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Rousseau théoricien de l’individualisme et philosophe de la misanthropie

lundi 8 juillet 2013, par Robert Paris

Voici un extrait d’une lettre de Rousseau à Malesherbes où il rapporte sans misanthropie, point confirmé dans tous ses écrits dont ses Confessions :

« Je suis né avec un amour naturel pour la solitude qui n’a fait qu’augmenter à mesure que j’ai mieux connu les hommes. Je trouve mieux mon compte, avec les êtres chimériques que je rassemble autour de moi qu’avec ceux que je vois dans le monde. »

Citons encore Rousseau des "Rêveries du promeneur solitaire" :

"Je suis devenu solitaire, ou, comme ils disent, insociable et misanthrope, parce que la plus sauvage solitude me paraît préférable à la société des méchants, qui ne se nourrit que de trahisons et de haine. "

ou encore

"Seul pour le reste de ma vie, puisque je ne trouve qu’en moi la consolation, l’espérance et la paix, je ne dois ni ne veux plus m’occuper que de moi."

Rêveries du promeneur solitaire :

« Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime. Ils ont cherché dans les raffinements de leur haine quel tourment pouvait être le plus cruel à mon âme sensible, et ils ont brisé violemment tous les liens qui m’attachaient à eux. (…) j’aime encore mieux être moi dans toute ma misère que d’être aucun de ces gens-là dans toute leur prospérité. Réduit à moi seul, je me nourris, il est vrai, de ma propre substance, mais elle ne s’épuise pas et je me suffis à moi-même (…) Je comprends que le reproche d’avoir mis mes enfants aux Enfants-Trouvés a facilement dégénéré, avec un peu de tournure, en celui d’être un père dénaturé et de haïr les enfants. Cependant il est sûr que c’est la crainte d’une destinée pour eux mille fois pire et presque inévitable par toute autre voie qui m’a le plus déterminé dans cette démarche. Plus indifférent sur ce qu’ils deviendraient et hors d’état de les élever moi-même, il aurait fallu dans ma situation les laisser élever par leur mère qui les aurait gâtés et par sa famille qui en aurait fait des monstres. Je frémis encore d’y penser. Ce que Mahomet fit de Séide n’est rien auprès de ce qu’on aurait fait d’eux à mon égard, & les pièges qu’on m’a tendus là-dessus dans la suite me confirment assez que le projet en avait été formé. À la vérité j’étais bien éloigné de prévoir alors ces trames atroces : mais je savais que l’éducation pour eux la moins périlleuse était celle des Enfants-Trouvés et je les y mis. Je le ferais encore avec bien moins de doute aussi si la chose était à faire et je sais bien que nul père n’est plus tendre que je l’aurais été pour eux, pour peu que l’habitude eût aidé la nature. »

Confessions :

« Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature, et cet homme, ce sera moi.
Moi seul. Je sens mon cœur, et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent. »

Lettre à Malherbes :

« Longtemps je me suis abusé moi-même sur la cause de cet invincible dégoût que j’ai toujours éprouvé dans le commerce des hommes ; je l’attribuais au chagrin de n’avoir pas l’esprit assez présent, pour montrer dans la conversation le peu que j’en ai, et par contrecoup à celui de ne pas occuper dans le monde la place que j’y croyais mériter. Mais quand, après avoir barbouillé du papier, j’étais bien sûr, même en disant des sottises, de n’être pas pris pour un sot ; quand je me suis vu recherché de tout le monde, & honoré de beaucoup plus de considération que ma plus ridicule vanité n’en eût osé prétendre ; que malgré cela, j’ai senti ce même dégoût plus augmente que diminué, j’ai conclu qu’il venait d’une autre cause, & que ces espèces de jouissances n’étaient point celles qu’il me falloir. »

Rousseau théoricien de l’individualisme et philosophe de la misanthropie

Bien des gens, à commencer par les révolutionnaires de 1789, voient en Rousseau un partisan de la liberté- en quoi ils n’ont pas tort – et de l’ordre libertaire, proche de l’anarchisme, mais en cela, ils se trompent à moins d’appeler anarchisme l’individualisme le plus strict : l’homme seul…

Pour ceux qui croient que c’est un adepte de l’anarchisme, cette maxime du Contrat social :
« Quiconque refuse d’obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps ; on le forcera d’être libre. »

Pour Rousseau, c’est la vie en grandes collectivités qui est en soi mauvaise et c’est la vie individuelle qui est en soi bonne. A la rigueur, il admet les toutes petites sociétés, où chacun se connaît, comme le village suisse.

On croit souvent qu’il cultive le bon sauvage mais c’est uniquement parce qu’il pense que les anciens temps connaissaient une époque où l’homme menait une vie purement individuelle et que ce seraient seulement les sociétés modernes qui auraient connu la vie collective.

Dans son « Discours de l’Inégalité », Rousseau écrit : « Tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’ont pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leurs nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant. »

Rousseau estime que la vie collective ne peut qu’amener la comparaison et la jalousie, sentiments qu’il a avoué dans son autobiographie ressentir violemment. Si la plupart des gens n’ont retenu du « Contrat Social » que la fameuse phrase « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire ’’ceci est à moi’’, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. »

A lire cette phrase, on pourrait croire que Rousseau est d’abord ennemi de la propriété privée individuelle et partisan de la propriété et de l’activité collective sociale, alors que c’est exactement le contraire.

Ce texte remarquable de Rousseau défend en réalité une thèse bien différente : les hommes qui ont commencé à vivre sédentairement et en collectivement ont commencé à s’envier et s’entredéchirer à cause de la jalousie et des femmes. Il ne voit pas dans la propriété privée la cause des inégalités : il la trouve dans les relations humaines indépendamment du système social et politique, dans la psychologie des relations humaines.

