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La tribune de Victor Hugo

mardi 23 avril 2013, par Robert Paris

Le 21 janvier dernier, une femme fut arrêtée chez elle par sieur Boudrot, commissaire de police à Paris. Cette femme, jeune encore, elle avait trente-cinq ans, mais estropiée et infirme, fut envoyée à la préfecture et enfermée dans la cellule n°1, dite cellule d’essai. Cette cellule, sorte de cage de sept à huit pieds carrés (2,5 mètres carrés environ), sans air et sans jour, la malheureuse prisonnière l’a peinte d’un mot ; elle l’appelle « cellule-tombeau » ; elle dit, je cite ses propres paroles : « C’est dans cette cellule-tombeau, qu’estropiée, malade, j’ai passé vingt et un jours, collant mes lèvres d’heure en heure contre le treillage pour aspirer un peut d’air vital et ne pas mourir. » Au bout de ces vingt et un jours, le gouvernement de Décembre mit cette femme dehors et l’expulsa. Il la jeta à la fois hors de la prison et hors de la patrie. La proscrite sortait du cachot d’essai avec les germes de la phtisie. Elle quitta la France et gagna la Belgique. Le dénuement la força de voyager, toussant, crachant le sang, les poumons malades, en plein hiver, dans le nord, sous la pluie et la neige, dans ces affreux wagons découverts qui déshonorent les riches entreprises des chemins de fer. Elle arriva à Ostende ; elle était chassée de France, la Belgique la chassa. Elle passa en Angleterre. A peine débarquée à Londres, elle se mit au lit. La maladie contractée dans le cachot, aggravée par le voyage forcé de l’exil, était devenue menaçante. La proscrite, je devrais dire la condamnée à mort, resta gisante deux mois et demi…. Il y a trois jours, elle est morte.

Vous me demanderez ce qu’était cette femme et ce qu’elle avait fait pour être traitée ainsi ; je vais vous le dire… Dans les faubourgs de Paris, le nom de Louise Julien sous lequel le peuple la connaissait et la saluait (était celui d’une chanteuse des rues). Ouvrière, cette femme du peuple était un poète ; cette femme du peuple était un esprit ; elle chantait la république ; elle aimait la liberté ; elle appelait ardemment l’avenir fraternel de toutes les nations… M Bonaparte l’a fait taire ; maintenant qu’il fasse taire le tombeau !

Victor Hugo – 26 juillet 1853

Défiez-vous de ce que les congrès, les cabinets et les diplomaties semblent préparer pour vous en ce moment. L’agitation donne des signes de réveil ; elle trouble le sommeil des rois ; il leur paraît urgent de la rendormir. Prenez garde ; ce n’est pas votre apaisement qu’on veut ; l’apaisement n’est que dans la satisfaction du droit ; ce qu’on veut, c’est votre léthargie, c’est votre mort. De là un piège. Défiez-vous. Quoi ! des réformes, des améliorations administratives… Nous sommes dans le temps de ces enjambées formidables qu’on appelle Révolutions. Les peuples perdent des siècles qu’ils regagnent en une heure… Ayons foi. Pas de moyens termes, pas de compromis, pas de demi-mesures, pas de demi-conquêtes… Non. Visons haut, pensons vrai, marchons droit. Les à-peu-près ne suffisent plus. Tout se fera ; et tout se fera en un pas, en un jour, en un seul éclair, en un seul coup de tonnerre. Ayons foi. Quand l’heure de la chute sonnera, la Révolution,brusquement, à pic, de son droit divin, sans préparation, sans transition, sans crépuscule, jettera sur l’Europe son prodigieux éblouissement de liberté, d’enthousiasme et de lumière, et ne laissera au vieux monde que le temps de tomber. N’acceptez donc rien de lui. C’est un mort. La main des cadavres est froide, et n’a rien à donner.

