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La bourgeoisie dans les pays impérialistes

lundi 13 mai 2013, par Robert Paris

Barta

La bourgeoisie dans les pays impérialistes

La confusion au sujet de la " lutte nationale " qui sévit depuis juin 40 parmi les ouvriers, soigneusement entretenue par les staliniens, n’a pas épargné une fraction de l’avant-garde révolutionnaire qui s’intitule " Comités (!) français de la IVème Internationale ".

Ce groupe, qui dans le désarroi idéologique consécutif à la débâcle de l’armée fran­çaise, préconisait la création de "Comités de vigilance nationale " avec des bourgeois pensant français, est aujourd’hui revenu sur des positions "internationalistes " ; mais, soit à propos du " front unique des petits patrons et des ouvriers contre la concen­tration industrielle ", soit lorsqu’il admet en général "l’alliance avec des courants de la bourgeoisie dans des conditions déterminées" (Informations Ouvrières), il apparaît clairement qu’il manque d’une compréhension sérieuse des rapports de classes réels dans les pays impérialistes.

Qu’est-ce qu’un bourgeois " pensant français " ? Remontons aux ancêtres : déjà en 1875 (à propos de Lassalle qui disait que " la classe ouvrière travaille à son affranchissement tout d’abord dans le cadre de l’État actuel, sachant bien, que "...etc...) Marx constate dans la Critique du Programme de Gotha :

Le " cadre de l’État national actuel " c’est-à-dire l’Empire allemand, entre lui-même à son tour, économiquement, " dans le cadre " du mar­ché universel, politiquement " dans le cadre " du système des États. Le premier marchand venu sait que le commerce allemand est aussi commerce extérieur et la grandeur de M. Bismarck réside précisément dans une sorte de politique internatio­nale ".

... Le bourgeois ne pense ni "français", ni "allemand", ni "anglais", etc... ; le bourgeois pensé marché. C’est cela qui détermine ses sentiments et ses actes réels, et sa phraséologie nationaliste couvre seulement le fait que la base de sa puissance politique se trouve dans un État donné.

Dans les pays coloniaux et semi-coloniaux il y a certains objectifs communs au prolétariat et à la bourgeoisie du fait que le bourgeois indigène, pensant " marché ", est loin d’avoir atteint ses objectifs capitalistes de classe contre les restes féodaux (militarisme local, etc…) dans son pays et contre l’impérialisme étranger. Ce qui le caractérise, c’est le fait qu’il joue surtout le rôle d’intermédiaire entre le marché local et le capital financier (exporté par les banques et les trusts des pays impérialistes) : le bourgeois in­digène ne s’est pas encore élevé à la domination économique et politique nationale, il a besoin de créer son État contre le morcellement hérité du féodalisme et d’obtenir l’égalité juridique contre l’impérialisme, etc... Le prolétariat, d’autre part, pour mener à bien sa lutte pour ses objectifs de classe a tout d’abord également besoin d’un " cadre d’État na­tional ". Ce sont ces intérêts historiques communs aux classes antagonistes qui rendent possible le front unique avec " certains courants de la bourgeoisie " dans les pays coloniaux et semi-coloniaux. D’ailleurs, cette possibilité d’accord entre le prolétariat, gar­dant son entière indépendance, et la bourgeoisie est très limitée, car la bourgeoisie indigène, devant lutter pour ses objectifs de classe à l’époque impérialiste, qui est aussi celle des " guerres civiles " (Lénine), craint encore plus son propre prolétariat que l’impérialisme.

Mais dans les vieux pays impérialistes il en est tout autrement. La bourgeoisie a atteint ses objectifs de classe, c’est-à-dire la main-mise sur les forces productives et sur la puissance politique de l’État englobant une ou plusieurs nationalités, au XVIIème siècle en Angleterre, au XVIIIème en France, au XIXème enfin en Allemagne, aux États-Unis (guerre de Sécession 1865), au Japon et en Italie. Au début du XXème siècle elle devient impérialiste : le capital accumulé ne trouve plus de débouchés dans le cadre " national " et la bourgeoisie est obligée d’exporter dans les pays arriérés économiquement (colonies, semi-colonies, etc...) non seulement des marchandises mais encore toute la plus-value qui ne peut plus se convertir en Capital sur le marché national. L’importance de ces capitaux exportés en fait la principale source de revenus de la bourgeoisie impérialiste.

La bourgeoisie française, en perdant le " sol national ", a vu sa puissance poli­tique diminuée, sa position économique – par rapport aux autres impérialistes – affaiblie : mais ce n’est que " la perte d’une bataille " (de Gaulle). Car par sa puissance capitaliste elle n’a cessé un seul instant d’exploiter non seulement la France, mais encore les quatre coins du monde. Elle a conclu avec la bourgeoisie allemande des accords qui règlent l’exploitation économique de l’Europe (comités industriels : automobile, colorants, etc...), avec le Japon, des accords qui sauvent les intérêts du capital financier investi en Indochine, avec les États-Unis des accords en Afrique du Nord. Voilà d’ailleurs ce qui ex­plique parfaitement l’attitude des différents porte-parole de la bourgeoisie française Laval, de Gaulle, Darlan, etc...

