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Qu’est-ce qu’être militant révolutionnaire, y compris quand la révolution n’est pas encore là ?

samedi 2 mars 2013, par Robert Paris

Qu’est-ce qu’être militant révolutionnaire, y compris quand la révolution n’est pas encore là ?

Qu’est-ce qu’un militant révolutionnaire ?

La société n’évolue pas « lentement et surement » ni linéairement ni encore de manière régulière ou prédictible. Que ce soit de manière positive ou négative, elle change rarement et par bonds. Ces sauts de l’Histoire, la vie régulière des périodes calmes n’y prépare absolument pas. Il faut une boussole particulière pour s’y repérer, le marxisme. Mais le militant révolutionnaire n’est ni enseignant du marxisme, ni curé qui prêche la révolution, ni prophète du communisme. C’est un chercheur de vérité dans un domaine social et historique où cette vérité est d’autant plus cachée que la vie sociale de tous les jours la rend encore moins visible.

L’autre point concerne le fait que la révolution est situation d’exception. Dans la société, certaines personnes se sont spécialisées dans les grandes catastrophes, les changements brutaux, les éruptions volcaniques, les tremblements de terre, les tsunamis, les crises systémiques, les renversements politiques et sociaux. Le plus souvent ils travaillent pour la classe exploiteuse. Les autres sont les militants révolutionnaires…

Faisons un parallèle qui a ses limites

Je les comparerais volontiers au médecin, même si aucune comparaison n’est tout à fait valable évidemment.

Du moins, ma comparaison soulignera les points suivants :

 on consulte un médecin parce qu’on pense qu’il a étudié les maladies et que nous ne nous en sommes pas préoccupés tant que nous ne l’avons pas attrapée. (Conséquence : un militant révolutionnaire qui n’a pas étudié n’en est pas un, il en a seulement eu la velléité. Etudier ne signifie pas seulement avoir quelques lectures sur le sujet mais rester sans cesse préoccupé de suivre les thèmes de discussion, les progrès, les débats sur le sujet, continuer à faire avancer la compréhension du thème.

 on le consulte parce que la maladie est une situation exceptionnelle à laquelle nous ne sommes pas préparés et que lui est censé avoir été en situation de se trouver face à elle et d’avoir analysé les résultats devant diverses réponses. (S’il ne l’a pas fait c’est un charlatan – cas fréquent en politique, y compris à l’extrême gauche et souvent de très bonne foi…)

 on le consulte, on lui demande ce qu’il propose mais ce n’est pas lui qui décide. (Que de militant estiment qu’ils peuvent vraiment décider à la place car les travailleurs sont tellement passifs et ignorants….)

 le médecin peut estimer que le malade refuse absolument d’être tenu au courant du nom de sa maladie mais cela ne l’amène pas à changer le type de médicaments qu’il lui fournit. Impossible au révolutionnaire de prétendre qu’il ne peut pas défendre une politique radicale car les masses ne le seraient pas encore.

 la maladie peut être assimilée aux conditions dites objectives. La crise sociale peut être comparée à une maladie grave ou brutale. L’état d’esprit du malade sera comparée à la prise de conscience des masses. Le rôle du médecin ne peut pas être de partir de l’état d’esprit du malade. Il part forcément de la maladie, étudiée objectivement. De même, le militant révolutionnaire, même si les masses n’en sont pas là, doit se poser la question des conditions objectives sans se laisser arrêter par les conditions subjectives.

Si la crise de la société pose le problème révolutionnaire, il ne doit pas se dire que c’est l’état d’esprit des masses qui compte.

Etre capable d’analyser les conditions objectives de la société n’est pas évident. On est tellement habitués à penser qu’il n’y a rien de neuf, qu’on n’est pas surpris.

Pourtant, la démarche scientifique, indispensable à l’étude des conditions objectives, est tout autre. Elle consiste au contraire à chercher par quoi la situation nous surprend… C’est ce qui est étonnant qui guide la recherche de situations particulières et non ce qui est toujours pareil.

Le militant habitué à se contenter de la dénonciation : « c’est la faute du capitalisme », passera à côté du changement. Il y a du neuf dans la domination capitaliste quand le système n’est plus capable lui-même de se faire fonctionner. Ce n’est pas l’état d’esprit des masses, un peu en retard, qui le lui dira.

Les crises graves proviennent des incapacités objectives des classes dirigeantes et pas du mécontentement des travailleurs. Plus exactement celui-ci fait partie du système et n’en fait sortir que lorsqu’en interne la classe dirigeante n’est plus capable de faire marcher le système.

