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Quel rôle se donne la centrale syndicale UGTT en Tunisie ?

vendredi 5 avril 2013, par Robert Paris

Quel rôle se donne la centrale syndicale UGTT en Tunisie ?

Le journal français Le Monde du 24 mars 2013 titrait un de ses articles : « L’UGTT, l’autre pouvoir tunisien », relevant que « La centrale syndicale de Tunisie est historiquement un acteur politique de premier plan. Son réseau inégalé – 750.000 adhérents -, qui a participé à la révolution de 2011, en fait un redoutable contradicteur pour le gouvernement d’Ennahda. »

Cependant tous les faits qui sont relevés par ce journal révèlent à quel point la conception syndicale est plus celle d’un accompagnement des politiques menées par les classes dirigeantes que de leur contestation sans parler de les révolutionner…

Ainsi, Le Monde rappelle que « Sous Ben Ali, la direction de l’UGTT s’est compromise avec le régime de l’ancien dictateur qu’elle soutenait. »

Certes, les rangs de base de l’UGTT étaient aussi liés aux masses populaires et certains militants ont offert un cadre militant au soulèvement populaire contre Ben Ali. Mais, dès la chute de ce dernier, la direction de la centrale a recommencé à vouloir pactiser avec le nouveau pouvoir et les classes dirigeantes, comme c’est dans sa nature. Nous citons toujours Le Monde : « Trois de ses membres ont été nommés ministres, notamment de l’emploi et de la formation, lors du premier gouvernement de transition, mis en place après la chute de l’ex-dictateur, mais ont dû y renoncer en vingt-quatre heures sous la pression d’une population ulcérée par le maintien dans l’équipe d’anciens responsables du régime. »

Certes, l’UGTT s’est heurtée de front au pouvoir d’Ennahda et l’assassinat de l’opposant de gauche Chokri Belaïd a été considéré à juste titre comme l’un des résultats de cet affrontement. Mais, loin d’y voir la preuve de la nécessité pour les travailleurs et les milieux populaires de vaincre tous les partis bourgeois dont Ennahda, les dirigeants de l’UGTT se voient plutôt comme la passerelle indispensable entre ces partis bourgeois…

Le secrétaire général adjoint de l’UGTT, cité par le même article du Monde, déclare que « Au sein de notre organisation, il y a aussi bien l’extrême gauche que des islamistes… Vu la crise politique, sociale, économique de la Tunisie, nous n’avons plus le choix : seule l’UGTT peut ramener tous les partis autour d’une table. »

Et Le Monde de s’en féliciter montrant que la bourgeoisie européenne voit d’un bon œil ce rôle politique modérateur de l’UGTT : « En visite à Tunis le 15 mars, Stefan Füle, commissaire européen chargé de l’élargissement de la politique du voisinage, ne s’y est pas trompé. Il s’est entretenu avec les chefs de parti comme avec le secrétaire général de l’UGTT dont il a loué « le rôle dans la transition démocratique tunisienne ». »

Bien entendu, tout cela ne signifie nullement qu’il y ait une lune de miel possible entre gouvernants et syndicats étant donné que les gouvernants visent à faire rentrer les travailleurs dans le rang suite à la révolution politique et pour éviter que celle-ci se transforme en révolution sociale. Du coup, malgré ses options réformistes, l’UGTT est bien obligée de constater l’absence de consensus, ce qui ne l’empêche pas de passer son temps à le rechercher même quand cela confine à l’absurde. Ainsi, la direction de l’UGTT a tenté de participer aux côtés du gouvernement à une commission d’enquête sur les attaques anti-syndicales lors de l’anniversaire de l’assassinat du leader Farhat Hached que ces syndicalistes commémoraient. Quel intérêt de faire participer à une même commission des responsables de crimes (les milices qui ont agressé sont les Ligues de Protection de la Révolution liées au pouvoir) et leurs victimes (les syndicalistes agressés) ? Seuls de vrais réformistes peuvent répondre à ce type de question !

Certes, en contestant la conception des droits de la femme dans la nouvelle constitution, ou les droits des salariés, l’UGTT se place comme un contre-pouvoir mais, et surtout devrait-on dire, l’UGTT fait comme si on pouvait avec le pouvoir faire autre chose que le renverser mais discuter et amender…

Comme dans tous les pays du monde, l’UGTT menace de se retirer de toute négociation, menace de grèves générales, puis les décommande, puis recommence à gronder…

Comme dans tous les pays du monde, le syndicalisme UGTT oscille entre contestation et concertation pour à la fois occuper le terrain du mécontentement et offrir aux classes dirigeantes des moyens d’encadrement de ce même mécontentement….