Dans son « Essai sur l’origine des langues », Rousseau écrit notamment :
« La Société humaine… porte nécessairement les hommes à s’entrehaïr à proportion que leurs intérêts se croisent… »

Dans Jean-Jacques, second dialogue, il écrit :

« Si vous me demandez d’où naît cette disposition à se comparer, qui change une passion naturelle et bonne en une autre factice et mauvaise, je vous répondrai qu’elle vient des relations sociales, du progrès des idées, et de la culture de l’esprit. »

Rousseau peint ainsi Jean-Jacques dans le second dialogue :

« Toujours occupé de lui-même ou pour lui-même, et trop avide de son propre bien pour avoir le temps de songer au mal d’un autre, il ne s’avise point de ces jalouses comparaisons d’amour-propre, d’où naissent les passions haineuses dont j’ai parlé… Le vice des méchants est de s’occuper des autres plus que de soi… »

Et dans son « Discours de l’Inégalité », il montre que c’est la simple existence d’une quelconque société collective qui est, selon lui, en cause :

« Si c’était ici le lieu d’entrer dans des détails, j’expliquerais facilement comment l’inégalité de crédit et d’autorité devient inévitable entre les particuliers, sitôt réunis en une même Société, ils sont forcés de se comparer entre eux, et de tenir compte des différences qu’ils trouvent dans l’usage continuel qu’ils ont à faire les uns des autres. »

Il décrit ainsi la société qui lui semble la plus propre à rendre les hommes heureux, la société paysanne montagnarde suisse :

« Chacun dans sa cabane était forcé de se suffire à lui-même et à sa famille ; de là l’heureuse et grossière industrie ; chacun exerçait dans sa maison tous les arts nécessaires ; tous étaient maçons, charpentiers, menuisiers, charrons. Les rivières et les torrents qui les séparaient les uns des autres donnaient en revanche à chacun les moyens de se passer de ses voisins… chacun vivant sur son sol parvint à en tirer tout son nécessaire, à s’y trouver au large, à ne désirer rien au-delà. Les intérêts, les besoins ne se croisent point et nul ne dépendant d’un autre, tous n’avaient entre eux que des liaisons de bienveillance et d’amitié. »
Certains ont vu en Rousseau un théoricien de la démocratie, qui serait, pour lui, le modèle de vie en société, mais ils ont omis que c’était aussi un théoricien de son impossibilité :

« A prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable démocratie, et il n’en existera jamais. Il est contre l’ordre naturel que le grand nombre gouverne et que le petit soit gouverné. On ne peut envisager que le peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques, et l’on voit aisément qu’il ne saurait établir pour cela des commissions sans que la forme de l’administration change… S’il y avait un peuple de dieux, écrit Rousseau, il se gouvernerait démocratiquement » ; ajoutant qu’un « gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes. »
Extrait du Contrat social – livre trois chapitre quatre

Ce n’est pas lui qui va fonder une conception de la démocratie :

« Les systèmes de toute espèce sont au-dessus de moi ; je n’en mets aucun dans ma vie et dans ma conduite. »

Mais le pari rousseauiste est de "trouver une forme de gouvernement qui mette la loi au-dessus de l’homme".

On a cru voir avec le Contrat social un exemple de mode de gouvernement libéral des hommes par eux-mêmes et avec l’Emile un exemple de mode d’éducation libéral, suivant les goûts de l’enfant. Mais Rousseau, individualiste et misanthrope, est beaucoup plus contradictoire que cela. Il théorise aussi la dictature de la loi et la dictature de l’éducation. Rousseau admire l’application aux enfants des citoyens de la dure loi de Sparte qui "rend forts et robustes ceux qui sont bien constitués, et fait périr tous les autres".

Rousseau dit encore que l’éducation doit « donner aux âmes la force nationale et diriger tellement leurs opinions et leurs goûts qu’elle soit patriote par inclination, par passion, par nécessité. Un enfant en ouvrant les yeux, doit voir la Patrie et, jusqu’à sa mort, ne doit plus voir qu’elle. »

Rousseau est tellement misanthrope qu’il pense que même deux personnes, un homme et une femme par exemple, et c’est déjà affreux… « L’homme et la femme sont faits pour s’unir, mais passé cette union légitime, tout commerce d’amour entre eux est une source affreuse de désordres. » (Épître à M. Bordes)

Jouvenel fait remarquer que, pour Rousseau, « à mesure que l’homme dépend plus de ses semblables pour la satisfaction de ses besoins, ses rapports avec eux par là se corrompent. »

Examinons la thèse du « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes » qui a amené ses partisans et ses adversaires à voir en Rousseau un révolutionnaire opposé à tout Etat, ce qui nous semble un très gros contresens.

Le texte est dédié aux autorités de Genève, une aristocratie bourgeoise protestante, qui dirigent la république suisse et il est tout le contraire d’un texte de philosophe de la révolution politique ou sociale :

« Magnifiques, très honorés et souverains seigneurs, convaincu qu’il n’appartient qu’au Citoyen vertueux de rendre à sa Patrie des honneurs qu’elle puisse avouer, il y a trente ans que je travaille à mériter de vous offrir un hommage public… En recherchant les meilleurs maximes que le bons sens puisse dicter sur la constitution d’un gouvernement, j’ai été si frappé de les voir toutes en exécution dans le vôtre, que même sans être né dans vos murs, j’ai cru pouvoir me dispenser d’offrir ce tableau de la société humaine, à celui de tous les peuples qui me paraît en posséder les plus grands avantages, et en avoir le mieux prévenu les abus. Si j’avais eu à choisir le lieu de ma naissance, j’aurai choisi une société d’une grandeur bornée… chacun suffisant à son emploi, nul n’eut été contraint de commettre à d’autres les fonctions dont il était chargé : un Etat où tous les particuliers se connaissaient entre eux….

