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Dynamique capitaliste en panne

jeudi 24 juillet 2014, par Robert Paris

Dynamique capitaliste en panne

Dans « Le Monde » du 1er juillet 2014 :
Cette fois les faits semblent résister à la théorie : à l’exception des années 2000, les investissements massifs dans les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) n’ont pas eu l’effet annoncé sur la croissance des économies avancées et sur leur productivité… Tout se passe comme si certaines bonnes vieilles lois économiques ne fonctionnaient plus : « On a eu beau accroître le capital par salarié, cela n’a pas accéléré la productivité du travail, qui a ralenti partout » alerte l’économiste Natixis Patrick Artus. Résumant le désarroi général, Gilbert Cette, économiste à la banque de France, affirme : « Alors que la diffusion des NTIC dans les entreprises devait en toute logique accélérer les gains de productivité dans l’économie, ceux-ci ont énormément ralenti, et ce bien avant la crise de 2008…

« La crise de 2008, dont la violence et la durée ont brouillé la lisibilité de la productivité », estime Dirk Pilat, directeur adjoint des sciences, technologies et industries à l’OCDE….
Les NTIC génèrent d’importantes externalités négatives qui absorbent une large partie des gains attendus. Le coût réel des gains de productivité pourrait bien lui aussi avoir été sous-estimé. « On oublie toujours qu’il faut maintenir des équipes entières d’entretien des serveurs, des systèmes et des réseaux, des gardiens de la sécurité informatique, etc., dont les coûts absorbent une grande partie des économies réalisées », met en garde M. Artus…

C’est la structure de l’économie qui, en se déformant, pèse sur sa productivité globale. Ensuite, toutes les activités productives sont devenues en elles-mêmes beaucoup plus capitalistiques. En 2000, la construction d’une usine de semi-conducteurs coûtait 5 milliards de dollars (3,7 milliards d’euros). Aujourd’hui, il faut compter 15 milliards. De même dans l’industrie pétrolière, selon les lieux d’extraction, il faut trois à cinq fois plus de capital qu’il y a dix ans pour produire un baril.

Enfin, la recherche elle-même a aujourd’hui des rendements décroissants, comme dans la pharmacie, où les coûts de lancement d’un médicament n’ont jamais été aussi élevés, pour de vraies innovations de plus en plus rares. « Il n’y a jamais eu autant de chercheurs ni de brevets accordés dans le monde, dit Marc Giget, président de l’Institut européen de stratégies créatives. Mais il s’agit davantage de briques d’innovations que d’innovations de rupture. »

Patrick Artus affirme que « la productivité du travail ralentit, bien que le capital par salarié augmente partout… » (…)

Andrew McAfee, directeur du Center for Digital Business à la Sloan School du MIT affirme que « Cela fait deux cent ans que chaque révolution apporte de nouvelles opportunités pour toutes les catégories d’emplois et qu’il y a toujours plus d’emplois avant qu’après. C’est la première fois que cette loi-là est démentie. Depuis vingt ans, les classes moyennes s’appauvrissent. Et la répartition des revenus tend à privilégier la rémunération du capital. » (…)

Messages

  • « La crise la plus récente similaire à celle d’aujourd’hui est l’effondrement du système féodal en Europe, entre les milieux du XVe et du XVIe siècle, et son remplacement par le système capitaliste. Cette période, qui culmine avec les guerres de religion, voit s’effondrer l’emprise des autorités royales, seigneuriales et religieuses sur les plus riches communautés paysannes et sur les villes. C’est là que se construisent, par tâtonnements successifs et de façon inconsciente, des solutions inattendues dont le succès finira par "faire système" en s’étendant peu à peu, sous la forme du capitalisme... Nous sommes dans une période, assez rare, où la crise et l’impuissance des puissants laissent une place au libre arbitre de chacun : il existe aujourd’hui un laps de temps pendant lequel nous avons chacun la possibilité d’influencer l’avenir par notre action individuelle. Mais comme cet avenir sera la somme du nombre incalculable de ces actions, il est absolument impossible de prévoir quel modèle s’imposera finalement. Dans dix ans, on y verra peut-être plus clair ; dans trente ou quarante ans, un nouveau système aura émergé. Je crois qu’il est tout aussi possible de voir s’installer un système d’exploitation hélas encore plus violent que le capitalisme, que de voir au contraire se mettre en place un modèle plus égalitaire et redistributif. »

    Immanuel Wallerstein dans "Le Monde" du 16 décembre 2008

  • La Tribune écrit :

    Sommes-nous en 1937 ?

