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La première crise du matérialisme vulgaire en arithmétique : les nombres vus comme produits des opérations d’arpentage

mercredi 8 août 2012, par Alex

La première crise du matérialisme vulgaire en arithmétique : les nombres vus comme produits des opérations d’arpentage

Il est usuel de lire sous la plume de matérialistes mécanistes que les mathématiques se sont développées en relation avec les opérations liées à la production, à l’administration. En particulier avec les opérations d’arpentage, de mesure des surfaces des terres agricoles.

Par exemple dans la brochure de Lutte Ouvrière « Le sexe des nombres » on trouve au début un paragraphe intitulé “L’origine des mathématiques : les tendeurs de ficelles”

L’arpenteur peut-il trouver une corde-étalon pour mesurer toutes les longueurs des champs : non, c’est impossible

Si l’arpenteur dispose d’une corde de longueur 1 mètre et qu’il doit mesurer un champ d’une longueur de 6m, il n’aura qu’a poser son étalon 6 fois de suite pour vérifier que la longueur fait bien 6 mètres.

Et si le champ ne fait pas un nombre entier mais par exemple 6m75 ?

Un objet familier permet de comprendre le principe général de la mesure par arpentage. Une feuille de format A4 mesure 21 par 29,7 cm. Ces deux longueurs ont-elles une mesure commune ? Si on prend un fil de 1cm de long il rentrera exactement 21 fois dans la première longueur, mais ni 29 fois (trop court) ni 30 fois (trop long) ne marche pour couvrir la deuxième longueur. Bien sûr on voit qu’il suffit de prendre un fil de 1mm, il mesurera exactement les deux longueurs, rentrant 210 fois dans l’une, 297 fois dans l’autre. Donc 21 cm et 29,7 cm ont une mesure-étalon commune, 1mm, elles sont commensurables. En fait leur mesure-talon commune la plus grande, la vraie, est 3mm, car 21cm=90 fois 3mm et 29,7cm= 99 fois 3mm.

Ces 3mm se trouvent par un algorithme qui correspond à un travail d’arpenteur, à une démarche très matérialiste : prenons une ficelle de longueur 21 cm et une de longueur 29,7cm. On peut reporter une seule fois la longueur de la plus petite le long de la deuxième. On coupe ce qui dépasse, il reste 8,7cm. On se retrouve avec une petite ficelle de longueur 8,7cm et une plus grande de longueur 21 cm. Et on recommence l’opération. La petite longueur peut être reportée deux fois le long de la grande, il reste 21cm -17,4cm =3,6cm, et la corde de 8,7cm joue le rôle de la grande. On continue ainsi. Le lecteur qui veut s’entrainer est invité à continuer et vérifier que les longueurs suivantes sont 1,5cm, 6mm et 3mm. Cette dernière ficelle couvre exactement 2 fois l’avant dernière, on retrouve l’étalon prévu de 3mm, qui couvre un nombre entier de fois les deux longueurs initiales.

Le lecteur non-mathématicien commence peut-être à s’ennuyer, mais il est hautement récompensé par sa patience. Premièrement l’objet mathématique qui correspond à ces manipulations de ficelles s’appelle une fraction continue, un concept ultra-puissant des mathématiques.
On écrit d’ordinaire les nombres en base 10, avec des décimales, une autre manière d’écrire les nombre qui ne dépend pas du choix d’une base est l’utilisation des fractions continues. Les fractions continues sont un domaine entier des mathématiques, on peut écrire des livres entiers sur leurs propriétés, voir par exemple l’article i et les références historiques.

Première conclusion : on voit qu’une notion mathématique, en général provient d’une expérience très concrète. Le langage mathématique est créé par l’homme pour représenter une réalité bien matérielle, provient d’un exercice pratique.

