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Ukraine : quand l’affrontement Est-Ouest et la menace de guerre civile servent les classes dirigeantes en faillite pour détourner de la lutte des classes

jeudi 6 mars 2014, par Robert Paris

Les magnats ukrainiens...

... et les ouvriers

Ukraine : quand l’affrontement Est-Ouest et la menace de guerre civile servent les classes dirigeantes en faillite pour détourner de la lutte des classes

Certes l’affrontement ukrainien a un caractère international et oppose évidemment Russie et Europe mais aussi Russie et USA. La volonté des USA d’entourer la Russie d’un cordon sanitaire d’Etats liés économiquement, politiquement et militairement au camp américain est évidente et ne concerne pas seulement l’Ukraine mais aussi la Géorgie, la Moldavie, la Biélorussie sans parler des Etats baltes. La Russie de son côté lutte, depuis la chute de l’URSS et avec la mise en place de la CEI, pour maintenir proche d’elle les pays du glacis que ce soit par des méthodes économiques, politiques ou militaires.

Cependant cette confrontation qui fait partie de la confrontation planétaire entre le bloc des anciennes puissances impérialistes européennes comme américaine et les nouvelles puissances impérialistes Russie, Chine, Inde, Iran notamment, n’explique pas tout. Les classes dirigeantes ukrainiennes ont leur propre rôle dans ce conflit et elles ont elles-mêmes choisi d’instrumentaliser le conflit international pour tenter de se sortir de leur propre crise économique, sociale et politique. Elles jouent leur propre jeu dans cette affaire.

Précisons que, contrairement à de nombreux commentateurs, nous n’entendons pas les classes dirigeantes comme des « classes politiques » mais comme des classes sociales, donc en clair la bourgeoisie capitaliste liée aux grandes puissances impérialistes, qu’elles soient anciennes comme les USA ou la France, ou nouvelles comme la Russie et la Chine.

Dans le monde capitaliste, y compris dans les pays dépendants, les politiciens, les partis, les gouvernants, les Etats ne planent pas au dessus des classes sociales de manière indépendante : ils sont directement liés aux classes sociales et à leurs intérêts. La situation ukrainienne, loin d’être une exception à cette règle, en est la manifestation puisqu’on voit clairement que la bourgeoisie de l’ouest du pays est plutôt liée économiquement à l’Europe et ses hommes politiques le sont aussi et c’est l’inverse pour la bourgeoisie de l’est du pays comme pour ses hommes politiques.

Ce n’est bien entendu pas une découverte même si les média des deux bords parlent plutôt de liens avec les Etats et les dirigeants politiques. Comme si les liens avec la Russie ou avec l’Europe avaient un caractère purement idéologique ou que c’étaient seulement par des pots de vins que la Russie et l’Europe tiraient les ficelles des hommes politiques ukrainiens…

Certes, le camp de Iouchtchenko avait reçu 65 millions de dollars de l’administration Bush pour lutter contre le camp de Ianoukovitch et Obama a pris la suite de Bush. Mais Iouchtchenko et Tymochenko sont d’abord des politiciens à la solde de leur propre bourgeoisie. Ce sont les classes dirigeantes ukrainiennes d’abord qui manipulaient leurs leaders. Il en va de même de l’autre côté. Ianoukovitch est moins une marionnette de la Russie que de sa fraction de la bourgeoisie ukrainienne ; Ainsi, il est de notoriété publique que Ianoukovitch servait son maître capitaliste, le milliardaire et oligarque Rinat Achmetow, l’homme le plus riche d’Ukraine et la 47ième fortune mondiale.

Et ces liens entre capitalistes et gouvernants ont bien entendu des conséquences dans la lutte des classes que les patrons mènent contre les salariés, en Ukraine comme ailleurs…

Ainsi, la direction de la société anonyme « Krasnodonugol » (groupement d’une série de mines dans la région Lugansk qui appartient au milliardaire Rinat Achmetow, dont le protégé Ianoukovitch venait d’être élu Président), a décidé avec un « sang froid insolent » de se venger de l’organisation combative et réellement indépendante du Syndicat indépendant des mineurs (NPG) de la mine Barakow. La goutte qui a fait déborder le vase était l’engagement du NPG contre les aggravations des conditions de travail des mineurs.