Victor Hugo – 26 mai 1856

Les fusillés

On les amène au pied de l’affreux mur.
C’est bien. Ils ont été battus du vent contraire.
L’homme dit au soldat qui l’ajuste : Adieu, frère.
La femme dit : - Mon homme est tué. C’est assez.
Je ne sais s’il eut tort ou raison, mais je sais
Que nous avons traîné le malheur côte à côte ;
Il fut mon compagnon de chaîne ; si l’on m’ôte
Cet homme, je n’ai plus besoin de vivre. Ainsi
Puisqu’il est mort, il faut que je meure. Merci. -
Et dans les carrefours les cadavres s’entassent.
Dans un noir peloton vingt jeunes filles passent ;
Elles chantent ; leur grâce et leur calme innocent
Inquiètent la foule effarée ; un passant
Tremble. - Où donc allez-vous ? dit-il à la plus belle.
Parlez. - Je crois qu’on va nous fusiller, dit-elle.
Un bruit lugubre emplit la caserne Lobau ;
C’est le tonnerre ouvrant et fermant le tombeau.
Là des tas d’hommes sont mitraillés ; nul ne pleure ;
Il semble que leur mort à peine les effleure,
Qu’ils ont hâte de fuir un monde âpre, incomplet,
Triste, et que cette mise en liberté leur plaît.
Nul ne bronche. On adosse à la même muraille
Le petit-fils avec l’aïeul, et l’aïeul raille,
Et l’enfant blond et frais s’écrie en riant : Feu !

Victor Hugo – 20 juin 1871

Il est douloureux de le dire : dans la civilisation actuelle, il y a une esclave, elle l’appelle une mineure. La loi a des euphémismes ; ce que j’appelle une esclave, elle l’appelle une mineure ; cette mineure selon la loi, cette esclave selon la réalité, c’est la femme. L’homme a chargé inégalement les deux plateaux du Code ; dont l’équilibre importe à la conscience humaine ; l’homme a fait verser tous les droits de son côté et tous les devoirs du côté de la femme. De là un trouble profond. De là la servitude de la femme. Dans notre législation telle qu’elle est, la femme ne possède pas, elle n’este pas en justice, elle ne vote pas, elle ne compte pas, elle n’est pas. Il y a des citoyens, il n’y a pas de citoyennes. C’est là un état violent : il faut qu’il cesse… L’homme a lui seul n’est pas l’homme ; l’homme, plus la femme, plus l’enfant, cette créature une et triple constitue la vraie unité humaine. Toute l’organisation sociale doit découler de là…. Il est difficile de composer le bonheur de l’homme avec la souffrance de la femme.

Victor Hugo – 8 juin 1872

« Le gamin des faubourgs donne en chantant l’assaut A huit siècles d’histoire …. Le gamin prend Paris ainsi qu’il prendrait Rome, En riant. Le sang coule. En vain, on se défend, Il l’emporte. Il est roi sans cesser d’être enfant. Il court. Il tient le Louvre ; il entre aux Tuileries. A lui le trône, à lui les hautes galeries. (...) La souffrance engendre la colère ; et tandis que les classes prospères s’aveuglent, ou s’endorment, ce qui est toujours fermer les yeux, la haine des classes malheureuses allume sa torche à quelque esprit chagrin ou mal fait qui rêve dans un coin et elle se met à examiner la société. L’examen de la haine, chose terrible. De là, si le malheur des temps le veut, ces effrayantes commotions qu’on nommait jadis des jacqueries, près desquelles les agitations purement politiques sont des jeux d’enfants qui ne sont plus la lutte de l’opprimé contre l’oppresseur (…) Tout s’écroule alors. Les jacqueries sont des tremblements de peuple. »

Victor Hugo

« Le cadavre est à terre, et l’idée est debout. »

Victor Hugo

Un enfant de douze ans est pris avec des hommes.

— Es-tu de ceux-là, toi ? — L’enfant dit : Nous en sommes.

— C’est bon, dit l’officier, on va te fusiller.
Attends ton tour. — L’enfant voit des éclairs briller,
Et tous ses compagnons tomber sous la muraille.
Il dit à l’officier : Permettez-vous que j’aille
Rapporter cette montre à ma mère chez nous ?

