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Les discontinuités de la langue et du langage, oral comme écrit

mardi 30 juillet 2013, par Robert Paris

Les discontinuités de la langue et du langage, oral comme écrit

Quanta, rupture, saut, discontinuité, changement qualitatif, nouveauté, émergence, instabilités, apparitions/disparitions, voilà des termes qui semblent caractériser la physique moderne et pourtant nous allons les employer à propos du langage, de son histoire, de son fonctionnement, de sa transformation, des langues, etc…

La langue est un phénomène dynamique, sans cesse changeant, faisant apparaître et disparaître brutalement des mots, des expressions, des types de phrases.

La langue a une naissance brutale, émergente, discontinuité par rapport aux langues précédentes.

C’est cette brutalité et cette rupture qui a amené nombre de penseurs à estimer qu’une telle émergence ne pouvait avoir qu’une origine divine ou mystique.

L’apparition du langage articulé chez l’homme est la première des discontinuités. Le langage humain est en effet une rupture avec des langages animaux précédents. C’est une création par émergence. Et même en fait le produit de multiples émergences avec les sons descriptifs, les mots parlés, les phrases, l’écriture…

Pratiquement, on peut évaluer chez l’Homme le début du processus à la station debout et l’abaissement du larynx indispensable à la faculté de moduler des sons articulés, il y a plus d’un million d’années. Il y a 100 000 ans environ, l’Homo sapiens moderne et même celui de Néandertal, usaient déjà pleinement de la parole, ce qui peut se démontrer avec l’outillage lithique, le biface par exemple, se répartissant en Europe du Sud, en Asie de l’ouest et en Afrique, attestant la transmission d’une culture.

C’est l’Homo habilis, il y a plus de deux millions d’années, qui pourrait être le plus ancien préhumain à avoir employé un langage articulé, ce qui ne signifie pas pour autant que cet hominidé ait usé d’un langage comparable au nôtre. On suppose la préexistence d’une proto-langue chantée par la race de l’homme de Néandertal (the singing Neandertal), qui, au niveau de connaissance actuelle, ne possédait pas de syntaxe.

La modulation des cris d’alerte dans les activités humaines collectives pourrait avoir été à l’origine du langage en même temps que l’apparition d’instruments de musique bien avant le langage et l’utilisation de la gorge comme accompagnement musical.

L’histoire des langues est pleine de discontinuités, les langues, très nombreuses, dérivant d’un nombre bien plus réduit de familles de langues et d’un nombre encore plus réduit de super familles. Par exemple, la super famille des langues indo-européennes. Au sein d’une langue, il y a une évolution dynamique par changements élémentaires en permanence et changements brutaux et généraux parfois, en fonction de l’histoire des peuples. La langue suit les discontinuités de l’histoire sociale et économique des peuples et de leurs sociétés.

Les langues reflètent des conceptions sociales du monde. Ainsi, ne trouve-t-on pas dans une langue des mots décrivant des concepts qui ne correspondent pas à la réalité sociale d’une société. Pas de mot création par exemple chez un peuple cueilleur-prédateur qui ne crée ni agriculture, ni poteries. On peut lire dans ce sens dans une étude de Mo Weimin : « Aussi ne trouvons-nous aucun mot dans la langue chinoise qui contienne les notions de continuité, d’intériorité, de liberté et de différence, pour traduire la « durée ». »

La langue est un univers fait de fragments, découpés puis recomposés, de concepts, de connaissances, de vécu, de passé reconçu, remodelé, d’influences anciennes et récentes.

Le langage nécessite la capacité d’appeler du même mot des objets différents, c’est-à-dire la capacité d’abstraction, de regroupement, de classification, de description générale. L’unité conceptuelle n’est pas un continuum mais un regroupement d’éléments quantiques.

On a beaucoup affirmé que la langue était porteuse de continuité mais cette prétendue continuité en ferait une langue morte alors que les langues vivantes sont dynamiques, sautent d’un état à un autre, fabriquent des langues nouvelles…

Un autre élément qui a fait penser à une continuité est la mixture des langues qui s’interpénètrent toujours avec les langues proches géographiquement et socialement.

Le combat des langues est le reflet du combat des Etats, des peuples, des classes, des systèmes sociaux. Un exemple : à une période en Angleterre, l’Anglais est la langue du peuple et le Français la langue de la classe dirigeante noble, guerrière et propriétaires terrienne. Deux langues sont mixtées mais pas entièrement car leur coexistence reflète celle de classes sociales opposées.

Or, d’une langue à une langue proche, on doit encore traduire, ce qui s’énonce en italien « traduttore, traditore » (traduire, c’est trahir).
Les mots d’une langue ne sont pas, contrairement à l’opinion populaire, traduisibles. Chaque langue donne un sens nouveau au même mot ou au mot très proche d’une langue proche. Et on ne parle pas de langues n’ayant ni des racines proches ni mêmes des caractères identiques.

Mais la discontinuité fondamentale est celle des histoires différentes qui mènent à des divergences qui ne peuvent plus ensuite jamais converger malgré l’habileté du traducteur.

Chaque langue est pleine de comparaisons, de jeux de mots, de phrases connues, d’expressions populaires, de références à l’histoire, toutes sortes d’expression dont la simple traduction ne rend nullement le sens. On constate ainsi la discontinuité de la langue qui reflète toutes sortes de discontinuités et contradictions historiques, entre classes sociales différentes, entre sociétés différentes, entre cultures différentes.

