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Qu’est-ce que l’art et qu’est-ce qui le différencie des ouvrages utilitaires, de nécessité personnelle ou collective ?

mercredi 19 septembre 2012, par Robert Paris

Pourquoi ces œuvres peuvent nous toucher indépendamment de la raison qui a poussé à les réaliser ?

Qu’est-ce que l’art et qu’est-ce qui le différencie des ouvrages utilitaires, de nécessité personnelle ou collective ?

Un ami nous a posé la question suivante que nous souhaitons faire partager largement car elle nous semble intéressante et passionnante.

Il nous dit : « vous admirez nombre d’ouvrages anciens que vous placez dans le domaine de l’art. Je me demande parfois pourquoi. Je regarde autour de moi les objets d’usage qui nous entoure et je me demande si une autre civilisation qui ne nous connaitrait pas vraiment ne pourrait pas penser que c’est des objets d’art ? Pourquoi cette voiture qui est garée le long des rues ne serait-elle pas un objet d’art ? Mais aussi les assiettes, les couverts, les téléphones portables ? Et, à ce moment, qu’est-ce qui peut bien distinguer un objet d’art d’un objet utilitaire, d’un point de vue individuel ou collectif ? »

Comme toute véritable question, celle-ci mérite réflexion et toute réponse est moins riche que la question. Ce qui n’empêche pas, pour en prendre la mesure, de commencer à y répondre…

Il est de fait que les objets d’art ne sont pas particulièrement des objets d’un type particulier qui puisse être considéré de « l’art pour l’art ». La plupart ont eu un usage très précis, même s’il nous échappe parfois, du fait de la distance de temps et de mode de pensée ou de conception.

Des vases, des tapis, des assiettes, des vêtements, des décorations, des motifs à but religieux, des bâtiments à but religieux ou civil sont considérés comme de l’art, indépendamment de cet usage qui en était fait à l’époque.

Nous ne savons même pas quel usage avaient les inscriptions rupestres des grottes.

Nous ne savons pas que signifiaient les grosses têtes sculptées des Olmèques. Nous ne regardons pas avec admiration des écritures hiéroglyphiques des Pharaons parce que leur texte nous éblouit, vu que la plupart d’entre nous ne le comprenons pas.

Par contre, nous appelons « art » une expression d’origine humaine que nous estimons nous toucher dans notre sensibilité par delà les siècles, et appartenir à une espèce de patrimoine de l’Humanité, des réalisations auxquelles nous considérons que nous sommes intégrés avec nos émotions, notre sensibilité…

Une œuvre d’art n’est pas un objet naturel ni la reproduction de la nature. Elle peint l’âme humaine. C’est cela qui nous touche, même si en croyant la comprendre ne nous comprenons peut-être rien du tout, ni à ce que voulait l’artiste ni à ce que lui-même ressentait.

Le premier point qui est à souligner par son caractère extraordinaire, c’est l’existence d’un sentiment que l’on peut qualifier d’artistique et qui existe chez chaque être humain. Que chacun ressente des sentiments n’a rien d’étonnant, que les humains soient attirés par des situations réelles du même type non plus. Par contre, qu’un tableau abstrait par exemple touche par les formes, les couleurs, l’évocation, c’est plus extraordinaire, surtout si cela passe les siècles.

Il y a là une capacité à s’émouvoir qui traverse des barrières apparemment très importantes.

Pour en discuter, il convient de comprendre le processus cérébral par lequel la mémoire attache entre eux les perceptions, les sensations, les souvenirs, les émotions, les réactions, les histoires… Il est fréquent que nous retrouvions une situation par une simple odeur, par une couleur, par un lieu… Réécouter une musique, revoir un site, retrouver une personne sont des situations qui nous ramènent à cette attache entre sensations d’origine et de mécanismes divers. Ce fonctionnement de l’être humain est resté le même par delà les sociétés et explique que des êtres humains qui ont cherché à susciter avec force tel ou tel sentiment par leur œuvre nous touchent par delà les siècles, les pays, les sociétés diverses, les caractères différents…

Une autre raison permet qu’on soit touchés par des œuvres d’art d’époques lointaines, dont le mode de vie est très éloigné parfois du notre, dont le mode de pensée, les mœurs, l’organisation sociale et politique nous sont inconnus, les pensées et la religion aussi. En effet, au-delà des buts matériels et sociaux de l’époque, ce sont des sentiments humains qui sont exprimés avec force, avec grandeur et cela nous touche malgré la distance et je dirais même à cause de la distance.