Après la mort de Chokri Belaïd, montrant que le pouvoir n’est toujours rien d’autre qu’une bande d’assassins au service des exploiteurs, on aurait pu penser que ce petit jeu du chat et de la souris entre UGTT et pouvoir allait cesser mais c’est compter sans la nature profonde des dirigeants syndicaux…

Les grèves sont en Tunisie comme ailleurs canalisées par les syndicalistes. Les émeutes gardent un caractère localisé et non relayé au niveau des entreprises. Le syndicat joue son rôle de tampon social. C’est parce que la situation politique et sociale est explosive que l’UGTT garde à la base une allure radicale mais le syndicat n’offre aucune perspective politique et est encore moins porteur d’une force de changement de la société, même si l’extrême gauche officielle le laisse croire…

La suite

Messages

  • Le 12 décembre 2012, l’Union générale tunisienne du travail avait annulé la grève générale de 24h annoncée pour le lendemain. Cette grève avait été appelée pour protester contre le passage à tabac infligé sur ses adhérents par des gros bras de La Ligue pour la protection de la révolution islamiste (LPR).

    La grève générale du 13 décembre devait être le point culminant des interventions de l’UGTT après l’explosion de mobilisations de masse contre la pauvreté qui avaient commencé le 27 novembre dans la ville de Siliana. La police avait brutalement réprimé les manifestations, blessant 300 personnes. Le 2 décembre l’UGTT avait mis fin aux mobilisations à Siliana au moment où elles devenaient le centre d’attention de protestations de par le pays contre le gouvernement. L’UGTT prétendait qu’elle avait négocié un accord avec le gouvernement qui satisferait leurs revendications.

    Après l’attaque des nervis de la LPR du 4 décembre contre le siège de l’UGTT et ses adhérents, la centrale a rapidement agi pour focaliser l’attention sur cet événement. Le 6 décembre, elle a appelé une grève de 24h dans quatre régions, dont Sidi Bouzid, grève qui a été massivement suivie. Elle a aussi appelé à une grève de 24h le 13 décembre.

    Cependant, le 12 décembre, l’UGTT a soudain signé un accord avec le gouvernement Ennahda qui annulait la grève. L’accord insistait sur l’« attachement à l’apaisement » de l’UGTT et d’Ennahda, créait une commission commune entre le Gouvernement et l’UGTT « pour enquêter sur les violences perpétrées le 4 décembre », avec l’engagement d’accélérer les « procédures juridiques en vue de poursuivre tous ceux dont l’implication dans ces actes sera établie ».

    La Commission administrative nationale de l’UGTT a émis simultanément un serment de loyauté veule envers le gouvernement islamiste droitier. Elle a déclaré que l’UGTT avait annulé la grève « partant de son haut esprit de responsabilité, de sa grande conviction de la nécessité du dialogue pour parvenir à des solutions concertées sur la base de la responsabilité du Gouvernement et de son engagement à respecter l’accord conclu et à appliquer la Loi pour préserver les intérêts supérieurs de la Nation ».

    Des syndicalistes qui attendaient devant le siège de l’UGTT de Tunis ont été furieux quand ils ont appris que la grève était annulée. Selon le blog Tunisie Libre « Les plus dépités, et souvent les plus jeunes, laissent éclater leur colère : « vois la trahison ! Houcine Abassi [secrétaire général de l’UGTT] a vendu l’Union ! ».....Un peu à l’écart de ce tumulte, seul adossé à un mur, un ancien ouvrier vernisseur sur bois, laisse couler ses larmes. « Je suis syndiqué depuis 1970. J’ai vécu la répression en 1978 et en 1984, mais là c’est trop dur. »

    Hamma Hammami, dirigeant du Parti des travailleurs (PT), politicien petit bourgeois de « gauche » en vue, a donné son soutien tacite à la décision de l’UGTT, en disant : « l’on ne peut pas évaluer la décision de l’UGTT d’annuler la grève générale. Cette décision était-elle la bonne ou non ? ….il est encore tôt pour juger ».

    Tandis que le Premier Ministre Jebali louait la capitulation de l’UGTT comme « une victoire pour la Tunisie, le Secrétaire Général de l’UGTT Hassine Abassi la justifiait ainsi : « La situation difficile que traverse le pays, le climat de tension, les dérives sécuritaires et les menaces aux frontières sont autant de facteurs qui ont poussé l’UGTT à faire prévaloir l’intérêt du peuple ».

    Les remarques d’Abassi soulignent le caractère réactionnaire de l’ensemble de la classe politique qui a émergé après le renversement de Ben Ali l’année dernière. L’UGTT se consacre à la défense de « l’apaisement » du régime Ennahda, c’est à dire à la désorientation et la suppression de toute opposition au sein de la classe ouvrière envers les islamistes qui ont remplacé Ben Ali à la tête de l’Etat bourgeois tunisien. Ce qui unit ces forces, c’est la peur d’une nouvelle poussée révolutionnaire et l’opposition profonde de la bureaucratie de l’UGTT et de la « gauche » petite bourgeoise à la prise de pouvoir par la classe ouvrière.

    Mais sans une prise de pouvoir révolutionnaire par la classe ouvrière et sans la construction d’un Etat ouvrier, le pouvoir reste entre les mains de politiciens pro-capitalistes et de l’UGTT qui est depuis longtemps un instrument du capitalisme tunisien et de ses relations corrompues avec l’impérialisme.