Peut-on traduire dans une langue des réalités sociales que la population qui parle cette langue n’a pas vécues ? Comment traduire en français, par exemple, l’attitude, proprement anglaise, d’un dandy, d’un snob, d’un gentleman, d’un sportsman quand on n’a pas connu la réalité sociale et le comportement d’un tel personnage ? Et peut-on le traduire en chinois ou en chilien ?

Peut-on traduire en français ce qu’est un village chinois ou coréen de lettrés poètes alors que ce genre de chose n’a jamais existé en occident ?

Peut-on traduire dans la langue d’un peuple qui n’a pas la mémoire de l’esclavage les termes des relations d’une société esclavagiste ?

Peut-on traduire les expressions de l’individualisme dans la langue d’un peuple qui n’a jamais connu l’individualité se libérant des contraintes de la tribu, du clan, de l’ethnie ?

La langue va donc suivre toutes les discontinuités que connaît la société.

Quant aux expressions héritées du passé, nous pouvons aussi continuer à les employer sans pour autant nous rappeler leur sens ancien. Nous disons « monsieur » en ignorant que ce terme provient de « monseigneur » de l’époque féodale. Et nous rendons hommage aux capacités d’une personne sans que cela se réfère à l’hommage féodal du vassal à son suzerain. Nous utilisons les termes de service et de serviteur sans y voir une référence à serf et à servage.

Les mots proviennent de concepts, abstractions tirées de la réalité, et ils peuvent continuer à vivre une existence d’idées, une fois que cette réalité a disparu, mais ils perdent alors leur sens et peuvent en adopter un autre. On peut déclarer qu’une personne s’est enfuie sans crier gare et ne pas savoir que l’on employait cette expression par exemple pour prévenir le passant dans la rue qu’on allait jeter les pots de chambre dans la rue ! On peut mettre en garde quelqu’un sans songer à la position du bretteur qui positionne son épée en garde !

Quant à la capacité des mots d’évoquer des concepts, elle n’est pas infinie. Elle n’est possible que si l’on possède des références réelles permettant de les comprendre. Inutile d’apprendre le mot de « chaise » à un aborigène de la forêt d’Emeraude du Brésil ou de la forêt de Guinée équatoriale qui n’a jamais vu d’objet fabriqué de ce type.

Nous sommes accoutumés de constater même chez un individu des distorsions de sens dans le langage d’une personne qui font qu’il n’est semblable à aucun autre dans son utilisation du langage.
Il est également vrai que le langage n’est pas utilisé de la même manière par la même personne, aux différents âges de sa vie…
Si quelqu’un a gardé longtemps sans le relire un écrit de jeunesse, il mesurera combien, pour un même individu, le langage a connu une rupture dans les mots et dans leur sens. Les mêmes mots auront changé de saveur, de ton, de signification. La discontinuité des âges de la vie s’est reportée elle aussi sur le langage écrit.

Toute la littérature est en fait fondée sur la capacité à rendre ces discontinuités de la vie, les changements d’ambiance, de situation, de lieu, d’état d’esprit, de narrateur, de mode de narration.

Le caractère quantique de la langue écrite s’impose à tous les niveaux : langue de chaque individu, de chaque localité, de chaque région, de chaque peuple ou famille de peuples, langage composé de lettres, de mots, de morceaux de phrase, de ponctuations, de phrases, de paragraphes, de chapitres, de tomes de livres, de livres, de bibliothèques… Tout est découpé en unités quantiques !

L’écriture, comme le langage, est un mode d’expression de la discontinuité.

Messages

  • Il y a une autre discontinuité qui est propre au chinois : la langue écrite est totalement indépendante des langues parlées (chinoises et asiatiques) qui leur servent de support. La langue écrite est donc une sorte d’espéranto très pratique puisque deux personnes qui parlent des langues différentes peuvent se comprendre par écrit. Cela est visible dans les films asiatiques où des personnages dialoguent en écrivant les caractères dans la paume de leur main.

  • Il y a effectivement des discontinuités entre l’oral et l’écrit et ce ne sont pas les seules.

    Les discontinuités de la langue se révèlent parfois brutalement. Si on travaille assez longuement une langue étrangère, il arrive que, brutalement, on se mette à rêver dans cette langue ! Encore plus frappant, il arrive qu’une personne ayant subi un choc, par exemple en sortant d’un coma, change brusquement de langue de base en abandonnant sa langue maternelle, en adoptant une langue étrangère comme langue de base.

    Mais, même notre langue maternelle est en fait une langue étrangère. En effet, un enfant à qui on n’aurait pas parlé dans son enfance ne pourrait pas la connaitre de lui-même. Un enfant à qui on n’aurait pas parlé dans son enfance non seulement ne saurait pas parler mais mourrait faute de relations. L’homme a besoin d’humanité et l’échange de propos est un facteur indispensable de la vie humaine.

    Le véritable langage de base de l’être humain, son « langage machine », est le message neuronal du cerveau. Sans ce langage machine nous ne pourrions pas plus comprendre des langues que recevoir des massages de nos sens. Par contre, nous sommes, inversement, incapables de traduire ce langage machine.

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