nous pas pris à chaque fois un assemblage que nous serons en droit de désigner par cette expression, tous deux ? — Comment ? — Le voici. Ne peut-on pas nommer l’être ? — Oui. — Et nommer l’un ? — Aussi. — Ne les nomme-t-on donc pas l’un et l’autre ? — Oui. — Mais lorsque je dis : l’être et l’un, ne les ai-je pas nommés tous deux ? — Sans doute. — Et lorsque je dis l’être et l’autre, ou l’être et l’un, ne puis-je pas également dire chaque fois tous deux ? — Oui. — Et ce dont on est en droit de dire tous deux, cela peut-il faire tous deux sans faire deux ? — C’est impossible. — Or, où il y a deux choses, est-il possible que chacune ne soit pas une ? — Ce n’est pas possible. — Si donc les choses que nous venons de considérer peuvent être prises deux à deux, chacune d’elles est une. — Assurément. — Mais si chacune est une, en ajoutant une chose quelconque à l’un quelconque de ces couples, le tout ne formerait-il pas trois ? — Oui. — Trois n’est-il pas impair, et deux n’est-il pas pair ? — Oui. — Or, là où il y a deux, n’y a-t-il pas aussi nécessairement deux fois, et où il y a trois, trois fois, s’il est vrai que le deux se compose de deux fois un, et le trois de trois fois un ? — Nécessairement. — Et là où il y a deux et deux fois, n’y a-t-il pas aussi nécessairement deux fois deux ? Et là où il y a trois et trois fois, trois fois trois ? — Certainement. — Et là où il y a trois par deux fois, et deux par trois fois, n’y a-t-il pas aussi nécessairement trois fois deux et deux fois trois ? — Il le faut bien. — On aura donc les nombres pairs un nombre de fois pair, les impairs un nombre de fois impair, les pairs un nombre de fois impair, les impairs tin nombre de fois pair. — Oui. — S’il en est ainsi, ne crois-tu pas qu’il n’y a pas un nombre qui ne doive être nécessairement ? — Fort bien. — Donc, si l’un est, il faut nécessairement que le nombre soit aussi. — Nécessairement. — Et si le nombre est, il y a aussi de la pluralité et une multitude infinie d’êtres. Ou n’est-il pas vrai qu’il y aura un nombre infini et qui en même temps participe de l’être ? — Si, cela est vrai. — Mais si tout nombre participe de l’être, chaque partie du nombre n’en participe -t- elle pas également ? — Oui. — Donc, l’être est départi à tout ce qui est multiple, et aucun être, ni le plus petit, ni le plus grand, n’en est dépourvu. N’est -il même pas déraisonnable de poser un pareille question ? car, comment un être pourrait-il être dépourvu de l’être ? — C’est impossible. — L’être est donc partagé entre les êtres les plus petits et les plus grands, en un mot, entre tous les êtres ; il est divisé plus que toute autre chose, et il y a une infinité de parties de l’être. — C’est cela. — Rien n’a donc plus départies que l’être ? — Rien. — Parmi toutes ces parties, en est-il une qui fasse partie de l’existence sans être une partie ? — Comment serait-ce possible ? — Et si telle ou telle partie existe, il faut, ce me semble, que tant qu’elle existe elle soit une chose ; et il n’est pas possible qu’elle n’en soit pas une. — Il le faut. — L’un se trouve donc en chaque partie de l’être ; grande ou petite il n’en est aucune à laquelle il manque. — Oui. — Mais s’il est un, se peut-il qu’il soit tout entier en plusieurs endroits à la fois. Pensez-y bien. — J’y pense, et je vois que cela est impossible. — Il est donc divisé, s’il n’est pas partout tout entier ; car ce n’est qu’en se divisant qu’il peut se trouver à la fois dans toutes les parties de l’être. — Oui. — Mais ce qui est divisible est nécessairement autant de choses qu’il a de parties ? — Nécessairement. — Nous n’avons pas dit vrai tout à l’heure, en disant que l’être était distribué en une multitude de parties ; il ne peut pas être distribué en plus de parties que l’un, mais précisément en autant de parties que l’un ; car l’être ne manque jamais à l’un, ni l’un à l’être : ce sont deux choses qui vont toujours de pair. — Cela est manifeste. — L’un, partagé par l’être, est donc aussi plusieurs et infini en nombre. — Évidemment. — Ce n’est donc pas seulement l’être un qui est plusieurs, mais aussi l’un lui-même, divisé par l’être. — Sans aucun doute. — Et puisque les parties sont toujours les parties d’un tout, l’un sera limité en tant qu’il est un tout ; ou bien les parties ne sont-elles pas renfermées dans le tout ? — Nécessairement. — Mais ce qui renferme doit être une limite. — Oui. — L’un est donc à la fois un et plusieurs, tout et parties, limité et illimité en nombre. — Il semble bien. — Mais s’il est limité, n’a-t-il pas des bornes ? — Nécessairement. — Et s’il est un tout, n’aura-t-il pas aussi un commencement, un milieu et une fin ? ou bien un tout peut-il exister sans ces trois conditions ? et s’il vient à en manquer quelqu’une, sera-t-il encore un tout ? — Il n’en sera plus un. — L’un aurait donc, à ce qu’il paraît, un commencement, un milieu et une fin. — Il les aurait. — Or, le milieu est à égale distance des extrémités ; car autrement il ne serait pas le milieu. — Tu as raison. — Cela étant, l’un participerait d’une certaine forme, soit droite, soit ronde, soit mixte. — Assurément. — Et, alors ne sera-t-il pas et en lui-même et en autre chose ?— Comment ? — Toutes les parties sont dans le tout, et il n’y en a aucune hors du tout.

