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Panaït Istrati, meurtri, déchiré par le stalinisme, est présenté par la bourgeoisie et le staliniens comme l’homme qui n’a plus d’idéal, n’adhère plus à aucun espoir historique, mais il a représenté aussi tout autre chose : l’homme qui a véritablement un idéal communiste, pas celui des staliniens…

mardi 12 février 2013, par Robert Paris

« Panaït Istrati, que ton nom est beau
Fait de deux paroles tristes !
Egarée sur les mers, je t’observe
Ta sœur Kyralina chantant à mon oreille
Telle une balalaïka.
Tes joues tristes s’effondrent sur mes mains ouvertes
Et un haiduk m’accompagne, et le regard désert…
Je m’en vais sur l’ombre,
Mon croc sanglant planté dans les ténèbres,
Et mon drapeau rouge
Battu par le vent de la la Révolution. »

Les ouvrages qui suivent sont la première dénonciation en France du stalinisme d’un point de vue véritablement communiste.

Panaït Istrati, meurtri, déchiré par le stalinisme, est présenté par la bourgeoisie et les staliniens comme l’homme qui n’a plus d’idéal, n’adhère plus à aucun espoir historique, mais il a représenté aussi tout autre chose : l’homme qui a véritablement un idéal communiste, pas celui des staliniens…

« C’est faire confiance à la vie, que se mesurer avec l’impossible. »

Pour avoir aimé la terre de Panaït Istrati


Extrait de la « Confession pour vaincus » (1929) :

« Cette conclusion du texte de Panaït Istrati (1884-1935), Vers l’autre flamme, comme la Confession pour vaincus, ne peut manquer de toucher au plus profond de leur cœur tous ceux qui ont voulu prendre leur part du combat de l’humanité pour son émancipation, en ont connu les difficultés et les revers, mais qui savent que « ce n’est qu’ainsi que nous devenons libres ». (E.S.)

"N’est combattant, à mes yeux, que celui qui subordonne ses intérêts individuels aux intérêts de l’humanité meilleure qui doit venir.
Je crois en cette humanité. Elle existe aujourd’hui comme le soleil existe pendant la nuit. Plus d’une fois ma boue l’a touchée. Plus d’une fois, dans mes innombrables heures de détresse, sa main m’a relevé de terre.

Tout ce que j’ai fait de bien et de beau c’est à elle que je le dois. Je n’ai pas fait que du bien et du beau : j’ai eu ma part de boue ; je l’ai encore ; je l’aurai toujours. Mais je suis malheureux quand cette boue me déborde, et heureux à mourir quand j’attrape un rayon de lumière de la belle humanité.

C’est pourquoi je veux lui consacrer toutes mes forces, aider tous ceux qui combattent pour elle.

Je ne crois plus à aucun « credo ». Je ne veux plus écouter ce que les hommes disent, mais seulement regarder ce qu’ils font : — Montrez-moi ce que vous pouvez retrancher de votre vie et je vous dirai à quel prix vous estimez la vie des autres.

Nous n’échappons à l’avilissement qu’en soudant notre existence à tout ce qui vit. Ce n’est qu’ainsi que nous devenons libres : en sentant tout ce qui fait autour de nous le bien et le mal. Une flamme, après mille autres, vient de s’éteindre, sur une vaste terre riche d’espoirs. Ce n’est plus aujourd’hui sur cette terre-là que le souffle froid de l’égoïsme qui glace la vie.

Mais c’est toujours la terre d’où jaillissent les plus belles flammes qui réchauffent l’humanité. Par cela elle est sacrée et pleine d’avenir.
Aidons-lui à ouvrir ses entrailles généreuses à notre âme assoiffée de bien et de beau.

Allons vers l’autre flamme. »

Extraits de « La Russie nue » de Panaït Istrati :

« La Révolution russe, comme toutes les révolutions antérieures, a été harcelée des dénigrements de ceux dont elle piétinait nécessairement les intérêts. Elle a fort bien résisté aux fureurs de la calomnie. Après la mort de Lénine, ses nouveaux dirigeants l’ont exposée, par une aberration inconcevable, à un plus grand danger : l’éloge systématique, l’approbation fanatique, sorte de diffamation à rebours dont les effets sont plus profondément nocifs et plus durables.

