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Encore sur le vide quantique

mardi 13 juin 2017, par Robert Paris

Encore sur le vide quantique

L’absence de toute matière ou de toute particule dans une certaine région de l’espace ne signifie pas que rien ne s’y passe. Témoin, cet effet curieux que prédit en 1948 le chercheur hollandais Hendrik Casimir : deux miroirs parallèles et placés dans le vide s’attirent faiblement(1). Très faiblement : pour des miroirs de 1 cm2, espacés de 0,5 micromètre, la force d’attraction correspond au poids d’une masse de 0,2 milligramme. Il n’empêche que l’effet Casimir a été vérifié dès 1958 par un autre physicien hollandais, Marcus Sparnaay, qui a pu mettre en évidence à la fois l’existence de la force d’attraction et sa dépendance vis-à-vis de l’écart entre les plaques.

D’où provient l’effet Casimir ? La réponse fait intervenir le mariage entre les lois de l’électromagnétisme et celles de la physique quantique. Quand on calcule, par les lois quantiques, l’énergie minimale du champ électromagnétique, on s’aperçoit qu’elle n’est pas nulle. Le résultat peut être interprété par l’existence de fluctuations spontanées du champ. En d’autres termes : bien qu’en moyenne la valeur du champ électromagnétique soit nulle dans cet état d’énergie minimale qu’est le « vide », elle fluctue continuellement et aléatoirement autour de zéro, en positif comme en négatif. Ces fluctuations baignent tout l’espace et donnent lieu à une certaine énergie appelée « énergie de point zéro ». Il se trouve que sa valeur est infinie, ce qui a bien sûr soulevé une difficulté ; mais les physiciens la surmontent en faisant remarquer que l’énergie de point zéro, même infinie, n’est pas observable : seules les différences d’énergie le sont.

Dans le cas des deux miroirs envisagé par Casimir, ces objets modifient, par leur présence même, les fluctuations spontanées du champ électromagnétique. En effet, la valeur du champ électrique doit être nulle au niveau d’une surface parfaitement conductrice de l’électricité (ce qu’est un miroir parfait). Les fluctuations du champ qui règnent à l’intérieur de la cavité doivent ainsi obéir à certaines « conditions aux limites ». La situation est analogue à celle d’une corde attachée par ses deux extrémités à des points fixes : l’amplitude de ses vibrations doit être nulle aux points d’attache, ce qui restreint les modes de vibration possibles. De ce fait, les fluctuations, qui sévissent spontanément à toutes les longueurs d’onde (ou fréquences), sont amplifiées ou diminuées suivant que leur longueur d’onde s’accorde ou non avec la longueur de la cavité. Ces contraintes sur les fluctuations du champ à l’intérieur de la cavité formée par les deux miroirs ont pour résultat de modifier l’énergie du vide. La différence d’énergie, qui est calculable, est à l’origine de la force d’attraction présente dans l’effet Casimir.

Le vide n’avait cependant pas fini de surprendre. Dans les années 1970, plusieurs chercheurs ont commencé à s’intéresser aux conséquences des fluctuations affectant le vide sur des objets en mouvement. Les calculs montrent que, pour un miroir unique se déplaçant à vitesse uniforme, le mouvement ne perturbe aucunement le vide. Un résultat tout à fait conforme à une idée bien établie en rapport avec la théorie de la relativité d’Einstein : le vide est un état invariant, il demeure inchangé que l’observateur soit immobile ou qu’il soit animé d’une vitesse constante.

Les choses se sont singulièrement compliquées avec la prise en compte de mouvements accélérés. Par exemple, en 1968, le célèbre Andrej Sakharov suggère que la gravitation pourrait être un effet des fluctuations du vide(2). Dans la même veine, les Russes Yaakov Zel’dovich et Lev Pitaevskii montrent en 1971 que le vide est modifié par la présence d’une courbure de l’espace-temps (c’est-à-dire d’un champ de gravitation, selon la relativité générale)(3). L’astrophysicien britannique Stephen Hawking aboutit ensuite à la conclusion qu’un trou noir émet du rayonnement, en diffusant les fluctuations du vide(4).

En recherchant un modèle pour décrire le rayonnement d’un trou noir, le physicien canadien William Unruh prédit en 1976 que les fluctuations du vide, vues par un observateur en mouvement uniformément accéléré, apparaissent comme des fluctuations thermiques(5). Autrement dit, pour un tel observateur, le vide équivaut à l’intérieur d’un four chauffé à une température absolue différente de 0. En revanche, à la même époque, l’Australien Paul Davies et l’Anglais Stephen Fulling calculent le rayonnement dû à un miroir en mouvement dans le vide et concluent qu’il n’y a pas de rayonnement si l’accélération est uniforme (constante en intensité et en direction)(6).