    La grève du 13 décembre aurait été la première grève nationale appelée par l’UGTT depuis 1978. Pendant les 22 ans de la dictature de Ben Ali, ce syndicat a soutenu servilement sa politique libérale et sa ré-élection en 2004 et 2009. Elle n’a pas appelé à la grève générale pendant la révolution en 2011. Ce n’est que le jour même où Ben Ali a fui que l’UGTT a tardivement appelé à un débrayage de 2 heures dans une tentative cynique d’éviter d’être totalement discréditée aux yeux de la classe ouvrière en révolte.

    La décision de l’UGTT d’annuler la grève a été applaudie par la presse bourgeoise, qui a clairement démontré qu’elle était terrifiée à l’idée que la grève puisse provoquer de nouvelles luttes de masses. Avant que la grève générale ne soit annulée, L’Economiste a prévenu qu’ « une grève générale, si elle se confirme, laissera de graves séquelles et provoquera un énorme traumatisme politique et social autant qu’économique ». Il a affirmé que l’UGTT « ne capitule pas en y renonçant ; elle ne ferait qu’affirmer son sens de la responsabilité ».

    Après, La Presse a fait l’éloge de l’annulation de la gréve, en faisant référence à l’Union Sacrée entre syndicats, partis sociaux-démocrates, et gouvernement afin de supprimer l’opposition de la classe ouvrière en France pendant la Première Guerre mondiale, quand la Tunisie était une colonie française. La Presse a écrit : « Annuler la grève générale pour motif d’union sacrée fait honneur à l’UGTT... L’intérêt supérieur du pays commande de passer outre l’esprit de chapelle. »

    L’UGTT a annulé la grève malgré la profonde opposition dans la classe ouvrière au gouvernement islamiste qui gouverne sur les restes du régime de Ben Ali. Ceci a été clairement démontré le 17 décembre, quand des représentants du gouvernement ont essayé de prendre la parole lors de la commémoration du second anniversaire de l’auto-immolation de Mohamed Bouazizi et qui avait marqué le début du soulèvement de masse contre Ben Ali.

    Malgré la présence d’un groupe de salafistes partisans du gouvernement et une garde nombreuse, le président tunisien Moncef Marzouki et le président du parlement, le député Ennadha Mustapha Ben Jaafar ont été contraints d’évacuer leur daïs par 5,000 manifestants qui jetaient des pierres et des tomates en scandant « Dégage ! » et « Nous voulons la chute du gouvernement ! » Le peuple de Sidi Bouzid les a forcés à se réfugier sous protection policière dans la préfecture.

    Les grèves locales d’une journée organisées dans quatre villes combatives étaient clairement sensées servir de soupape pour désamorcer la situation. Elles se sont déroulées à Sfax, la capitale économique du pays ; Gafsa, le centre de la production de phosphate ; et Sidi Bouzid et Kasserine, les centres initiaux où la révolution avait éclaté l’année dernière. Le jour même, la grève a été massivement soutenue dans les quatre régions. Pratiquement tous les établissements du secteur public et privé étaient fermés et des dizaines de milliers de travailleurs ont manifesté.

    Parmi les slogans il y avait ceux-ci : « Balles de chevrotine, les Tunisien n’ont jamais peur, » « Démission, oh gouvernement d’intelligence avec l’étranger », « Gouvernement de colonisation, vous avez vendu la Tunisie ».

    L’appel limité à la grève du jeudi 6 décembre et la date de la grève nationale ont été choisis pour ralentir le rythme des protestations et pour empêcher qu’elles ne se transforment en une rébellion incontrôlée de l’ensemble de la classe ouvrière.

    A cette fin, l’UGTT a suspendu « provisoirement » les grèves de 24 heures dans la région de Siliana le dimanche 2 décembre alors que de par la Tunisie les travailleurs commençaient à manifester en solidarité avec Siliana. Des centaines d’habitants de Siliana, auxquels s’étaient joints des travailleurs de Sidi Bouzid, ont fait un sit-in au local de l’UGTT au moment où le patron de l’UGTT Ahmed Cheffai a annoncé la fin de la grève, dans l’attente de la mise en application d’un accord conjoint entre le gouvernement et le syndicat. Tunisie.tn a rapporté que, « les manifestants ont qualifié les négociations entre les deux parties de ‘marchandage politique’ accusant la partie syndicale d’avoir cédé face au gouvernement. »

    Ce faisant l’UGTT est en train d’agir pour l’ensemble de la bourgeoisie tunisienne qui craint une reprise des luttes révolutionnaires. Vendredi, le président tunisien Moncef Marzouki a déclaré : « Nous n’avons pas une seule Siliana. J’ai peur que cela se reproduise dans plusieurs régions et que cela menace l’avenir de la révolution. »

  • L’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui s’est vu décerner le prix Nobel de la Paix 2015. De la paix sociale ?!!!

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