La République des Soviets a besoin, pour vivre, de la solidarité consciente des travailleurs de tous les pays. Cette solidarité ne sera pas consciente sans la connaissance des difficultés qui entravent la marche au socialisme en Russie. La légende soviétiste, créée, répandue et entretenue par la volonté du gouvernement de Moscou ne suscite que la solidarité superficielle et toute verbale des éléments les plus arriérés de la classe ouvrière et ménage des déceptions qui aboutiront à une désaffection irrémédiable.

Du vivant de Lénine, les partisans non-russes de la première heure du bolchévisme ne trompaient pas les travailleurs d’Occident. Ils les appelaient à l’aide de la Révolution en leur parlant des misères, des souffrances qui accablaient le peuple russe en lutte pour son émancipation. Loin de taire la désorganisation du pays, le délabrement de sa production, la famine dévastatrice d’immenses contrées, ils y trouvaient des raisons pour stimuler l’effort de soutien.

Certes, cette période ne fut pas exempte d’illusions. La guerre s’achevait dans une horreur sans nom. Des mouvements révolutionnaires secouaient toute l’Europe. La frénésie des passions ne favorisait pas l’objectivité scientifique. L’heure n’était pas aux dissertations impartiales. Il fallait défendre avec parti pris les vaillants qui osaient s’attaquer à la vieille société dans son principe. Ceux qui l’ont fait ont raison de ne pas le regretter.

Alors, chaque succès partiel contre le désordre toute tentative heureuse de création originale, chaque improvisation réussie étaient salués comme autant de promesses d’un avenir meilleur. Mais il ne venait à l’idée d’aucun communiste conscient de prétendre que tout était pour le mieux dans la meilleure des révolutions. Personne ne niait le froid et la faim, nul ne dissimulait l’immensité de la tâche en perspective ni la faiblesse des moyens à mettre en œuvre…
Il s’est trouvé des « pélerins » pour visiter la Russie d’alors en touristes et en rapporter de littéraires naïvetés. Mais ces manifestations tout individuelles et assez rares ne répondaient à aucun système d’ensemble et n’engageaient que leurs auteurs. Le pouvoir soviétiste et les représentants qualifiés du mouvement communiste international ne fondaient pas leur politique là-dessus…
C’était le temps de Lénine.

Après la disparition du chef incontesté, tout a bien changé. L’expression de la vérité, la simple constatation des faits, même dans l’esprit le plus strictement conforme à la tendance communiste, sont devenus crimes de lèse-majesté. Quant à la critique, même la plus scrupuleusement loyaliste et réformatrice, elle a été considérée comme attentat à main armée.
C’est pourquoi l’on a pu voir les principaux compagnons d’armes de Lénine dans l’époque héroïque prendre les uns après les autres le chemin de la prison, de la déportation et de l’exil.

Avant 1924, Lénine montait à la tribune des congrès communistes ou soviétiques et, devant le monde entier, n’hésitait pas à dire, quand il le jugeait nécessaire : à tel propos, dans tel cas, nous nous sommes trompés. Et cette franchise, lucide, loin de favoriser l’ennemi, éclairait et fortifiait la conscience révolutionnaire.

Depuis 1924, le successeur de Lénine prétend ne s’être jamais trompé…

La population des deux continents, dans sa majeure partie, ne sait pas encore qu’il existe, parmi les mortels, un homme infaillible, résident à Moscou, au Kremlin. Sans doute est-ce la raison pour laquelle cet individu omniscient, dans sa prévoyance infinie, a cru bon de constituer sous des appellations diverses une équipe de thuriféraires qui s’évertuent à chanter partout ses mérites. »

Extrait de « Vers l’autre flamme » de Panaït Istrati :

« Pour vivre, il peut y avoir plusieurs moyens, mais pour lutter, il n’y en a qu’un : frapper sur l’adversaire. Et mon adversaire fut, reste et restera l’adversaire de ma classe, celle qui construit des élévateurs pour son profit personnel, l’affame, puis, quand elle crie justice, la mitraille.

Il n’y a guère qu’un lustre, je veux dire vers mes quarante ans, j’étais encore parmi ceux qu’on affame et qu’on mitraille. Si aujourd’hui, on ne m’affame plus, toujours on me mitraillera. Car, quoiqu’il advienne après cette dispute que j’engage sévèrement avec ma classe, un fait demeurera certain : je tirerai sans cesse dans la poitrine ou dans le dos de ceux qui affament les hommes, puis les mitraillent…. Si je m’écarte de cette ligne de vie, que les miens m’abattent dans la rue, sans me juger. Et maintenant, voyons jusqu’où je suis un vaincu, jusqu’où je me sépare des miens, sans jamais cesser de combattre les ennemis de l’homme libre.