J’aurai voulu naître dans un pays où le Souverain et le peuple ne pussent avoir qu’un seul et même intérêt, afin que tous les mouvements de la machine ne tendissent jamais qu’au bonheur commun…

J’aurais donc voulu que personne dans l’Etat n’eût pu se dire au-dessus de la loi…

Je n’aurais point voulu habiter une République de nouvelle institution, quelques bonnes lois qu’elle pût avoir ; de peur que le gouvernement autrement constitué peut-être qu’il ne faudrait pour le moment, ne convenant pas aux nouveaux Citoyens, ou les Citoyens au nouveau gouvernement, l’Etat ne fut sujet à être ébranlé et détruit presque dès sa naissance. Car il en est de la liberté comme de ces aliments solides et succulents, ou de ces vins généreux, propres à nourrir et fortifier les tempéraments robustes qui en ont l’habitude, mais qui accablent, ruinent et enivrent les faibles et délicats qui n’y sont point faits…

J’aurais fui surtout, comme nécessairement mal gouvernée, une République où le Peuple croyant pouvoir se passer de ses Magistrats ou ne leur laisser qu’une autorité précaire, aurait imprudemment gardé l’administration des affaires Civiles et l’exécution de ses propres lois ; telles dut être la grossière constitution des premiers gouvernements sortant immédiatement de l’état de Nature, et tel fut encore un des vices qui perdirent la République d’Athènes…

Votre Souveraineté, acquise ou recouvrée à la pointe de l’épée, et conservée durant deux siècles à force de valeur et de sagesse, est enfin pleinement et universellement reconnue. Des traités honorables fixent vos limites, assurent vos droits, et affermissent votre repos. Votre constitution est excellente, dictée par la plus sublime raison, et garantie par des puissances amies et respectables ; votre état est tranquille, vous n’avez ni guerres ni conquérants à craindre ; vous n’avez point d’autres maîtres que de sages lois que vous avez faites, administrées par des magistrats intègres qui sont de votre choix... Puisse durer toujours, pour le bonheur de ses citoyens et l’exemple des Peuples une République si sagement et si heureusement constituée ! Voilà le seul vœu qui vous reste à faire, et le seul soin qui vous reste à prendre. »

Ce passage, qui fait un éloge très peu mesuré et qui sent la flagornerie, du pouvoir de la République aristocratique de Genève, est particulièrement croustillant quand on pense que la vague révolutionnaire en Europe sera initiée, au début des années 1780, par deux révolutions contre la caste aristocratique de Genève qui vont complètement lui ôter le pouvoir.

Il poursuit sa préface :

« Ce qu’il y a de plus cruel encore, c’est que tous les progrès de l’Espèce humaine l’éloignant sans cesse de son état primitif, plus nous accumulons de nouvelles connaissances, et plus nous nous sommes mis hors d’état de connaitre l’homme… »

Et Rousseau démontre que, si on suppose comme lui l’existence d’un « état naturel » de l’homme dans une première phase, on s’aperçoit que sa nature ne devait pas le porter à vivre en société :

« Quoiqu’il en soit de ces origines, on voit du moins, au peu de soin qu’a pris la Nature de rapprocher les Hommes par des besoins mutuels, et de leur faciliter l’usage de la parole, combien elle a peu préparé leur Sociabilité, et combien elle a peu mis du sien dans tout ce qu’ils ont fait, pour en établir les liens. En effet, il est impossible d’imaginer pourquoi dans cet état primitif un homme aurait plutôt besoin d’un autre homme qu’un singe ou un loup de son semblable, ni ce besoin supposé, quel motif pourrait engager l’autre à y pourvoir, ni même, en ce dernier cas, comment ils pourraient convenir entre eux des conditions…
Il paraît d’abord que les hommes dans cet état n’ayant entre eux aucune sorte de relation morale, ni de devoirs connus, ne pouvaient être ni bons, ni méchants, et n’avaient ni vices ni vertus... »

Il poursuit :

« Comme ils n’avaient entre eux aucune espèce de commerce ; qu’ils ne connaissaient par conséquent ni la vanité, ni la considération, ni l’estime, ni le mépris ; qu’ils n’avaient pas la moindre notion du tien et du mien, ni aucune véritable idée de la justice ; qu’ils regardaient les violences, qu’ils pouvaient essuyer, comme un mal facile à réparer, et non comme une injure qu’il faut punir, et qu’ils ne songeaient pas même à la vengeance, si ce n’est peut-être machinalement et sur le champ, comme le chien qui mord la pierre qu’on lui jette ; leurs disputes eussent eu rarement des suites sanglantes, si elles n’eussent point eu de sujet plus sensible que la Pâture. »

Il affirme ainsi que l’ « homme sauvage » est le véritable homme parce qu’il n’est pas social :

« Concluons qu’errant dans les forêts sans industrie, sans parole, sans domicile, sans guerre et sans liaisons, sans nul besoin de ses semblables, comme sans nul désir de leur nuire, peut-être même sans jamais en reconnaître aucun individuellement, l’homme Sauvage sujet à peu de passions, et se suffisant à lui-même, n’avait que les sentiments et les lumières propres à cet état, qu’il ne sentait que ses vrais besoins, ne regardait que ce qu’il croyait avoir intérêt de voir, et que son intelligence ne faisait pas plus de progrès que sa vanité. »

Voilà pour l’état naturel de l’Homme, ou du moins ce qu’en imagine Rousseau…

Et la perturbation de cet ordre naturel :

« Sitôt que les hommes eurent commencé à s’apprécier mutuellement et que l’idée de la considération fut formée dans leur esprit, chacun prétendit y avoir droit ; et il ne fut plus possible d’en manquer impunément pour personne. De là sortirent les premiers devoirs de la civilité, même parmi les Sauvages…. Mais il faut remarquer que la Société commencée et les relations déjà établies entre les hommes, exigeaient en eux des qualités différentes de celle qu’ils tenaient de leur constitution primitive… Plus on y réfléchit, plus on trouve que cet état était le moins sujet aux révolutions, le meilleur à l’homme, et qu’il n’en a dû sortir que par quelque funeste hasard qui pour l’utilité commune eût dû ne jamais arriver. L’exemple des Sauvages qu’on a presque tous trouvés à ce point semble confirmer que le Genre-humain était fait pour y rester toujours, que cet état est la véritable jeunesse du monde, et que tous les progrès ultérieurs ont été en apparence autant de pas vers la perfection de l’individu, et en effet vers la décrépitude de l’espèce. Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arrêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de Musique. En un mot, tant qu’ils s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons, et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur Nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant : mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre ; dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire, et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons. »