Les résultats de Davies et Fulling ne semblent pas compatibles avec ceux d’Unruh ; cette contradiction suscite, aujourd’hui encore, des controverses parmi les physiciens. Quoi qu’il en soit, ce qui nous intéresse ici est le cas d’une accélération non constante du miroir, une situation réalisée par exemple par une vibration. Les prédictions sont au moins aussi surprenantes que celles qui avaient annoncé l’effet Casimir. Les calculs de Davies et Fulling montrent que des photons sont émis dans le vide. La question naturelle à ce stade est : d’où vient l’énergie rayonnée ? Il n’y a pas de mystère, et le principe de conservation de l’énergie n’est pas en cause. Puisque le vide ne peut pas fournir d’énergie, celle-ci doit provenir du mouvement mécanique. Le miroir, responsable du rayonnement, perd de l’énergie et se voit donc freiné. On peut ainsi dire que le vide s’oppose aux mouvements des objets à accélération non uniforme.

Le rayonnement dû au mouvement du miroir est néanmoins très faible et il faudrait pouvoir provoquer des changements d’accélération incroyablement violents pour créer des photons en nombre détectable. L’observation de cette émission ne semble pas réaliste. Or le phénomène soulève des questions délicates et importantes concernant la notion de mouvement relatif et absolu. Il semble impliquer que le vide « s’aperçoit » d’un mouvement non-uniformément accéléré, tandis qu’un mouvement à accélération uniforme passe inaperçu. Le vide définit ainsi des référentiels préférés, privilégiant certains mouvements par rapport à d’autres. Cela apparaît contraire à l’enseignement de la relativité d’Einstein, pour laquelle « tout mouvement est relatif ».

La détection de ce rayonnement induit par un mouvement non-uniformément accéléré est donc un objectif très intéressant, car elle renseignerait directement sur la relation entre le vide quantique et la théorie de la relativité générale. Comment rendre les chiffres expérimentaux plus réalistes ? On peut imaginer non pas un miroir unique, mais une cavité constituée de deux miroirs et oscillant dans le vide. L’intérêt provient des effets de résonance optique : si les ondes qui font des allers et retours entre les miroirs ont une longueur d’onde compatible avec la longueur de la cavité, elles peuvent être amplifiées, tandis que les autres longueurs d’onde seront atténuées.

De nombreux calculs de l’énergie accumulée à l’intérieur d’une cavité en mouvement non-uniformément accéléré ont été effectués dans le passé, notamment par Davies et Fulling. Ces calculs ont porté sur des miroirs parfaitement réfléchissants. La cavité qu’ils forment est alors un système complètement fermé, duquel les photons du rayonnement ne peuvent s’échapper (on ne s’intéresse ici qu’aux photons se propageant d’un miroir à l’autre, c’est-à-dire à ceux qui interagissent effectivement avec la cavité). Or de tels miroirs idéaux n’existent pas dans la réalité. Par ailleurs, ils mènent à des difficultés conceptuelles dans la mesure où, en l’absence de toute perte, le nombre de photons accumulés dans la cavité deviendrait infiniment grand au cours du temps.

Détecter le rayonnement induit par l’oscillation d’une cavité : une expérience difficile mais pas utopique

Récemment, Marc-Thierry Jaekel, Serge Reynaud et moi-même avons effectué des calculs pour des miroirs réalistes, dont le pouvoir de transmission est petit mais non nul(7). Cela permet en particulier d’évaluer de manière quantitative l’influence de la « finesse »* de la cavité. Par rapport au cas d’un miroir unique oscillant dans le vide, le flux de photons produit par le mouvement des miroirs est amplifié par un facteur de l’ordre de la finesse de la cavité. Et il n’y a pas seulement amplification. Quand la fréquence de l’oscillation des miroirs est un multiple entier de la fréquence de résonance de la cavité, le gros du rayonnement est concentré à certaines fréquences lumineuses, qui sont également des multiples de la fréquence de résonance.

Comment mettre en évidence le rayonnement induit par le mouvement de la cavité ? L’expérience serait diffi-cile mais pas impossible. On pourrait imaginer l’utilisation d’une cavité constituée de miroirs supraconducteurs, de façon à assurer un très haut pouvoir réfléchissant et une finesse de l’ordre de 109. Si l’on arrivait à faire vibrer cette cavité à la fréquence de 1 gigahertz avec une amplitude de 1 nanomètre Ñ des valeurs qui ne sont pas irréalistes Ñ, on obtiendrait un flux d’environ dix photons par seconde transmis à travers les miroirs. Un tel flux, bien que faible, est mesurable. On pourrait également envisager de faire passer, à travers la cavité, des atomes très excités (atomes dits de Rydberg). Ces atomes sont extrêmement sensibles aux champs électromagnétiques ; en mesurant leur état d’excitation à la sortie de la cavité, on pourrait déduire le nombre de photons qui se trouvent à l’intérieur.