En particulier pour les groupements d’Achmetow « Krasnodonugol » et « Pawlogradugol » fut élaboré, au début de l’année 2010, le soi-disant « système salarial intégré » et de cette manière les nouvelles conditions de travail essentiellement pires. De plus le paiement fut déterminé personnellement et maintenant il dépend en grande partie des relations individuelles entre les supérieurs et les ouvriers. Le NPG s’opposait de façon déterminée à ces changements et les désignait comme une orientation qui vise à transformer les ouvriers en paysans serfs. Le nouveau système ne correspond, quant aux standards et normes des organisations du travail, ni aux exigences nationales ni à celles au niveau international.

Le syndicat indépendant a exigé que soit réalisé un paiement qui correspond aux accords des branches et aux lois de l’Ukraine. Et il a réussi que l’inspection étatique du travail dans la région de Lugansk a demandé de la direction de « Krasnodonugol » de mettre un terme aux infractions contre les lois concernant le paiement des mineurs. Cependant, les messieurs de l’entreprise n’ont pas suivi les exigences de la justice mais, de plus, ils ont même licencié de nombreux activistes du NPG. Et ceci n’est pas du tout la première fois qu’ils tentent de se venger des membres du syndicat. Le NPG a appelé les actions de la direction de l’entreprise « non seulement de crime se manifestant par une grave infraction contre les lois de travail – mais aussi comme vengeance face au syndicat, au mouvement ouvrier tout entier, comme une tentative de transformer les ouvriers en esclaves muets. » Et ils ont porté plainte contre les licenciements devant le tribunal. Le résultat en était que la plupart des activistes ont été réembauchés malgré une résistance acharnée du tribunal et de la direction de l’entreprise. Ils ont poursuivi la lutte contre la direction de l’entreprise et les messieurs de « Krasnodonugol ». Toutefois, le dirigeant du NPG Dmitrij Kalitwenzew est toujours licencié.

Oleksandr Yaroslavsky, copropriétaire de la banque UkrSibbank et président de Development Construction Holding (DCH), est un autre capitaliste ukrainien qui soutient ou soutenait Ianoukovitch.
Dmytro Firtash, un des grands capitalistes de l’industrie chimique, est également un fervent soutien de Ianoukovitch, fermement combattu et dénoncé par les USA...

On peut encore citer Andriy Petrovych Klyuyev ainsi que son frère Serhiy Klyuyev, deux des grandes fortunes ukrainiennes, qui a participé au pouvoir aux côtés de Ianoukovitch.

L’autre camp est tout aussi lié aux capitalistes et oligarques ukrainiens.

Par exemple, Petro Poroshenko, possesseur d’un empire des affaires qui en fait le plus grand industriel d’Ukraine, est l’un des financiers du mouvement pro-européen et antirusse, anti-Ianoukovitch. Il est dans la liste Forbes des milliardaires mondiaux…

On peut citer également le capitaliste Victor Pinchuk, propriétaire notamment du groupe d’investissement EastOne Group LLC, et qui milite pour unir l’Ukraine et l’Europe.

Le capitaliste Tariel Shakrovych Vasadze, possesseur du trust UkrAVTO JSC, soutient Ioulia Timotchenko.

On peut lire dans la presse ukrainienne :

« Dans l’oblast de Donestk, Sergueï Taruta aurait accepté de devenir gouverneur. C’est l’un des propriétaires de l’Union industrielle du Donbass (ISD) qui est le troisième groupe financier et industriel en Ukraine (du moins il l’était en 2007). Magnat de l’acier en Ukraine, c’est l’actionnaire principal (à travers son entreprise) des chantiers navals de Gdansk. Bien qu’il ait fait appel au Trésor Ukrainien pour "sauver" l’activité du site, "le gouvernement polonais a accusé Taruta de ponctionner des fonds de l’entreprise de Gdansk pour les rapatrier en Ukraine". Qualifié en 2007, de "pro-européen, proche du président Iouchtchenko", puis de proche de Ianoukovitch et pro-russe en 2010 et enfin l’un de ceux qui a lâché Ianoukovitch , il finira donc gouverneur de l’oblast de Donestk... Première mesure, appeler les citoyens, les politiques et les milieux d’affaires à défendre l’intégrité de l’Ukraine . Sa fortune est estimée à 3 milliards de dollars. (Le poste aurait également été proposé à Rinat Akhmetov, qui est juste l’homme le plus riche d’Ukraine, le retrait de son soutien à Ianoukovitch aurait été déterminant, il est toujours susceptible d’être nommé ou d’hériter d’un autre poste). Igor Kolomoisky, philantrope et homme d’affaires (principal actionnaire de PrivatGroup notamment) aurait accepté le poste de chef de l’administration publique régionale de Dnipropetrovsk. Présenté successivement comme soutien de Iouchtchenko (en 2007) puis de Timochenko (jusqu’à 2010). »

