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Le SWP – Socialist Workers Party – et la guerre impérialiste

vendredi 14 septembre 2012, par Robert Paris

Le SWP – Socialist Workers Party – et la guerre impérialiste

(Grandizo Munis – novembre 1945)

ou comment l’opportunisme a gangréné le mouvement trotskyste

La politique mise en pratique pendant la guerre (la deuxième guerre mondiale) par le Socialist Workers Party (section américaine de la Quatrième Internationale) mérite d’être analysée et devra être largement discutée par les partis et les groupes de la Quatrième Internationale dans le monde entier. (…)

Il semble presque impossible de penser que le SWP ait accidentellement attrapé le virus pendant la guerre. L’occasion ne se présente que si les conditions existent. La guerre en a donné l’occasion, mais les conditions existaient déjà dans l’atmosphère nationale américaine : acceptation paisible de la démocratie bourgeoise, mouvement ouvrier ayant peu d’expérience politique, très influencé par les idées bourgeoises et n’ayant eu que très peu d’activité révolutionnaire au cours des dernières décennies ; s’ajoutent à cela, sous la fureur des coups de canon, les déclamations soi-disant antifascistes attisées par les magnats financiers et gouvernementaux. Telles sont les causes principales du consentement du SWP et son inhibition politique. (…)

Comme chacun le sait, la proposition initiale de ce que nous pourrions appeler la « nouvelle politique militaire » vient du camarade Trotsky. Il la formula verbalement par le mot d’ordre d’ « instruction militaire obligatoire sous contrôle syndical » et elle fut précipitamment acceptée par le SWP qui l’interpréta à sa manière. Trotsky, qui se consacrait presque exclusivement au procès contre les assaillants du 24 mai 1940, et à la réfutation des attaques continuelles de la presse stalinienne et stalinisante mexicaine, est tombé sous les coups de Staline, avant d’avoir pu détailler sa pensée par écrit. Voyons l’interprétation du SWP.

Celui-ci aborde la question, pratiquement pour la première fois, le 10 août 1940 dans son éditorial du « Socialist Appeal » :

« Ainsi, lorsqu’ils (les ouvriers) s’opposent au recrutement, c’est parce qu’ils ne croient pas que l’armée où ils s’enroleront luttera en faveur des intérêts des ouvrières et des ouvriers du pays. Ils ne sont pas à proprement parler radicaux, mais ils savent que Wall Street commande l’armée et la marine, et que c’est Wall Street qui tirera profit de la prochaine guerre et non le peuple. (…) Les véritables opposants au recrutement (gouvernemental) doivent donc proposer une solution alternative. Il y en a une. C’est l’instruction militaire obligatoire sous le contrôle direct des syndicats. » (…)

Au mois d’octobre 1941, Cannon répondait à Goldman, lors des audiences du procès de Minnéapolis :

« Question : Les syndicats actuels ne sont pas sous le contrôle du parti, c’est bien cela ?

Réponse : Non, ils sont sous le contrôle, essentiellement ou presque totalement, des dirigeants qui sont en accord avec l’administration actuelle de Roosevelt. »

Ainsi le contrôle de l’instruction militaire des dirigeants convenue avec l’administration actuelle de Roosevelt est discrètement présentée dans l’éditorial du « Socialist Appeal » comme une « solution alternative réelle » pour empêcher que Wall Street, le maître de Roosevelt, puisse contrôler les forces armées et tire profit de la guerre. (…)

La même année, J.P. Cannon déclarait dans un discours destiné à expliquer au parti les raisons de la politique militaire (Socialist Appeal, 26 octobre 1940) : « Eux (les ouvriers), ils ont besoin d’un programme de lutte militaire contre les envahisseurs étrangers qui leur assure l’indépendance de classe. C’est le cœur de la question. »

Remarquons au passage que l’acceptation de la lutte contre l’envahisseur étranger – pour parler de la guerre inter-impérialiste pour parler sans ambages -, est considérée par Cannon comme étant compatible avec l’indépendance de classe du prolétariat, comme l’exprime l’une de ses phrases les plus importantes : « Dans le passé, nous avons souvent été placés en situation d’infériorité ; la démagogie des soicaux-démocrates fonctionnait jusqu’à un certain point. Ils disaient : ’’Vous, vous ne savez pas comment lutter contre Hitler, comment empêcher que Hitler envahisse la France, la Belgique, etc.’’ (Bien sûr, leur programme était très simple : interrompre la lutte des classes et subordonner totalement les ouvriers à la bourgeoisie. On connait les résultats de cette politique de traîtres). ’’Eh bien, répondions-nous de façon générale, les ouvriers vaincront tout d’abord leur propre bourgeoisie et ils s’occuperont ensuite des envahisseurs.’’ C’était un bon programme, mais les ouvriers ne firent pas la révolution à temps. Maintenant, les deux tâches doivent être conçues menées à bien simultanément. » (souligné par Munis).