Avant de savoir que des théoriciens à tous crins s’étaient appliqués à édifier le socialisme à la diable et coûte que coûte, j’ai été partisan de la prise du pouvoir par tous les moyens. Ce n’était pas une conviction livresque. C’était bel et bien une question de tempérament. Grandi en marge de la somnolente action social-démocrate, qui devait si odieusement précipiter le prolétariat dans la guerre mondiale, je me suis toujours complu à un syndicalisme frondeur. Ce syndicalisme fut illustré, dans le mouvement révolutionnaire roumain, par trois figures, dont deux fort importantes : Al. Const, notre chef, condamné à mort et disparu du monde ; Stéfan Gheorghiu, notre plus grand orateur populaire, port tuberculeux, C. Manesco, bon organisateur, aujourd’hui déçu et vaincu. Gravitant autour d’eux, entre deux voyages en Egypte, je représentais quelque chose comme la cinquième roue à un carrosse. Mais tous les quatre, nous embêtions passablement Christian Rakowsky, leader du parti social-démocrate, qui nous détestait affectueusement.

Aussi l’apparition du bolchevisme, après Zimmerwald et Kienthal, me subjugua-t-elle par sa fermeté, sa précision et son courage. J’y adhérai promptement, le lendemain de la révolution d’Octobre, sans tenir compte que je me trouvais alors en Suisse et ce geste pouvais me coûter cher…

La social-démocratie d’avant-guerre n’existe plus et son militant a coulé avec elle ; Celui qu’on peut encore rencontrer, quelques braves gens à part, n’est qu’un laissé pour compte de la famille, qui déjà s’est assise à table. S’il fait le beau, ce n’est guère que dans l’espoir de voir un jour la table s’allonger et multiplier ses chaises.

Il n’en était pas ainsi, naguère, quand la table n’existait pas. Quelques places de scribes ou d’aboyeurs, rudement étroites. Il fallait être bien sage, si l’on voulait se faire remarquer, soit dans sa maison, soit dans la maison d’en face, et d’une façon ou d’une autre, réaliser le vœu de tout bon social-démocrate : l’entrée dans le divin parlement, cet Eden de la patrie reconnaissante, pour le salut de laquelle devait bientôt mourir le cotisant discipliné.

Les syndicalistes, bolcheviks en herbe, que nous étions alors (à bas le parlement, action directe !), déplaisaient fort à cette « élite » première série, qui donnait des ordres au nom de la classe ouvrière, accaparait la tribune et le journal, nous excommuniait et nous matait, l’évangile pseudo-marxiste aux mains. Le militant à la page, fort en gueule et fort en marxisme, jouait alors exactement le même rôle tyrannique que celui de son comparse communiste (stalinien) d’aujourd’hui. Lui seul représentait la « conscience révolutionnaire », les « aspirations », l’ »idéologie » du prolétariat. Nous n’étions que des « traitres » - ou presque.

La masse a écouté et suivi ce militant, jusqu’au grand massacre, qui fit le malheur de l’une et le bonheur de l’autre.

Mais là, ce n’est plus que de l’histoire.

Passons à l’actualité.

Elle est bien plus tragique.

Plus que jamais, la « conscience de classe » est le monopole de ceux qui tiennent la queue de la poêle. Car aujourd’hui le prolétariat a une poêle, immense, dont la maigre friture excite de gros appétits. Et voilà où je me sépare du militant révolutionnaire (stalinien), où je suis prêt à le combattre …

Mais, lorsqu’il s’agit de l’URSS, il faudrait encore savoir si l’on doit distinguer le militant-racaille du bureaucrate, ou les confondre dans un même type malfaisant. Car, voici ce qui se passe : en Russie, vous ne pénétrez pas dans une institution, dans un tram, dans un local, sans rencontrer cette affiche et cette invitation : Camarades ! Prenez part à la lutte contre la bureaucratie !…