  • Est-il exact que « le tout étant la somme de ses parties, est plus grand que chacune d’elles en particulier » (propos attribué à Euclide ?

    Réfléchissons-y dans la vie courante. Le tout est-il identique à la somme des parties ? Une partie ne peut-elle, à certains moments, dominer le tout ?

  • Zénon :

    « Si une unité ponctuelle sans dimension était ajoutée à une autre, elle ne l’augmenterait d’aucune unité, car en ajoutant ce qui n’a pas de dimension, on ne peut accroître une dimension d’une unité. (…) Un point ajouté à un point ne produit pas de distance. (…) Si le multiple existe, d’autres s’intercalent entre les existants et dans l’intervalle entre eux il y en a encore d’autres, ainsi de suite entre d’autres intervalles il y en a en nombre indéterminé. (…) Si un point est dimensionné, il occupe un espace et définit une distance. Il y a donc d’autres points en son sein et ainsi de suite. » « Car, si l’être était divisible, supposons-le sectionné en deux, et ensuite chacune des parties en deux, et que cela se reproduise sans cesse, il est évident que : ou bien il subsisterait certaines grandeurs ultimes qui seraient minimales et insécables, mais infinies en nombre ; ou bien il s’évanouirait et se résoudrait en ce qui n’est plus rien, et serait constitué de ce qui n’est plus rien ; deux conclusions qui précisément sont absurdes. Donc il ne sera pas divisé, mais demeurera un. De plus, en effet, puisqu’il est semblable en tout point, si on lui attribue la divisibilité il sera divisible semblablement en tout point, et non pas ici divisible et là non. Supposons-le donc divisé en tout point : alors il est évident que rien ne subsistera, qu’il s’évanouira, et que s’il est vrai qu’il soit constitué, il sera à nouveau de ce qui n’est rien. Car tant que quelque chose en subsistera, le procès de division en tout point ne sera pas encore achevé. En sorte que il est encore manifeste d’après ce qui précède que l’Etre est indivisible, et sans parties, et un. (…) Mais s’il est, il est nécessaire que chacun ait quelque grandeur, et quelque épaisseur, et que l’une de ses deux parties soit en dehors de l’autre. Même raisonnement pour celle des deux qui précède l’autre. Car celle-là aussi aura grandeur et quelque chose en elle précédera le reste. Assurément dire cela une fois revient au même que de le répéter indéfiniment. Car, de telles parties aucune ne sera l’ultime, ni telle qu’il n’y ait pas de relation d’une de ses parties à l’autre. »

  • Zénon rapporté par Simplicius dans « Physique » :

    « La division, en tant qu’être divisé, n’est pas ponctualité absolue. La notion de continuité n’est pas non plus l’indivisé sans parties. » 1. — Si l’un n’avait pas de grandeur, il n’existerait même pas. Mais, s’il est, chaque un doit avoir une certaine grandeur et une certaine épaisseur et doit être à une certaine distance de l’autre, et la même chose peut être dite de ce qui est devant lui ; car celui-ci aussi aura une grandeur, et quelque chose sera devant lui. C’est la même chose de dire cela une fois et de le dire toujours ; car aucune partie de lui ne sera la dernière et il n’est chose qui ne puisse être comparée à une autre. Donc, si les choses sont une pluralité, elles doivent être à la fois grandes et petites, petites au point de ne pas avoir de grandeur du tout ; et grandes au point d’être infinies. 2. — Car s’il était ajouté à n’importe quelle chose, il ne la rendrait en rien plus grande ; car rien ne peut gagner en grandeur par l’addition de ce qui n’a pas de grandeur, d’où il suit immédiatement que ce qui était ajouté n’était rien. Mais si, quand ceci est retranché d’une autre chose, cette dernière n’est pas plus petite ; et d’autre part si quand il est ajouté à une autre chose, celle-ci n’en est pas augmentée, il est clair que ce qui est ajouté n’était rien et que ce qui était retranché n’était rien. 3. — Si les choses sont une pluralité, elles doivent être exactement aussi multiples qu’elles sont, ni plus ni moins. Or, si elles sont aussi multiples qu’elles sont, elles seront finies en nombre. Si les choses sont une pluralité, elles seront infinies en nombre, car il y aura toujours d’autres choses entre elles, et de nouveau d’autres choses entre celles-ci. Et ainsi les choses seront infinies en nombre. 4. — Le mobile ne se meut ni dans l’espace où il se trouve, ni dans celui où il ne se trouve pas. »