Des précautions seront indispensables. Ainsi, pour éviter toute perturbation due aux rayonnements engendrés par l’agitation thermique, les expériences devront être réalisées à une température très basse, de l’ordre de quelques dizaines de millikelvins. Les techniques nécessaires sont de nos jours bien maîtrisées. Ainsi, grâce à l’amplification par la résonance optique, la détection du rayonnement induit par le mouvement paraît pour la première fois possible. Reste à réaliser l’expérience...

Pour mieux comprendre sa portée conceptuelle, remarquons que dans une configuration où les deux miroirs oscillent, les vibrations peuvent être en phase, de sorte que la longueur de la cavité reste constante. Or même dans ce cas, on prédit un rayonnement. Cela peut se comprendre : au cours du mouvement des deux miroirs, le champ continue à se propager dans la cavité. La longueur de la cavité vue par le champ change donc périodiquement même si sa longueur géométrique reste constante. Néanmoins, l’émission de photons dans cette situation paraît paradoxale : la cavité se déplace dans le vide, et ce mouvement n’a aucune autre référence que le vide lui-même. Comme avec un seul miroir, le vide semble établir une distinction entre les mouvements non-uniformément accélérés et les mouvements à vitesse ou accélération uniformes.

Or selon la relativité générale d’Einstein, il n’existe aucun référentiel privilégié : les lois de la physique doivent être les mêmes quel que soit le mouvement de l’observateur. Les propriétés quantiques du vide ouvrent apparemment une brèche dans ce principe ; à travers elles, c’est la question fondamentale de la relation entre la physique quantique et la théorie de la relativité générale qui est posée(i).

Astrid Lambrecht

La suite

Messages

  • Pouvez-vous résumer votre point de vue sur ce qu’est le vide quantique ?

  • Le vide quantique semble bien le véritable monde matériel, la base réelle en termes de particules et d’antiparticules de tous les phénomènes y compris la matière à notre échelle. Cependant, les particules et antiparticules du vide quantique ont la propriété de ne pas être durables mais fugitives. La base du monde est donc un univers sans cesse agité et changeant…

  • Lévy-Leblond dans « Aux contraires » :

    « La distinction entre quantons (corpuscules d’un quanta) « virtuel » et quantons « réels » est au fond l’écho d’une problématique plus ancienne, celle qui, dans la théorie classique, porte sur la réalité des champs, considérés d’abord comme médiateurs abstraits des actions à distance, avant d’acquérir l’épaisseur ontologique qui les rend finalement « réels »

    C’est que nous avons le plus grand mal à renoncer à un critère implicite de réalité, à savoir la permanence. Tout être physique intermédiaire et éphémère (surtout si sa temporalité est infime à notre échelle), est vite perçu comme virtuel, fictif…

    C’est précisément dans le cas où un quanton issu, par exemple, d’une certaine interaction, n’interagirait plus et verrait donc sa ligne s’échapper indéfiniment… que son existence, n’étant plus mise à l’épreuve, pourrait être considérée comme virtuelle ! D’ailleurs, indépendamment même de toute intervention délibérée à des fins expérimentales, il est impossible de concevoir qu’un quanton n’ait pas connu dans le passé, ou ne connaisse pas dans le futur, d’autres interactions.

    C’est donc pure illusion d’optique mentale, due à notre focalisation sur un processus partiel et isolé de son contexte, qui nous laisse croire à une différence de nature entre des quantons qui seraient « réels » et d’autres qui ne seraient que « virtuels »

  • Bonjour M.Paris

    I y a une autre manière d’envisager ce que vous avez appelé "le nuage de couples virtuels autour de l’électron" Ce "nuage" contient, en fait, toutes les potentialités d’interaction de la particule (selon Feynman) , il s’agit donc du champ électrostatique de l’électron ; notion on ne peut plus classique !..., alors, de quoi est constitué ce champ ?? et pourquoi ne serait-il pas identique au "coeur" de la particule ? Encore ici ; la virtualité est-elle un concept nécessaire ? , par quel mécanisme fondamental deux électrons se repoussent-ils ? Je pense que ces questions n’ont pas encore reçu de réponse satisfaisantes et que la virtualité peut n’être qu’un simple outil de travail !

    Cette question est ouverte et très intéressante ...

  • L’avantage de la conception du vide quantique reposant sur des particules et antiparticules virtuelles a le grand avantage d’expliquer l’écrantage de la charge de la particule comme l’anti-écrantage du quark, mais aussi notamment le spin quantique et l’expérience des fentes de Young ainsi que l’effet tunnel, ce qu’aucune autre conception ne permet.

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