— Tu veux t’enfuir ? — Je vais revenir. — Ces voyous
Ont peur ! Où loges-tu ? — Là, près de la fontaine.
Et je vais revenir, monsieur le capitaine.

— Va-t’en, drôle ! — L’enfant s’en va. — Piège grossier !
Et les soldats riaient avec leur officier,
Et les mourants mêlaient à ce rire leur râle ;
Mais le rire cessa, car soudain l’enfant pâle,
Brusquement reparu, fier comme Viala,
Vint s’adosser au mur et leur dit : Me voilà.

Victor Hugo

Vous n’avez pas pris garde au peuple que nous sommes.
Chez nous, dans les grands jours, les enfants sont des hommes,
Les hommes des os, les vieillards des géants.
Oh ! comme vous serez stupides et béants,
Le jour où vous verrez, risibles escogriffes,
Ce grand peuple de France échapper à vos griffes !
Le jour où vous verrez fortune, dignités,
Pouvoirs, places, honneurs, beaux gages bien comptés,
Tous les entassements de votre orgueil féroce,
Tomber au premier pas que fera le colosse !
Confondus, furieux, cramponnés vainement
Aux chancelants débris de votre écroulement,
Vous essaierez encore de crier, de proscrire,
D’insulter, et l’Histoire éclatera de rire.

Victor Hugo

N’importe, ayons foi ! Tout s’agite,
Comme au fond d’un songe effrayant,
Tout marche et court, et l’homme quitte
L’ancien rivage âpre et fuyant.
On va de la nuit à l’aurore,
Du noir sépulcre au nid sonore,
Et des hydres aux alcyons.
Les téméraires sont les sages.
Ils sondent ces profonds passages
Qu’on nomme Révolutions.

Victor Hugo

La barricade était livide dans l’aurore,
Et, comme j’arrivais ; elle fumait encore ;
Que voulez-vous. donc ?

— Tout.

Victor Hugo

Alors que les révolutionnaires de la Commune de Paris battus, arrêtés et assassinés et le peuple de Paris qui venait de tenter de prendre le pouvoir étaient pourchassés en France et honnis par toute la bourgeoisie européenne, Victor Hugo, réfugié en Belgique un pays qui refusait le droit d’asile aux réfugiés de la Commune, écrivait : "Quant à moi, je déclare ceci : cet asile que le gouvernement belge refuse aux vaincus de Paris, je l’offre ! Où ? En Belgique ! Je fais à la Belgique cet honneur. J’offre l’asile : qu’un vaincu de la commune de Paris frappe à ma porte ; j’ouvre ; il est dans ma maison ; il est inviolable... Si l’on vient chez moi prendre un fugitif de la Commune, on me prendra."

Extraits de "L’année terrible" :

Voici le peuple : il meurt, combattant magnifique, Pour le progrès

PARIS BLOQUE

O ville, tu feras agenouiller l’histoire.
Saigner est ta beauté, mourir est ta victoire.
Mais non, tu ne meurs pas.
Ton sang coule, mais ceux
Qui voyaient César rire en tes bras paresseux,
S’étonnent : tu franchis la flamme expiatoire,
Dans l’admiration des peuples, dans la gloire,
Tu retrouves, Paris, bien plus que tu ne perds.
Ceux qui t’assiègent, ville en deuil, tu les conquiers.
La prospérité basse et fausse est la mort lente ;
Tu tombais folle et gaie, et tu grandis sanglante.
Tu sors, toi qu’endormit l’empire empoisonneur,
Du rapetissement de ce hideux bonheur.
Tu t’éveilles déesse et chasses le satyre.
Tu redeviens guerrière en devenant martyre ;
Et dans l’honneur, le beau, le vrai, les grandes moeurs, (…)
Rien n’est plus admirable ; et Paris a dompté
L’univers par la force où l’on sent la bonté.
Ce peuple est un héros et ce peuple est un juste.
Il fait bien plus que vaincre, il aime.