L’Ukraine bourgeoise est tiraillée vers l’Ouest et vers l’Est en fonction de ses intérêts économiques, la partie de l’Est étant plus industrielle et plus liée à la Russie et la partie Ouest étant plus liée à l’Europe. Ce n’est nullement une division idéologique et pas seulement une division culturelle ou linguistique mais d’abord une divergence entre intérêts économiques des bourgeois et petits bourgeois. En dehors de Kiev, les travailleurs et les milieux populaires sont bien souvent ceux qui refusent ces divisions porteuses de guerres et de guerres civiles.

Mais l’apparition de couches petites bourgeoises prêtes à en découdre, à risquer leur vie pour s’affronter aux forces de l’ordre, a une autre source : la faillite économique et financière de l’Ukraine. La crise a frappé énormément de petits patrons que l’on retrouve dans les rues prêts à s’affronter aux troupes de choc de Ianoukovitch. es effectifs des patrons ukrainiens sont passés en quatre ans de 4 millions à 1,3 million.

L’entrée de l’Ukraine dans le marché mondial a été bien plus difficile et dangereuse que celle de la Russie qui elle-même avait connu bien des déboires. L’Ukraine a déjà dû payer (et c’est le mot) sa séparation de la Russie alors que son économie était complètement intégrée à celle de l’URSS et n’avait pas les moyens évidents de se constituer de manière indépendante à moins d’un recul économique et social considérable. Les pays d’Europe, aujourd’hui si prêts en paroles à voler au secours de l’Ukraine, ne l’ont pas fait à ce moment-là. Les seules aides sérieuses que l’Ukraine ait reçu ont été obtenues en jouant au chantage sur les conséquences planétaires de la catastrophe de Tchernobyl si un immense cercueil n’était pas construit sur le site. L’entrée de l’Ukraine dans le marché mondial a été bien trop tardive pour permettre un décollage économique si celui-ci était possible. La crise de 2007 a pris l’économie ukrainienne de plein fouet. Dès 2009, les conséquences économiques et sociales ont été évidentes. Les gouvernants successifs n’ont pu que faire trainer la situation et en accuser les autres équipes politiciennes alors que les autres pays capitalistes n’ont pas fait de geste pour les sauver. De son côté, la Russie a accordé une aide financière conditionnée par des accords commerciaux. Les dirigeants comme Ianoukovitch ont ensuite essayé de mettre en concurrence Russie et Europe pour se tirer du guêpier mais sans succès.
Bien entendu, le monde occidental si préoccupé soi-disant par la catastrophe ukrainienne se garde d’établir le lien entre la crise ukrainienne et sa propre crise démarrée en 2007-2008, entre la faillite ukrainienne et la faillite de son propre système économique et social !

L’Ukraine a été fortement touchée par la crise du système capitaliste de 2007-2008. En 2008, la croissance économique a été ralentie à 2,1 % et a chuté en 2009 de 15 %. Il y a eu une flambée du déficit public (passant de -1,5 % en 2008 à -4 % en 2009 et à -6 % du PIB en 2010) et d’un retrait massif des banques occidentales, comprimant les crédits. Dès lors, les classes dirigeantes ont vécu dans la crainte d’une explosion sociale ce qui les a amené à refuser les mesures drastiques que leur suggéraient les organismes occidentaux dont le FMI.