Et il conclue :

« Qu’on admire tant qu’on voudra la Société humaine, il n’en sera pas moins vrai qu’elle porte nécessairement les hommes à s’entrehaïr à proportion que leurs intérêts se croisent, à se rendre mutuellement des services apparents et à se faire en effet tous les maux imaginables. »

Dans le Contrat social, il en reste au même point de vue :

« Commençons par rechercher d’où naît la nécessité des institutions politiques. La force de l’homme est tellement proportionnée à ses besoins naturels et à son état primitif, que pour peu que cet état change et que ses besoins augmentent, l’assistance de ses semblables lui devient nécessaire, et, quand enfin ses désirs embrassent toute la nature, le concours de tout le genre humain suffit à peine pour les assouvir… Chaque individu peut comme homme avoir une volonté particulière contraire ou dissemblable à la volonté générale qu’il a comme Citoyen… Ainsi donc pour que le contrat social ne soit pas un vain formulaire, il faut qu’indépendamment du consentement des particuliers, le souverain ait quelques garants de leurs engagements envers la cause commune… Ainsi le pacte fondamental renferme tacitement cet engagement qui seul peut donner de la force à tous les autres que quiconque refusera d’obéir à la volonté générale, y sera contraint par tout le corps. »

Dans « Sur le gouvernement de Pologne », au chapitre « causes particulières de l’anarchie », Rousseau précise :

« Tant que les particuliers auront le pouvoir de résister à la force exécutive, ils croiront en avoir le droit, et tant qu’ils auront entre eux de petites guerres, comment veut-on que l’Etat soit en paix ? »

On remarquera qu’il n’y a pas là une base quelconque à un point de vue libertaire ou anarchiste !

A l’anti-étatisme de l’anarchisme, qui a de commun avec le marxisme de penser que l’Etat n’est nullement la manifestation de la volonté générale, opposons la vision de Rousseau :

« Il y a donc dans l’Etat une force commune qui le soutient, une volonté générale qui dirige cette force et c’est l’application de l’une à l’autre qui constitue la souveraineté... Je crois pouvoir poser pour une maxime incontestable, que la volonté générale peut seule diriger les forces de l’Etat selon la fin de son institution, qui est le bien commun. »

Notons que les réflexions sur l’homme de nature, le bon sauvage ne correspondent nullement à nos connaissances. L’homme a toujours été un animal social, d’autant que les singes sont eux-mêmes des animaux sociaux et politiques. Notons également que la volonté de Rousseau de chercher une étape de l’homme que l’on pourrait appeler naturel ne correspond nullement à ce que nous savons de l’évolution « naturelle » des homos. Des hommes qui vivraient des vies individuelles sans communiquer entre eux n’ont probablement jamais existé, à aucune étape de l’évolution vers l’Homme.

La suite

Rousseau était-il un révolutionnaire malgré lui, comme le suggère ici Jaurès ?

Messages

  • « ce fut un soubresaut général, à peu près comme chez Mme d’Épinay le jour où Jean-Jacques Rousseau, se levant au milieu des sarcasmes fort impies de d’Holbach et de Diderot, dit tout haut : « Eh bien, moi, messieurs, je crois en Dieu ! »

  • Rousseau théoricien de l’individualisme et philosophe de la misanthropie

    lundi 8 juillet 2013, par Robert Paris

    Bravo et Merci.

  • Pour Rousseau, le désir des pauvres face au luxe des riches est de la jalousie :

    « Ou le luxe est l’effet des richesses, ou il les rend nécessaires ; il corrompt à la fois le riche et le pauvre, l’un par la possession, l’autre par la convoitise. »

  • Et pourtant, de manière contradictoire, Rousseau sentait monter la révolution : il a pu écrire en 1765 "je m’attends à des bouleversements politiques, économiques, sociaux, considérables".

  • « Tandis que, tranquille dans mon innocence, je n’imaginais qu’estime et bienveillance pour moi parmi les hommes ; tandis que mon coeur ouvert et confiant s’épanchait avec des amis et des frères, les traîtres m’enlaçaient en silence de rets forgés au fond des enfers. Surpris par les plus imprévus de tous les malheurs et les plus terribles pour une âme fière, traîné dans la fange sans jamais savoir par qui ni pourquoi, plongé dans un abîme d’ignominie, enveloppé d’horribles ténèbres à travers lesquelles je n’apercevais que de sinistres objets, à la première surprise je suis terrassé, et jamais je ne serais revenu de l’abattement où me jeta ce genre imprévu de malheurs si je ne m’étais ménagé d’avance des forces pour me relever dans mes chutes.
    Ce ne fut qu’après des années d’agitations que reprenant enfin mes esprits et commençant de rentrer en moi-même, je sentis le prix des ressources que je m’étais ménagées pour l’adversité. »

    Rêveries du promeneur solitaire, Jean-Jacques Rousseau

  • « Le mal que m’ont fait les hommes ne me touche en aucune sorte ; la crainte seule de celui qu’ils peuvent me faire encore est capable de m’agiter ; mais certain qu’ils n’ont plus de nouvelle prise par laquelle ils puissent m’affecter d’un sentiment permanent je me ris de toutes leurs trames et je jouis de moi-même en dépit d’eux. »

    Rêveries du promeneur solitaire, Jean-Jacques Rousseau

  • Rêveries du promeneur solitaire :

    Ma destinée semble avoir tendu dès mon enfance le premier piège qui m’a rendu long-tems si facile à tomber dans tous les autres. Je suis né le plus confiant des hommes & durant quarante ans entiers jamais cette confiance ne fut trompée une seule fois. Tombé tout d’un coup dans un autre genre de gens & de choses j’ai donné dans mille embûches sans jamais en apercevoir aucune, & vingt ans d’expérience ont à peine suffi pour m’éclairer sur mon sort. Une fois convaincu qu’il n’y a que mensonge & fausseté dans les démonstrations grimacières qu’on me prodigue, j’ai passé rapidement à l’autre extrémité : car quand on est une fois sorti de son naturel, il n’y a plus de bornes qui nous retiennent. Dès lors je me suis dégoûté des hommes, & ma volonté concourant avec la leur cet égard me tient encore plus éloigné d’eux que font toutes leurs machines.