O ville auguste,
Ce jour-là tout tremblait, les révolutions
Grondaient, et dans leur brume, à travers des rayons,
Tu voyais devant toi se rouvrir l’ombre affreuse
Qui par moments devant les grands peuples se creuse ;
Et l’homme qui suivait le cercueil de son fils
T’admirait, toi qui, prête à tous les fiers défis,
Infortunée, as fait l’humanité prospère ;
Sombre, il se sentait fils en même temps que père,
Père en pensant à lui, fils en pensant à toi.

Que ce jeune lutteur illustre et plein de foi, Disparu dans le lieu profond qui nous réclame, O peuple, ait à jamais près de lui ta grande âme ! Tu la lui donnas, peuple, en ce suprême adieu. Que dans la liberté superbe du ciel bleu, Il assiste, à présent qu’il tient l’arme inconnue, Aux luttes du devoir et qu’il les continue. Le droit n’est pas le droit seulement ici-bas ; Les morts sont des vivants mêlés à nos combats, Ayant tantôt le bien, tantôt le mal pour cibles ; Parfois on sent passer leurs flèches invisibles. Nous les croyons absents, ils sont présents ; on sort De la terre, des jours, des pleurs, mais non du sort ; C’est un prolongement sublime que la tombe. On y monte étonné d’avoir cru qu’on y tombe. Comme dans plus d’azur l’hirondelle émigrant, On entre plus heureux dans un devoir plus grand ; On voit l’utile avec le juste parallèle ; Et l’on a de moins l’ombre et l’on a de plus l’aile. O mon fils béni, sers la France, du milieu De ce gouffre d’amour que nous appelons Dieu ; Ce n’est pas pour dormir qu’on meurt, non, c’est pour faire De plus haut ce que fait en bas notre humble sphère ; C’est pour le faire mieux, c’est pour le faire bien. Nous n’avons que le but, le ciel a le moyen. La mort est un passage où pour grandir tout change ; Qui fut sur terre athlète est dans l’abîme archange ; Sur terre on est borné, sur terre on est banni ; Mais là-haut nous croissons sans gêner l’infini ; L’âme y peut déployer sa subite envergure ; C’est en perdant son corps qu’on reprend sa figure. Va donc, mon fils ! va donc, esprit ! deviens flambeau. Rayonne. Entre en planant dans l’immense tombeau ! Sers la France. Car Dieu met en elle un mystère, Car tu sais maintenant ce qu’ignore la terre, Car la vérité brille où l’éternité luit, Car tu vois la lumière et nous voyons la nuit. (…) Quand finira ceci ? Quoi ! ne sentent-ils pas Que ce grand pays croule à chacun de leurs pas ! Châtier qui ? Paris ? Paris veut être libre. Ici le monde, et là Paris ; c’est l’équilibre. Et Paris est l’abîme où couve l’avenir. Pas plus que l’Océan on ne peut le punir, Car dans sa profondeur et sous sa transparence On voit l’immense Europe ayant pour coeur la France. Combattants ! combattants ! qu’est-ce que vous voulez ? Vous êtes comme un feu qui dévore les blés, Et vous tuez l’honneur, la raison, l’espérance ! Quoi ! d’un côté la France et de l’autre la France ! Arrêtez ! c’est le deuil qui sort de vos succès. Chaque coup de canon de Français à Français Jette, - car l’attentat à sa source remonte, - Devant lui le trépas, derrière lui la honte. Verser, mêler, après septembre et février, Le sang du paysan, le sang de l’ouvrier, Sans plus s’en soucier que de l’eau des fontaines ! Les Latins contre Rome et les Grecs contre Athènes ! Qui donc a décrété ce sombre égorgement ? Si quelque prêtre dit que Dieu le veut, il ment ! Mais quel vent souffle donc ? Quoi ! pas d’instants lucides ! Se retrouver héros pour être fratricides ! Horreur ! Le peuple est un lutteur prodigieux qui traîne Le passé vers le gouffre et l’y pousse du pied (…) Vous imaginez-vous cette haute cité Qui fut des nations la parole, l’ouïe, La vision, la vie et l’âme, évanouie ! Vous représentez-vous les peuples la cherchant ? On ne voit plus sa lampe, on n’entend plus son chant. C’était notre théâtre et notre sanctuaire ; Elle était sur le globe ainsi qu’un statuaire Sculptant l’homme futur à grands coups de maillet ; L’univers espérait quand elle travaillait ; Elle était l’éternelle, elle était l’immortelle ; Qu’est-il donc arrivé d’horrible ? où donc est-elle ? Vous les figurez-vous s’arrêtant tout à coup ? Quel est ce pan de mur dans les ronces debout ? Le Panthéon ; ce bronze épars, c’est la colonne ; Ce marais où l’essaim des corbeaux tourbillonne, C’est la Bastille ; un coin farouche où tout se tait, Où rien ne luit, c’est là que Notre-Dame était ; La limace et le ver souillent de leurs morsures Les pierres, ossements augustes des masures ; Pas un toit n’est resté de toutes ces maisons Qui du progrès humain reflétaient les saisons ; Pas une de ces tours, silhouettes superbes ; Plus de ponts, plus de quais ; des étangs sous des herbes, Un fleuve extravasé dans l’ombre, devenu Informe, et s’en allant dans un bois inconnu ; Le vague bruit de l’eau que le vent triste emporte. Et voyez-vous l’effet que ferait cette morte !