J’ai connu des communistes sincères, qui ont pris au sérieux ce devoir de « prendre part à la lutte contre la bureaucratie » et qui ont voulu aller jusqu’au bout de leur devoir, frapper le mal au cœur, ou à la racine. Ils n’ont fait que perdre leur gagne-pain. Et c’est une tristesse de les écouter…

En dépit de l’impitoyable vérité, qui répond aux leurres officiels par des révélations cuisantes, le militant-bureaucrate, qu’on appelle là-bas « militant-bureaucrate », va droit son chemin, la tête en avant. Il est le maître de la tribune et de la presse. Seul, il peut parler. Seul, il peut écrire. Il se fabrique une majorité et un présidium, comme il se fabrique un comité de rédaction et une censure. Ainsi, personne ne peut le contredire.

Toutefois, conscient du mécontentement qui couve sous la cendre et auquel il faut créer des soupapes, il monopolise également la contradiction et se fabrique des contradicteurs. Voilà pourquoi naquirent et grandirent ces deux boursouflures de la presse soviétique : samo-kritika (critique de soi-même) et control-mass (le contrôle des masses).

L’ignoble farce ! encore si elle n’était qu’ignoble mais elle est adroitement trompeuse et quelque fois sanglante….

Etant donné ce qu’on appellerait improprement ma volte-face, ou, comme on l’a déjà écrit à Moscou, dans la Littératournaïa Gazeta : « Panaït Istrati double-face » - on pourrait, maintenant que nous entrons en Russie, me poser la question suivante :

 N’étiez-vous nullement au courant de ces affaires-là, avant d’aller dans l’URSS, ou aussitôt après ? Car on vous connaissait plutôt bolchevisant.

Je réponds :

Bolchévisant – c’est-à-dire pour la prise du pouvoir par la classe ouvrière et pour la destruction du capitalisme – je le suis toujours et je le resterai, dans les conditions qu’on verra lorsqu’on aura lu ce livre. Elles sont tout à l’éloge d’un bolchévisme à la Lénine, à la Trotsky, à la Dzerjinski et tous les héros de la révolution d’octobre qui ne sont pas devenus les propres assassins de leur œuvre.

J’ajouterai qu’il n’y a ni volte-face, ni « double-face », pour la bonne raison que – après avoir vécu seize mois dans l’URSS et alors que j’aurais pu aisément écrire et publier au moins seize articles bolchévisants, sinon cinquante, et grassement payés – on ne pourra m’en montrer trois qui soient tels, ni une interview, ni un discours qui aient été vus ou corrigés par moi. Une telle réserve est inconnue aux Amis de l’URSS, dont je suis l’un des deux vice-présidents d’honneur.

« Double face »… Pauvre racaille. Des faces , j’en ai, moi, trente-six mille, mais pas pour des Littératournaïa Gazeta.

Quant à la question elle-même : Etait-je au courant ? Je réponds : non. Il n’y a pas un dixième du prolétariat communiste international quis ache au juste ce qui se passe en Russie, sinon le Parti serait tout entier déserté et un autre parti bolchevik se formerait, sur des bases nouvelles, honnêtes, et qui ne donneraient plus aux chefs un pouvoir illimité….

Seule l’Opposition et son chef Trotsky seraient en mesure d’éclairer l’opinion des masses, mais, jusqu’à ce jour, ils ne disposent pas encore des moyens qui seraient à la hauteur du désastre…

Trotsky – le bolchévik à la conscience inaltérée, au crédit intact, le plus capable de tous et le plus doué – devra faire bien attention aux infirmiers dont, un jour, il s’entourera, lorsqu’il faudra panser les plaies d’une Révolution qui n’est que plaies. J’estime le destin de cet homme et j’ai confiance en lui. Il n’est pas possible qu’il ne sache pas profiter de l’effroyable expérience qu’il a sous les yeux et qu’il connaît comme nul autre.

De son Opposition également, je ne savais rien et ne voulais rien savoir, avant d’aller en Russie. Je me disais : « Bah ! où il y a mare, il y a grenouilles ; ce ne doit être qu’une question de pouvoir, simple scission produite par la mort de Lénine. » Je me suis dit cela pendant des mois, en Russie, on verra comment.

Quant à Trotsky lui-même, je voyais bien que depuis des années, un nuage de silence de plus en plus opaque l’enveloppait, mais comment me serais-je douté qu’on lui préparait le chemin d’Alma-Ata, celui de Stamboul et l’épithète de « contre-révolutionnaire » ?

