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Les leçons du Wisconsin

mardi 12 juin 2012, par Robert Paris

Les leçons du Wisconsin

Par Patrick Martin

11 juin 2012

La déroute subie par le Parti démocrate et les syndicats mardi dernier lors des élections de rappel au Wisconsin a provoqué une réponse prévisible de la part de tout le spectre politique officiel. Du côté de l’extrême droite, c’était le triomphalisme primaire, tandis que les libéraux et la pseudo-gauche, tous apologistes de l’administration Obama, s’autojustifiaient et exprimaient leur inquiétude.

Le Wall Street Journal a vanté la victoire du gouverneur républicain Scott Walker, appelant à la défaite « d’un intérêt spécial furieux et bien nourri qui veut un monopole permanent sur le portefeuille des contribuables ».

Le président de l’AFL-CIO, Richard Trunka, a blâmé les « milliardaires texans » et les « entreprises multinationales » qui appuient Walker financièrement. Articulant le cynisme et la complaisance propre à la bureaucratie syndicale, Trumka a dit qu’il n’y aurait pas de changement à sa stratégie politique.

Une analyse sérieuse des origines de la débâcle du 5 juin était complètement absente de toute la politique officielle. Cette défaite est en fait le résultat prévisible de l’intervention par les syndicats et le Parti démocrate pour étouffer les manifestations ouvrières de masse et les grèves qui ont éclaté au Wisconsin l’année dernière contre une loi anti-ouvrière et antisociale promulguée par Walker.

Les évènements de février-mars 2011 ont été une expérience politique cruciale pour la classe ouvrière américaine et ils ont suscité l’intérêt des travailleurs internationalement. En réponse à l’introduction surprise par Walker de mesures qui éliminent en pratique le droit de négocier des employés du secteur public et qui coupent des milliards aux avantages sociaux des travailleurs ainsi qu’aux programmes sociaux comme BadgerCare (programme d’assurance-maladie au Wisconsin), des dizaines de milliers de travailleurs ont pris part à des manifestions et à l’occupation de la rotonde du Capitole à Madison.

Après que l’Assemblée législative contrôlée par les républicains a ignoré les manifestations et passé la loi anti-ouvrière, il y a eu un mouvement de plus en plus grand pour une grève générale. La South Central Federation of Labor à Madison a passé une résolution en faveur d’une grève générale, sans aucune intention de lutter pour la réaliser, mais plutôt pour amadouer le militantisme croissant des membres de la base. Le Parti de l’égalité socialiste et le World Socialist Web Site ont mené une campagne agressive pour une grève générale, publiant des déclarations et les distribuant par milliers lors des manifestations anti-Walker.

Les leaders des syndicats majeurs – l’AFL-CIO, le syndicat des travailleurs de l’État (AFSCME) et le syndicat des professeurs (WEAC) – se sont fermement opposés à toutes luttes plus larges contre la loi anti-ouvrière. Ils ont offert de mettre en oeuvre toutes les coupes demandées par Walker, pourvu qu’il maintienne les cotisations obligatoires, la source de leurs salaires, et qu’il leur réserve un rôle dans les négociations de réductions des salaires et des avantages sociaux de leurs membres.

Les chefs syndicaux ont étouffé le mouvement anti-Walker en le détournant dans une série d’élections de rappel destinées à remplacer les politiciens républicains pour des démocrates. Cela a commencé avec le rappel des sénateurs de l’État pendant l’été et a culminé avec une pétition qui a recueilli près d’un million de signatures et qui a forcé l’élection de rappel le 5 juin.

Pour leur part, les démocrates ont insisté sur le fait qu’ils appuyaient les attaques de Walker contre les avantages sociaux des travailleurs du secteur public et les programmes sociaux, et qu’ils s’opposaient uniquement aux mesures qui affaiblissent la position de la bureaucratie syndicale, qui demeure une partie significative de leur base de soutien.

Comme le WSWS l’avait expliqué à ce moment, la campagne en faveur d’un rappel était une manœuvre cynique et réactionnaire destinée à démobiliser la classe ouvrière, à dissiper l’opposition aux attaques contre les programmes sociaux et les droits des travailleurs et à canaliser la lutte contre Walker dans un soutien pour le Parti démocrate. Le Parti de l’égalité socialiste a fait campagne pour le retrait de Walker en mettant de l’avant une grève générale comme le premier pas pour une mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière dans une lutte politique contre le système de profit et les deux partis de la grande entreprise.