Et la marche à la division, à l’affrontement, à la guerre civile est liée. Car les causes économiques ne sont pas suffisantes pour expliquer pourquoi la bourgeoisie ukrainienne se divise au point de vouloir casser le pays, d’opposer violemment ses parties entre elles, ses peuples entre eux. Car il s’agit bien de cela. Symboliquement, il est clair que la première mesure officielle du nouveau pouvoir de Kiev pro-européen consiste à supprimer l’enseignement du Russe dans les écoles alors que l’ancien pouvoir l’avait imposé. Il est clair aussi que le nouveau pouvoir de Kiev dénonce l’accord commercial avec la Russie et ne se contente pas de vouloir en conclure un avec l’Europe. Comme si l’un excluait fatalement l’autre.

La bourgeoisie ukrainienne est prête pour lancer une guerre civile et ce n’est pas les propos des leaders d’extrême droite anti-russes de la place Maïdan qui prouveront le contraire. Ces derniers n’ont pas attendu que la Russie occupe la Crimée pour lancer des propos contre les populations russophones ou russophiles de l’Est du pays.

Si les deux camps de la bourgeoisie ukrainienne sont prêts à l’affrontement, à la division du pays, et peut-être même prêts à lancer la guerre civile, la cause est dans la montée des risques dans les luttes de classes liées à la crise. Tout le monde a d’ailleurs remarqué à quel point la situation ukrainienne ressemblait sur ce point à celle du début des affrontements en Yougoslavie. Là aussi, c’étaient les classes dirigeantes qui avaient lancé l’affrontement, la division du pays et le bain de sang. Et elles l’avaient fait en réaction à une montée des luttes de classes dans le pays avec une grève générale ouvrière partie du Kosovo et qui avait gagné toutes les villes ouvrières.

En Ukraine aussi, la crise est aussi sociale et elle menaçait d’embraser la classe ouvrière comme plusieurs signes l’avaient clairement montré. En février 2009, par exemple, devant la paralysie de la production, les travailleurs de l’entreprise de machines agricoles XMZ en ont occupé les locaux et exigé du gouvernement une nationalisation sous le contrôle des travailleurs. Il y a quelques jours, le président du Forum National de Syndicats d’Ukraine (FNSU), Miroslav Yakibchuk, a prévenu les autorités sur la possibilité d’une grève générale incontrôlée dans le pays : "La société ukrainienne est au bord d’un mouvement de grève incontrôlable et qui pourrait entraîner des conséquences imprévisibles pour l’État [...] De telles actions risquent de déboucher sur une rébellion collective et violente contre l’autorité [...] les personnels de plus de mille entreprises sont disposés à entreprendre des actions radicales". Yakibchuk a reconnu que, malgré leurs intentions d’être "un instrument de dialogue" avec le gouvernement, les syndicats "pourraient se voir impuissants devant l’agressivité massive des personnes déçues, des milliers d’entre elles restant chaque jour sans emploi ni moyens de subsistance" (Agence Novosti, 24/2/09).

Dès 2009, les classes dirigeantes ont senti la menace. Des affrontements sociaux locaux ont montré que, dès qu’il s’avérerait que les classes dirigeantes n’avaient aucune solution face à la faillite du pays, la classe ouvrière entrerait en lutte en menacerait de mettre en avant ses propres solutions. La bourgeoisie ukrainienne est de formation trop récente, trop peu enracinée et justifiée par des années de fonctionnement pour qu’elle ne soit pas rapidement contestée en cas de faillite avérée.

Par exemple, le 3 mars 2009, les travailleurs d’une usine de moissonneuses-batteuses à Kherson, au sud de l’Ukraine, ont pris leur usine en main. L’occupation de l’usine est l’aboutissement de deux semaines de protestations qui ont débuté en janvier quand la direction a essayé de fermer l’usine. En plus du règlement des arriérés de salaires, les travailleurs demandent aux pouvoirs publics de nationaliser l’entreprise et de geler les comptes bancaires de son propriétaire.

Le 20 avril 2009, des mineurs de la mine 22 de Kommunarskaya Coal dans la région de Donetsk refusent de quitter les puits et les occupent en restant au fond pour protester contre les non paiements de salaires depuis des mois.