Hugo rapporte la répression, féroce, de la bourgeoisie contre la Commune, dans "L’année terrible" : "Sur une barricade, au milieu des pavés Souillés d’un sang coupable et d’un sang pur lavés, L’enfant de douze ans est pris avec des hommes (...)"

Victor Hugo écrit : "Qui arrête la révolution à mi-côte ? La bourgeoisie. Pourquoi ? Parce que la bourgeoisie est l’intérêt arrivé à satisfaction. (...) Il y en a qui disent qu’il faut me tirer un coup de fusil comme un chien. Pauvre bourgeoisie. Uniquement parce qu’elle a peur pour sa pièce de cent sous. (...) Ouvriers de Paris, vous faites votre devoir et c’est bien. Vous donnez là un bel exemple. La civilisation vous remercie. "

ou encore ...

"Les révolutions sont de magnifiques improvisatrices, un peu échevelées quelques fois."

"Il y a au fond du socialisme une partie des réalités douloureuses de notre temps et de tous les temps."

"Je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère."’

"Le droit de Paris de se déclarer commune est incontestable."

Le 31 mai 1871, il écrit : "La réaction commet à Paris tous les crimes. Nous sommes en pleine Terreur Blanche."

Le 5 juin 1871 : "Les nouvelles continuent d’être hideuses. Terreur de plus en plus blanche".

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Messages

  • Victor Hugo – 20 juin 1871

    Il est douloureux de le dire : dans la civilisation actuelle, il y a une esclave, elle l’appelle une mineure. La loi a des euphémismes ; ce que j’appelle une esclave, elle l’appelle une mineure ; cette mineure selon la loi, cette esclave selon la réalité, c’est la femme.

  • Victor Hugo – 8 juin 1872

    « Le gamin des faubourgs donne en chantant l’assaut A huit siècles d’histoire …. Le gamin prend Paris ainsi qu’il prendrait Rome, En riant. Le sang coule. En vain, on se défend, Il l’emporte. Il est roi sans cesser d’être enfant. Il court. Il tient le Louvre ; il entre aux Tuileries. A lui le trône, à lui les hautes galeries. (...) La souffrance engendre la colère ;

  • Ouvriers de Paris, vous faites votre devoir et c’est bien. Vous donnez là un bel exemple. La civilisation vous remercie. "

  • Je ne suis pas, Messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. Remarquez-le bien, Messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. Détruire la misère ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas le fait, le devoir n’est pas rempli.

    La misère, Messieurs, j’aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir où elle en est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu’où elle peut aller, jusqu’où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au moyen-âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ? Voulez-vous des faits ?