Un autre point est à soulever : la tendance des humains d’être touchés par des pensées suscitées par des êtres humains disparus. Les anciennes sociétés ne se cachaient pas de penser ainsi, de croire que les ancêtres nous transmettaient leurs idées, leur force, leurs conceptions. L’art est en quelque sorte une continuation de telles conceptions. Nous, humains, sommes particulièrement touchés par la mort, par le départ définitif des anciens et une bonne part des première œuvre d’art a été créé pour rappeler ces morts. Même les représentations très anciennes des animaux sont sans doute issues de peuples chasseurs qui voulaient évoquer l’animal mort pour que son âme ne les pourchasse pas… Ils se considéraient souvent encore eux-mêmes comme des animaux. Ils pensaient également se réincarner en animaux. La suite, avec les enterrements et le sentiment d’une fin avec la mort, a encore renforcé l’idée de conserver des représentations évoquant le mort, des objets à lui, considérés comme précieux. D’où est venue l’idée aussi que les objets anciens sont précieux. Notons que c’est une idée relativement moderne. Même la tendance à conserver les monuments anciens est relativement récente.

Il en a résulté une émotion lorsqu’on se retrouve en présence de témoignages anciens de l’humanité, car c’est un peu le sentiment que notre famille nous a laissé quelque chose pour nous dire ce qui comptait le plus pour lui. Nous en sommes bouleversés. Nous regardons ce petit morceau de corne gravé où une biche se lèche le flan et nous nous disons : quelle grâce, quelle observation précise de la nature, quelle maîtrise des instruments du graveur. Que notre ancêtre était capable et cela nous fait du bien de le penser.

Bien sûr, tout cela n’est pas seulement porteur de sentiments humains, de grandeur, de beauté, d’échange, etc… Il y a bien d’autres relations des hommes avec l’objet d’art. Et le premier est évidemment la cupidité. Un objet ancien qui est rare et très bien fait vaut beaucoup d’argent. Nous savons que des spécialistes vont être capables de l’évaluer car un objet d’art a une place particulière par sa datation, sa facture, sa pureté, sa rareté, etc… Tout cela est mesurable et d’abord mesurable en argent.

Ensuite, il y a dans l’art un enjeu de puissance, de pouvoir, de capacité, de domination. Pas nécessairement de la part de l’artiste mais de la société qui met en œuvre et paie cet art. C’est ce que recherchaient les grands mécènes, les grands financiers, les grands rois, les grandes sociétés qui se payaient des peintres, des architectes, des sculpteurs, etc. En jeu de réputation, de pouvoir, de démonstration et d’échanges, les arts et les artistes ont rapidement été monopolisés par les pouvoirs, les religions et les classes dominantes en vue de buts sociaux et politiques. Une architecture extraordinaire peut être utilisée par les chefs politiques ou religieux pour impressionner et dominer les peuples.

Il n’en reste pas moins que l’individu est toujours concerné, puisqu’il faut qu’il y ait l’artiste avec sa relation bien particulière avec ses sentiments, ses sensations, son imagination donc à l’interface du monde et du cerveau.

L’artiste suppose un individu qui cultive une hyper-sensibilité au monde, qui les rende très forte au point de nécessiter une extériorisation par l’œuvre.

Nous pouvons tous construire une hypersensibilité à quelque chose. Pour les uns, ce sera un instrument de musique, la peinture pour d’autres mais cela peut être les mathématiques, la mémoire, le jeu de l’acteur, etc…

Cela fait appel à la souplesse cérébrale qui permet la réorganisation des zones du cerveau, en favorisant telle zone et tels réseaux en vue d’une utilisation plus fréquente de telle fonction et la souplesse synaptique et des branchements neuronaux en fonction d’un exercice plus courant dans telle ou telle activité. Ces possibilités du cerveau entraînent que tel ou tel individu va avoir des capacités décuplées dans un domaine et être capable d’exprimer avec une force particulière telle ou telle sorte d’impression personnelle. Dans l’œuvre d’art, il y a un peu un exploit, une capacité hors du commun, une force qui nous transporte. L’œuvre est un peu une exception. Elle n’est pas un objet dont on ne trouve pas aisément des copies semblables.

