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Grève étudiante au Québec : quelles perspectives ?

mercredi 22 août 2012, par Robert Paris

Grève étudiante au Québec :

Le manifeste de la CLASSE encourage le nationalisme québécois et la politique de protestation

Par Richard Dufour et Keith Jones

10 août 2012

Dans des assemblées générales qui se tiendront cette semaine et la semaine prochaine, les étudiants en grève du Québec vont décider comment agir lors de la reprise, plus tard en août, de la session d’hiver suspendue dans les cégeps et les universités et ce, devant le spectre de la répression policière.

Durant cette grève qui dure maintenant depuis six mois, deux stratégies politiques opposées ont été défendues par les forces politiques qui affirment appuyer la lutte des étudiants contre la hausse radicale des droits de scolarité universitaires par le gouvernement libéral et pour la reconnaissance de l’éducation en tant que droit social.

Dès le début, le World Socialist Web Site soutient que la grève représente un défi implicite au programme d’austérité de l’élite dirigeante au Canada et à travers le monde. La grande entreprise et ses représentants politiques, déterminés à faire payer les travailleurs pour la crise capitaliste, tentent de détruire tous les gains sociaux que la classe ouvrière leur a arrachés à travers les luttes acerbes du siècle dernier.

Le WSWS lutte pour que les étudiants s’orientent vers la classe ouvrière, la seule force sociale dont les intérêts de classe exigent que l’emprise du patronat sur la vie socioéconomique soit brisée. Pour l’emporter, la grève doit devenir le catalyseur pour une offensive de la classe ouvrière – francophones, anglophones et immigrés – à travers le Canada, en défense de tous les emplois et tous les services publics, pour un gouvernement ouvrier voué à réorganiser l’économie sur une base socialiste, c’est-à-dire voué à satisfaire les besoins sociaux et non le profit privé.

À l’opposé, les associations étudiantes, les syndicats, Québec solidaire et toute la pseudo-gauche soutiennent que la grève ne doit servir qu’à faire pression sur l’élite dirigeante québécoise.

Des mois durant, la CLASSE, l’association étudiante qui mène la grève, a maintenu que la grève des étudiants devait être dirigée comme un mouvement de protestation à enjeu unique. L’opposition à la hausse des droits de scolarité des libéraux a été délibérément séparée de toute l’opposition au programme d’austérité du gouvernement provincial, du gouvernement fédéral conservateur et de l’élite dirigeante en entier.

Les événements ont démontré que cette perspective était fausse. Loin de vouloir négocier, le gouvernement libéral, encouragé par les grands médias, a eu recours à une violence policière sans précédent et à la loi 78 pour réprimer la grève.

Devant l’intransigeance du gouvernement et profitant de la vague cruciale d’opposition populaire, surtout de la classe ouvrière, provoquée par la promulgation de la loi 78, la CLASSE a défendu brièvement l’idée d’une lutte plus large sous la forme d’une « grève sociale ». Celle-ci n’était toutefois pas conçue comme une grève générale dont le but aurait été de renverser le gouvernement libéral de Jean Charest et développer un mouvement de masse pour un gouvernement ouvrier à Ottawa et à Québec. Il s’agissait d’une proposition pour développer un plus gros mouvement de protestation.

Après que les syndicats ont indiqué qu’ils s’opposaient farouchement à cette idée, la CLASSE a rapidement laissé tomber la « grève sociale ». De plus en plus, elle s’est adaptée à la propagande des syndicats et de leurs alliés de la FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec) et de la FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec) pour détourner la grève étudiante derrière une campagne visant à remplacer les libéraux par le Parti québécois (PQ), l’opposition officielle.

Les dirigeants de la CLASSE ont répété que la défaite de Charest aux mains du PQ – un parti pro-patronal et indépendantiste qui a effectué les plus grandes coupes sociales de l’histoire du Québec à son dernier mandat – serait un développement positif, ou même une victoire, pour les étudiants.