    Ils ont beau faire : cette répugnance ne peut mais aller jusqu’à l’aversion. En pensant à la dépendance où ils se sont mis de moi pour me punir dans la leur, ils me font une pitié réelle. Si je suis malheureux ils le sont eux-mêmes, & chaque fois que je rentre en moi je les trouve toujours à craindre. L’orgueil peut-être se mêle encore à ces égaremens, je me sens trop au-dessus d’eux pour les haïr. Ils peuvent m’intéresser tout au plus jusqu’au mépris, mais jamais jusqu’à la haine. enfin je m’aime trop moi-même pour pouvoir haïr qui que soit. Ce seroit resserrer, comprimer mon existence, & je voudrois plutôt l’étendre sur tout l’univers.

    J’aime mieux les fuir que les haïr. Leur aspect frappe mes sens & par eux mon cœur d’impressions que mille regards cruels me rendent pénibles ; mais le malaise cesse aussitôt que l’objet qui cause a disparu. Je m’occupe d’eux, & bien malgré moi par leur présence, mais jamais par leur souvenir. Quand je ne les vois plus, ils sont pour moi comme s’ils n’existoient point.

    Ils ne me sont même indifférents qu’en ce qui se rapporte à moi ; car dans leurs rapports entre eux ils peuvent encore m’intéresser & m’émouvoir comme les personnages d’un drame que je verrois représenter. Il faudroit que mon être moral fût anéanti pour que la justice me devînt indifférente. Le spectacle de l’injustice & de la méchanceté me fait encore bouillir le sang de colère ; les actes de vertu où je ne vois ni forfanterie ni ostentation me font toujours tressaillir de joie & m’arrachent encore de douces larmes. Mais il faut que je les voie & les apprécie moi-même ; car après ma propre histoire il faudroit que je fusse insensé pour adopter, sur quoi que ce fût le jugement des hommes, & pour croire aucune chose sur la foi d’autrui.

    Si ma figure & mes traits étoient aussi parfaitement inconnus aux hommes que le sont mon caractère & mon naturel, je vivrois encore sans peine au milieu d’eux. Leur société même pourroit me plaire tant que je leur serois parfaitement étranger. Livré sans contrainte à mes inclinations naturelles, je les aimerois encore s’ils ne s’occupoient jamais de moi. J’exercerois sur eux une bienveillance universelle & parfaitement désintéressée : mais sans former jamais d’attachement particulier, & sans porter le joug d’aucun devoir, je ferois envers eux librement & de moi-même tout ce qu’ils ont tant de peine à faire incités par leur amour-propre & contraints par toutes leurs lois.

    Si j’étois resté libre, obscur, isolé, comme j’étois fait pour l’être, je n’aurois fait que du bien : car je n’ai dans le cœur le germe d’aucune passion nuisible. Si j’eusse été invisible & tout-puissant comme Dieu, j’aurois été bienfaisant & bon comme lui. C’est la force & la liberté qui font les excellents hommes. La faiblesse & l’esclavage n’ont jamais fait que des méchants. Si j’eusse été possesseur de l’anneau de Gygès, il m’eût tiré de la dépendance des hommes & les eût mis dans la mienne. Je me suis souvent demandé, dans mes châteaux en Espagne, quel usage j’aurois fait de cet anneau ; car c’est bien là que la tentation d’abuser doit être près du pouvoir. Maître de contenter mes desirs, pouvant tout sans pouvoir être trompé par personne, qu’aurois-je pu desirer avec quelque suite ? Une seule chose : c’eût été de voir tous les cœurs contents. L’aspect de la félicité publique eût pu seul toucher mon cœur d’un sentiment permanent, & l’ardent desir d’y concourir eût été ma plus constante passion. Toujours juste sans partialité & toujours bon sans foiblesse, je me serois également garanti des méfiances aveugles & des haines implacables ; parce que, voyant les hommes tels qu’ils sont & lisant aisément au fond de leurs cœurs, j’en aurois peu trouvé d’assez aimables pour mériter toutes mes affections, peu d’assez odieux pour mériter toute ma haine, & que leur méchanceté même m’eût disposé à les plaindre par la connaissance certaine du mal qu’ils se font à eux-mêmes en voulant en faire à autrui. Peut-être aurois-je eu dans des momens de gaieté l’enfantillage d’opérer quelquefois des prodiges : mais parfaitement désintéressé pour moi-même & n’ayant pour loi que mes inclinations naturelles, sur quelques actes de justice sévère j’en aurois fait mille de clémence & d’équité. Ministre de la Providence & dispensateur de ses lois selon mon pouvoir, j’aurois fait des miracles plus sages & plus utiles que ceux de la légende dorée & du tombeau de Saint-Médard.