    Mon Dieu, je n’hésite pas à les citer, ces faits. Ils sont tristes, mais nécessaires à révéler ; et tenez, s’il faut dire toute ma pensée, je voudrais qu’il sortît de cette assemblée, et au besoin j’en ferai la proposition formelle, une grande et solennelle enquête sur la situation vraie des classes laborieuses et souffrantes en France. Je voudrais que tous les faits éclatassent au grand jour. Comment veut-on guérir le mal si l’on ne sonde pas les plaies ?

    Voici donc ces faits :

    Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l’émeute soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour vêtements, que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures humaines s’enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l’hiver. Voilà un fait. En voici d’autres : Ces jours derniers, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère n’épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l’on a constaté après sa mort qu’il n’avait pas mangé depuis six jours. Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? Le mois passé, pendant la recrudescence du choléra, on a trouvé une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon !

  • Victor Hugo, Choses vues

    Hier, 22 février, j’allais à la Chambre des pairs. Il faisait beau et très froid, malgré le soleil et midi. Je vis venir rue de Tournon un homme que deux soldats emmenaient. Cet homme était blond, pâle, maigre, hagard ; trente ans à peu près, un pantalon de grosse toile, les pieds nus et écorchés dans des sabots avec des linges sanglants roulés autour des chevilles pour tenir lieu de bas ; une blouse courte et souillée de boue derrière le dos, ce qui indiquait qu’il couchait habituellement sur le pavé, la tête nue et hérissée. Il avait sous le bras un pain. Le peuple disait autour de lui qu’il avait volé ce pain et que c’était à cause de cela qu’on l’emmenait. En passant devant la caserne de gendarmerie, un des soldats y entra et l’homme resta à la porte, gardé par l’autre soldat.

    Une voiture était arrêtée devant la porte de la caserne. C’était une berline armoriée portant aux lanternes une couronne ducale, attelée de deux chevaux gris, deux laquais en guêtres derrière. Les glaces étaient levées mais on distinguait l’intérieur tapissé de damas bouton d’or. Le regard de l’homme fixé sur cette voiture attira le mien. Il y avait dans la voiture une femme en chapeau rose, en robe de velours noir, fraîche, blanche, belle, éblouissante, qui riait et jouait avec un charmant petit enfant de seize mois enfoui sous les rubans, les dentelles et les fourrures.

    Cette femme ne voyait pas l’homme terrible qui la regardait.

    Je demeurai pensif.

    Cet homme n’était plus pour moi un homme, c’était le spectre de la misère, c’était l’apparition brusque, difforme, lugubre, en plein jour, en plein soleil, d’une révolution encore plongée dans les ténèbres mais qui vient. Autrefois le pauvre coudoyait le riche, ce spectre rencontrait cette gloire ; mais on ne se regardait pas. On passait. Cela pouvait durer ainsi longtemps. Du moment où cet homme s’aperçoit que cette femme existe tandis que cette femme ne s’aperçoit pas que cet homme est là, la catastrophe est inévitable.

  • Monsieur les pairs,

    Nous voici encore réunis une fois de plus dans cette assemblée, prêt à débattre de l’avenir de notre société. Aujourd’hui, sur le chemin qui me menait ici( à vous), j’ai aperçu un homme misérable que l’on menait en prison pour avoir volé un morceau de pain. Un carrosse somptueux, richement décoré, transportant une femme superbe et un nourrisson, arrêtée devant la porte de la caserne. Le pauvre homme fixait la voiture alors que cette dame ne lui adressa guère un regard. Ne trouvez-vous pas que cette scène dont je viens d’être témoin est signe d’un malaise montrant l’inégalité sociale ? Constatez-vous qu’il soit juste que coexistent dans notre société la pauvreté extrême et le luxe inutile ? Comment se fait-il qu’un homme soit obligé de voler un morceau de pain pour nourrir sa famille tandis que d’autres subviennent facilement à leurs besoins primaires et dépensent des sommes considérables pour des choses futiles.