Le manifeste de la CLASSE publié le mois dernier qui présente sa perspective pour élargir la lutte souligne à quel point la CLASSE devient un assistant des syndicats dans la trahison de la grève.

Le manifeste porte la marque des politiques nationalistes et de protestation de la pseudo-gauche québécoise : de Québec solidaire, un parti qui voudrait établir une alliance électorale avec le PQ, aux anarchistes.

Le manifeste de la CLASSE ne critique pas, et ne condamne encore moins, les syndicats pour leur opposition à la grève sociale et leur tentative d’imposer une entente au rabais aux étudiants. Il ne met pas en garde les étudiants et les travailleurs que le PQ est un parti de la grande entreprise, tout aussi dévoué que les libéraux et les conservateurs de Harper aux intérêts de la bourgeoisie.

Le manifeste ne tente pas d’aller chercher le soutien des étudiants et des travailleurs du reste du Canada. En fait, il ne fait référence à aucune question, aucun événement ou développement à l’extérieur du Québec. Pas un mot sur la plus importante crise du capitalisme mondial depuis la Grande Dépression : la véritable source de l’affrontement entre les étudiants et l’élite dirigeante canadienne. Pas un mot sur les violents programmes d’austérité qui sont imposés en Grèce, en Espagne et à travers l’Europe, et sur l’opposition croissante qu’ils rencontrent dans la classe ouvrière.

En opposition à la perspective socialiste qui veut que les étudiants lient leur lutte à la résistance de la classe ouvrière canadienne et internationale contre l’assaut du capital mondial, le manifeste de la CLASSE avance que la grève étudiante est devenue, et doit demeurer, une « lutte populaire » pour la défense du « bien commun » contre un gouvernement et une élite du Québec qui sont alliés à des intérêts étrangers et qui parlent en leur nom.

« Ce qui a commencé comme une grève étudiante », peut-on lire dans le manifeste, « est devenu une lutte populaire : la question des frais de scolarité nous aura permis… de parler d’un problème politique d’ensemble. »

Mais le « problème politique d’ensemble » dont parle la CLASSE n’est pas le capitalisme – ce mot n’est pas mentionné une seule fois dans son manifeste. C’est plutôt la « démocratie représentative » et le « néolibéralisme ».

Le manifeste souligne l’hypocrisie de l’élite, qui utilise les « lois spéciales », « les bâtons, le poivre et les gaz lacrymogènes », « quand se fait entendre la grogne populaire », et qui « trahit les principes qu’elle dit défendre », lorsqu’elle « se sent menacée ». En opposition à « leur vision », qu’ils disent « représentative », la CLASSE prône la « démocratie directe ». La CLASSE définit la « démocratie directe », un slogan anarchiste, comme une démocratie « sollicitée à chaque instant », où « les décisions démocratiques doivent être le fruit d’un espace de partage, au sein duquel chaque femme et chaque homme est valorisé… [et où] ils et elles peuvent, ensemble, construire le bien commun ».

Ces idées creuses sont un vœu pieux. Elles sont creuses parce que basées sur le rejet de la base fondamentale de toute analyse scientifique de la société contemporaine et du programme progressiste de lutte sociale : admettre que la société est divisée en classes sociales antagonistes. Peu importe sa forme politique, une véritable démocratie est impossible dans un ordre socioéconomique où une infime minorité accapare toute la richesse.

En dénonçant le « néolibéralisme », mais pas le capitalisme, la CLASSE reprend les conceptions défendues par toute une série de forces petites-bourgeoises dont le but est de ressusciter l’idée qu’il est possible de réformer ou d’ « humaniser » le capitalisme. Celles-ci présentent le rejet des politiques d’État-providence adoptées par l’élite dirigeante lors du boum d’après-guerre comme un mauvais choix politique motivé par la cupidité. Ce tournant à droite n’est pas présenté comme la réaction consciente de la bourgeoisie à la réémergence des contradictions fondamentales du capitalisme – des contradictions qui, dans la première moitié du 20e siècle, ont entraîné deux guerres mondiales, la Grande Dépression et le fascisme.