  • Rêveries du promeneur solitaire :

    Fuyant les hommes, cherchant la solitude, n’imaginant plus, pensant encore moins, & cependant doué d’un tempérament vif qui m’éloigne de l’apathie languissante & mélancolique, je commençai de m’occuper, de tout ce qui m’entourait, & par un instinct fort naturel je donnai la préférence aux objets les plus agréables. Le règne minéral n’a rien en soi d’aimable & d’attrayant ; ses richesses enfermées dans le sein de la terre semblent avoir été éloignées des regards des hommes pour ne pas tenter leur cupidité. Elles sont là comme en réserve pour servir un jour de supplément aux véritables richesses qui sont plus à sa portée & dont il perd le goût à mesure qu’il se corrompt. Alors il faut qu’il appelle l’industrie, la peine & le travail au secours de ses miseres ; il fouille les entrailles de la terre, il va chercher dans son centre aux risques de sa vie & aux dépens de sa santé des biens imaginaires à la place des biens réels qu’elle lui offroit d’elle-même quand il savoit en jouir. Il fuit le soleil & le jour qu’il n’est plus digne de voir ; il s’enterre tout vivant & fait bien, ne méritant plus de vivre à la lumiere du jour. Là, des carrières des gouffres, des forges, des fourneaux, un appareil d’enclumes, de marteaux de fumée & de feu succèdent aux douces images des travaux champêtres. Les visages hâves des malheureux qui languissent dans les infectes vapeurs des mines, de noirs forgerons, de hideux cyclopes sont le spectacle que l’appareil des mines substitue au sein de la terre, à celui de la verdure & des fleurs, du ciel azuré, des bergers amoureux & des laboureurs robustes sur sa surface.

  • « Ce qui fait la vraie valeur d’un être humain, c’est de s’être délivré de son petit moi. »

    Einstein

  • Quand même de là à trouver que Rousseau n’est pas du tout révolutionnaire !

  • Rousseau, un révolutionnaire ? Lui qui écrivait :

    « Pour moi, je vous déclare que je ne voudrais pour rien au monde avoir trempé dans la conspiration la plus légitime ; parce que ces sortes d’entreprises ne peuvent s’exécuter sans troubles, et qu’à mon avis le sang d’un seul homme est de plus grand prix que la liberté du genre humain. »

    (Rousseau, « lettre à la comtesse Warstenleben, 27 septembre 1766)

    Rousseau qui trouvait l’Encyclopédie bien trop radicale à son goût et tout théâtre trop immoral pour le bien de l’esprit humain !!

  • Rousseau pas si révolutionnaire que ça !

    On aurait en effet du mal à découvrir chez lui un appel à la révolte, et surtout à l’insurrection armée. À Genève, en 1737, lorsqu’il voit, pendant les troubles, un père et un fils aller combattre dans des rangs opposés, il jure « de ne tremper jamais dans aucune guerre civile ».

    Dans sa réponse au roi Stanislas, en 1751, il a prévenu que quand bien même « quelque grande révolution » venait à renverser l’existant, elle « serait presque aussi à craindre que le mal qu’elle pourrait guérir ».

    « L’homme du monde (…) qui a le plus d’aversion pour les révolutions et les ligueurs de toute espèce », écrit Rousseau de lui-même. » (Rousseau juge de Jean-Jacques, Dialogue troisième)

    Quant aux Lumières, il a été l’adversaire de tous !

    Il rompt successivement avec Condillac, avec Jean le Rond d’Alembert, et même avec Diderot, l’éditeur de l’Encyclopédie, qui fut pourtant son ami. Il se montre pareillement critique envers Condorcet, D’Holbach ou Helvétius. Quant à Voltaire, il deviendra bientôt son pire ennemi.

    Lorsqu’en 1749, il participe au concours ouvert par l’académie de Dijon sur le thème « Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les moeurs » (il obtiendra le premier prix), c’est pour répondre avec force par la négative. Sa conclusion est que les sciences, les lettres et les arts ont surtout contribué à la « corruption des moeurs » et que leur prétendu « progrès » s’est partout traduit par un abaissement de la morale : « Nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection. » Prendre une telle position, écrit Frédéric Lefebvre, « c’était déjà se tourner contre la Cour et les salons […], le paraître plutôt que l’être […] ». C’était surtout s’en prendre radicalement à l’idéologie du progrès, qui sous-tend tout le projet des Lumières.

  • Au moins, Rousseau aura défendu la liberté comme l’ont fait les Lumières, par exemple celle des femmes ?

  • Diderot, lui, a défendu la liberté des femmes ! Mais pas Rousseau !

    Diderot écrivait :

    « Quelque avantage qu’on imagine à priver les femmes de la propriété de leur corps, pour en faire un effet public, c’est une espèce de tyrannie dont l’idée me révolte, une manière raffinée d’accroître leur servitude qui n’est déjà que trop grande. Qu’elles puissent dire à un capitaine, à un magistrat, à quelque autre citoyen illustre que ce soit : « Oui, vous êtes un grand homme, mais vous n’êtes pas mon fait. La patrie vous doit des honneurs, mais qu’elle ne s’acquitte pas à mes dépens. Je suis libre, dites-vous, et par le sacrifice de mon goût et de mes sens vous m’assujettissez à la fonction la plus vile de la dernière des esclaves. Nous avons des aversions qui nous sont propres et que vous ne connaissez ni ne pouvez connaître. Nous sommes au supplice, nous, dans des instants qui auraient à peine le plus léger désagrément pour vous. Vous disposez de vos organes comme il vous plaît ; les nôtres moins indulgents ne sont pas même toujours d’accord avec notre cœur, ils ont quelquefois leur choix séparé. Ne voulez-vous tenir entre vos bras qu’une femme que vous aimez, ou votre bonheur exige-t-il que vous en soyez aimé ? Vous suffit-il d’être heureux, et seriez-vous assez peu délicat pour négliger le bonheur d’une autre ? Quoi, parce que vous avez massacré les ennemis de l’État, il faut que nous nous déshabillions en votre présence, que votre œil curieux parcoure nos charmes, et que nous nous associions aux victimes, aux taureaux, aux génisses dont le sang teindra les autels des dieux, en action de grâces de votre victoire ! Il ne vous resterait plus qu’à nous défendre d’être passives comme elles. Si vous êtes un héros, ayez-en les sentiments : refusez-vous à une récompense que la patrie n’est pas en droit de vous accorder, et ne nous confondez pas avec le marbre insensible qui se prêtera sans se plaindre au ciseau du statuaire. Qu’on ordonne à l’artiste votre statue, mais qu’on ne m’ordonne pas d’être la mère de vos enfants. Qui vous a dit que mon choix n’était pas fait ? et pourquoi faut-il que le jour de votre triomphe soit marqué des larmes de deux malheureux ? L’enthousiasme de la patrie bouillonnait au fond de votre cœur, vous vous couvrîtes de vos armes et vous allâtes chercher notre ennemi. Attendez que le même enthousiasme me sollicite d’arracher moi-même mes vêtements et de courir au-devant de vos pas, mais ne m’en faites pas une loi. Lorsque vous marchâtes au combat, ce ne fut point à la loi, ce fut à votre cœur magnanime que vous obéîtes ; qu’il me soit permis d’obéir au mien. Ne vous lasserez-vous point de nous ordonner des vertus, comme si nous étions incapables d’en avoir de nous-mêmes ? Ne vous lasserez-vous point de nous faire des devoirs chimériques, où nous ne voyons que trop d’estime ou trop de mépris ? Trop de mépris, lorsque vous en usez avec nous comme la branche de laurier qui se laisse cueillir et plier sans murmure ; trop d’estime, si nous sommes la plus belle couronne que vous puissiez ambitionner. Vous ne contraindrez pas mon hommage, si vous pensez qu’il n’y a d’hommage flatteur que celui qui est libre. Mais je me tais et je rougis de parler au défenseur de mon pays, comme je parlerais à mon ravisseur. »