En septembre 2009, il y a à la fois grève des pilotes d’AeroSvit, des salariés de l’entreprise de production électrique de Kharkiv, du journal régional "Slobidskyj Kraj", des travailleurs de la construction du stade de Kiev.
Le 24 décembre 2009, les mineurs de la mine de JSC Nadia Mine (province de Lviv) entrent en grève contre leur entreprise d’Etat des Charbonnages d’Ukraine. Les salariés réclament des impayés de salaires liés à des charges supplémentaires de travail.

En mai 2010, les salariés de la cimenterie Lafarge, dans la ville de Mykolaiv où est située OJSC Mykolaiv Ciment achetée par le groupe Lafarge Ciments en décembre 1999, des licenciements illégaux d’employés, qui sont devenus assez fréquents depuis le début de la crise de 2008 et réclament des salaires décents.

Le 23 juillet 2010, l’ensemble des mineurs d’Ukraine menacent de se mettre en grève générale pour protester contre les impayés de salaires depuis des mois, mais le mouvement est retardé « momentanément » par les syndicats…

Le 7 octobre 2010, la Fédération des Syndicats d’Ukraine organise un mouvement nationale sur le thème : « Dites non à la misère et oui à un salaire décent ! » Malheureusement, la fédération ne cherche nullement à mobiliser la classe ouvrière et n’appelle à manifester que quelques centaines de militants…

Le 4 août 2010, ce sont les mineurs de Ferrexpo de la mine de fer de Poltava qui sont en grève et le patron craint l’extension de la lutte…

Le 4 mars 2011, ce sont les mineurs qui entrent dans la lutte et dans la grève à Yenakiyeve (Donetzk). C’est une véritable explosion sociale remarquent les commentateurs ukrainiens. L’entreprise Ukrshakhtgidrozakhyst qui est responsable du puits de mine est gérée par l’Etat et elle ne paie plus les salaires depuis des mois. La société a décidé d’arrêter de pomper les eaux de la mine, ce qui signifie une menace de fermeture pure et simple…

En novembre 2011, ce sont les retraités, armés de pelles et de fourches qui ont affronté les forces de l’ordre pour s’en prendre au gouverneur de Donetsk ! Ce sont aussi en novembre 2011, les anciens nettoyeurs du site nucléaire de Tchernobyl, en grève de la faim dans un camp de Donetzk, qui se sont heurtés à la police.

Côté patronal, la lutte des classes se manifeste aussi par les accidents du travail dont les plus spectaculaires sont ceux des mines : par exemple 21 morts dans une mine de la région de Lougansk le 29 juillet 2011.

En décembre 2012, le syndicat des travailleurs de l’industrie métallurgique et minière d’Ukraine (MMIWU), affilié à IndustriALL, a organisé un rassemblement de protestation à Kryvyi Rih et une conférence de presse à Kiev. La direction de l’aciérie Kryvyi Rih de ArcelorMittal en Ukraine orientale a annoncé une nouvelle vague de réduction de personnel, en invoquant ses obligations financières envers les milliers d’autres travailleurs et travailleuses de l’usine. Les licenciements vont toucher 446 personnes sur les 38.267 employées dans l’usine. Le 4 décembre, les métallurgistes ont organisé une manifestation à Kryvyi Rih. Ils protestaient contre les licenciements, le manque d’investissements dans l’usine, des promesses non tenues du groupe mondial et une augmentation de la charge de travail. Jusqu’à 3.000 travailleurs ont pris part à l’action.

En novembre 2013, le gouvernement, derrière une prétendue manière de réguler les relations avec les syndicats, tente de remettre en question le droit des travailleurs des transports de faire grève. Le 19 novembre 2013, 200 travailleurs de ce secteur ont manifesté devant le ministère pour protester contre de nouveaux contrats CDD que l’on voulait les obliger à signer.

Le journal Vesti du 26 février 2014 rapporte par exemple qu’à Odessa les travailleurs de l’usine Izmail ont organisé un rassemblement contre le non-paiement des salaires, et promettent de nouvelles manifestations. Les ouvriers de cette usine de pâte à papier, non payés depuis deux mois, ont cessé le travail depuis le 21 février. Dans le même journal, Youri Borchenko, président de l’Association des employeurs du sud, fait part de sa crainte d’une vague de protestations ouvrières dans toute la région d’Odessa. Que sa crainte devienne une réalité, et que les travailleurs d’Odessa soient un exemple pour toute la classe ouvrière ukrainienne, de Lvov à Kharkov, de Yalta à Ivano-Frankovsk !