Le manifeste évite de parler de la classe ouvrière et n’a presque rien à dire sur ses problèmes et ses luttes. La croissance de l’inégalité sociale et de l’insécurité économique, la criminalisation des luttes ouvrières et l’imposition de baisses de salaire et l’intensification du travail ne sont jamais mentionnées.

Sans doute, l’élément le plus frappant du manifeste de la CLASSE est sa perspective régionaliste, nationaliste québécoise.

Contrairement aux syndicats et à Québec solidaire, la CLASSE n’appelle pas explicitement à la création de la République du Québec capitaliste, mais elle y donne son appui implicitement : par l’accent myope qu’elle met sur le Québec, par son discours nationaliste, par le fait qu’elle ne s’oppose pas au PQ, par sa demande pour « une éducation libératrice qui jette les bases de l’autodétermination », et par son interprétation de la grève étudiante comme une lutte démocratique du peuple québécois.

Le manifeste s’oppose à la privatisation et au plan d’exploitation des ressources minières du Québec mis de l’avant par le gouvernement Charest (le Plan Nord) dans des mots semblables à ceux qui étaient employés par le Parti québécois en 1970, et une décennie plus tôt par le Parti libéral du Québec, qui a nationalisé l’industrie hydroélectrique québécoise, pour défendre l’idée que les Québécois devaient être « maîtres chez nous »

À la manière traditionnelle du nationalisme québécois, la CLASSE critique une clique de gens « capricieux et avides » qui procèdent de « manière coloniale » en n’ayant « d’yeux que pour leurs actionnaires lointains », pillant « nos ressources » et sacrifiant le « bien commun ».

Les travailleurs du Québec n’ont aucun intérêt à appuyer une section de l’élite québécoise dans sa tentative de se créer son propre État-nation où elle sera le « maître ». Au contraire, pour défendre ses intérêts de classe, la classe ouvrière au Québec doit s’allier à ses frères et sœurs de classe à travers le Canada, aux États-Unis et internationalement.

Le chômage et la détérioration des conditions de vie, le démantèlement des services publics, la hausse des droits de scolarité, un assaut croissant sur les droits démocratiques et la menace de nouvelles guerres impérialistes : les problèmes des travailleurs et de la jeunesse au Québec sont fondamentalement les mêmes que ceux que confrontent les travailleurs à travers le monde et ces problèmes ne pourront être résolus que par le développement d’une lutte industrielle et politique de la classe ouvrière pour le socialisme.

Il y a 40 ans, la bureaucratie syndicale a réussi à étouffer un puissant mouvement de la classe ouvrière québécoise, qui faisait partie d’une offensive de la classe ouvrière internationale, en le ramenant derrière le PQ propatronal. Cela a eu des conséquences désastreuses pour le développement politique de la classe ouvrière à travers l’Amérique du Nord.

Aujourd’hui, en pleine crise systémique du capitalisme, tandis qu’émergent de plus en plus de luttes de masse, que ce soit en Égypte, en Grèce, en Espagne ou au Wisconsin, les syndicats du Québec, Québec solidaire, le reste de la pseudo-gauche et maintenant la CLASSE tentent une fois de plus d’isoler les luttes des travailleurs et des jeunes de la province ainsi que de promouvoir le nationalisme et l’indépendance du Québec, un mouvement mené par le PQ.

Les étudiants et les travailleurs doivent rejeter la perspective nationaliste de protestation défendue par la CLASSE. Cette perspective mène à l’isolement de la grève, à sa défaite face à l’opposition conjointe de l’État, du PQ, des syndicats et de la FECQ et la FEUQ, et à la transformation du mouvement étudiant en un adjoint du mouvement bourgeois pour l’indépendance du Québec.