  • Aristote (Métaphysique – livre V) :

    « La partie est antérieure au tout… Mais en acte, les parties sont postérieures au tout ; car c’est après la dissolution du tout qu’elles sont en acte… Quantité s’entend de ce qui est divisible en éléments constitutifs, dont l’un ou l’autre, ou chacun, est un et a, de sa nature, une existence propre. La pluralité est une quantité lorsqu’elle peut se compter ; la grandeur, lorsqu’elle peut se mesurer. On appelle pluralité ce qui est, en puissance, divisible en parties non continues ; grandeur, ce qui peut se diviser en parties continues. Une grandeur continue dans un seul sens, s’appelle longueur ; dans deux sens, largeur, et dans trois, profondeur. Une pluralité finie, c’est le nombre ; une longueur finie, c’est la ligne. Ce qui a largeur déterminée, est un plan ; profondeur déterminée, un corps. Enfin, certaines choses sont des quantités par elles-mêmes, d’autres accidentellement. Ainsi, la ligne est par elle-même une quantité ; le musicien n’en est une qu’accidentellement… Nous disons : le vase contient le liquide, la ville contient les hommes, le vaisseau les matelots ; de même encore le tout contient les parties. Ce qui empêche un être de se mouvoir ou d’agir selon sa tendance, retient cet être… Ainsi les parties proviennent du tout… Sous un autre point de vue, le tout vient de la partie… Partie, dans un sens, se dit de ce en quoi on peut diviser une quantité quelconque. Car toujours ce qu’on retranche d’une quantité, en tant que quantité, s’appelle partie de cette quantité. Ainsi, deux peut être considéré comme partie de trois. Dans un autre sens, on donne seulement ce nom à ce qui mesure exactement les quantités ; de sorte que sous un point de vue, deux sera partie de trois, et sous l’autre, non. Ce en quoi peut se diviser un genre, le genre animal par exemple, autrement que sous le rapport de la quantité, s’appelle encore partie de ce genre. Dans ce sens les espèces sont des parties du genre. Partie se dit aussi de ce en quoi peut se diviser un objet, ou de ce qui constitue le tout ou la forme, ou ce qui a la forme. L’airain, par exemple, est une partie de la sphère ou du cube d’airain, il est la matière qui reçoit la forme. L’angle est aussi une partie. Enfin, les éléments de la définition de chaque être particulier sont encore des parties du tout. De sorte que, sous ce point de vue, le genre peut être considéré comme partie de l’espèce ; sous un autre, au contraire, l’espèce est partie du genre. Tout, s’entend de ce à quoi il ne manque aucune des parties qui constituent naturellement un tout ; on bien de ce qui embrasse d’autres êtres s’il a l’unité, et des êtres embrassés, s’ils forment une unité. Sous ce dernier point de vue, deux cas se présentent : ou bien chacun des êtres embrassés est un, ou bien l’unité résulte de leur ensemble. Ainsi, pour le premier cas, l’universel, (car l’universel reçoit le nom de tout, comme désignant un ensemble,) l’universel est universel parce qu’il embrasse plusieurs êtres, à chacun desquels il s’applique, et que tous ces êtres particuliers forment une unité commune, par exemple, homme, cheval, dieu, parce que ce sont tous des êtres vivants. Dans le second cas, le continu déterminé ; s’appelle tout ou ensemble, parce qu’il est une unité résultant de plusieurs parties intégrantes, surtout lorsque ces parties sont en puissance, quelquefois aussi lorsqu’elles sont en acte. Les objets naturels ont plutôt ce caractère que les objets d’art, comme nous l’avons fait remarquer à propos de l’unité ; car le tout ou l’ensemble est une espèce d’unité. »

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