L’œuvre d’art n’est jamais une simple reproduction de la réalité, mais une réécriture de cette réalité, avec en plus l’imaginaire, l’espoir, les constructions mentales, les rêves, les sentiments…

La reproduction d’une scène réelle est un prétexte et non un but en soi.

L’homme ne cherche pas dans l’art la reproduction de l’image du monde mais l’image de ses propres sentiments.

L’art nous fait un effet physique.

Une récente étude scientifique, relayée par le site web du journal The Art News Paper, montre qu’être en contact avec l’art nous fait sécréter de la dopamine, qui provoque les mêmes effets que le sentiment amoureux.

Cette découverte est le fruit d’une étude menée par un neurobiologiste de l’Université de Londres, qui a étudié l’activité du cerveau de volontaires alors qu’ils étaient en train d’apprécier des toiles de maîtres. L’observation de Botticelli, de Monet et de Picasso a eu pour conséquence une augmentation du débit sanguin dans les zones du cerveau et une sécrétion importante de dopamine pour tous les volontaires. D’après le chercheur, ce même phénomène est observé lorsque l’on est amoureux. La présence de l’art dans notre société est donc bénéfique pour tous.

Autre découverte, les œuvres de John Constable, Ingres et Guido Reni ont un impact plus important, les expériences montrent un débit sanguin supérieur à 10 % par rapport aux autres travaux. Les commentateurs les plus impliqués voient dans cette étude scientifique une nouvelle technique pour mesurer la valeur artistique d’une œuvre d’art.

Ainsi, on peut lire ce texte de Thomas Mahler :

Mettez ensemble un physiologiste spécialiste de la perception et de l’action et un historien de l’art, éminent médiéviste, et faites-les parler, à bâtons rompus, d’art contemporain et d’évolution des musées. C’est à cet étonnant "dialogue" que se livrent deux professeurs du Collège de France. D’un côté, le physiologiste Alain Berthoz ; de l’autre, Roland Recht, ancien conservateur de musée, chroniqueur et critique d’art, auteur d’un ouvrage indispensable à tout apprenti historien de l’art : À quoi sert l’histoire de l’art ? (Textuel).

Le duo souligne que le Collège de France représente l’endroit idéal pour ces croisements. "C’est un peu l’abbaye de Thélème de Rabelais, s’enthousiasme Alain Berthoz. On enseigne ce que l’on veut, et on a la liberté formidable d’engager des actions communes." Le CV de celui qu’on surnomme l’"homme qui bouge" est, à lui seul, une publicité pour l’interdisciplinarité : un double baccalauréat de philo et de maths, des diplômes d’ingénieur des Mines, de neurophysiologie, de biomécanique et de psychologie. Alain Berthoz emploie aujourd’hui, au sein de son laboratoire du CNRS/Collège de France, une "combinaison de psychologues, de philosophes, d’ingénieurs, de médecins, de mathématiciens", et se dit fier d’avoir, "grâce au développement des sciences de la cognition, créé une génération de jeunes hybrides". Ajoutez à cela le fait que les deux professeurs ont déjà planché ensemble, en 2005, sur l’ouvrage Les espaces de l’homme (Odile Jacob). "L’art mobilise des intérêts de tous les côtés, aussi bien de l’historien ou de l’anthropologue que des sciences dures en apparence plus éloignées", explique Roland Recht, qui rappelle que sa discipline a adopté, à ses débuts, "des méthodes proches des sciences naturelles, avec des classifications de styles, d’écoles, basées sur les modèles fixés par Georges Cuvier, le père de l’anatomie comparée".