    Jean-Jacques Rousseau écrivait à d’Alembert en 1758 :

    « Les femmes, en général, n’aiment aucun art, ne se connaissent à aucun, et n’ont aucun génie. Elles peuvent réussir aux petits ouvrages qui ne demandent que de la légèreté d’esprit, du goût, de la grâce, quelquefois même de la philosophie et du raisonnement. Elles peuvent acquérir de la science, de l’érudition, des talents et tout ce qui s’acquiert à force de travail. Mais ce feu céleste qui échauffe et embrase l’âme, ce génie qui consume et dévore, cette brûlante éloquence, ces transports sublimes qui portent le ravissement jusqu’au fond des cours, manqueront toujours aux écrits des femmes : ils sont tous froids et jolis comme elles. »

    Emilie du Chatelet, femme des Lumières, déclarait :

    « Qu’on fasse un peu de réflexion pourquoi depuis tant de siècles, jamais une bonne tragédie, un bon poème, une histoire estimée un bon tableau un bon livre de physique n’est sorti des mains d’une femme ? Pourquoi ces créatures, dont l’entendement parait en tout si semblable à celui des hommes, semblent pourtant arrêtées par une force invincible, et qu’on en donne la raison si l’on peut... Pour moi, si j’étais roi, je réformerais un abus qui retranche pour ainsi dire la moitié du genre humain. Je ferais participer les femmes à tous les droits de l’humanité et surtout à ceux de l’esprit. ...je suis persuadée que bien des femmes ou ignorent leurs talents, par le vice de l’éducation ou les enfouissent par préjugé et faute de courage dans l’esprit. »

    • Dans sa Lettre à d’Alembert, Rousseau précise que la situation particulière et soumise de la femme lui semble naturelle :

      « Ce qui nous sépare des hommes, c’est la nature elle-même qui nous prescrit des occupations différentes. »

      Rousseau dans l’Emile :

      « La femme est faite pour plaire à l’homme » !!!

      Il rajoute dans le même ouvrage :

      « La femme infidèle dissout la famille et brise tous les liens de la nature. »

      Et encore :

      « Je ne blâmerais pas sans distinction qu’une femme fût bornée aux seuls travaux de son sexe et qu’on la laissât dans une profonde ignorance sur tout le reste. »

      Ou encore :

      « Une femme parfaite et un homme parfait ne doivent pas plus se ressembler d’âme que de visage… »

      Et toujours :

      « La première et la plus importante qualité d’une femme est la douceur : faite pour obéir à un être aussi imparfait que l’homme… elle doit apprendre de bonne heure même à souffrir l’injustice. » !!!

      Rousseau dans La nouvelle Héloïse décrit les femmes parisiennes qu’il juge trop libres :

      « Cessant d’être femmes, de peur d’être confondues avec d’autres femmes, femmes préfèrent leur rang à leur sexe et imitent les filles de joie, afin de ne pas être imitées. » !!!!

    • Diderot sur les femmes :