Celui qui se contente de participer aux luttes sociales telles qu’elles se déroulent sans réfléchir à de telles conditions exceptionnelles – quand les classes dirigeantes ne peuvent plus… - ne s’y prépare nullement et entraîne ceux qui lui font confiance dans le mur avec éventuellement toute la bonne foi des militants syndicalistes, associatifs, démocratiques et des révolutionnaires activistes, inconséquents ou opportunistes…

Alors qu’appelons nous le militant révolutionnaire ?

Etre révolutionnaire, c’est, comme Victor Hugo, celui qui défend la Commune même quand elle est vaincue et pourchassée, qui exalte l’homme des barricades même quand elles ont été écrasées, qui se sent plus proche du bagnard que du patron, de la prostituée que de la grande bourgeoise.

Etre révolutionnaire, c’est, comme Auguste Blanqui, proclamer qu’on est fier d’être un prolétaire même si on est un intellectuel. Et pas dire qu’on fier d’être est un enseignant d’économie comme Artaud de Lutte ouvrière ou affirmer qu’on est « ouvrier candidat et pas candidat ouvrier » comme Besancenot du NPA, c’est-à-dire considérer qu’ouvrier est une catégorie sociale et pas un drapeau politique… Pour le révolutionnaire, prolétaire n’est pas une catégorie sociologique mais un drapeau social et politique...

Etre révolutionnaire, c’est, comme Karl Liebnecht, proclamer la guerre à la bourgeoisie même quand les peuples et les travailleurs sont surtout en guerre avec le peuple voisin, sans se préoccuper de tous ceux qui prétendent qu’il ne sert à rien d’être à contre-courant. Contre le courant, rappelons-le était le nom du journal de Lénine pendant la guerre. Le révolutionnaire ne craint ni d’être isolé ni même d’être seul. Les plus grandes idées de Marx, Lénine ou Trotsky leur sont venues quand ils étaient extrêmement seuls et n’avaient même pas vraiment d’organisation… Ne peuvent pas être révolutionnaires ceux qui craignent d’être isolés, d’être seuls, d’être peu nombreux et qui ne peuvent diffuser que des idées qui devraient plaire aux masses…

Etre révolutionnaire, c’est, comme le philosophe Hegel, penser en termes d’une philosophie du changement brutal, la dialectique, même si nous vivons tous dans le mode de conservation et avons tous besoin de stabilité dans notre existence. Hegel était conservateur quand il pensait en termes sociaux et politiques mais son mode de pensée était révolutionnaire et il nous est toujours indispensable. Penser sans Hegel, sans sa dialectique, c’est se condamner à raisonner sans la dynamique des faits sociaux et politiques et ne rien comprendre aux périodes de crises qui sont l’image même de la contradiction dialectique. Même la compréhension de ce qu’est la classe ouvrière, contradiction interne, fondamentale et indispensable, du système capitaliste, est impossible sans une philosophie dialectique.

Etre révolutionnaire, c’est, comme Socrate, questionner le monde et ne pas se contenter des catalogues de réponses, ne pas étudier pour enseigner mais pour permettre à chacun de poser ses propres questions à la réalité. Ce sont les questions qui sont révolutionnaires et pas les réponses ni les solutions ! Ce qui dévoile les ressorts cachés de la société, ce sont encore les questions. Ainsi, comprendre ce qu’était la société de l’Apartheid sud-africain, c’est l’interroger : comment est-il possible que le chef de l’Etat qui l’organisait et chef du Parti National qui l’avait mis en place ait pu, dans certaines circonstances, choisir de sortir le leader anti-apartheid de sa prison à vie pour le placer à la présidence du pays en accordant le droit de vote aux Noirs ? Comprendre le monde actuel, c’est interroger : comment se fait-il que dans toutes les crises du capitalisme des banques et des trusts aient pu faire faillite et que le système ait toujours prétendu que la « libre entreprise capitaliste », c’était cela et qu’aujourd’hui tous les Etats du monde empêchent à coups de sommes colossales des banques centrales ces mêmes trusts et banques de faire faillite ? Comment se fait-il que le capitalisme ait toujours été le système d’investissement productif des capitaux privés dans l’exploitation de la plus-value extraite du travail humain et qu’aujourd’hui les capitaux privés, pourtant en masse plus considérable que jamais, se détournent de ces investissements, contraignant les Etats à les remplacer au point qu’aucune grande entreprise ne fonctionnerait aujourd’hui sans l’aide des Etats alors qu’on prétend toujours que l’on est dans une économie des propriétaires privés de capitaux ? Oui, ce sont les questions qui dévoilent les idées reçues et les illusions…

Etre révolutionnaire, c’est continuer, comme Lénine, à penser que même si les prolétaires s’entredéchirent dans des guerres comme en 1914, ils restent la force révolutionnaire dont la société capitaliste craint les éruptions volcaniques. Les pires errements nationalistes ne sont jamais très loin de offensives les plus conscientes et novatrices du prolétariat.