Le droit à l’éducation et tous les droits sociaux fondamentaux des travailleurs – le droit à un emploi, à une retraite décente, à la santé – ne peuvent être garantis qu’à travers le développement d’un mouvement de la classe ouvrière, sur la base d’un programme socialiste et internationaliste, en opposition à l’ordre social capitaliste. Les étudiants peuvent jouer un rôle crucial dans le développement d’un tel mouvement : en développant la direction révolutionnaire qui va préparer et diriger politiquement la classe ouvrière pour qu’elle rompt avec les syndicats procapitalistes et puisse défendre ses propres intérêts de classe par le développement d’un parti socialiste révolutionnaire de masse.

(Article original paru le 8 août 2012)

La politique de protestation de la classe moyenne ou une orientation socialiste vers la classe ouvrière : Une critique des politiques de la CLASSE

Par Keith Jones

14 juillet 2012

L’entrevue avec la porte-parole de la CLASSE, Jeanne Reynolds, que le World Socialist Web Site a publiée. Voir :Une porte-parole de la CLASSE : « Nous avons perturbé le gouvernement », expose la politique de protestation défendue par la direction de la CLASSE. Elle jette également de la lumière sur des conceptions qui sont, à des degrés divers, largement répandues parmi les étudiants québécois en grève.

En raison de son militantisme et de son discours contre la grande entreprise, la CLASSE a fait grimper son appui en flèche parmi de larges couches de jeunes. Dans des conditions où les syndicats, au nom de la défense de la « paix sociale », ont étouffé l’opposition de la classe ouvrière à l’assaut de la grande entreprise sur les emplois, les salaires et les programmes d’austérité du gouvernement fédéral conservateur et du gouvernement libéral du Québec, l’appel de la CLASSE à défier la loi 78 est devenu le point de ralliement de la colère populaire grandissante, secouant le gouvernement Charest et l’élite dirigeante canadienne en entier.

Ceci étant dit, il faut reconnaître que les dirigeants de la CLASSE se trompent dans la plupart des idées qu’ils défendent et, dans bien des aspects critiques – surtout dans leurs mépris pour la classe ouvrière – avancent des positions dangereuses.

Après tout, la perspective de la CLASSE n’est pas fondamentalement différente de celle de la FECQ et de la FEUQ, les associations étudiantes parrainées par la bureaucratie syndicale et qui font ouvertement la promotion du Parti Québécois pro-patronal. Comme celles de la FECQ et la FEUQ, les politiques de la CLASSE sont fondées sur l’acceptation de l’ordre social capitaliste. La CLASSE cherche à faire pression sur le gouvernement et sur l’establishment, quoiqu’avec des protestations qui ont plus de vigueur et qui font plus de bruit.

La porte-parole de CLASSE, Reynolds, défend l’idée que si CLASSE réussie à gagner l’appui des syndicats pour une « grève sociale », il pourrait être possible de faire pression sur le gouvernement pour annuler la hausse des frais et ainsi établir que « nos gouvernements ne sont pas là pour diriger pour les banques… qu’ils sont là pour diriger dans l’intérêt du bien commun ».

Reynolds est critique du PQ et de ceux qui défendent l’idée que la grève devrait être arrêtée afin de se concentrer sur le remplacement des libéraux par le PQ dans les élections à venir – une perspective qui est mise en évidence par le slogan de la Fédération des travailleurs du Québec : « après la rue, les urnes ». Néanmoins, elle amène l’idée que l’élection du PQ pourrait être une « solution à court terme » parce qu’il a « une ligne beaucoup moins dure » et qu’il est plus sensible à la pression. Elle a fait l’éloge de Québec solidaire, un parti indépendantiste du Québec qui a offert de former une alliance électorale avec le PQ pour défaire la « droite ».