  • Parmi les journées de février, journées qu’on ne peut comparer à rien dans l’histoire, il y eut un jour admirable : ce fut celui où cette voix souveraine du peuple, qui, a travers les rumeurs confuses de la place publique, dictait les décrets du gouvernement provisoire, prononça cette grande parole : La peine de mort est abolie en matière politique !

    Ce jour-là, messieurs, tous les coeurs généreux, tous les esprits sérieux tressaillirent. Et, en effet, voir le progrès sortir immédiatement, sortir calme et majestueux d’une révolution toute frémissante ; voir, du milieu de cet immense écroulement des lois humaines, se dégager dans toute sa splendeur la loi divine ; voir la multitude se comporter comme un sage ; voir toutes ces intelligences, toutes ces passions, toutes ces âmes, la veille encore pleines de colère, toutes ces bouches qui venaient de déchirer des cartouches, s’unir et se confondre dans un seul cri...

  • Mais qu’une révolution survienne (je reprends ce que je disais), les hommes d’affaires, les gens habiles ne sont plus que des nains ; toutes les réalités qui n’ont pas la proportion des événements nouveaux s’écroulent et s’évanouissent ; les faits matériels tombent, et les idées qu’on raillait, qu’on dédaignait, grandissent tout à coup d’une grandeur démesurée et imprévue...

  • Victor Hugo dans « Les Misérables » :

    « Les révolutions ont le bras terrible et la main heureuse ; elles frappent ferme et choisissent bien. Même incomplètes, même abâtardies et mâtinées, et réduites à l’état de révolution cadette, comme la révolution de 1830, il leur reste presque toujours assez de lucidité providentielle pour qu’elles ne puissent mal tomber. Leur éclipse n’est jamais une abdication. Pourtant, ne nous vantons pas trop haut, les révolutions, elles aussi, se trompent, et de graves méprises se sont vues… Il y a dans les révolutions des nageurs à contre-courant, ce sont les vieux partis… Toute révolution, étant un accomplissement normal, contient en elle sa légitimité, que de faux révolutionnaires déshonorent quelquefois, mais qui persiste, même souillée, qui survit, même ensanglantée. Les révolutions sortent, non d’un accident, mais de la nécessité. Une révolution est un retour du factice au réel. Elle est parce qu’il faut qu’elle soit. »

  • Victor Hugo :

    « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
    Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front,
    Ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime
    Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime. »

    « Je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. »

    Victor Hugo, Discours à l’Assemblée Législative -

    « Il y a dans Paris… des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour vêtement, que des monceaux infects de chiffons en fermentation… Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière ».

    Assemblée Nationale, 9 juillet 1849

    Hugo dans la lettre adressée au journal L’Avenir des femmes en 1872 :

    « Dans notre législation telle qu’elle est, la femme ne possède pas, elle n’est pas en justice, elle ne vote pas, elle ne compte pas, elle n’est pas. Il y a des citoyens, il n’y a pas de citoyennes. C’est là un état violent : il faut qu’il cesse. »

    « Nous proclamons la femme notre égale avec le respect en plus. Ô femme, mère, compagne, sœur, éternelle mineure, éternelle esclave, éternelle sacrifiée, éternelle martyre, nous vous relèverons ».

    Victor Hugo, journal La Gironde, 17 janvier 1862 :

    « Un seul esclave sur la Terre suffit pour déshonorer la liberté de tous les hommes. »

    « Avant la fin du siècle, l’esclavage aura disparu de la terre. La liberté est la loi humaine… La barbarie recule. La civilisation avance. »

  • Nous sommes tes fils, Révolution !