Au bout du compte, la rencontre de ces deux passionnés se transforme en une conversation animée sur l’évolution du corps humain dans les espaces de l’art, avec un décryptage original de L’homme qui marche d’Auguste Rodin. "À l’heure actuelle, grâce aux neurosciences, nous savons qu’observer une oeuvre d’art, même sous forme statique, active dans notre cerveau les mêmes structures qui sont activées par le mouvement. Des artistes comme Rodin ont intuitivement mis en oeuvre cette propriété", indique Alain Berthoz. Le physiologiste assure d’ailleurs que la science est en train de connaître un retour vers le sensible et les émotions : "Après un siècle où a dominé une pensée formaliste dans les mathématiques comme en économie et en architecture, on a aujourd’hui besoin de retrouver l’homme dans ses dimensions sensibles." Réjouissant !

Agathe Charvet écrit :

Trois arguments soutiennent l’hypothèse que la musicalité a joué un rôle dans l’évolution et dans la lutte pour la survie. Tout d’abord, la musique est inséparable de l’existence humaine. Elle est présente dans toutes les cultures, depuis l’aube de l’humanité. Ensuite, le développement des aptitudes musicales de l’enfant se fait à une vitesse naturelle surprenante. Cela n’est possible que si le cerveau est déjà « pré-câblé » pour développer ces facultés. Enfin, la musique évoque en nous des émotions profondes, puissantes, probablement depuis des millénaires. C’est ce que suggère la découverte, dans une grotte de Slovénie, d’un morceau de fémur d’ours perforé de quatre trous. Daté de 43 000 ans, époque de l’homme de Néanderthal, c’est le plus ancien instrument de musique connu. Les trous sont percés de façon à permettre de jouer une gamme diatonique, semblable à la gamme de base de la musique classique occidentale (do ré mi fa sol la si).

Mais à quoi servait ce langage musical initial ? Quand on écoute de la musique que l’on aime, ce sont les aires les plus profondes du cerveau qui réagissent. Les aires des émotions, mais aussi celles impliquées dans le système de « récompense ». Ce système entre en jeu pour nous donner du plaisir quand nous avons un comportement qui assure notre survie : manger, dormir, se reproduire. A l’inverse, une musique qui nous est très désagréable active les zones cérébrales profondes de la peur. Ce sont donc des zones très primitives du cerveau qui réagissent aux aspects affectifs et régulateurs de la musique. Des zones profondes toujours impliquées dans nos mécanismes de survie.

Pouvons-nous développer nos aptitudes musicales innées ?
Il est possible de développer cette basé innée avec une activité musicale intense. Celle-ci peut sculpter le cerveau dans sa structure comme dans ses fonctions. Même si les zones cérébrales de la musique et du langage sont prédéfinies, elles restent modifiables avec l’expérience. Au niveau structural par exemple, des études ont montré que le cerveau d’un violoniste n’est pas identique à celui d’un trompettiste. La façon dont la musique est traduite en mouvements pour être jouée n’est pas la même. Et cette traduction s’automatise avec la pratique. Plus le musicien joue, plus la traduction du son en mouvement deviendra instantanée. Ainsi, si l’on compare des violonistes bons amateurs ou professionnels, l’aire cérébrale qui régit les mouvements de la main est beaucoup plus spécialisée chez les professionnels. Ils réagissent plus fort et plus vite à la musique, en utilisant moins de ressources cérébrales. Leur cerveau a optimisé ses réactions musicales.

On observe la même chose dans l’analyse de la musique. Si on présente à des musiciens professionnels un accord musical « presque juste », qui est beau mais n’a pas sa place dans la musique à l’endroit où il se trouve, leur cerveau réagit avec une vitesse fulgurante. D’abord, l’aire de la peur est activée, comme si un système d’alerte primitif se mettait en route. Et en effet, lorsqu’un musicien professionnel est sur scène, c’est comme si sa survie musicale était en jeu. Ces premières réactions puissantes et profondes des musiciens professionnels à ce genre d’anomalies sont à la fois apprises et automatisées. Elles sont suivies d’un traitement plus cognitif. Ce traitement a lieu entre autres dans des aires voisines de celles impliquées dans la production et la compréhension du langage. Mais aussi dans l’aire motrice permettant de planifier des mouvements. Le musicien professionnel semble traduire ce qu’il entend en modèles moteurs pour analyser la situation, comme s’il se préparait à corriger l’erreur. Nous avons donc une réaction puissante, profonde et émotionnelle à la musique, qui peut encore se renforcer suite à un entraînement musical.