Etre révolutionnaire, c’est, comme Marx au moment de la Commune de Paris de 1871, se mettre à l’école des grandes avancées des masses et pas se prendre pour leur professeur mais pas se mettre à la remorque de ces mêmes masses par exemple lors des poussées réformistes comme le trade-unionisme anglais dont il a vécu les débuts.

Etre révolutionnaire, c’est défendre comme Trotsky que l’Histoire ne suit pas un cours rectiligne et uniforme, sans discontinuités, mais, au contraire, un développement inégal et combiné qui développe les contradictions jusqu’à leur terme, leur plus haut degré étant en même temps l’ultime et les structures apparemment les plus rigides étant les plus faibles finalement car celles qui explosent le mieux.

Etre révolutionnaire, c’est penser comme Rosa Luxemburg que le plus engagé des révolutionnaire est un poète qui s’émeut d’un pinson au printemps et d’un buffle qui souffre…

Etre révolutionnaire, c’est, comme Einstein, avoir une idée que la nature obéit certainement à une loi, mais que cette loi apparait absolument folle à notre pauvre pensée rationaliste…

Et être révolutionnaire, ce n’est surtout pas…

 prétendre que le rôle du groupe politique serait de soutenir les luttes des travailleurs alors que la force des travailleurs, s’ils le veulent, est infiniment supérieure à la force de tout groupe politique ou syndical.

 prétendre qu’on a les réponses (aux problèmes sociaux ou politiques) quand on n’a même pas fait son travail de poser aux travailleurs les questions et les choix que la situation pose…

 affirmer que l’on sait que les travailleurs n’en sont pas au stade de se poser tel ou tel problème alors que poser tous les problèmes que la situation impose est la seule chose à faire, charge aux travailleurs de prendre en mains la situation ou de se défausser.

 en somme décider à la place des travailleurs, s’organiser en se passant d’eux, décider de leurs revendications, écrire leurs tracts sans chercher à combattre pour qu’ils parlent, qu’ils écrivent, qu’ils s’organisent.

 se voir comme quelqu’un qui aide la classe ouvrière comme si celle-ci avait besoin d’être considérée comme une assistée, devait être prise en mains pas ses avocats, ses enseignants, ses encadreurs, ses chefs….

 en participant aux organismes réformistes qui encadrent les travailleurs, semer des illusions sur leur rôle et leur intérêt et cacher à quel point ces institutions servent les classes dirigeantes et sont bien plus qu’à double tranchant…

 jouer au « un jour viendra », en opposant les luttes d’aujourd’hui et les luttes de demain, pour dire aux travailleurs qu’aujourd’hui il faut suivre les appareils syndicaux et que demain il en sera autrement si les luttes montent. C’est faux : celui qui n’a appris qu’à suivre les appareils syndicaux dans les petites luttes continuera à le faire dans les grandes…

 faire du suivisme vis-à-vis du niveau de conscience, de mobilisation et d’organisation prétendus des masses en faisant de ce niveau prétendu le seul critère de la politique à mener alors que le point de départ d’une politique révolutionnaire est toujours dans les conditions objectives de la domination des classes dirigeantes qui n’est pas fondée sur l’état d’esprit des exploités.

 transformer la nécessité du parti révolutionnaire en nécessité de défendre les intérêts d’un groupe politique.

 faire des compromis sur le fond, sur les principes théoriques, sur les bases programmatiques, sur les choix politiques soi-disant pour tenir compte du niveau des masses de manière pragmatique.

 se lier tellement aux militants réformistes de la classe ouvrière que l’on les confond avec la classe elle-même.

 ne se lier qu’aux couches « les plus élevées » du prolétariat, élevées au sens de la société bourgeoise c’est-à-dire les plus stables, les plus éduquées et les plus aisées, pour fonder son travail dans la classe ouvrière.

 oublier que le premier travail, celui dont on ne peut se passer, même quand la situation est tout ce qu’il y a de plus défavorable, est le travail théorique. Sans travail théorique pas de parti révolutionnaire mais en même temps pas de travail théorique possible si on abandonne le travail pratique et en particulier le travail au sein de la classe exploitée.