" L’impérialisme a transformé les pays européens en semi-colonies dont l’activité économique est orientée uniquement dans le but de faire fructifier les investissements de capitaux étrangers " (allemands) ; voilà à quelle ineptie aboutit le bulletin Informations Ouvrières à propos du décret allemand sur la main-d’œuvre dans les territoires occupés, qui institue la priorité de l’utilisation de la main-d’œuvre pour les besoins de l’armée alle­mande. Qu’on traite ce décret d’ " esclavagiste " dans la propagande, cela ne peut pas trop prêter à confusion, si on explique que ce genre "d’esclavagisme" n’est pas un re­tour au Moyen-Age, mais le propre du capitalisme arrivé au stade impérialiste – démocratique ou totalitaire – qui fait alterner la liberté pour des millions de chômeurs de mourir de faim en temps de crise, avec le travail obligatoire pour les besoins de la guerre. Le même régime fonctionne en Angleterre et dans les territoires qu’elle occupe. Mais quand on ex­plique que les pays européens sont placés dans la situation de semi-colonies non point en un sens figuré (même en ce sens ce serait une confusion inouïe) mais en un sens écono­mique, nous sommes alors en présence non plus d’expressions " malheureuses ", mais d’un manque total de compréhension des rapports de classe dans les pays impérialistes.

Comment le " sabre prussien " aurait-il pu effacer l’œuvre historique du capita­lisme et les rapports inter-capitalistes des différents pays européens occupés par l’Alle­magne ?

Par la violence, l’économie impérialiste allemande pouvait obtenir des avan­tages vitaux pour elle : matières premières, main-d’œuvre, domination du marché européen (capitaux et marchandises). C’était possible, parce que l’économie allemande elle-même a atteint le stade historique qui lui permet d’utiliser une main-d’œuvre spécialisée, des matières premières en quantités compatibles seulement avec la grande industrie, etc... C’est également ce développement capitaliste qui a permis à l’Allemagne d’occuper la première place dans l’économie européenne, notamment par les investissements de capi­tal financier (capital bancaire et industriel) qui sont autant de tentacules sur le corps des nations européennes. Mais ceci est encore plus vrai à l’échelle mondiale, où l’économie est dominée par les États-Unis qui exploitent toutes les nations du globe. En résulte-t-il, ou en résultait-il avant la guerre, que l’Allemagne, l’Angleterre ou la France, sans parler de pays plus petits, étaient des semi-colonies au sens économique et politique par rapport à l’Amérique ? La hiérarchie des bourgeoisies dans l’exploitation des pays et de l’économie mondiale n’est nullement un rapport semi-colonial entre les nations impérialistes et capitalistes. C’est seulement entre les pays impérialistes (États-Unis, Allemagne, Angleterre, Japon, etc...) ou capitalistes (Hongrie, Roumanie, Finlande, etc...) et les pays où le capi­talisme n’a pas transformé la vie de toute la nation sur des bases bourgeoises (Chine, Indes, Afrique, etc...) qu’il y a une différence historique situant ces derniers au rang de colonies ou de semi-colonies.

Dans la hiérarchie capitaliste européenne, la bourgeoisie balkanique alliée de Hitler fait figure d’ "exploitée" par rapport à la bourgeoisie française vaincue : on peut enrôler de force la chair à canon, mais on ne peut mobiliser le capital financier qu’en lui laissant des bénéfices. L’Allemagne n’a-t-elle pas été obligée de conclure un compromis économique (qui subsiste malgré la rupture de la convention d’armistice) avec la bourgeoisie française pour pouvoir non seulement utiliser la capacité de production de l’é­conomie française, mais encore se faire un allié du capital financier français ? La bour­geoisie impérialiste a un caractère supra-national : sa puissance économique est basée, non seulement sur le territoire national, mais encore sur les liens impérialistes mondiaux entre les trusts et les banques (Krupp-Schneider, etc…). Voilà, soit dit en passant, la raison du respect que témoignent les belligérants pour les capitaux ennemis investis chez eux, qui continuent à être représentés par des pays neutres.

La défaite de l’impérialisme allemand en 1918 n’avait-elle pas contraint les ou­vriers allemands à suer des profits " uniquement " pour les capitaux étrangers (français, anglais, américains) ? L’Allemagne était-elle devenue pour cela un pays " semi-colonial " ? Dans ce cas, il resterait à expliquer comment en 1939, ce pays " semi-­colonial " a posé sa candidature à l’exploitation d’une grande partie du monde. Dans ce cas, Hitler aurait mené une véritable lutte émancipatrice en libérant son pays de l’impérialisme étranger... Voilà à quelles absurdités on arrive quand on sert aux ouvriers n’importe quelles balivernes pour les dresser " contre le nazisme ", etc… Mais, pour mener cette lutte avec succès, les ouvriers ont avant tout besoin d’une claire intelligence des rapports de classes et des rapports entre les peuples, déterminés par la situation objective des classes et des peuples.