Jacques Munier écrit :

« L’art est une garantie de santé mentale », disait Louise Bourgeois, une phrase qu’elle avait gravée sur son installation monumentale Precious liquid. Et Galien, déjà, affirmait que « la santé implique la beauté ». Les anciens Grecs avaient d’ailleurs une connaissance intuitive, déposée dans leur langue, du pouvoir somatique de l’art, de ses effets sur le corps, puisque le mot « esthétique » vient du grec aïsthésis, qui signifie « sensation ». L’esthétique, depuis Aristote, a longtemps été l’apanage des philosophes. Aujourd’hui les neurosciences s’intéressent aux mécanismes physiologiques qui conditionnent l’état mental permettant d’apprécier la beauté. Et le plus souvent, comme le montre Pierre Lemarquis, elles viennent apporter une confirmation scientifique à leurs réflexions.

L’auteur, neurologue, avait déjà exploré les résonances de la musique tout au long de nos interminables circonvolutions cérébrales dans un ouvrage précédent, Sérénade pour un cerveau musicien. Ici, il revient sur sa partition mais il élargit son angle aux arts visuels, aux formes et aux couleurs, à la lumière et aux conséquences incalculables sur le métabolisme du spectateur d’un « petit pan de mur jaune » qui brille au milieu d’une toile de Vermeer. Il est vrai que l’effet produit par la musique nous semble moins mystérieux, l’oreille étant considérée comme un organe plus « intérieur » que l’œil, et l’on conçoit mieux qu’elle puisse avoir un écho en profondeur, comme dans la transe ou la danse ; stimuler la sécrétion d’opiacés endogènes en cas de douleur, diminuer les hormones du stress, faire baisser la pression artérielle et ralentir le rythme cardiaque, pour mettre le bébé en mode sommeil avec une berceuse, voire provoquer des orgasmes lorsque c’est le castrat Farinelli qui pousse le trille. Mais le plaisir que peut provoquer une toile de Kandinsky ou un portrait de Picasso nous apparaît plus cérébral, autant dire abstrait et peu incarné. Pourtant les émotions y prennent leur part et un neurologue de San Diego assure que notre cerveau est « câblé » pour apprécier le cubisme et que devant le portrait de Dora Maar, il se réjouit de voir simultanément la face et le profil.

Que se passe-il dans notre cerveau lorsqu’un tableau nous plait ? La technique dite « d’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique » révèle par exemple une activation des zones situées à l’arrière du cerveau dans le lobe occipital, des zones impliquées dans le décryptage des informations visuelles, un peu, commente l’auteur, « comme si le cerveau attentif augmentait la luminosité, le contraste, les couleurs pour profiter plus intensément de l’œuvre qui le séduit ». Et ce qui se produit alors est bien de cet ordre, celui de la séduction, une conduite archétypique et, comme on sait, essentielle pour la reproduction et la survie de l’espèce. Ce qui fait dire au neurologue que l’émotion esthétique s’inscrit « comme l’aboutissement d’un processus évolutif lié à la séduction ». D’autant que, dans le même temps, sont activées les zones impliquées dans la reconnaissance des visages (le gyrus fusiforme bilatéral), ce qui revient à dire que l’émotion suscitée est du même ordre que celle que provoque la vue d’un visage aimé. Et ce sont alors les circuits produisant les hormones du plaisir et de la récompense qui se déclenchent, ajoutant à la contemplation esthétique profondeur de champ et résonance intérieure. C’est pourquoi il est si difficile de discuter des goûts et des couleurs. Une conviction aussi intime s’impose sans rémission. Mais là, il s’agit d’un plaisir gratuit, dissocié d’un but quelconque en terme de satisfaction sexuelle, ici il n’y a pas « plus si affinités », ce qui faisait dire à Emmanuel Kant que le jugement esthétique est de l’ordre d’une « finalité sans fin ».