 attendre de ses prises de position une quelconque approbation ou reconnaissance, que ce soit celle des autres militants, de son groupe, de son parti, ou des travailleurs et de l’opinion populaire. Le militant révolutionnaire ne fonde aucun de ses choix sur ces critères démagogiques. Ce n’est pas parce que nos idées ne seraient pas au goût de l’heure qu’elles seraient fausses… La plupart du temps, les travailleurs ne sont pas révolutionnaires et ne sont pas bons juges de la validité de nos idées, même si elles s’adressent particulièrement à eux. Elles tentent de préparer l’avenir…

 prétendre que former un jeune militant révolutionnaire, c’est l’amener à « défendre le point de vue du groupe ». On ne milite qu’en défendant ses propres idées, à l’intérieur comme à l’extérieur. On n’a pas à défendre vers l’extérieur ce dont on n’est pas vraiment convaincu. Cela n’a jamais formé personne de diffuser la « pensée du groupe ». D’ailleurs, ce genre de chose n’existe pas.

 penser en se cachant derrière son organisation n’est pas penser en révolutionnaire.

 croire que ce sont les directions politiques qui décident des idées qui sont révolutionnaires et celles qui ne le sont pas et décident aussi des individus qui sont de révolutionnaires et de ceux qui ne sont pas. Non, les groupes ont parfaitement le droit de militer avec qui ils veulent, et de refuser de militer avec qui ils ne veulent pas. Ce n’est pas cela qui empêche ceux qui sont en dehors des groupes ou des partis d’être ou pas des militants révolutionnaires. Tant pis pour tous les Hardy du monde qui pensent qu’on n’est militant révolutionnaire qu’au sein et en fonction d’une organisation. Ces étatistes pensent qu’on n’est scientifique qu’au sein de l’institution et qu’on n’étudie qu’au sein de l’université. C’est le même type de logique qui place l’organisation au dessus des êtres humains… Et ce n’était nullement la logique de Marx, Lénine ou Trotsky malgré les staliniens et certains trotskystes !

Pourquoi ne pas attendre la révolution pour choisir d’être révolutionnaire ?

Le système capitaliste entre dans une phase des révolutions et des contre-révolutions. Cela ne veut pas dire qu’il soit plus simple de devenir militant révolutionnaire ni de comprendre les situations et les perspectives. Le monde peut être amené à vivre des moments très durs et perturbants, y compris pour les révolutionnaires. Jamais cela n’aura eu autant d’importance d’étudier les possibilités de changements brutaux. Le moment où l’existence de militants révolutionnaires préparés à des situations d’exception approche et il est d’autant plus important de comprendre qui ils sont et à quoi ils devraient se préparer.

Il est courant de penser que les révolutionnaires prêchent la révolution, font de la propagande pour le communisme et contre le capitalisme. Certains militants croient même que c’est cela l’activité révolutionnaire et d’autres penchent plutôt pour « l’action concrète », c’est-à-dire malheureusement essentiellement les syndicats et la participation aux élections, en plus bien entendu du recrutement et de la formation de nouveaux militants. A mon avis, tout cela n’est nullement le rôle et l’importance des militants révolutionnaires.

Il convient effectivement de se demander à quoi peuvent bien servir des militants révolutionnaires si on n’est pas en pleine explosion sociale menant à la révolution et éventuellement à la prise de pouvoir des travailleurs.

La raison principale est la suivante : les situations classiques ne préparent quasiment pas les exploités au rôle qui est le leur en période révolutionnaire. Les situations de calme social et politique diffèrent fondamentalement des situations explosives sur un point essentiel : en temps normal, les masses ne font que peu ou pas de politique, ne décident de quasiment rien, ne se réunissent pas pour décider, ne tranchent pas entre les différents points de vue. Les élections politiques (dans le cadre démocratique bourgeois) ou professionnelles (dans les syndicats) ne sont qu’illusion de participation aux décisions. La direction de la société bourgeoise comme celle des appareils syndicaux ne dépend pas d’une élection par les travailleurs. Les masses ne décident de rien dans la démocratie bourgeoise et ne sont, sous aucune forme, organisées pour prendre des décisions. Elles en ont tellement peu l’habitude que, généralement, cela ne semble pas leur manquer. Elles se contentent le plus souvent de maugréer et répéter qu’ils sont tous pourris et qu’on s’est encore fait avoir… Pourtant, il existe des situations d’exception où les masses non seulement font de la politique mais où c’est elles qui la déterminent et ce sont justement les situations des tournants les plus cruciaux de l’histoire de la société humaine….