      Les femmes sont assujetties comme nous aux infirmités de l’enfance, plus contraintes et plus négligées dans leur éducation, abandonnées aux mêmes caprices du sort, avec une âme plus mobile, des organes plus délicats, et rien de cette fermeté naturelle ou acquise qui nous y prépare ; réduites au silence dans l’âge adulte, sujettes à un malaise qui les dispose à devenir épouses et mères : alors tristes, inquiètes, mélancoliques, à côté de parents alarmés, non-seulement sur la santé et la vie de leur enfant, mais encore sur son caractère : car c’est à cet instant critique qu’une jeune fille devient ce qu’elle restera toute sa vie, pénétrante ou stupide, triste ou gaie, sérieuse ou légère, bonne ou méchante, l’espérance de sa mère trompée où réalisée. Pendant une longue suite d’années, chaque lune ramènera le même malaise. Le moment qui la délivrera du despotisme de ses parents est arrivé ; son imagination s’ouvre à un avenir plein de chimères ; son cœur nage dans une joie secrète. Réjouis-toi bien, malheureuse créature ; le temps aurait sans cesse affaibli la tyrannie que tu quittes ; le temps accroîtra sans cesse la tyrannie sous laquelle tu vas passer. On lui choisit un époux. Elle devient mère. L’état de grossesse est pénible presque pour toutes les femmes. C’est dans les douleurs, au péril de leur vie, aux dépens de leurs charmes, et souvent au détriment de leur santé, qu’elles donnent naissance à des enfants. Le premier domicile de l’enfant et les deux réservoirs de sa nourriture, les organes qui caractérisent le sexe, sont sujets à deux maladies incurables. Il n’y a peut-être pas de joie comparable à celle de la mère qui voit son premier-né ; mais ce moment sera payé bien cher. Le père se soulage du soin des garçons sur un mercenaire ; la mère demeure chargée de la garde de ses filles. L’âge avance ; la beauté passe ; arrivent les années de l’abandon, de l’humeur et de l’ennui. C’est par le malaise que Nature les a disposées à devenir mères ; c’est par une maladie longue et dangereuse qu’elle leur ôte le pouvoir de l’être. Qu’est-ce alors qu’une femme ? Négligée de son époux, délaissée de ses enfants, nulle dans la société, la dévotion est son unique et dernière ressource. Dans presque toutes les contrées, la cruauté des lois civiles s’est réunie contre les femmes à la cruauté de la nature. Elles ont été traitées comme des enfants imbéciles. Nulle sorte de vexations que, chez les peuples policés, l’homme ne puisse exercer impunément contre la femme. La seule représaille qui dépende d’elle est suivie du trouble domestique, et punie d’un mépris plus ou moins marqué, selon que la nation a plus ou moins de mœurs. Nulle sorte de vexations que le sauvage n’exerce contre sa femme. La femme, malheureuse dans les villes, est plus malheureuse encore au fond des forêts….

      Femmes, que je vous plains ! Il n’y avait qu’un dédommagement à vos maux ; et si j’avais été législateur, peut-être l’eussiez-vous obtenu. Affranchies de toute servitude, vous auriez été sacrées en quelque endroit que vous eussiez paru. Quand on écrit des femmes, il faut tremper sa plume dans l’arc-en-ciel et jeter sur sa ligne la poussière des ailes du papillon ; comme le petit chien du pèlerin, à chaque fois qu’on secoue la patte, il faut qu’il en tombe des perles…

      Aucune autorité ne les a subjuguées…

      Ou les femmes se taisent, ou souvent elles ont l’air de n’oser dire ce qu’elles disent…

      Quand elles ont du génie, je leur en crois l’empreinte plus originale qu’en nous.

      source

  • Rousseau déclarait sur lui-même :

    « La rêverie me délasse et m’amuse. La réflexion me fatigue et m’attriste. Penser fut toujours pour moi une occupation sans charme. »

  • Rousseau a-t-il expliqué lui-même, dans ses écrits, son attitude personnelle apparemment en contradiction complète avec sa philosophie, se faisant dans « Emile » le pédagogue d’une nouvelle manière d’enseigner aux enfants et, d’un autre côté, faisant de nombreux enfants qu’il a tous remis aux « enfants trouvés », c’est-à-dire dans les orphelinats ?

  • Eh bien, justement oui, il l’a fait et cela démontre que cette attitude n’est pas en contradiction avec sa philosophie !!! Mais sa philosophie n’est pas celle qu’on lui prête : c’est celle d’un égocentrique forcené…

    Il parle de ses enfants abandonnés dans « Emile », dans « Les Rêveries du promeneur solitaire » et dans « Les Confessions ».

    « Emile » :

    « Celui qui ne peut remplir les devoirs de père n’a point le droit de le devenir. Il n’y a ni pauvreté, ni travaux, ni respect humain qui le dispensent de nourrir ses enfants… Lecteurs, vous pouvez m’en croire. Je prédis à quiconque a des entrailles et néglige de si saints devoirs qu’il versera longtemps sur sa faute des larmes amères et n’en sera jamais consolé. »

    « Confessions », livre huitième :

    « Thérèse devint grosse pour la troisième fois. Trop sincère avec moi, trop fier en dedans pour vouloir démentir mes principes par mes œuvres, je me mis à examiner la destination de mes enfants et de mes liaisons avec leur mère sur les lois de la nature, de la justice et de la raison, et sur celles de cette religion pure, sainte, éternelle comme son auteur, que les hommes ont souillée en feignant de vouloir la purifier, et dont ils n’ont plus fait par leurs formules qu’une religion de mots, vu qu’il en coûte peu de prescrire l’impossible, quand on se dispense de la pratiquer…. Jamais un seul instant de sa vie Jean-Jacques n’a pu être un homme sans sentiment, sans entrailles, un père dénaturé… Je me contenterai de dire qu’en livrant mes enfants à l’éducation publique faute de pouvoir les élever moi-même ; en les destinant à devenir ouvriers et paysans plutôt qu’aventuriers et coureurs de fortune, je crus faire un acte citoyen et de père, et je me regardai comme un membre de la République de Platon. Plus d’une fois depuis lors, les regrets de mon cœur m’ont appris que je m’étais trompé, mais loin que ma raison m’ait donné le même avertissement, j’ai souvent béni le Ciel de les avoir garantis par là du sort de leur père, et de celui qui les menaçait quand j’aurais été forcé de les abandonner… Je n’y voyais aucun mal. Tout pesé, je choisis pour mes enfants le mieux ou ce que je crus l’être. »

    « Les Rêveries du promeneur solitaire », neuvième promenade :

    « Je comprends que le reproche d’avoir mis mes enfants aux enfants trouvés a facilement dégénéré avec un peu de tournure en celui d’être un père dénaturé et de haïr les enfants. Cependant il est sûr que c’est la crainte d’une destinée pour eux mille fois pire et presque inévitable par toute autre voie qui m’a le plus déterminé dans cette démarche. Plus indifférent sur ce qu’ils deviendraient et hors d’état de les élever moi-même il aurait fallu dans ma situation les laisser élever par leur mère qui les aurait gâtés et par sa famille qui les aurait fait des monstres. Je frémis encore d’y penser… Je savais que l’éducation pour eux la moins périlleuse était celle des enfants trouvés. »

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