En soulignant dans la Phénoménologie de la perception qu’une œuvre d’art est comme un individu où l’on ne peut distinguer « l’expression de l’exprimé » et dont le sens n’est accessible que par un contact direct, Maurice Merleau-Ponty désignait la même réalité, et il ajoutait : « c’est en ce sens que notre corps est comparable à l’œuvre d’art ». Il faisait allusion à un concept dont l’usage est très répandu en philosophie esthétique et en phénoménologie avant de connaître une fortune durable en psychologie, celui d’Einfühlung, ou empathie, la faculté de comprendre et de ressentir les émotions d’une autre personne. L’empathie est déclenchée par ce qu’on appelle les « neurones miroirs », qui commandent le comportement mimétique, dans l’apprentissage par exemple, dans le sourire qu’on renvoie spontanément à la personne qu’on croise, même inconnue, et qui arbore une mine réjouie, dans l’accompagnement muet que nous faisons à une musique écoutée ou encore dans ce réflexe conditionné et irrépressible dont nous avons tous fait l’expérience lorsque nous sortons d’une salle de cinéma en adoptant la démarche chaloupée de John Wayne ou l’allure paresseuse et désabusée de Jean-Pierre Bacri. Ces neurones, situés dans l’enveloppe du cerveau, très évoluée, entrent en résonance avec la région frontière de l’insula et de là avec les régions profondes, plus anciennes, impliquées dans les émotions. D’où le trajet que parcourt la représentation d’une œuvre qui provoque l’empathie, depuis le circuit cortical évolué activé par les stimuli extérieurs – on va dire comme l’auteur, la beauté objective – jusqu’à l’amygdale, pas celle des ORL, évidemment, celle du circuit des émotions façonné par les expériences personnelles et qui aboutit au sentiment subjectif de la beauté. En gros les neurologues sont parvenus à retracer dans le cerveau le parcours qui va de « c’est beau » à « j’aime ».

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Nous commencerons par dégager les traits caractéristiques d’une oeuvre d’art qui la rende différente à un simple objet quelconque. En même temps, « penser ainsi l’art » par différence implique nécessairement que l’on reconnaisse aussi des similitudes. Il peut y avoir des raisons de penser que l’art n’est pas différent des autres objets quelconques. Le problème sera donc de déterminer dans quelle mesure de fait l’art est bien oui ou non distingué d’un simple objet quelconque et de cerner pour quelles raisons il doit l’être, ou bien ne pas être distingué des autres objets. Faut-il faire de l’art une exception particulière, ou bien faut-il le considérer comme une simple variété des productions techniques ou culturelles en général ?

Une œuvre d’art est une réalité, matérielle ou non, artificielle, c’est-à-dire qui résulte d’une production humaine. A la différence de la réalisation technique en général, elle est le plus souvent unique et dépourvue d’utilité purement pratique. Cette originalité et ce désintéressement lui donnent un prestige supérieur à celui de l’objet technique « banal », prestige qui s’étend à son créateur, l’artiste.