Il n’est d’ailleurs pas besoin d’attendre le « grand jour ». Dès que cela bouge, même dans une petite grève localisée, du moment que c’est véritablement un mouvement voulu par les travailleurs, il y a un débordement des appareils, syndicaux comme politiques, y compris les groupes d’extrême gauche… Les travailleurs peuvent alors faire l’expérience de l’auto-organisation, la seule manière de se préparer au rôle de direction de leur propre classe comme de toute la société, rôle auquel la vie sociale ne les prépare nullement.

Les mouvements sociaux sont des occasions pour ce type d’expérience mais ce n’est nullement une fatalité car les appareils agissent autant qu’ils peuvent pour les en empêcher : dictature des appareils, constitution de faux comités entièrement manipulés par des appareils, attaques contre ceux qui cherchent à mettre en place des comités autonomes, etc…

Et l’auto-organisation est loin d’être le seul élément indispensable aux exploités dans les luttes explosives. Il leur faut aussi l’expérience du passé car c’est le seul moyen de savoir comment les travailleurs peuvent être trompés ou comment ils peuvent gagner, qui sont les adversaires, qui sont les alliés potentiels, quels sont les moyens de renforcer le rapport de forces et quels sont les pièges. Cette connaissance du passé de la société, celle-ci ne la délivre nullement du point de vue des exploités. Elle délivre même des messages inverses à l’aide de la plupart de ses organisations dont le gouvernement, les média, l’école, les syndicats, les partis réformistes et les partis opportunistes, etc…

Un autre point est à souligner, les crises sociales et politiques sont des périodes qui ne fonctionnent pas du tout comme les périodes habituelles. Tout est bouleversé. Tout est sens dessus dessous. Ceux qui ne bougeaient pas le font. Ceux qui se taisaient parlent. Les rapports de force changent. Les consciences sont plus lentes que les événements, celles des individus comme celles des groupes sociaux.

Il importe d’autant plus de s’être doté par avance de moyens d’analyse, de méthodes de réflexion, de boussoles pour se repérer dans les événements et, de préférence, ne pas avoir compris les enjeux, les problèmes, les réponses possibles, quand il est trop tard….

C’est le but de la formation que devraient se donner les militants révolutionnaires. Pour cela, il ne se contentent pas de lire des ouvrages sur le passé, ils doivent confronter leurs connaissance du passé avec des analyses pour vérifier la validité de leurs raisonnements et prises de position et aller à la recherche d’erreurs possibles de conceptions et de prises de position. Ils ne doivent rien tenir pour définitivement acquis qui n’ait été passé au crible de ces vérifications, le plus collectives et contradictoires possibles.

L’étude n’est pas tout. Il faut que l’activité pratique de ces militants soit en conformité avec les buts proclamés. Il ne sert à rien de se prétendre militant révolutionnaire si on ne cherche pas systématiquement que les travailleurs dirigent leurs propres luttes, si on sème des illusions sur ce que pourrait ou devrait faire l’Etat alors qu’on sait très bien théoriquement qu’il est exclusivement au service des classes dirigeantes, si on cache des vérités, si on fait passer des ennemis pour des amis ou des alliés, si on fait croire que des défaites sont des victoires partielles, etc, etc… Il ne sert à rien de se dire socialiste si on traite les opprimés comme des mineurs qui ne sont pas capables de décider. Il ne sert à rien de se révolutionnaire si on est intégré aux institutions de la société. Il ne sert à rien de se dire communiste si on se comporte comme un tyran, que ce soit dans son organisation ou dans sa vie. Tout cela n’est malheureusement pas exceptionnel…

Le révolutionnaire ne fait pas de morale, il ne prêche ni la révolution, ni le communisme, ni le combat. Il ne dit pas aux travailleurs (ni à d’autres) ce qu’ils doivent faire de leur vie ou dans leur vie. Il ne prétend pas savoir ce qui est bon pour les autres. Non, le militant révolutionnaire a de tout autres tâches.