La bourgeoisie ukrainienne est loin d’être la première à choisir la fuite en avant vers la guerre civile comme dérivatif des risques de la lutte des classes. Nombre de pays ont connu dans le passé une telle évolution dans laquelle les classes dirigeantes mettent elles-mêmes le feu au pays sur un terrain d’affrontement inter-régional, inter-racial, inter-religieux pour canaliser ainsi la colère sociale et provoquer un bain de sang préventif divisant le pays en deux camps pour éviter la division entre exploiteurs et exploités et imposer aux masses populaires le choix entre deux camps bourgeois. La Côte d’Ivoire, l’Algérie, la Yougoslavie, le Rwanda sont quelques exemples de ce type de politique de la bourgeoisie nationale, choisissant de se diviser violemment pour entraîner le peuple dans leur conflit sanglant. A chaque fois, une mobilisation sociale importante a précédé le conflit fratricide intérieur.

Seule la classe ouvrière peut permettre au peuple ukrainien de sortir de la menace de guerre et de guerre civile que font planer les classes dirigeantes ! Pour cela, il faut qu’elle ne se contente pas de s’organiser syndicalement et mette en place ses comités de salariés pour définir un nouvel avenir politique qui ne soit pas aux mains des forces bourgeoises d’aucun bord !


Nous citons ici l’article

« Vue du côté de la classe ouvrière »

de Vladimir Zlenko, directeur de l’École pour la démocratie ouvrière en Ukraine (une école de formation syndicale), a été à la tête du Syndicat des travailleurs de l’industrie des machines automobiles et agricoles de l’Ukraine entre 1990 et 1999.

La vie politique et économique de l’Ukraine est dominée par les " clans " : ce sont des groupements capitalistes liés aux structures politiques d’une part et aux éléments criminels d’autre part. Il y a quatre clans qui sont en concurrence, luttant pour le pouvoir et pour l’appropriation de la richesse publique :

1. Le clan de Donetsk est dirigé par le citoyen le plus riche de l’Ukraine, Rinat Akhematov. Viktor Ianoukovitch appartient à ce clan. Akhematov " vaut " aujourd’hui 3,5 milliards de dollars US. " Le Parti des Régions ", dont Viktor Ianoukovitch est le leader de fait, lui sert de couverture politique.

2. Le clan de Dnipropetrovsk est dirigé par Victor Pinchuk, fils adoptif du président sortant Leonid Koutchma. Le " Parti du travail de l’Ukraine ", dirigé par Sergei Tigipko, lui sert de couverture politique. Bien qu’il ait annoncé il y a plusieurs mois qu’il le quittait pour se consacrer aux affaires, V. Pinchuk garde une influence dominante au sein de ce parti. On ne peut exclure qu’il sera candidat à la présidence de l’Ukraine, mais il n’a pas annoncé quand. Si l’actuelle crise conduit à la convocation d’une nouvelle élection présidentielle il pourrait bien être mis en avant comme candidat.

3. Le clan de Kiev est conduit par Viktor Medechuk, qui est à la tête de l’administration présidentielle, et par Grigorii Surkis, qui possède l’équipe de football de Kiev " Dynamo ". C’est le " Parti social-démocrate d’Ukraine (unifié) " qui lui sert de couverture politique. Jusqu’à récemment Aleksandr Zinchenko travaillait au sein de ce groupe. Tête de liste électorale du parti, il a été élu député à la Verkhovna Rada (Conseil suprême, c’est-à-dire le Parlement), puis à la vice-présidence de celle-ci. Depuis il a rejoint l’équipe de Viktor Iouchtchenko et a dirigé sa campagne électorale.

