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Devant une nouvelle guerre mondiale

dimanche 10 mars 2013, par Robert Paris

Devant une nouvelle guerre mondiale

de Léon Trotsky – août 1937

Tous les jours, les journaux scrutent l’horizon, y cherchant flammes et fumée. Or, si l’on voulait énumérer les foyers de guerre éventuels, un manuel complet de géographie serait nécessaire. Au demeurant, les antagonismes internationaux sont si complexes et si embrouillés que personne ne peut prédire avec certitude non seulement sur quel point la guerre éclatera mais encore comment se grouperont les parties belligérantes. On se battra, mais qui se battre contre qui, nul ne le sait. (…)

Il n’y a pas très longtemps, les pacifistes de toutes nuances croyaient ou faisaient semblant de croire qu’avec l’aide de la Société des Nations, des congrès de parade, des referendums et autres mises en scène théâtrales (dont la plupart étaient financées par le budget de l’URSS) on pouvait écarter une nouvelle guerre. Que reste-t-il de ces illusions ? Sur sept grandes puissances, trois – les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne – sont en dehors de la Société des nations, et la quatrième, l’Italie, la démolit de l’intérieur. (…)

Ne peut-on attendre cependant que la résistance au danger de guerre vienne d’en bas, des masses ouvrières, sous forme de grèves générales, d’insurrections, de révolutions ? Théoriquement, cela n’est pas impossible. Néanmoins, si l’on ne prend pas ses désirs ou ses craintes pour des réalités, il faut reconnaître que cette perspective est peu probable. Les masses travailleuses du monde entier se trouvent aujourd’hui sous le joug des effroyables défaites qu’elles ont subies en Italie, en Pologne, en Chine, en Allemagne, en Autriche, en Espagne, dans une certaine mesure en France et dans plusieurs petits pays. Les anciennes internationales, que ce soit la deuxième, la troisième ou la Fédération syndicale internationale, sont étroitement liées aux gouvernements démocratiques et participent à la préparation de la guerre « contre le fascisme ». Il est vrai qu’à l’égard de l’Allemagne, de l’Italie, du Japon, les social-démocrates comme les communistes sont défaitistes ; mais cela revient à dire qu’ils ne combattent la guerre que dans les pays où ils n’ont aucune influence. Pour se soulever contre le militarisme, les masses devraient au préalable rejeter la tutelle des Internationales officielles. Ce n’est pas un problème facile. Il ne sera résolu ni en un jour, ni en un mois. De toute façon, aujourd’hui, le réveil politique du prolétariat s’accomplit avec plus de lenteur que la préparation d’une autre guerre.

Pour justifier leur politique militariste et chauvine, la Deuxième et la Troisième Internationales répandent l’idée qu’une nouvelle guerre aurait prétendument pour mission de défendre la liberté et la civilisation contre les agresseurs fascistes. Il y aurait d’un côté, les pays « pacifiques » ayant à leur tête les grandes démocraties de l’ancien et du nouveau monde, et de l’autre côté, l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche, la Hongrie, la Pologne et le Japon. Semblable classification appelle le doute, même d’un point de vue purement formel. La Yougoslavie n’est pas moins un Etat « fasciste » que la Hongrie et la Roumanie n’est pas plus proche de la démocratie que la Pologne. La dictature militaire domine non seulement au Japon, mais aussi en Chine. Le régime politique de Staline se rapproche de plus en plus du régime de Hitler. En France, le fascisme peut balayer la démocratie avant même que la guerre éclate : les gouvernements de « Front populaire » font, de toute manière, ce qu’ils peuvent pour faciliter cette substitution. Comme on le voit, il n’est pas facile dans le système mondial actuel de séparer les loups des agneaux !

Quant à la lutte des « démocraties » contre le fascisme, il est préférable, plutôt que de vouloir deviner l’avenir, de regarder ce qui se passe dans la péninsule ibérique. Tout d’abord, les démocraties ont soumis au blocus le gouvernement légal de l’Espagne pour ne pas fournir un « motif » à l’intervention de l’Italie et de l’Allemagne. Mais lorsque Mussolini et Hitler se sont passés de motif, les « démocraties » se sont empressées – dans l’intérêt de la « paix » - de capituler devant leur intervention. L’Espagne est à feu et à sang. Pendant ce temps, les représentants des démocraties s’amusent à discuter des meilleurs moyens… de continuer la non-intervention. Le gouvernement de Moscou s’efforce vainement par des gesticulations radicales de camoufler sa participation à la politique honteuse et criminelle qui a facilité la tâche du général Franco et fortifié les positions générales du fascisme. (…)

La classification des Etats que nous donnons plus haut a, certes, son sens historique, mais ce sens n’est nullement celui que lui donnent des écrits pacifistes trop faciles… Avant tout, sont venus au fascisme ou aux autres formes de dictature les pays dont les contradictions internes avaient atteint le plus d’acuité ; les pays dépourvus de matières premières et de débouchés suffisants sur le marché mondial (Allemagne, Italie, Japon) ; les pays qui ont connu la défaite (Allemagne, Hongrie, Autriche) ; enfin les pays où la crise du système capitaliste est aggravée par des survivances précapitalistes (Japon, Pologne, Roumanie, Hongrie). (…)

Tout montre que la crise qui vient laissera loin derrière elle la crise de 1929 et des années suivantes. Dans ces conditions la diplomatie de l’attente passive deviendra impossible... La nouvelle crise posera brutalement tous les problèmes et poussera les gouvernants aux mesures décisives qui ne pourront être que des mesures de désespoir.

Ainsi la guerre pourra se déclencher au bout des trois ou quatre années prochaines, c’est-à-dire juste au moment où l’achèvement des programmes d’armement devrait « assurer la paix ». Bien entendu, nous ne donnons ce délai que dans un but d’orientation générale. Les événements politiques peuvent rapprocher ou retarder le moment de la conflagration. Mais elle est rendue fatale par le dynamisme de l’économie, des antagonismes sociaux, de même que par le dynamisme des armements. (…)

Notre diagnostic peut paraître sombre. Ce n’est pas notre faute si, sur notre palette, nous n’avons pas trouvé de rose ou de bleu. Nous avons cherché à tirer nos conclusions des réalités et non point de nos désirs. Le vieux Spinoza enseignait avec raison : ni pleurer, ni rire, mais comprendre.

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