Etre ou ne pas être… révolutionnaire

La vie sociale, la psychologie individuelle et collective produisent des individus qui sont révolutionnaires parmi une majorité qui ne l’est pas. Cela ne signifie pas que les uns soient en rien supérieurs aux autres, ni moralement, ni intellectuellement, ni socialement. On trouve autant de gens qui comprennent des choses, qui se solidarisent, qui sont actifs et sympathiques chez les uns que chez les autres. La seule particularité des révolutionnaires est que sans militants formés aucune révolution sociale allant jusqu’à son terme n’est possible. C’est aussi simple que de dire qu’aucune opération chirurgicale complexe n’est possible sans chirurgien formé, pour reprendre le parallèle médical commencé plus haut…

Mais cela n’efface en rien qu’aucune révolution sociale important n’est possible sans l’initiative politique et sociale de larges masses qui n’ont, pour la plupart, jamais milité chez les révolutionnaires. Il ne faut pas non plus l’oublier pour cultiver les seuls mérites du parti…

Si les militants révolutionnaires étudient les conditions nécessaires de la libération de l’humanité de toute exploitation et de toute oppression, cela ne signifient pas qu’ils soient censés dicter le mode de fonctionnement du monde qui sortira de grands mouvements sociaux. Ils ne seront même pas nécessairement mieux habilités à en décider que la moyenne des prolétaires et des milieux populaires. Ce n’est pas au fonctionnement de la société future sans classes qu’ils ont dédié leur activité de réflexion mais à la réussite de la révolution sociale et d’abord à la compréhension de la société actuelle.

Car comprendre le monde dans lequel on vit n’a rien d’une évidence. Il ne suffit pas d’y vivre ni de l’observer pour le comprendre…Pas plus qu’il n’est évident d’y voir le développement de fractures qui vont lézarder et détruire un édifice au départ apparemment éternel. La classe ouvrière est l’élément contradictoire du système et comme tel, elle fait partie intégrante du système capitaliste. Cela signifie qu’elle est elle-même contradictoire dans ses buts et ses aspirations, dans ses réactions et ses actions.

La société nouvelle sortira de millions de cœurs et de millions de cerveaux et pas seulement de ceux des groupes ou partis révolutionnaires, aussi avancés soient-ils. Les militants révolutionnaires, lorsque des millions d’hommes considéreront qu’ils ont à prendre la tête de la société, ne seront nullement des maîtres, des chefs, et ils n’auront aucune raison de diriger qui que ce soit. Le parti révolutionnaire n’est pas une formation d’un appareil d’Etat à la manière du parti bourgeois, du parti nationaliste. Ce n’est même pas une formation du type de l’appareil syndical. Il n’est pas vrai que le groupe vise nécessairement l’uniformisation de ses membres. Il n’est pas vrai qu’il vise à ce que tout le groupe soit comme une armée. Les étatistes ont gouverné certains groupes révolutionnaires mais le révolutionnaire marxiste n’est pas un étatiste…Les organisations révolutionnaires ne sont pas des prisons de la pensée ni de l’action ! N’en déplaise à tous ceux qui rêvent d’être des chefs… Penser cela n’est pas être anarchiste. L’anarchisme discute de tout autre chose, de la nécessité ou pas d’une transition dans laquelle le prolétariat organisera sa dictature. Cela n’a rien à voir…. Contrairement aux mythes persistants, le parti bolchevik n’a jamais été la dictature d’un individu ni d’un groupe de direction. Dans tous les moments clefs, ce parti a été en majorité opposé à Lénine qui a dû batailler ferme pour regagner une majorité. Trotsky n’a pas davantage dicté sa loi dans les groupes trotskystes qui, d’ailleurs, vivaient tellement leur vie sans lui qu’ils dérivaient bien souvent très loin de ses orientations….

Ceux qui se polarisent sur la nécessité du parti, sur la nécessité de la direction, sur la nécessité du programme n’aident pas à leur permettre de se développer car ce développement ne sort pas d’incantations et d’appels religieux à la pluie. Il est certain qu’une tâche importante du prolétariat, celle qu’il néglige spontanément comme le rappelle Lénine dans « Que faire », est la construction de son organisation politique révolutionnaire. Il est certain que les militants révolutionnaires doivent, dès que c’est possible, s’attacher à sa construction. Cependant, ce n’est pas toujours possible et faire semblant n’est jamais souhaitable…. L’autoproclamation en ce domaine est plus fréquente que la réalité de la construction. Les directions révolutionnaires sont moins fréquentes que les autoproclamations de chefs qui ne commandent à rien ni à personne et qui sont tellement polarisés sur le but de commander à leurs militants (ou à des syndicats) qu’ils en oublieraient de réfléchir à la réalité politique et sociale à laquelle ils prétendent donner un tour nouveau…

Inutile de rappeler que ces directions n’ont pas la baguette magique pour transformer leurs activistes en militants révolutionnaires ni de décréter qui l’est et qui ne l’est pas. « Hors du groupe ou du parti, point de salut » n’est pas une devise révolutionnaire. « Sans syndicat pas de classe ouvrière », n’est pas davantage un slogan révolutionnaire.