    Comme en 1937, le pessimisme règne en Europe, après plusieurs années de crise. Il alimente les tensions géo-politiques qui, elles-mêmes, affectent la croissance et contribuent au pessimisme... Jusqu’où faire le parallèle entre notre présent et cette funeste période ?

    Huit ans après le krach boursier de 1929, en 1937, la situation prend un virage catastrophique, l’activité rechute lourdement. La reprise ne sera possible que grâce à une dynamisation économique considérable engendrée par la Seconde Guerre mondiale, conflit qui coûtera la vie à plus de 60 millions de personnes. À l’heure où surviendra enfin la reprise, la majeure partie de l’Europe et de l’Asie ne sera plus qu’un tas de ruines.
    Des parallèles avec 1937 : une inquiétude pour le long terme
    Bien que le contexte mondial actuel soit sans commune mesure avec l’horreur de cette période, plusieurs parallèles peuvent être avancés, notamment par rapport à l’année 1937. Aujourd’hui comme à l’époque, les citoyens sont depuis longtemps déçus, et pour beaucoup plongés dans la détresse. Ils s’inquiètent désormais beaucoup plus de leur avenir économique à long terme. Or, cette inquiétude est susceptible d’engendrer de graves conséquences.

    Les déceptions sur la croissance peuvent engendrer des conflits

    L’impact de la crise financière de 2008 sur les économies ukrainienne et russe pourrait bien par exemple avoir en fin de compte contribué au conflit qui y fait rage depuis peu. D’après le Fonds monétaire international, l’Ukraine et la Russie ont toutes deux enregistré une croissance spectaculaire entre 2002 et 2007 : au cours de ces cinq années, le PIB réel par habitant a augmenté de 52 % en Ukraine et de 46 % en Russie. Cette dynamique appartient désormais au passé : la croissance du PIB réel par habitant n’a atteint que 0,2 % en Ukraine l’an dernier, pour seulement 1,3 % en Russie. Le mécontentement suscité par cette déception pourrait bien en partie expliquer la colère des séparatistes ukrainiens, l’irritabilité des Russes, ainsi que les décisions d’annexion de la Crimée et de soutien des séparatistes de la part du président russe Vladimir Poutine.

    Comme à la fin des années 30...

    Il existe un nom au désespoir qui alimente cette colère apparue depuis la crise financière - et pas seulement en Russie et en Ukraine - à savoir le terme de « nouvelle norme, » formule popularisée par le fondateur du géant obligataire PIMCO, Bill Gross, en référence à l’érosion des perspectives de croissance économique à long terme. Le désespoir observé après 1937 avait conduit à l’émergence de nouveaux termes similaires, parmi lesquels celui de « stagnation séculaire, » évoquant un malaise économique sur le long terme. Le terme « séculaire » nous vient du latin saeculum, qui signifie « génération » ou « siècle. » Celui de « stagnation » a pour connotation une sorte de marasme, véritable terreau des menaces les plus virulentes. À la fin des années 1930, les peuples s’inquiétaient également du mécontentement observé en Europe, qui avait d’ores et déjà contribué à l’avènement au pouvoir d’Adolph Hitler et de Benito Mussolini.