4. Avant que Viktor Iouchtchenko ne soit apparu sur la scène politique, le clan occidental ne parvenait pas à réaliser une véritable percée politique sur la scène nationale. Il était surtout actif à l’Ouest. Pour cette raison les oligarques qui appartiennent à ce clan ont le sentiment d’avoir été court-circuités dans le processus de privatisation de la richesse nationale. Trouvant cela injuste ils aspirent à augmenter leurs parts. Le plus connu parmi eux est le " roi des douceurs de l’Ukraine ", Petr Poroshenki, qui était membre du " Parti social-démocrate de l’Ukraine (unifié) " jusqu’en 2000. Il l’a alors quitté pour prendre la tête du " Parti de la Solidarité de l’Ukraine ", aux côtés de David Zhvaniya et de Nicolaï Martynenko. Aleksandr Oemlchenko, le fils du maire de Kiev, est proche de ce clan et collabore avec lui. Youliya Timoshenko, une collègue de Pavel Lazarenko (qui, en tant que Premier ministre, a volé des millions et fut poursuivi aux États-Unis), travaille avec Iouchtchenko. Elle est recherchée par Interpol. Le pouvoir politique constitue sa meilleure protection contre les tribunaux. La principale orientation de tout ce beau monde est de parvenir à une nouvelle division des richesses… en sa faveur, si Iouchtchenko parvient à remporter la victoire. Ils sont, bien sûr, opposés à toute réforme politique qui pourrait réduire l’immense pouvoir du Président.

Les oligarques ukrainiens se sont enrichi très rapidement, en pillant les propriétés de l’État et les économies des individus. L’État a activement aidé ce processus, en laissant se développer l’hyperinflation (qui n’était pas en Ukraine une conséquence imprévue d’autres politiques) en 1992 afin de voler l’argent " excessif "dont disposait le peuple. C’est encore l’État qui a confisqué le capital circulant des entreprises. Tout ceci a eu pour conséquence l’expropriation économique du peuple. Les travailleurs n’avaient pas la moindre chance d’obtenir ne serait-ce qu’une parcelle de la richesse publique par la privatisation. C’est pour cela que le pouvoir de l’État est à ce point lié aux milieux criminels. Le pouvoir étatique et le monde criminel ont fusionné au coures de ce processus. Tous les oligarques sont des parlementaires et jouissent à ce titre de l’immunité contre les poursuites judiciaires. C’est une autre particularité de l’Ukraine : le capital oligarchique-criminel a investi directement les charges politiques. Iouchtchenko ne constitue nullement une exception.
Au sein du bloc de Iouchtchenko on note également la présence d’une série de partis nationalistes qui frôlent le fascisme. En premier lieu il s’agit du soi-disant " Parti de la liberté ", qui jusqu’en 2003 portait le nom de " Parti social-nationaliste de l’Ukraine ". C’est de ce parti que viennent les slogans qu’on peut parfois entendre : " L’Ukraine aux Ukrainiens ! ", " L’Ukraine depuis le San [rivière en Pologne actuelle] jusqu’au Don [fleuve en Russie actuelle] ! ", " Youpins et Moscovites hors de l’Ukraine ! ", " La Nation d’abord ! ", " Dictature nationale ! ", " Russie — l’ennemi n° 1 ! ", etc.

L’actuel conflit n’est pas une lutte entre la démocratie et l’autocratie. De ce point de vue il n’y a pas de différence entre Ianoukovitch et Iouchtchenko : les deux ont pillé et continuent à piller le peuple ukrainien et l’État. La rengaine de Iouchtchenko au cours de ses meetings était : " Nous devons créer des riches ; ainsi ils pourront aider les pauvres ". Il n’a d’aucune manière offert aux travailleurs la possibilité de participer activement à la vie politique et économique, d’être les acteurs de leur histoire ni même de travailler honnêtement et de se nourrir décemment. Le rôle des travailleurs c’est d’attendre patiemment les largesses des riches. Aucun des candidats ne représente les intérêts du peuple travailleur. Les deux clans oligarchiques s’affrontent pour pouvoir réaliser des profits fantastiques et s’approprier ce qui n’a pas encore été privatisé. Leur politique sera fondée uniquement sur l’exploitation des travailleurs. L’enjeu c’est qui sera le nouveau violeur de la nation.