Inutile aussi de rappeler que ces quelques préceptes n’ont pas non plus de valeur absolue ou éternelle et ne valent qu’en négatif, plus pour éradiquer de fausses images que pour dire au futurs militants révolutionnaires ni ce qu’ils doivent penser, ni ce qu’ils doivent faire. Et encore moins pour aider celui qui cherche sa voie de décider s’il veut ou non devenir un révolutionnaire. Nous ne prétendons nullement donner des critères pour ce type de décision personnelle, pour ce type de choix d’existence.

Pas plus que quelques règles sur la peinture ou la poésie ne sauraient dire à quelqu’un qu’il va devenir peintre ou poète ni quel type de peinture ou de poésie il devrait produire…

Comme être peintre ou être poète, être révolutionnaire, c’est une nécessité intérieure liée à bien des choses, collectives comme individuelles et cela ne se décrète pas.

Les idées révolutionnaires s’étudient comme celui qui a décidé d’être peintre ou poète étudiera aussi son domaine et se perfectionnera. Mais l’activité et la formation ne suffiraient pas là où le cœur et l’engagement n’y sont pas…

Bon courage en tout cas…

La vieille société a fait son temps et le travail pour en bâtir une autre offre plein de boulot et de plaisir…

la suite

Messages

  • "Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l’ordre social passé."

    Le Manifeste communiste

    Marx et Engels

  • Salut Robert en encore merci pour cet article intéressant.

    Quand tu dis "Si la crise de la société pose le problème révolutionnaire, il ne doit pas se dire que c’est l’état d’esprit des masses qui compte."

    Le révolutionnaire ne doit pas non plus "se dire que c’est l’état d’esprit des masse qui compte" lorsque le système se porte bien puisque ce n’est pas la crise qu’il combat mais bien l’exploitation bourgeoise nan ?

    • En écrivant :

      Si la crise de la société pose le problème révolutionnaire, il ne doit pas se dire que c’est l’état d’esprit des masses qui compte.

      je pense effectivement avoir pesé le propos et il est problématique d’après ce que tu écris.

      Cela montre à quel point dans les milieux militants l’activisme a remplacé le point de vue de mettre en premier les "conditions objectives" c’est-à-dire le niveau de la crise de la domination de classe en prenant comme élément premier le moral de la classe exploitée, ce qui est un point de vue subjectiviste propre aux syndicalistes qui affirment que tout dépend de "la mobilisation" étant entendu qu’ils se chargent eux de mobiliser les travailleurs. la gauche de la gauche syndicale a repris cet objectif de "remonter le moral des travailleurs et les mobiliser"... C’est un faux objectif. la classe ouvrière n’a pas besoin de ces mobilisateurs en chef ni de cet encadrement là. Elle a besoin de connaître la situation objective, les conditions de son combat c’est-à-dire l’état et les problèmes des classes dirigeantes. Elle n’a pas besoin de chefs qui lui disent "ce n’est pas juste, les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent." Par contre, l’analyse de l’état de la domination de classe, les travailleurs ne peuvent s’en passer et ils ne peuvent pas la faire eux-mêmes. Au médecin on demande un diagnostic et pas de leçons de morale ni de nous donner des ordres sur ce que l’on doit faire. Seulement nous expliquer les alternatives : si on fait on risque ceci, si on ne fait rien on risque cela.

      Le révolutionnaire prolétarien combat fermement quiconque transforme la classe révolutionnaire en assistés qui ont besoin d’avocats syndicaux qui iront négocier son sort à sa place. Il n’y a pas de parti ni de groupe révolutionnaire dont les membres ne soient pas profondément convaincus de la force extraordinaire de changement social de la classe elle même dans des circonstances révolutionnaires. Dans les autres circonstances, nous ne prétendons pas que le prolétariat soit nécessairement une classe aussi extraordinaire et nous ne prétendons pas qu’elle choisisse les révolutionnaires pour la diriger. Mais des circonstances relativement et localement extraordinaires peuvent se produire même dans une grève très localisée sur des objectifs très peu radicaux.

      Bien sûr, nous ne combattons pas la crise du capitalisme mais notre combat se situe différemment dans une situation où la classe dirigeante est déstabilisée que dans une où elle a plein de belles perspectives devant elles. Si on ne raisonne pas ainsi on croit que la révolution peut se dérouler n’importe quand du moment que les gens sont en colère. C’est être un révolté et pas un révolutionnaire.