    Un risque de sous-consommation

    Un autre terme apparu comme soudainement dominant aux alentours de 1937 fut celui de « sous-consommationnisme » - théorie selon laquelle l’inquiétude des populations serait susceptible de conduire les individus à épargner de manière excessive, dans un souci d’anticipation de lendemains difficiles. Or, le volume d’épargne souhaité par les individus excède les opportunités d’investissement disponibles. Par conséquent, le désir d’épargner ne s’ajoute pas à l’épargne globale en direction de la création de nouvelles entreprises, de la construction et de la vente de nouveaux immeubles, etc. Bien que les investisseurs puissent procéder à une surenchère quant aux prix des immobilisations existantes, leurs efforts d’épargne ont pour seul effet de ralentir l’économie.

    La dépense découragée, l’économie fragilisée

    « Stagnation séculaire » et « sous-consommationnisme » sont autant de termes trahissant un pessimisme sous-jacent, lequel, en décourageant la dépense, contribue non seulement à la fragilité de l’économie, mais suscite également colère, intolérance et potentiel de violence.

    Dans son ouvrage majeur intitulé Les conséquences morales de la croissance économique, Benjamin M. Friedman a présenté nombre d’exemples de situations dans lesquelles le déclin de la croissance économique avait fait naître - de manière variable et plus ou moins rapide - l’intolérance, le nationalisme agressif, et la guerre. Il en conclut : « La valeur d’une élévation du niveau de vie ne réside pas seulement dans les améliorations concrètes qu’elle génère dans l’existence des individus, mais également dans la manière dont elle façonne l’identité sociale, politique, et en fin de compte morale d’un peuple. »

    La croissance économique ? Simplement vivre mieux que par le passé
    Certains affirment douter de l’importance de la croissance économique. Pour beaucoup, nous serions peut être trop ambitieux, et aurions davantage intérêt à vivre une existence plus agréable et plus divertissante. Peut-être ont-ils raison.

    Mais la véritable problématique réside dans l’estime de soi, ainsi que dans les processus de comparaison sociale, dont le psychologue Leon Festinger a expliqué qu’ils constituaient une tendance universelle chez l’être humain. Beaucoup s’en défendront probablement, mais nous passons nos vies à nous comparer les uns aux autres, et aspirons à gravir l’échelle sociale. L’individu n’appréciera jamais pleinement ses nouvelles opportunités de loisirs si ces opportunités semblent signifier son échec par rapport aux autres.
    L’espoir de voir la croissance économique favoriser la paix et la tolérance se fonde sur la propension des individus à se comparer aux autres non seulement dans le présent, mais également par rapport aux souvenirs qu’ils ont de certaines personnes - parmi lesquelles leur propre être - au cours du passé. Pour citer Friedman, « À l’évidence, il est impossible que la majorité des individus s’en sorte mieux qu’autrui. Mais il est toujours possible pour la plupart des individus de vivre une existence présente plus prospère que leur existence passée, et c’est là précisément ce que signifie la croissance économique. »
    Les sanctions imposées à la Russie pourraient affecter l’activité en Europe
    Le risque existe de voir les sanctions qui ont été imposées à la Russie, en raison de ses agissements en Ukraine de l’Est, engendrer une récession à travers l’Europe et au-delà. Ainsi pourrait-on aboutir à un monde de Russes mécontents, d’Ukrainiens mécontents et d’Européens tout aussi mécontents, dont la confiance et le soutien à l’endroit d’institutions démocratiques pacifiques seraient voués à s’éroder.

    Bien que certains types de sanctions à l’encontre d’agressions internationales semblent nécessaires, il nous faut demeurer attentifs aux risques associés aux mesures extrêmes ou punitives. Nous aurions tout intérêt à nous entendre sur la fin des sanctions, à intégrer plus pleinement la Russie (et l’Ukraine) à l’économie mondiale, tout en combinant ces démarches à des politiques économiques expansionnistes. Toute résolution satisfaisante du conflit actuel n’exigera pas moins que cela.

    Traduit de l’anglais par Martin Morel

    Robert J. Shiller, prix Nobel 2013 d’économie et professeur d’économie à l’Université de Yale, a co-écrit avec George Akerlof l’ouvrage intitulé Animal Spirits : How Human Psychology Drives the Economy and Why It Matters for Global Capitalism.

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