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La grève générale se poursuit au Tchad

mardi 24 juillet 2012, par Robert Paris

Tchad : poursuite de la grève générale, l’interdiction de pêcher dénoncée

La grève générale démarrée la semaine dernière à l’appel de l’Union des syndicats du Tchad doit reprendre ce lundi 23 juillet. Cette grève vise à revendiquer l’application du protocole d’accord signé en novembre 2011 qui prévoyait une augmentation des salaires, mais aussi à dénoncer des mesures très impopulaires comme l’interdiction, depuis un mois, de pêcher dans le fleuve Chari au niveau de Ndjamena. Massalbaye Tenebaye, président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme, revient plus en détail sur cette interdiction.

Mais sur les marchés de la capitale et des villes secondaires, les prix des denrées de première nécessité augmentent sans cesse. Et beaucoup de pères de famille, comme Abdoulaye Mbodou, cadre dans l’administration, s’ils auront les moyens de donner, chaque soir, à leurs proches un "f’tour" ("iftar", en arabe local, Ndlr) "convenable et consistant". Depuis un peu plus d’une semaine, le poisson est devenu un luxe pour beaucoup de ménages de N’Djaména. Le prix du petit sac de poissons frais, ravitaillé du Lac Tchad, vaut autour de 30.000 F CFA, contre 14.000 F CFA il y a peu de temps. La viande, autre aliment de base des Tchadiens, devient également rare dans les plats. Bien avant le début du mois saint, nous arrivions à peine à manger du poisson frais ou de la viande au déjeuner deux ou trois fois par semaine. Le reste des jours, nous devons nous contenter du poisson fumé ou séché, confie Abdoulaye Mbodou, marié à trois femmes et père de onze enfants.

Au marché des céréales de la N’Djaména, le sac de maïs est vendu depuis deux mois à 27.000 F CFA, alors qu’en temps normal, on pouvait l’acquérir à 14.000 francs. Le sac de mil pénicillaire, quant à lui, vaut 25.000 F CFA. Selon le ministère de l’Agriculture et de l’Irrigation, la dernière production agricole a connu un déficit céréalier de 400.000 tonnes. Le bidon d’huile végétale importée de dix litres, est vendu entre 12.500 et 14.000 F CFA, contre 11.000 F CFA il y a quelques semaines. Le litre d’huile d’arachide locale est également passé de 800 à 1.250 ou 1.300 francs. Le prix du sucre fabriqué par la Compagnie Sucrière du Tchad, qui bénéficie des facilités fiscales, stagne depuis quelques mois autour de 1.200 F CFA le paquet de 1 kg, bien plus cher que celui importé du Cameroun et vendu à 1.100 F CFA.

L’Etat a défiscalisé et subventionné les produits de première nécessité (riz de 50 kg, huile végétale, lait et pâtes alimentaires) afin de minimiser les prix sur le marché. Mais c’est l’effet contraire qui se produit. Les commerçants, véreux, créent des pénuries artificielles en constituant des stocks, puis imposent des prix exorbitants, au grand dam aux consommateurs. En octobre 2010, le président Idriss Déby Itno a décidé de s’investir personnellement contre la cherté de la vie. Cette pratique doit prendre fin, a-t-il martelé devant un parterre d’opérateurs économiques. Vous devez comprendre que vous ne pouvez indéfiniment escroquer la population en complicité avec les transporteurs, en réalisant des superbénéfices sur le dos de celle- ci. Il faut que cela change ! Le Tchad qui est un pays agro-sylvo-pastoral par excellence ne doit pas connaître des pénuries de viande, de maïs, de riz ou d’oignons, les aliments les plus consommés, déclare cheikh Abdadayim Abdoulaye Ousman.

Le gouvernement a arraché arbitrairement et dans la violence comme à son habitude les pirogues et les pieds des personnes. [...] C’est une mesure qui relève de l’abus de pouvoir.déclare le Président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme (LTDH).

L’Union des syndicats du Tchad (UST) a déclenché, à partir de ce lundi, une nouvelle grève d’une semaine dans le secteur public et parapublic pour revendiquer l’application d’un protocole d’accord signé en novembre dernier et dont le gouvernement fait une lecture très différente.

"Nous n’avons pour le moment rien obtenu de la part du gouvernement concernant nos revendications", déclare Adjia Djondang François, secrétaire général de l’UST.

Après la grève de trois jours observée la semaine dernière, les membres de la plus grande centrale syndicale du Tchad ont multiplié les rencontres avec des responsables gouvernementaux ( dont le Premier ministre Emmanuel Nadingar), mais toutes ont accouché d’une souris. Réunis en assemblée générale samedi à la Bourse du travail, ils ont durci le ton et décidé d’une nouvelle grève d’une semaine, renouvelable automatiquement si le gouvernement ne satisfait pas leurs revendications.

En novembre 2011, après trois semaines de grève, le président Déby Itno a accepté de signer la nouvelle grille salariale des fonctionnaires. Il a ensuite promulgué un décret qui approuve et rend exécutoire les grilles salariales consécutives au relèvement du Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) et du Salaire Minimum Agricole Garanti (SMAG) dans le secteur privé.

Selon le protocole d’accord de novembre 2011, sur les 300 points que les fonctionnaires ont exigé sur leurs indices salariaux, le gouvernement leur concèdera 60 points dès l’année 2012. Les 240 points restants seront répartis sur les deux années suivantes, compte tenu de l’amélioration de la situation financière de l’Etat.