Reynolds prétend que depuis le début de la grève, CLASSE a tenté de développer un mouvement plus large contre le programme d’austérité de Charest, mais les médias de la grande entreprise ont déformé et censuré ce message. Il est clair que les médias ont menti systématiquement sur la grève étudiante, présentant la lutte des étudiants pour que l’éducation soit un droit social comme une tentative « égoïste » de « vivre aux crochets » des autres. Néanmoins, cette idée de Reynolds est fausse et est un mélange d’aveuglement et d’incompréhension.

En défendant l’idée que la mobilisation de masse entraîne la victoire, la CLASSE, de pair avec la FECQ et la FEUQ, a délibérément séparé la lutte des étudiants contre la hausse des frais universitaires d’une lutte contre le programme du gouvernement de coupes dans les dépenses sociales et de hausses de frais et de taxes régressives. Elle n’a rien fait pour mobiliser la classe ouvrière au Québec, sans parler du reste du pays.

Devant la faillite évidente de cette perspective, comme le montre la criminalisation de la grève par le gouvernement sous la loi 78, la CLASSE a lancé l’appel pour une « grève sociale ».

Cet appel a trouvé un écho parmi les étudiants qui reconnaissent la nécessité d’élargir leur lutte et qui estiment que ce qui est en jeu va beaucoup plus loin que la hausse des frais de scolarité. Mais, comme les commentaires de Reynolds le montrent, la CLASSE conçoit cette grève sociale comme étant simplement une protestation plus grande – et qui serait organisée par les syndicats – pas une grève générale dont le but est de renverser le gouvernement libéral de Charest, de développer un mouvement de la classe ouvrière comme force indépendante à travers le Canada, et de porter au pouvoir un gouvernement ouvrier.

De plus, aux prises avec une opposition véhémente des syndicats à toute action militante de la part des ouvriers contre le gouvernement, la CLASSE a manifestement échoué à mener une campagne pour une « grève sociale ». Elle n’a pas utilisé les manifestations de masse tenues à Montréal et à Québec le 22 juin pour promouvoir la nécessité d’une grève sociale. Plutôt, le porte-parole de CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, a dit à des journalistes que la priorité de la CLASSE est de défaire le gouvernement libéral, tout en ne faisant aucune critique du PQ.

Ce chemin mène à la trahison. La CLASSE deviendrait un prolongement des syndicats et de l’establishment politique au complet en détournant l’opposition au programme d’austérité du gouvernement Charest derrière le PQ, un parti qui, la dernière fois qu’il a été au pouvoir, a imposé, avec le soutien des syndicats, les plus grandes coupes dans les dépenses sociales de l’histoire du Québec et qui a ensuite utilisé une loi semblable à la loi 78 pour briser la grève des infirmières en 1999.

Déjà, vers la fin du mois de mai dernier, la CLASSE, avec les autres associations étudiantes a accepté de négocier dans le cadre financier réactionnaire du gouvernement et en faisant une contre-offre qui acceptait presque en totalité la hausse des frais universitaires.

En s’opposant à la hausse des frais universitaires, les étudiants sont entrés en conflit direct non seulement avec le gouvernement libéral, mais avec toute la classe dirigeante canadienne et son appareil de répression, la police et les cours. C’est parce que la grève étudiante est un défi implicite à la tentative de la bourgeoisie, partout dans le monde, de faire payer les travailleurs pour la pire crise du système capitaliste depuis la Grande Dépression des années 1930.

Le droit à l’éducation ne sera pas obtenu en faisant pression sur l’establishment politique, mais plutôt en mobilisant la classe ouvrière dans la lutte pour le socialisme. La classe ouvrière est la seule force sociale qui a le pouvoir de briser l’emprise de la grande entreprise sur la vie socioéconomique et dont les intérêts de classe reposent sur une restructuration radicale de la société afin qu’elle satisfasse les besoins humains, et non le profit privé.

Mais c’est précisément sur cette question déterminante – le potentiel émancipateur de la classe ouvrière – que la perspective de la CLASSE est si déficiente et va à l’encontre des intérêts des travailleurs.