Nous avons écrit : « L’appel à la démission de Walker n’implique pas un vote de confiance au Parti démocrate. Au-delà des frontières du Wisconsin, des gouverneurs et des maires du Parti démocrate réclament des coupes budgétaires pas moins draconiennes que celles que veut Walker. Le gouvernement Obama collabore avec les gouverneurs d’État et le Congrès à Washington à la mise en application des coupes budgétaires qui causeront des ravages dans la vie des travailleurs partout dans le pays…

Ainsi, la revendication exigeant l’éviction de Walker soulève la question la plus importante de toutes – la nécessité des travailleurs de créer leur propre alternative socialiste indépendante aux partis républicain et démocrate contrôlés par le patronat. (Voir : Walker doit partir ! Grève générale au Wisconsin !)

Cette perspective a été entièrement validée par les évènements des 15 derniers mois. Aucun des candidats qui se sont présentés aux primaires démocrates pour s’opposer à Walker dans l’élection de rappel n’était prêt à faire révoquer la loi anti-ouvrière ou les coupes budgétaires qui l’accompagnaient. Le candidat démocrate, le maire de Milwaukee, Tom Barrett, s’est vanté qu’il n’était pas le choix des syndicats et a de facto mis de côté la question du droit de négocier. Il a lui-même utilisé la loi de Walker pour imposer des coupes de 19 millions de dollars aux travailleurs de la ville de Milwaukee.

L’administration Obama a fait peu d’effort pour masquer son hostilité à la campagne de rappel. Obama n’a pas fait campagne avec Barrett et, après le vote, le porte-parole de la Maison-Blanche, Jay Carney, a minimisé la signification du vote, déclarant : « Le gouverneur sortant de cette élection de rappel avait déjà gagné une fois, et il avait un budget électoral 7 ou 8 fois plus important que son rival… »

Les médias et les démocrates de premier plan se servent déjà du résultat du vote comme une supposée preuve que le public soutient le genre de vicieuses mesures d’austérité imposées par Walker. Ainsi, le vote dans cette élection devient le moyen pour justifier un tournant plus marqué à droite de la part du Parti démocrate et du système politique américain dans son ensemble, peu importe qui remportera l’élection présidentielle du 6 novembre.

Les groupes de pseudo-gauche comme L’Organisation socialiste internationale (ISO, International Socialist Organization) ont joué un rôle clé en torpillant la lutte au Wisconsin, en renforçant l’autorité des syndicats et en avançant la perspective que des protestations de masse peuvent forcer le Parti démocrate à s’opposer aux politiques anti-ouvrières des républicains. Ils dissimulent délibérément l’identité de classe du Parti démocrate qui, non moins que les républicains, est un parti du patronat américain.

À la suite de la défaite du Parti démocrate, l’ISO continue sa dissimulation, décrivant la victoire de Walker comme une « perte douloureuse pour le mouvement qui émerge du soulèvement ». L’ISO accepte ainsi l’affirmation des dirigeants syndicaux que la campagne de destitution était la poursuite du mouvement de masse contre Walker, bien que cela représentait en fait sa trahison et sa fin.

Les événements au Wisconsin en février et mars 2011 coïncidaient avec un soulèvement international de la classe ouvrière, y compris l’évincement des dictateurs proaméricains en Tunisie et en Égypte, suivi des protestations de masse contre l’austérité en Espagne, en Grèce, au Portugal, en Italie et même en Israël.

Les convulsions économiques et sociales qui ont produit les soulèvements au Wisconsin n’ont pas été résolues. Au contraire, elles se sont énormément intensifiées. La classe ouvrière aux États-Unis et à travers le monde est entraînée dans la lutte par la crise du capitalisme et par la détermination de la classe dirigeante à défendre ses richesses à travers l’attaque impitoyable sur les emplois, les salaires, l’éducation, les soins de santé et les droits démocratiques fondamentaux.

Cette lutte nécessite une nouvelle perspective politique et une nouvelle organisation de lutte. Aucune confiance ne doit être accordée aux syndicats, qui servent de policiers pour la grande entreprise au sein de la classe ouvrière. La classe ouvrière doit bâtir de nouvelles organisations indépendamment des syndicats, soit des comités visant à unir les travailleurs de la fonction publique et du secteur privé, ainsi que les travailleurs et les jeunes sur les lieux de travail, dans les écoles et les quartiers.

La défense militante des emplois, des conditions de vie et des services sociaux doit devenir une lutte politique contre le système de profit et les deux partis contrôlés par la grande entreprise qui la défend. La classe ouvrière peut aller de l’avant uniquement lorsque les travailleurs rompent avec le Parti démocrate et joignent la lutte pour bâtir un parti indépendant basé sur la lutte pour le pouvoir ouvrier et le socialisme.

La leçon centrale du Wisconsin est la nécessité de bâtir une nouvelle direction au sein de la classe ouvrière, le Parti de l’égalité socialiste, afin d’armer les prochaines luttes sociales d’un programme et d’une perspective révolutionnaires.

Portfolio

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