Dans cette interprétation de la nouvelle politique militaire, il ne s’agit aucunement de lutter contre la guerre impérialiste, mais de combattre une hypothétique invasion étrangère. (…)

A ce raisonnement nous répondons : « Les ouvriers devront vaincre tout d’abord leur propre bourgeoisie et s’occuper ensuite des envahisseurs. » Mais pour Cannon, cette réponse appartient au passé : « Elle n’est plus juste, elle ne sert plus. » Il écrit : « Maintenant les deux tâches doivent être considérées et menées simultanément. Comment ? Grâce à l’instruction militaire contrôlée par les syndicats. (…)

C’est en vain que nous avons cherché dans la presse de nos camarades américains des arguments qui puissent infirmer nos critiques. Nous n’avons même pas trouvé une déclaration formelle stipulant que le SWP continuerait à considérer la guerre comme impérialiste et qu’il continuerait à s’y opposer. (…)

Evidemment, nos camarades américains prétendaient que leur interprétation de la nouvelle politique militaire correspondait parfaitement à l’idée de Trotsky. Nous le nions catégoriquement, mais si tel était le cas, nous nous y opposerions. Nous disposons, pour éclairer la question, d’une lettre intéressante de Trotsky adressée à l’un des dirigeants américains, écrite le 19 juillet 1940 et publiée dans « Fourth International » du mois d’octobre de la même année :

« Il est très important – dit-il – de comprendre que la guerre n’annule pas ou ne diminue pas l’importance de notre programme de transition…. La caractéristique de la guerre, c’est qu’elle acccélère le développement. Cela signifie que nos revendications révolutionnaires de transition seront de plus en plus réelles, effectives, importantes au fur et à mesure de son déroulement, mois après mois. » (…)

La lettre de Trotsky se réfère entièrement au problème de l’instruction militaire sous contrôle syndical. (…)

La même idée apparaît un peu plus loin dans cette lettre :

« Une fois que le service obligatoire sera intégré dans la loi, nous arrêterons de lutter contre lui mais nous poursuivrons notre lutte en faveur de l’instruction militaire sous contrôle ouvrier, etc. Au lieu de cela, je préférerais qu’il soit dit : une fois que l’enseignement militaire sera intégré dans la loi, sans que nous interrompions notre lutte contre l’Etat capitaliste, nous concentrerons notre lutte en faveur de l’instruction militaire, et ainsi de suite. »

A la fin de la lettre, l’objectif du nouveau mot d’ordre est clairement formulée : « nous aider à créer la milice ouvrière de défense ». (…)

Dans le programme approuvé lors dela fondation de la Quatrième internationale, dans le chapitre « La lutte contre l’impérialisme et contre la guerre » se trouvent les mots d’ordre suivants :

« - Instruction militaire et armement des ouvriers et des paysans sous le contrôle immédiat des comités ouvriers et paysans ;

 Création d’écoles militaires pour la formation d’officiers provenant des rangs des travailleurs, choisis par les organisations ouvrières ;

 Substitution de l’armée permanente, c’est-à-dire de casernes, par une milice populaire liée aux usines, aux mines, aux fermes, etc. »

Ces mots d’ordre, comme tous les autres, apparaissent après le premier de tous : « Pas un homme, pas un centime pour le gouvernement bourgeois ! »

La formationde la milice ouvrière, qui est une revendication immédiate dans le programme, n’apparait que de façon indirecte dans le mot d’ordre d’ « instruction militaire sous le contrôle syndical ». Dans le programme, le mot d’ordre de l’instruction militaire est directement lié aux organes de pouvoir ouvrier. En le liant aux syndicats, Tortsky voulait uniquement précipiter la formation de la mince ouvrière et des organes de pouvoir ouvrier ; il souhaitait prouver expérimentalement au prolétariat que le contrôle des dirigeants traîtres sur l’armée n’altérait en rien le caractère impérialiste de la guerre, et que cette dernière ne devenait pas une véritable lutte contre le fascisme. (…)