Bien sûr Koutchma et son régime ont tenté d’imposer leur loi d’airain. Et il est aussi vrai qu’après les manifestations dans les rues le peuple ne sera plus le même — c’est un aspect positif. Le peuple aura appris à résister et — peut-être — il commencera à mieux comprendre ses intérêts propres et à exiger qu’ils soient respectés. Mais les travailleurs — cols bleus ou cols blancs — ne sont pas tous dans les rues. Ils n’ont toujours pas d’organisations à eux. Les étudiants qui se sont rassemblés sur la place centrale de Kiev ne comprennent pas encore leurs intérêts. Ils sont aveuglés par la perspective d’une victoire. Ils ne revendiquent pas " la démocratie politique et économique ", ni le " respect des droits des travailleurs ", ni encore moins " le pouvoir du peuple ". Ils s’égosillent seulement : " Iouchtchenko ! Iouchtchenko ! " L’image du " petit père ", du " führer " s’est imposée. En Allemagne au cours des années 1930 il y avait aussi des rassemblements qui s’extasiaient à la vue de Hitler. N’avait-il pas remis en marche l’économie et mis fin au chômage ?

Une des particularités de l’histoire de l’Ukraine, c’est que nous n’avons pas connu de grands mouvements autonomes des masses. L’Ukraine a toujours lutté pour l’indépendance nationale alors que les revendications démocratiques et sociales passaient au second plan. L’oppression nationale avait eu des formes différentes à l’Ouest et à l’Est. La division a été aggravée en 1596, lorsque l’Ouest a adopté le catholicisme [l’Église catholique romaine du rite oriental, dite " uniate "] alors que l’Est demeurait orthodoxe. Il y avait véritablement deux pays. L’unification ne s’est pas produite par la volonté du peuple mais par les méthodes de Staline. L’Ukraine occidentale avait à juste titre refusé cette méthode d’unification, c’est-à-dire la politique stalinienne d’exil et de camps de travail, de collectivisation forcée et autres agissements criminels qui avaient accompagné l’unification. Même si c’est le passé, les générations disparues continuent à dominer les vivants. Aujourd’hui les branches orientale et occidentale du peuple divergent par leur culture, leur mentalité, leurs opinions politiques et leur potentiel économique. Dans leur essence ce sont deux peuples différents. Au cours des années qui ont suivi l’indépendance ils ont voté différemment, pour des candidats différents. Les campagnes électorales, tant de Ianoukovitch que de Iouchtchenko, étaient fondées sur l’opposition entre l’Est et l’Ouest, ce faisant elles ont encore exacerbé la division au lieu de tenter de rapprocher les deux communautés. Ce scénario a été établi dans l’Ouest par les États-Unis, qui sont intéressés à maintenir les divisions. Avant 1991 l’Ukraine n’avait pas connu d’expérience étatique et donc la nation devait encore apprendre à vivre avec son propre État. Selon toutes probabilités cet apprentissage se fera par un sinueux cheminement, au travers de victoires et de défaits, sous des régimes anti-populaires aussi bien que démocratiques.

Quant aux violations de la loi électorale, elles ont eu lieu tant à l’Est qu’à l’Ouest. Il est très difficile de faire une différence sur ce terrain entre les deux camps. Et si l’Ukraine doit mettre un terme au règne des gangsters, l’enjeu de la récente campagne n’était malheureusement pas de savoir si le peuple sera ignoré ou s’il sera représenté., mais bien par qui il sera opprimé. Aujourd’hui Iouchtchenko dépense des sommes considérables pour les manifestations et les podiums. Sans aucun doute cet argent vient des États-Unis. Les étudiants ont été payés pour manifester et vivre sous les tentes. Leur restauration est bien organisée. Imaginez seulement le coût des tentes et des couvertures, qui ont été préparées à l’avance dans un scénario bien orchestré.

La victoire de l’un de ces deux candidats n’est pas une victoire du peuple. Pire, que ce soit l’un ou l’autre qui l’emporte, il n’essayera même pas de satisfaire l’autre partie du peuple. La seule issue serait une nouvelle élection sans la participation des deux candidats. Iouchtchenko a déjà rejeté cette idée. Il ne tient qu’à sa victoire personnelle. La prochaine étape doit être l’introduction d’un système fédératif en Ukraine.

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