      Ce qui ne change pas, quelles que soient les circonstances, si on est révolutionnaire, c’est notre volonté que les travailleurs s’organisent par eux-mêmes en comités de salariés en lutte. Les objectifs, les moyens, les buts, le programme dépendent directement des conditions objectives, c’est-à-dire de l’état de la domination de classe...

  • Ce que Karl Marx résume ainsi :

    "À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale."

    La révolution sociale ne s’ouvre que quand les rapports de production bloquent tout développement des forces productives et pas quand les exploités sont en colère.

  • Toujours dans la "Critique de l’économie politique", Marx rajoute :

    « Lorsqu’on considère de tels bouleversements, il faut toujours distin­guer entre le bouleversement matériel - qu’on peut constater d’une manière scientifiquement rigoureuse - des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu’au bout. Pas plus qu’on ne juge un individu sur l’idée qu’il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de boule­ver­se­ment sur sa conscience de soi ; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives socia­les et les rapports de production. Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s’y substituent avant que les conditions d’existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. C’est pourquoi l’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle peut résoudre, car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours, que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir. »

  • cher Thomas, je ne sais pas si je me fais bien comprendre. Le problème n’a rien de théorique. C’est très concret. Cela signifie qu’une combat mené sans en connaître les enjeux peut être perdu quand on croit avoir fait ce qu’il fallait pour le gagner.

    Par exemple, les travailleurs en 1936 en France ont pu croire avoir tout bine fait. Ils ne savaient pas quels étaient les vrais enjeux, non pas pour eux mais pour les classes dirigeantes. Ils croyaient mener une action revendicative économique et l’avoir gagné alors que c’était un des derniers affrontements avant guerre mondiale et fascismes...

    De même, les salariés de PSA Aulnay, ont cru qu’il se battaient contre la famille Peugeot, qu’ils étaient un cas à part. En fait c’était seulement le signe annonciateur d’une vague générale de licenciements dans tous le secteurs de production. Ou, dès le départ, les ouvriers démontraient leur décision de mettre tous les salariés dans le coup quitte à se fâcher avec les centrales syndicales ou ils tombaient dans le piège, ce qu’ils ont fait...

    Ne pas comprendre ce qui arrive aujourd’hui au capitalisme, c’est ne pas comprendre les conditions dans lesquelles on doit se battre et être irrémédiablement perdus !

  • Le régime capitaliste a été un temps une avancée par rapport à la société médiévale et il a même été lui-même révolutionnaire par rapport à la société marchande. Sans exploitation capitaliste, avec accumulation plus grande que jamais de la plus-value, pas de possibilité d’accéder à un niveau technique important, pas de possibilité d’une société d’abondance. Ce qui rendait inévitable les sociétés d’exploitation, c’est l’impossibilité, même en partageant la richesse des classes dirigeantes, de donner le bien être à tous. C’est là que les conditions d’existence objectives sont déterminantes. Là que Spartacus ne pouvait mener au socialisme.

    L’exploitation est à combattre en soi mais dans quelles conditions peut-on réellement la supprimer ? En supprimant sa nécessité.

    La véritable liberté des esclaves - et nous en sommes toujours grâce à la chaîne de l’argent - est de supprimer la nécessité de tout esclavage, de toute forme d’exploitation de l’homme par l’homme... C’est accéder au bien être pour tous sans exploitation. Le niveau des capacités de la société est l’ouverture de cette possibilité. En même temps, la société capitaliste se voit dépassée par ses capacités. Ne pouvant y faire face, elle se dépérit de l’intérieur, produisant elle-même les conditions de sa révolution. C’est ce qui se passe sous nos yeux avec le retrait massif des capitaux privés de la sphère productive qui était pourtant la base de sa production de plus value...

    Bien entendu, la révolte n’attend pas la crise de la domination de la classe capitaliste et le fait de choisir d’être révolutionnaire non plus mais la révolution sociale doit attendre...

  • « Lors d’une révolution, quand explose en une volcanique éruption la lente et incessante accumulation des siècles, les gerbes d’étincelles et autres trajectoires météoriques qui survolent la scène forment un chaos dénué de sens, et se prêtent à d’infinis caprices d’interprétations, à tous les romantismes, si l’observateur cesse de les prendre pour autre chose que ce qu’elles sont : les projections du sous-sol dont elles proviennent. »

    C.L.R. James, dans Les Jacobins noirs

  • « Savoir trouver, pressentir, déterminer exactement la voie concrète ou le tour spécial des événements, qui conduira les masses vers la grande lutte révolutionnaire véritable, décisive et finale : tel est le principal objet du communisme actuel en Europe occidentale et en Amérique. »

    Lénine, La maladie infantile du communisme

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