Reynolds – et il faut noter que Ludvic Moquin-Beaudry, l’attaché de presse de la CLASSE qui l’accompagnait, partageait le même point de vue – rejetait la possibilité de gagner le soutien de la classe ouvrière. Selon Reynolds et Moquin-Beaudry, la classe ouvrière, ou du moins de larges sections de celle-ci, est devenue « bourgeoisifiée », s’est adaptée à la société de consommation et à « la culture des grosses voitures et de la grosse maison ».

« Je ne pense pas que la classe ouvrière au Québec soit très malmenée », a dit Reynolds, ajoutant que la notion que la lutte des classes, du moins celle qui est traditionnellement comprise, est désuète. Elle dit cela après que, pendant plus d’un quart de siècle, une guerre de classe à sens unique a fait rage dans tous les principaux pays capitalistes avancés et que, vu la complicité des syndicats et des partis sociaux-démocrates et staliniens, la classe ouvrière a encaissé un déclin massif dans sa position sociale.

Parlant de sa ville natale Valleyfield, une ville industrielle du sud-ouest du Québec, Reynolds a elle-même noté la destruction sociale et les fermetures d’usines. Plus tôt, elle avait fait remarquer que les travailleurs du secteur public faisaient face à des lois draconiennes qui menaçaient leur droit d’ancienneté s’ils faisaient grève pour seulement quelques heures en appui aux étudiants.

Le mépris de la direction de la CLASSE pour la classe ouvrière a été encouragé et cultivé par une série de forces politiques, incluant différentes tendances de « gauche » et anarchistes.

Le « déclassement » de la classe ouvrière a été le concept par excellence d’une campagne pour délibérément couper les questions démocratiques de la lutte pour le socialisme – une campagne visant à légitimer les politiques identitaires qui servent à diviser la classe ouvrière, à la subordonner aux représentants politiques de la grande entreprise et à fournir une couverture de « gauche » pour la poursuite par une couche privilégiée de leur « part du gâteau capitaliste ». Cette couche cherche à défendre ses intérêts par la discrimination positive et, dans le cas du Québec, par des lois linguistiques chauvines et l’indépendance du Québec.

Tandis que les leaders de la CLASSE se plaignent des travailleurs, la vérité est que, jusqu’à maintenant, les étudiants en grève n’ont même pas commencé à faire un appel véritable à la classe ouvrière. Un tel appel devrait commencer par rendre explicite le défi implicite que représente la grève au programme d’austérité de la bourgeoisie et nécessiterait d’exposer le vrai rôle que les autorités syndicales ont joué pour supprimer la grève.

Le mépris de la direction de la CLASSE pour la classe ouvrière va de pair avec le point de vue régionaliste du nationalisme québécois. Même si les dirigeants de la CLASSE se perçoivent comme étant radicaux et qu’ils ont fait preuve de courage en défiant la loi 78, ils ont organisé la grève complètement à l’intérieur du cadre politique et institutionnel établi et ont accepté instinctivement l’idéologie nationaliste de l’élite québécoise.

Tandis que la classe dirigeante à travers le Canada s’est ralliée derrière Charest, reconnaissant que ses intérêts fondamentaux sont en jeu, la CLASSE n’a pas lancé d’appel aux étudiants, sans parler des travailleurs, en dehors du Québec. Au moment où la grève étudiante se développait, le gouvernement fédéral conservateur a passé un budget d’austérité sauvage qui va couper des milliards dans les dépenses sociales. Mais les dirigeants de la CLASSE ont, au mieux, fait des références occasionnelles au gouvernement Harper. Ils n’ont pas non plus rejeté l’affirmation fausse du NPD qui dit qu’il n’a pas appuyé la grève étudiante ou dénoncé la loi 78 parce qu’il s’agit questions provinciales et qu’il veut se concentrer sur la lutte contre le gouvernement fédéral conservateur.