    « La Révolution, c’est la France sublimée. Il s’est trouvé un jour que la France a été dans la fournaise, les fournaises à de certaines martyres guerrières font pousser des ailes, et de ces flammes cette géante est sortie archange. Aujourd’hui pour toute la terre la France s’appelle Révolution ; et désormais ce mot, Révolution, sera le nom de la civilisation jusqu’à ce qu’il soit remplacé par le mot Harmonie. Je le répète, ne cherchez pas ailleurs le point d’origine et le lieu de naissance de la littérature du dix-neuvième siècle. Oui, tous tant que nous sommes, grands et petits, puissants et méconnus, illustres et obscurs, dans toutes nos œuvres, bonnes ou mauvaises, quelles qu’elles soient, poèmes, drames, romans, histoire, philosophie, à la tribune des assemblées comme devant les foules du théâtre, comme dans le recueillement des solitudes, oui, partout, oui, toujours, oui, pour combattre les violences et les impostures, oui, pour réhabiliter les lapidés et les accablés, oui, pour conclure logiquement et marcher droit, oui, pour consoler, pour secourir, pour relever, pour encourager, pour enseigner, oui, pour panser en attendant qu’on guérisse, oui, pour transformer la charité en fraternité, l’aumône en assistance, la fainéantise en travail, l’oisiveté en utilité, la centralisation en famille, l’iniquité en justice, le bourgeois en citoyen, la populace en peuple, la canaille en nation, les nations en humanité, la guerre en amour, le préjugé en examen, les frontières en soudures, les limites en ouvertures, les ornières en rails, les sacristies en temples, l’instinct du mal en volonté du bien, la vie en droit, les rois en hommes, oui, pour ôter des religions l’enfer et des sociétés le bagne, oui, pour être frères du misérable, du serf, du fellah, du prolétaire, du déshérité, de l’exploité, du trahi, du vaincu, du vendu, de l’enchaîné, du sacrifié, de la prostituée, du forçat, de l’ignorant, du sauvage, de l’esclave, du nègre, du condamné et du damné, oui, nous sommes tes fils, Révolution !”

    Victor Hugo

  • « Entendons-nous, je suis un homme de révolution. »

  • « En 93, selon que l’idée qui flottait était bonne ou mauvaise, selon que c’était le jour du fanatisme ou de l’enthousiasme, il partait du faubourg Saint-Antoine tantôt des légions sauvages, tantôt des bandes héroïques.

    Sauvages. Expliquons-nous sur ce mot. Ces hommes hérissés qui, dans les jours génésiaques du chaos révolutionnaire, déguenillés, hurlants, farouches, le casse-tête levé, la pique haute, se ruaient sur le vieux Paris bouleversé, que voulaient-ils ? Ils voulaient la fin des oppressions, la fin des tyrannies, la fin du glaive, le travail pour l’homme, l’instruction pour l’enfant, la douceur sociale pour la femme, la liberté, l’égalité, la fraternité, le pain pour tous, l’idée pour tous, l’édénisation du monde, le progrès ; et cette chose sainte, bonne et douce, le progrès, poussés à bout, hors d’eux-mêmes, ils la réclamaient terribles, demi-nus, la massue au poing, le rugissement à la bouche. C’étaient les sauvages, oui ; mais les sauvages de la civilisation.

    Ils proclamaient avec furie le droit ; ils voulaient, fût-ce par le tremblement et l’épouvante, forcer le genre humain au paradis. Ils semblaient des barbares et ils étaient des sauveurs. Ils réclamaient la lumière avec le masque de la nuit.

    En regard de ces hommes, farouches, nous en convenons, et effrayants, mais farouches et effrayants pour le bien, il y a d’autres hommes, souriants, brodés, dorés, enrubannés, constellés, en bas de soie, en plumes blanches, en gants jaunes, en souliers vernis, qui, accoudés à une table de velours au coin d’une cheminée de marbre, insistent doucement pour le maintien et la conservation du passé, du Moyen-Âge, du droit divin, du fanatisme, de l’ignorance, de l’esclavage, de la peine de mort, de la guerre, glorifiant à demi-voix et avec politesse le sabre, le bûcher et l’échafaud. Quant à nous, si nous étions forcé à l’option entre les barbares de la civilisation et les civilisés de la barbarie, nous choisirions les barbares. »

    signé Victor Hugo, dans La dernière barricade (Les Misérables)

  • « Il vient une heure où protester ne suffit plus ; après la philosophie il faut l’ action ; la vive force achève ce que l’ idée a ébauché. »

    Les Misérables (1862), Victor Hugo

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