A Minnéapolis, Cannon-Goldman se sont limités à démontrer que le SWP était, d’une façon ou d’une autre, en faveur du service militaire obligatoire. En redéfinissant la position du parti, Cannon répond : « Notre résolution dit que nos camarades doivent devenir de bons soldats, tout comme nopus disons à un camarade dans une usine qu’il doit être le meilleur syndicaliste et le meilleur ouvrier, pour gagner la confiance et le respect de ses camarades. »

Ici on confond tout. Bien sûr que le meilleur ouvrier peut aussi être le meilleur syndicaliste, et même, si l’on veut, le meilleur révolutionnaire, mais on ne peut pas être à la fois le meilleur révolutionnaire et le meilleur serviteur du patron. (…)

Dans « The Militant » (29-03-1941), Goldam présente, sous le titre « Où nous situons nous ? », une série de questions et de réponses pour donner au prolétariat une idée élémentaire de ce qu’est le défaitisme révolutionnaire. L’article devrait être reproduit dans toutes les langues pour que les militants de la Quatrième Internationale ne commettent pas les mêmes bêtises :

« Question : Mais vous prétendez être défaitistes révolutionnaires et cela signifie que vous voulez que votre pays soit vaincu par Hitler. Est-ce ainsi ?

Réponse : Absolument pas ! Affirmer cela, c’est ne pas comprendre ce qu’est le défaitisme révolutionnaire, ou alors n’être tout simplement qu’un calomniateur pervers. Nous sommes bien plus itnéressés à vaincre Hitler que ne les sont Chruchill et Roosevelt. Ces deux représentants des grands capitalistes peuvent facilement arriver à des accords avec Hitler.

Question : Mais, en n’appuyant pas la guerre, n’aidez-vous pas Hitler à gagner la guerre ?

Réponse : Pas le moins du monde. Maintenant nous ne faisons qu’essayer de convaincre les ouvriers de notre point de vue. Nous leur disons la vérité en ce qui concerne le caractère de la guerre et ce qu’il faut faire pour gagner la guerre contre tous les capitalistes. Nos militants, tout comme les ouvriers que nous influençons, doivent participer à la guerre et faire ce que leur disent les dirigeants de ce pays. Tant que nous n’aurons pas une majorité derrière nous, nous ne serons pas en condition de faire autre chose que d’obéir aux ordres…. » (…)

De nombreux articles se demandaient « comment vaincre Hitler », mais aucun ne se demandait comment lutter contre la guerre, et encore moins si le prolétariat américain devait, ou pas, s’intéresser à la victoire de sa bourgeoisie. Certains articles accusaient les bourgeois de saboter la production de guerre. (…)

Pour Trotsky, comme il l’écrivait dans « Learn to think », publié par « Fourth International » en juillet 1938 : « Pousser la lutte de classes jusqu’au bout – la guerre civile – est la tâche du défaitisme. Mais cette tâche ne peut être menée à bien que par la mobilisation révolutionnaire des masses, c’est-à-dire en élargissant, en approfondissant et en intensifiant les méthodes révolutionnaires qui font partie de la lutte des classes en temps de paix ». (…)

L’influence opportuniste de la « politique militaire » du SWP a été tellement importante qu’elle a même eu des répercussions sur la question nationale dans les pays colonisés, entraînant des divergences entre les membres de la Quatrième Internationale qui paraissaient impossibles.

Nous ne nous y référons que parce qu’elles illustrent bien des nuances introduites par le SWP.

En mai 1942, un éditorial de « Fourth International » affirmait : « Les ouvriers britanniques et américains se demandent de plus en plus pourquoi le gouvernement britannique n’accède pas aux demandes du peuple de l’Inde et s’en fait un allié. Nous devons tout faire pour que les 40 millions d’Indiens de l’Inde cessent d’être de tristes esclaves et deviennnent de puissants guerriers contre le fascisme, ou sinon les armées victorieuses japonaises et nazies encercleront le Moyen-Orient. Les ouvriers qui aiment l’Angleterre doivent considérer cette perspective comme un danger immédiat. » (…)

C’est mettre l’indépendance de l’Inde au même niveau que les besoins militaires de l’impérialisme britannique !


Lettre de Trotsky à Cannon - 13 août 1940 :

Chers Amis,

Il faudrait selon moi renforcer et approfondir notre campagne contre les préjugés et les mensonges des tendances pacifistes.
Libéraux et démocrates disent : “ Il faut aider les démocraties, par tous les moyens, sauf une intervention directe en Europe. ” Pourquoi cette limitation stupide et hypocrite ? S’il faut défendre la démocratie, nous devrons la défendre aussi sur le sol européen, d’autant plus que c’est le meilleur moyen de défendre la démocratie en Amérique. Aider l’Angleterre — à écraser Hitler — par tous les moyens, y compris l’intervention militaire, signifierait le meilleur moyen de défendre “ la démocratie américaine ”. Cette limitation purement géographique n’a aucun sens, ni politique, ni militaire.