Personnellement, on peut dire que nous ne nous connaissons pas ; et jusqu’à maintenant – quand je dis de lui le bien que je pense, de la façon la plus désintéressée – je ne lui ai pas encore écrit une lettre, ni d’ici, ni pendant que je me trouvais aux bords de la Caspienne, à quelques deux mille kilomètres de sa Bastille…

Conclusion pour combattants

N’est combattant, à mes yeux, que celui qui subordonne ses intérêts individuels aux intérêts de l’humanité meilleure qui doit venir.

Je crois en cette humanité. Elle existe aujourd’hui, comme le soleil existe pendant la nuit. Plus d’une fois ma boue l’a touchée. Plus d’une fois, dans mes innombrables heures de liesse, sa main m’a relevé de terre.

Tout ce que j’ai fait de bien et de beau, c’est à elle que je le dois. Je n’ai pas fait que du bien et du beau : j’ai eu ma part de boue ; je l’ai encore ; je l’aurai toujours. Mais je suis malheureux quand cette boue me déborde et heureux à mourir quand j’attrape un rayon de lumière de cette belle humanité.

C’est pourquoi je veux lui consacrer toutes mes forces, aider tous ceux qui combattent pour elle.

Je ne crois plus à aucun « credo ». Je ne veux plus écouter ce que les hommes disent, mais seulement regarder ce qu’ils font : Montrez-moi ce que vous pouvez retrancher de votre vie et je vous dirai à quel prix vous estimez la vie des autres.

Nous n’échappons à l’avilissement qu’en soudant notre existence à tout ce qui vit. Ce n’est qu’ainsi que nous devenons libres : en sentant tout ce qui fait autour de nous le bien et le mal. Une flamme, après mille autres, vient de s’éteindre, sur une vaste terre riche d’espoirs. Ce n’est plus aujourd’hui sur cette terre-là que le souffle froid de l’égoïsme qui glace la vie.

Mais c’est toujours la terre d’où jaillissent les plus belles flammes qui réchauffent l’humanité. Par cela elle est sacrée et pleine d’avenir.
Aidons-lui à ouvrir ses entrailles généreuses à notre âme assoiffée de bien et de beau.

Allons vers l’autre flamme.

Qui est Istrati, « le Haïdouc des lettres » ? de Louis Guillaume

Il naît dans un port du Danube roumain, Braïla, en 1884. On dit son père contrebandier grec, qui sera assassiné dans une embuscade dans les montagnes quelques semaines après sa naissance ; sa mère survit en faisant des ménages. « De son père, il tient ce besoin de vagabondage et d’indiscipline, de sa mère, un profond amour de la terre et une grande pitié pour les humbles ». Il mène la vie d’un enfant laissé à lui-même, au milieu de l’exotique rassemblement de peuples, de langues, et de cultures que rassemble un port cosmopolite : « pêcheurs d’esturgeons, vagabonds de toutes nationalités, débardeurs ». Mais dès douze ans il veut voir du pays et quitte sa terre natale pour exercer vingt ou cent métiers, métiers de pauvres et de misères, « garçon de cabaret, chaudronnier, manœuvre, déchargeur, homme sandwich, peintre d’enseignes, peintre en bâtiments... », qui lui font côtoyer les peines, les harassements et les épuisements des hommes. Au milieu de ces épreuves il lit intensément, Tolstoï, Dostoïevski, Hugo.

Le tournant des années 20 le voit journaliste « mêlé aux mouvements révolutionnaires, il voyage clandestinement, sans passeport. Il connaît la prison, l’expulsion, la misère, la faim ». À nouveau. Comme avant. Mais cette fois la douleur est plus profonde et il tente de se suicider, alors que pour survivre il éternisait comme photographe ambulant sur la Promenade des Anglais, les éclats de rire et les sourires des couples heureux. « On trouve sur lui une lettre (adressée à Romain Rolland), une espèce de confession où il explique son geste. » Celui-ci est saisi « du tumulte du génie » et va l’encourager à écrire, après son rétablissement, ce qui donnera « Kyra Kyralina », premier roman d’Istrati, écrit directement en français.