Il n’y a rien de progressiste dans le nationalisme québécois. Faire cette affirmation ne veut pas dire défendre l’État fédéral de la classe dirigeante canadienne ou son idéologie nationaliste. Le conflit entre les ailes fédéralistes et pour l’indépendance du Québec (ou souverainistes) de la bourgeoisie est utilisé pour diviser la classe ouvrière au Québec et à travers le Canada et pour obscurcir les divisions de classe, c’est-à-dire la réalité que les travailleurs, partout au pays, font face à des problèmes communs.

Il y a quarante ans, la bureaucratie syndicale a réussi à détourner un puissant mouvement de la classe ouvrière derrière le PQ procapitaliste, ce qui a eu des conséquences désastreuses pour les travailleurs de tout le Canada.

En restreignant au Québec la grève étudiante et le mouvement militant d’opposition auquel elle a donné naissance, la CLASSE renforce la classe dirigeante au Québec et à travers le Canada. Qu’elle en soit consciente ou non, elle aide la bourgeoisie à empêcher le mouvement d’opposition au Québec de déclencher une opposition de la classe ouvrière contre le gouvernement Harper et à empêcher les travailleurs en dehors du Québec d’appuyer les étudiants québécois.

Là encore, la faute ne doit pas être mise principalement sur la CLASSE. Dans Québec solidaire, toute une série de pseudo-marxistes défend depuis des décennies l’idée que le nationalisme indépendantiste du Québec est progressiste. Lors du référendum de 1995, ces forces ont appuyé le projet du PQ pour une République capitaliste du Québec qui aurait fait partie de l’ALENA, de l’OTAN et de NORAD.

Le NPD et le Congrès du travail du Canada, quant à eux, ont abandonné depuis plusieurs décennies les luttes des travailleurs au Québec, faisant la promotion réactionnaire du nationalisme canadien et défendant l’État canadien. Leur refus d’appuyer les étudiants québécois – et, dans le cas du NPD, de presque appuyer leur défaite – souligne leur rôle dans la promotion des divisions entre les travailleurs québécois et ceux qui parlent anglais.

Sans doute, de nombreux dirigeants de la CLASSE – Reynolds n’a que 20 ans – en savent peu sur la source et la signification sociale de leurs propres conceptions politiques. Cependant, cela ne rend pas pour autant ces conceptions moins dangereuses.

En dernière analyse, ces conceptions articulent l’insatisfaction de couches privilégiées de la classe moyenne qui en veulent à la redistribution de la richesse et du pouvoir dans les dernières décennies en faveur de la grande entreprise et des super-riches et aux dépens des petites entreprises et des administrateurs de l’État-providence capitaliste. Inquiets pour leurs propres privilèges, ces couches sont profondément hostiles à toute opposition véritable au capitalisme, c’est-à-dire à un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière. Ils font la promotion de politiques nationalistes et identitaires et sont dans l’orbite politique de partis comme le PQ ou le NPD social-démocrate ainsi que les syndicats.

Pour que la lutte tenace des étudiants contre la hausse des frais universitaires du gouvernement Charest ne soit pas détournée et, de manière tout aussi importante, pour qu’elle fasse une contribution durable à la lutte pour l’égalité sociale, elle doit devenir le catalyseur d’une mobilisation partout au Canada de la classe ouvrière. Cette mobilisation doit avoir pour but de renverser le gouvernement libéral de Charest et le gouvernement conservateur de Harper ainsi que de développer un mouvement de masse dédié à l’établissement d’un gouvernement ouvrier.

Les étudiants peuvent jouer un rôle important dans la lutte pour que la classe ouvrière rompe politiquement et sur une base organisationnelle avec les syndicats procapitalistes et pour qu’elle affirme ses propres intérêts et sa propre force de classe en construisant une direction révolutionnaire authentique. Cela signifie la construction d’un parti révolutionnaire des travailleurs basé sur un programme socialiste et internationaliste.

(Article original paru le 7 juillet 2012)

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