Ce que nous considérons comme valant d’être défendu, nous sommes prêts à le défendre les armes à la main — en Europe comme aux États Unis. C’est l’unique possibilité d’assurer la défense des libertés civiles et autres bonnes choses en Amérique.

Mais nous refusons catégoriquement de défendre les libertés civiles à la manière française : les ouvriers et les paysans donnent leur sang pendant que les capitalistes concentrent entre leurs mains les leviers de commande [1]. L’expérience Pétain devrait former maintenant le nouveau centre de notre propagande de guerre. Il est, bien sûr, important d’expliquer aux ouvriers avancés que le véritable combat contre le fascisme est la révolution socialiste. Mais il est plus urgent, plus impératif, d’expliquer aux millions d’ouvriers américains que la défense de leur “ démocratie ” ne peut être confiée à un maréchal Pétain américain — et il ne manque pas de candidats à ce rôle.
L’article de Carl O’Shea [2] dans le Socialist Appeal du 10 août est excellent. Nous pouvons de cette façon développer une campagne très efficace contre William Green aussi bien que John L. Lewis qui rejette purement et simplement la conscription en faveur d’une armée serve de volontaires.

L’Institut d’Opinion publique a établi que plus de 70% des ouvriers sont en faveur du service militaire obligatoire. C’est un fait d’une immense importance ! Les ouvriers prennent au sérieux toutes les questions. S’il faut défendre la patrie, on ne peut pas abandonner cette défense à l’arbitraire des individus. Il faut une attitude commune. Cette conception réaliste montre combien nous avions raison de rejeter d’avance les attitudes pacifistes ou demi pacifistes purement négatives. Nous nous situons sur le même terrain que 70% des ouvriers — et sur cette base nous commençons à développer une campagne afin d’opposer les ouvriers à leurs exploiteurs sur le terrain militaire. Vous, ouvriers, vous souhaitez défendre et améliorer la démocratie. Nous, de la IV° Internationale, nous voulons aller plus loin. Mais nous sommes prêts à défendre la démocratie avec vous, seulement à la condition que ce soit une vraie défense, pas une trahison à la manière de Pétain.

Sur cette route, je suis sûr que nous pouvons avancer.

Notes

[1] Toutes les libertés civiles avaient été suspendues en France depuis la guerre y compris la législation de protection du travail. Dans le même temps, les chefs militaires accédaient au gouvernement : le maréchal Pétain et le général de brigade à titre temporaire Charles de Gaulle étaient tous deux membres du cabinet Paul Reynaud formé pour faire face à l’offensive allemande... et qui laissa la place à un gouvernement Pétain.

[2] Rappelons qu’ O’Shea était le pseudonyme de Carlos Hudson.

Manifeste sur la guerre impérialiste

Réponses de Trotsky à des questions concernant les États Unis

Trotsky, sur le service militaire aux USA

Discussion de Trotsky avec les visiteurs américains du S.W.P.

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Toujours la discussion

Messages

  • Lettre de Trotsky à Cannon - 13 août 1940 :
    Chers Amis,

    Il faudrait selon moi renforcer et approfondir notre campagne contre les préjugés et les mensonges des tendances pacifistes. Libéraux et démocrates disent : “ Il faut aider les démocraties, par tous les moyens, sauf une intervention directe en Europe. ” Pourquoi cette limitation stupide et hypocrite ? S’il faut défendre la démocratie, nous devrons la défendre aussi sur le sol européen, d’autant plus que c’est le meilleur moyen de défendre la démocratie en Amérique. Aider l’Angleterre — à écraser Hitler — par tous les moyens, y compris l’intervention militaire, signifierait le meilleur moyen de défendre “ la démocratie américaine ”. Cette limitation purement géographique n’a aucun sens, ni politique, ni militaire.

    Ce que nous considérons comme valant d’être défendu, nous sommes prêts à le défendre les armes à la main — en Europe comme aux États Unis. C’est l’unique possibilité d’assurer la défense des libertés civiles et autres bonnes choses en Amérique.

    Mais nous refusons catégoriquement de défendre les libertés civiles à la manière française : les ouvriers et les paysans donnent leur sang pendant que les capitalistes concentrent entre leurs mains les leviers de commande

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