Alors, « la littérature s’enrichit d’un foisonnement de pages arrachées aux ténèbres et pourtant pleines d’aurores. L’horreur, la pauvreté, les injustices sociales qui blessent la raison y font la roue, mais il suffit d’un vol de chardon, d’un arc en ciel, d’un ballet de lucioles, d’un détail qui vous tire les larmes pour que ressurgisse l’acte de foi (en la vie) » [6] . Dans « Kyra Kyralina », un vieillard ramène le héros hésitant quant au sens de sa vie, à cette simple vérité : le bonheur ne dépend-il pas que de soi ? Ce sera le premier tome des « Récits d’Adrien Zograffi », trilogie que compléteront « Les Chardons du Baragan » et « Pour avoir aimé la terre ».

Mais loin de s’en tenir à cette morale individualiste, « Panaït Istrati crut tôt à l’évangile de ceux qui à Moscou, bâtissaient un monde nouveau. » [7] , et dès vingt ans, en collaborant au journal « Roumanie ouvrière », il avait pris part aux bouillonnements révolutionnaires qui agitaient les derniers instants des empires d’Europe centrale. Désormais célèbre, Istrati va être revendiqué comme un de leurs écrivains phares par les communistes français, qui n’hésitent pas à le surnommer « le Gorki des Balkans ».

Il fait partie de l’intelligentsia littéraire et artistique européenne, choyée, pour laquelle le pouvoir stalinien n’a pas trop de prévenances, afin qu’elle relaie sa propagande et se porte garante des « bienfaits de l’avenir radieux ». À cette fin il est invité avec Nikos Kazantzakis (auteur de « Zorba le Grec ») à Moscou le 13 novembre 1927 pour les cérémonies du 10ème anniversaire de la Révolution d’Octobre. Si l’écrivain grec fanfaronne - « Je n’espère rien, je ne crains rien, je suis libre » - ce voyage va être une déchirure dans la vie d’Istrati, une désillusion, une souffrance irrémédiables. Pendant 16 mois, les deux écrivains parcourent l’URSS de Mourmansk à Arkhangelsk, du Caucase à l’Oural.

Plus possible de fermer les yeux. Impossible de se taire. « Ce pouvoir est conscient du mal qui ronge la révolution, mais ne supporte aucune critique. Cela me délivre de mon engagement ». Entre le Grec qui garde le silence pour ne pas faire le jeu des bourgeoisies occidentales, et le Roumain qui ne supporte pas l’hypocrisie, le malentendu est total. « Les deux frères d’espoir sans espoir se séparent en février 1929 ». Istrati inaugure la lignée des grands témoins, Gide, Victor Serge, David Rousset, Soljenitsyne, et connaîtra le même sort : les injures, les avanies, les calomnies, le rejet. De retour d’URSS, Istrati en effet témoigne. Ce sera « Vers l’autre flamme ». Sa vie n’est plus qu’une suite de souffrances. Il est attaqué par les communistes, accusé de trahison, de mensonges, mais aussi poursuivi comme révolutionnaire dans des pays de plus en plus autoritaires, refoulé d’Egypte, emprisonné à Trieste par les fascistes italiens, abandonné par Romain Rolland... Les violences idéologiques se déchaînent, il semble qu’il n’y ait plus guère d’espoir pour l’homme. Et c’est traqué, miné par la tuberculose que Panaït Istrati disparaît.

Qui était Panaït Istrati ?

Les types de personnages dans les récits de Panaït Istrati

Les chardons du Baragan

Le Bureau de placement

La Maison Thüringer

Les récits d’Adrien Zograffi - Kyra-Kyralina

Les récits d’Adrien Zograffi - Présentation de Haïdoucs

Un extrait de Kir Nicolas :

« – Alors, tu ne crois pas en la patrie, Kir Nicolas ? demandait Adrien.
 Mais si, pédakimou (mon petit enfant), j’y crois : la nuit, quand je travaille seul. Je me rappelle que je suis ici un « sale Albanais ». Alors je pense aux belles montagnes où je suis né et où j’ai passé une enfance douce et paisible… Et dans ces moments-là, je chante, ou je pleure ; mais jamais l’envie ne me prend d’égorger un homme en pensant à ma patrie. »

« Ainsi, isolé du monde, enveloppé par le ténèbres, Kir Nicolas redevenait chaque nuit l’homme-nature tel que les montagnes d’Albanie l’avaient créé, tel qu’il avait été avant d’être offensé par les hommes et mis à genoux par la vie.
[…] Il était alors beau à voir. »

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