Considérons par exemple le point de vue économique lié à la production technique. Nous ne pouvons pas nier qu’il y ait un « marché » de l’art, que l’art soit l’objet d’investissements coûteux, de transactions. Prenons l’exemple d’un masque africain qui rempli une fonction politique et religieuse en Afrique et c’est l’Occident qui fait le commerce de ces objets. Beaucoup de personnes dépensent des sommes astronomiques pour une simple toile qui parfois, selon d’autres, ne ressemble pas à grand-chose. L’oeuvre d’art se vend donc au même titre que n’importe quel objet technique, comme on achète un ordinateur ou une télévision. L’art entre donc dans le champ de la consommation ouvert par la production industrielle. Il est vrai que l’art contemporain a insisté pour supprimer toute frontière entre les objets techniques et les oeuvres d’art. Une poubelle dans la rue n’est pas de l’art, mais dans un musée elle le devient. Comme l’esthétique contemporaine est devenue elle-même insaisissable, on finit alors par se demander si ce n’est finalement pas la mode qui fait l’art, tel artiste étant à la mode, tel autre non. Dans ces conditions, l’art serait dans la catégorie des objets techniques, disons un objet de « luxe » dans le domaine des objets utilitaires et des « gadgets », mais de toute façon un objet parmi d’autres. En effet, la technique et ses productions ne renoncent pas à toute valeur esthétique. L’objet en lui-même est certes conçu pour sa valeur utilitaire, mais en même temps, il existe une « esthétique industrielle », une esthétique devenue la norme des jugements de goût les plus courants. On assiste alors à un complet renversement : l’art n’est pas vraiment créateur comme on le croit, il est le reflet des modes d’une époque, mode qui alimente la consommation, si bien qu’au fond l’évolution de la technique fait souvent la promotion de l’art. Sommes-nous capables aujourd’hui de différencier clairement une œuvre d’art et un simple objet ? Pour la plupart des gens, les genres se confondent allègrement. On nous a appris à considérer n’importe quoi comme de l’art au nom de « l’art global », l’idée de vouloir distinguer l’art à de simples objets quelconques peut sembler tout à fait saugrenue au jugement de la modernité de l’art. Une voiture sera peut-être jugée très « chic », très « mode », « laide » ou « géniale », et c’est exactement dans les mêmes termes que l’on jugera un objet d’art. L’art fait partie des « divertissements de la consommation », un divertissement réservé surtout aux riches, mais que l’on voudrait démocratiser pour en faire un luxe pour tous. Une simple personne vivant dans la classe sociale moyenne peut elle se permettre d’avoir un « César » chez elle ? Eh bien non ! L’art est devenu un objet de consommation ! A ce titre, on ne parlera même plus « d’oeuvre d’art », mais « d’objets d’art ». Un objet, c’est une chose dont on se sert, c’est une chose qui a été produite selon un concept utilitaire, qui se définit par son « prix », qui joue un rôle essentiel dans le domaine de la consommation. On se demande parfois d’ailleurs si le prix des tableaux n’est pas l’ingrédient le plus essentiel de leur appréciation. (si cela vaut si cher, c’est que cela doit être très bien). C’est la preuve que notre regard mercantile n’épargne rien, que les considérations économiques pourrissent tout, et finissent par dénaturer tous nos jugements !

Une ambiguïté semblable se rencontre dans le point de vue culturel. On a fini par désigner par « culture » tout et n’importe quoi, en prétextant la diversité des cultures (culture « rock », ou culture « classique »). Du coup l’art lui-même est considéré comme une forme de culture. Cela ne veut alors plus dire grand chose que de voir dans l’art une forme de « production culturelle ». Un « graffiti » sur un mur de métro, c’est aussi de la culture dans le même sens. L’artiste peut « s’exprimer » dit-on, ce qui revient à dire qu’il peut se défouler, et dire tout ce qu’il a sur le coeur, car l’art est pour lui un moyen de communication de son « message ». L’art, c’est pour l’artiste comme le micro pour un chanteur et tout cela c’est la « culture ». Au fond, la différence entre l’artiste et le commun des hommes revient à ce qu’il puisse « s’exprimer ».

La sensibilité est d’abord une caractéristique liée à notre organisme par les cinq sens externes qui permettent de percevoir le monde extérieur, ou le sens intérieur de nos états et de nos humeurs, comme la douleur ou la joie. C’est le rapport entre les deux sensibilités qui mérite réflexion ici.

Reste l’art en lui-même, reste l’amour de la beauté d’un simple objet ou d’une simple toile. Si nous avons encore un certain degré de sensibilité, une sensibilité qui n’a pas été dénaturée par la mode, ou par l’influence des médias (la télévision, les pubs), nous avons peut-être encore la capacité de distinguer facilement et librement une œuvre d’art d’un simple objet quelconque. Nous avons encore la possibilité de « contempler ».

Il faut assez de coeur pour sentir et d’esprit pour comprendre ce que veut dire « créer ». Nous sommes sensibles à la beauté parce que nous sommes humain ; nous sommes humain parce nous sommes (en particulier) sensible a la beauté. Le plaisir de l’esthétique et la sensibilité à la beauté (mais aussi malheureusement l’argent) nous feront dire que tel ou tel autre objet est une œuvre d’art.

LIEBENGUTH Romain

Alors, fondamentalement, qu’est-ce que l’art ? C’est ce qui nous touche au point de renforcer en nous le sentiment d’être des humains et d’en ressentir de la peur, de l’amour, de la honte, de la tristesse mais aussi de la fierté.

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