Dans tous les pays capitalistes " alliés " à l’Axe (Roumanie, Hongrie, Finlande, etc...) ou occupés par l’Axe (Pologne, France, Belgique, Grèce, etc...) les masses sont soumises à une terrible exploitation économique renforcée d’une implacable dictature militaire, à laquelle s’ajoute pour certains peuples (Polonais, Grecs, Juifs) une véritable persécution nationale ; (en France le nationalisme n’est pas l’expression d’une oppression nationale, mais d’un chauvinisme petit-bourgeois) ; partout et toujours la bourgeoisie exploiteuse des masses travailleuses se présente comme l’agent d’un camp impérialiste, ou se divise, selon les différents intérêts économiques et politiques en fractions soutenant tel ou tel impérialisme ; partout et toujours la bourgeoisie est l’ennemie du prolétariat, dans la mesure où celui-ci à travers ses luttes immédiates garde sa conscience de classe et son indépendance en vue de sa libération de classe.

Les seuls " courants de la bourgeoisie " avec lesquels une alliance serait possible, sont les courants coloniaux nationaux-démocratiques en lutte avec notre propre impéria­lisme (ex. Abd-el-Krim, en 1924-26).

Quant à la formule du " front unique des petits patrons et des ouvriers contre la concentration industrielle ", voilà un bel exemple d’ignorance des conditions économiques de notre époque. Tandis qu’à l’époque du capitalisme de libre concurrence la concentration capitaliste rejetait les capitalistes les plus faibles dans le prolétariat, les prolétarisait, à l’époque impérialiste, la concentration capitaliste ayant abouti au monopole, le petit patron garde formellement sa position sociale, tout en devenant en réalité une sorte de " gérant " des trusts. Mais politiquement, il est plus que jamais sous leur dépendance, plus que jamais, il est leur instrument docile. Oserait-on dans une usine proposer par exemple le front unique entre les ouvriers et les contremaîtres pour l’augmentation des salaires ? Poser la question c’est déjà en sentir toute l’absurdité...

Un front unique avec des " courants de la bourgeoisie " ne serait qu’un Front Populaire qui jouerait un rôle identique à celui des staliniens – celui de frein du mouvement ouvrier – et qui subordonnerait la politique ouvrière aux buts de la bourgeoisie.

La seule formule stratégique juste pour le renversement de la bourgeoisie par le prolétariat et les masses paysannes et petites-bourgeoises, est celle de l’alliance de la petite bourgeoisie devenue anti-capitaliste avec le prolétariat, sous une direction révolutionnaire. Il s’agit ici de l’alliance de toutes les classes oppri­mées contre la bourgeoisie (ou contre le fascisme) et non pas d’un front unique entre partis (" courants ") ouvriers et bourgeois ; de tels fronts uniques ne peuvent servir que la bourgeoisie.

Encore une remarque, qui n’est pas la moins importante.

La rédaction de La Vérité appelle "camarades" les militants "ouvriers" (syndicalistes, etc...) qui recrutent pour de Gaulle et l’Angleterre... Pour nous, nous considérons toujours les agents de l’impérialisme (démocratique ou non) au sein du mouvement ouvrier comme des ennemis ; notre devoir est de les dénoncer comme tels aux ouvriers. Nous pouvons seulement essayer d’utiliser l’antagonisme impérialiste qui les oppose à Hitler, pour les besoins de notre lutte illégale.

Il ne suffit pas d’affirmer la nécessité d’union avec le prolétariat allemand, italien, anglais, etc... pour mener une politique révolutionnaire : il faut d’abord comprendre soi-même, et ensuite expliquer inlassablement aux ouvriers avancés les rapports réels, tant dans l’économie que dans la politique. Sans quoi tout se réduit à un creux bavardage " internationaliste ", mais dont la base objective n’apparaît pas aux yeux des ouvriers avancés. La confusion théorique, cela n’est pas compris dans le programme de la IVème Internationale.

Les intérêts impérialistes actuels de la bourgeoisie française peuvent être illustrés en partie par les lignes suivantes extraites du journal Pariser Zeitung du 9.12.42 :

" Le cours des valeurs boursières algériennes et marocaines, cotées à la Bourse de Paris, ...démontrent LES LIENS INTIMES qui rattachent ces territoires à la Métropole… Les valeurs boursières des deux possessions françaises sus-indiquées atteignent la somme globale de 25 milliards, sinon plus… L’État français a garanti le service de tous les em­prunts émis par les sociétés situées dans les territoires occupés de l’Afrique du Nord ; ... un brusque fléchissement des cours de ces valeurs n’est pas à craindre, TOUT AU MOINS NE SAURAIT-IL ÊTRE PROVOQUE PAR LE SIMPLE FAIT DE L’OCCUPATION. "

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