Oui mais voilà, si on prend un triangle rectangle de côté 1, la longueur de son hypoténuse est r=racine carrée de deux, et si on essaye le processus avec les avec les nombres 1 et r, il ne s’arrêtera jamais : r est incommensurable à 1. Les disciples de Pythagore l’ont démontré. Les grecs appelèrent ces nombres irrationnels, dans le sens : il manque les mots pour les décrire. Ce terme illustre le fait cette découverte fut comme une première crise des mathématiques. On pourrait se dire : utilisons une ficelle de longueur 1, une autre de longueur racine de 2, et ajoutons en autant qu’il faudra, une grande valise contenant beaucoup de ficelles de longueur différentes permettra à l’arpenteur de tout mesurer. On sait depuis le XIXème siècle qu’il faudrait une infinité de ficelles. Donc il est impossible de constituer une valise pour l’arpenteur. Les nombres sont "quasiment-toujours" incommensurables entre eux. la mathématique de l’arpentage est un échec : on tombe sur la question de l’infini. On pensait que les maths permettraient d’élever le travail de l’arpenteur au rang d’une science exacte, les maths montrent en fait que l’arpentage exact est impossible, les longueurs sont incommensurables entre elles. Mais dans la pratique les mesures sont approximatives et l’arpentage même approximatif permet d’envoyer des engins sur mars. Donc l’activité et la notion mathématiques vivent indépendamment, elles sont nées d’une même expérience mais se sont séparées dès leur naissance.

Deuxième conclusion : le langage mathématique créé par l’homme pour représenter une réalité bien matérielle, est distinct de cette réalité matérielle : il a des propriétés différentes. Dans ce sens le livre de la nature n’est pas écrit en langage mathématique. Les maths ne sont pas la réalité, mais un reflet, comme le dit le matérialisme. Ce langage a une vie autonome. A partir des fractions continues on peut développer une théorie qui s’éloigne de l’arpentage. On peut partir dans des spéculations délirantes, qui font le charme des mathématiques ... et leur efficacité.

Les matérialistes mécaniques s’offusquent : par exemple dans la brochure citée de Lutte Ouvrière « Le sexe des nombres » on trouve après le paragraphe intitulé “L’origine des mathématiques : les tendeurs de ficelles” la conclusion de la brochure qui est : “coupées de leur lien avec le monde réel, les mathématiques ne peuvent que retomber au niveau des spéculations”. Une telle affirmation sous-entend que nous connaissons le monde a priori, or il se trouve que ce ne sont que des phénomènes qui sont accessibles au prmeir abord à non directement le monde, le réel. Et parfois on est surpris de découvrir le "réel" après des siècles d’erreurs dues à notre interprétation des phénomènes. Par exemple, c’est la terre qui tourne autour du soleil et non l’inverse.

Les maths ne sont pas le réel, les idées en général ne sont pas le réels, mais un reflet du réel, ce qui n’est pas la même chose. Un domaine comme la géométrie riemannienne a longtemps été jugée pure spéculation jusqu’à ce qu’Einstein s’aperçoive que ce langage est celui dont il avait besoin, que cette géométrie est plus "réelle" que la géométrie Euclidienne.

Le lien entre les maths et la matière est donc dialectique, pas mécanique. Et historiquement, il est souvent autant lié aux recherches sur la magie, Dieu, l’alchimie et autres démarches peu rationnelles à propos d’objet qui n’existent pas .... qu’à l’arpentage !

Messages

  • Le passage suivant de la Métaphysique (Livre I chapitre 2) d’Aristote montre que cernier avait bien connaissance de cette crise des irrationnels, mais que l’étonnement était déjà surmonté, et que les Grecs avaient compris que l’incommensurabilité est la règle, non l’exception : C’est qu’en effet il n’est personne qui ne soit surpris, au premier coup d’œil, qu’une quantité qui n’est pas d’une infinie petitesse ne puisse pas être mesurée par une autre quantité. Mais on doit finir toujours par l’opinion contraire ; c’est-à-dire qu’on finit par le meilleur, ainsi que le veut le dicton vulgaire. C’est ce qui arrive ici comme en tout, une fois qu’on est instruit des choses. Rien, en effet, n’étonnerait plus un géomètre que si on lui disait que la diagonale est commensurable au côté.

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