Mais au lieu de recevoir 60 points comme cela est dit, certains fonctionnaires se retrouvent depuis janvier 2012 (date d’entrée en vigueur du protocole d’accord) avec des salaires moindres que ceux qu’ils percevaient avant et avec 1.000 F CFA ou 2.000 F CFA d’augmentation. "Ce n’est vraiment pas les termes du protocole d’accord", déplore Adjia Djondang François.

Pour Hassan Sylla Bakari, ministre de la Communication et porte- parole du gouvernement, l’application de la grille salariale convenue avec les partenaires sociaux aura une incidence financière de 12,5 milliards F CFA : 2,5 milliards F CFA en 2012 ( soit les 20% des 300 points) ; 5 milliards F CFA en 2013 (40% des 300 points) et 5 milliards F CFA en 2014 (40% restants des 300 points).

Se basant sur le principe universel de reversement selon lequel les fonctionnaires sont reversés de l’ancienne grille à la nouvelle à un indice égal ou à des taux immédiatement supérieurs, le porte-parole du gouvernement tchadien affirme que le fonctionnaire de l’indice le plus bas bénéficiera de 60 points d’indice, alors que ce n’est pas systématique pour celui qui le suit.

"C’est partant de ce principe que la grille a été appliquée. Il ne s’agit nullement d’ajouter de façon linéaire 60 points d’indice aux salaires de tous les fonctionnaires", explique-t-il. Car une application linéaire de la grille induirait, selon lui, une incidence financière globale de 36 milliards F CFA sur les trois ans.

"Toutefois, dans sa volonté de préserver la paix sociale, le gouvernement a décidé de faire des ajustements pour que les agents de l’Etat qui n’ont pas vu leurs salaires évoluer au cours du premier semestre de l’année 2012, puissent bénéficier d’un léger aménagement en dépit du principe de reversement universel", affirme Hassan Sylla Bakari. "Ce léger aménagement", c’est au total 850 millions F CFA.

Par ailleurs, le porte-parole du gouvernement précise qu’en ce qui concerne le passage de la valeur du point d’indice de 115 à 150, aucune allusion n’a été faite dans le protocole d’accord, et c’est pour cette raison que ce point doit faire l’objet de négociations futures. Il rappelle que le gouvernement reste ouvert au dialogue et aux échanges avec ses partenaires sociaux. Il invite, enfin, "tous les agents de la Fonction publique à reprendre normalement leurs activités d’autant plus que le dialogue se poursuit pour trouver une solution aux questions posées par l’Union des syndicats du Tchad".
"Nous n’avons rien à négocier avec le gouvernement puisque tout a été déjà négocié ; le décret 1249 et le protocole d’accord sont là et il faut seulement aller à leur application", répond Adjia Djondang François.

Pour le leader syndical, il n’est pas question surseoir à la grève pour pouvoir entamer des discussions. "Les négociations peuvent être tenues ou poursuivies pendant le délai de la grève. Si la semaine (de la grève, Ndlr) passe et que rien n’est fait, la semaine qui suivra sera alors une grève beaucoup plus dure, c’est- à-dire sans service minimum", prévient-il.

Pendant les trois jours de grève de la semaine dernière, les personnels réduits qui assuraient le service minimum dans les hôpitaux et centres de santé de la capitale et des villes de province ont été débordés par les malades. Les transports en commun, tenus par des particuliers, n’ont pas été touchés par la grève. Dans les écoles, c’est le désert naturel, enseignants et élèves sont déjà en vacances. "Il n’y a que les décrétés ( fonctionnaires nommés à des postes par décret, Ndlr) qui vont au bureau, de peur de perdre leur place. Mais partout où nous avons circulé, à part les banques dont la situation salariale des employés a été arrangée in extrémis par un arrêté, les bureaux du public, quand bien même ouverts, n’ont pas été fonctionnels", ont affirmé de nombreux grévistes à l’assemblée générale de samedi.

Le secrétaire général de l’UST appelle "ses camarades à une mobilisation forte". Selon lui, sa centrale a le soutien du Collectif des associations de défense des droits de l’Homme, de la Convention de défense des droits humains, de la Confédération syndicale internationale (basée à Bruxelles) et de sa section Afrique à Lomé, au Togo.

La Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH), qui a signé avec l’UST en 1992 un protocole d’accord pour la promotion et la protection des droits sociaux et économiques, soutient également la grève des syndicats. "Les travailleurs perçoivent des salaires qui ne leur permettent pas de faire face à leurs besoins, tant la vie devient outrageusement chère. Ensuite, nous faisons face à des mesures impopulaires et injustes que le gouvernement actuel, dopé par de gros revenus que génère le pétrole, exerce sur la population en lui tournant complètement le dos", dénonce son président, Massalbaye Ténébaye.

Ces mesures sont les déguerpissements, les expropriations pour cause d’utilité publique, l’interdiction des activités sur les fleuves (transport, pêche et blanchisserie), le port des casques pour les motocyclistes, sans oublier l’insécurité.

Unies devant cette "situation intenable", l’UST et la LTDH entendent mobiliser d’autres forces pour "contraindre le gouvernement à revenir à de bonnes pratiques". "En tant qu’observateurs et respectueux de la loi, pas comme le gouvernement, les actions que nous mènerons avec l’UST et les autres organisations de la société civile, se feront dans la légalité, de manière démocratique et pacifique", précise Massalbaye Ténébaye. Dans les rangs des travailleurs, l’on se félicite de tous ces soutiens affichés ou potentiels, mais l’on reste lucide. "Nous entrons dans une période très difficile de soudure et il faut absolument que nous arrivions à faire face à cette situation", prévient Adjia Djondang François.

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