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La révolte sociale continue en Bosnie…

samedi 13 décembre 2014, par Robert Paris

La révolte sociale continue en Bosnie…

En février dernier, les principales villes de la Bosnie étaient secouées par de grandes manifestations, une révolte populaire contre la pauvreté, le chômage et la corruption. Dans la ligne de mire : la classe politique corrompue, incapable de redresser l’économie. Six mois plus tard, que son devenues les revendications des manifestants et les promesses du pouvoir ?

Parti d’une manifestation de chômeurs, un mouvement qui traduit un immense ras-le-bol de la précarité, la mal-vie, des privatisations, déferle sur un pays ravagé par les orientations nationalistes et libérales de ses gouvernants. Il s’est développé hors de toute organisation, via les réseaux sociaux.

Le mouvement s’est développé en dehors de tout cadre organisé : les syndicats sont en effet aussi discrédités que les partis politiques. C’est donc sur les réseaux sociaux que s’écrivent les revendications. Facebook est devenu le support de cahiers de doléances, et même de véritables programmes politiques qui s’élaborent de jour en jour.

« Le salaire des fonctionnaires et des dirigeants du canton devra être aligné sur celui des ouvriers ; aucun salaire public ou privé ne pourra dépasser les 1500 marks convertibles (750 euros). Démission de tous les dirigeants du canton de Sarajevo et de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, arrêt des violences et libération des personnes arrêtées. «  Quand ces revendications seront satisfaites, nous pourrons commencer des discussions et des actions pour garantir un ordre social plus juste pour toutes les couches de la société, notamment pour tous ceux dont la dignité humaine et les besoins vitaux élémentaires ont été mis en danger par le pillage de la transition, la corruption, le népotisme et la privatisation des ressources communes. D émission des dirigeants du canton d’Una-Sava, ainsi que des directeurs de toutes les administrations et de toutes les entreprises publiques ; égalisation des salaires des fonctionnaires avec ceux de l’industrie, de sorte que l’écart maximal entre les salaires soit de un à trois ; publication de tous les contrats de privatisation ; fin des privilèges des politiciens, suppression de leurs droits à la retraite. »

Plusieurs centaines de citoyens sont à nouveau descendus fin juillet 2014 dans les rues de Tuzla, réclamant que les « promesses de février » soient tenues. C’est dans cette ville que la révolte populaire de l’hiver avait commencé, et celle-ci n’a pas encore perdu sa vigueur : de nouvelles manifestations sont prévues à Sarajevo.

« Notre première requête est l’amnistie pour tous les participants aux manifestations de février dernier. Beaucoup de jeunes, mais aussi de travailleurs, ont été arrêtés par la police », explique Sakib Kopić, un des fondateurs du syndicat indépendant Solidarnost, et organisateur de la manifestation de mardi à Tuzla.

« Des personnes qui ont seulement décidé de lutter pour un meilleur avenir se trouvent à présent en procès, tandis que les policiers qui nous ont frappé, qui ont utilisés les gaz lacrymogène contre les citoyens, restent tranquillement à leur place. Personne n’a été amené à répondre des actes criminels de la police », s’indigne aussi Emina Busuladžić, du comité de grève de l’entreprise Dita, une parmi tant d’autres à avoir fait faillite récemment.

La rage des travailleurs de Tuzla, la ville où la grande vague de révoltes avait commencé en février dernier, est donc toujours bien vive : quelques 500 personnes ont décidé de participer à la manifestation, ainsi que les représentants du plenum citoyen. Les syndicats traditionnels, au contraire, ont critiqué cette manifestation, en affirmant qu’elle serait seulement « une imposture politique en vue des élections d’octobre prochain ». La révolte populaire a commencé à Tuzla le 5 février quand les employés de plusieurs entreprises fermées après leur privatisation ont accusé le gouvernement du canton d’être responsables de ces échecs. La colère a ensuite rapidement gagné l’ensemble de la Fédération.

Les manifestants ont critiqué le travail du gouvernement du canton, le seul à avoir été formé après que les plenums ont exigé les démissions des gouvernements des cantons de Tuzla, Zenica-Doboj, Sarajevo et Una-Sana.

En juin 2014, arborant des masques à l’effigie de Gavrilo Princip, les militants du Plenum des citoyens sont venus troubler le ronronnement consensuel des cérémonies du centenaire de la première guerre mondiale. Alors qu’allait commencer le concert de la Philharmonie de Vienne - réservé aux VIP - ils ont occupé les quais de la Miljacka, pour rappeler que la Bosnie-Herzégovine est toujours un « pays occupé »...

Une autre pancarte proclame : « vous dépensez deux millions d’euros, pourquoi ? » Inès Tanović, l’une des animatrices du Plenum de Sarajevo, explique : « un tiers du pays est toujours sinistré après les inondations du mois de mai. Nous trouvons indécent de dépenser l’argent public pour des commémorations qui n’ont aucun sens ».
Plus de cent jours après les élections législatives anticipées du 8 juin, les institutions sont toujours bloquées au Kosovo. Jeudi, le Parti démocratique du Kosovo (PDK) a de nouveau échoué à élire son candidat à la tête du parlement. La session n’aura duré que cinq minutes.

Les manifestations qui ont éclaté il y a deux mois en Bosnie étaient une expression de la colère de la classe ouvrière contre les niveaux de chômage désastreux et les conditions économiques misérables créées par des années de mesures d’austérité dictées par le Fonds monétaire international et l’Union européenne.

Ces manifestations ont débuté à Tuzla, une ville très ouvrière et la troisième plus grande ville du pays, et se sont répandues dans d’autres régions, dont la capitale, Sarajevo. De nombreux bureaux de l’administration ont été incendiés et plusieurs exécutifs municipaux ont démissionné.

Suite à ces manifestations, des assemblées sont apparues, d’abord à Tuzla, puis à Sarajevo, Mostar et dans quelques villes plus petites. Elles étaient dominées politiquement par un certain nombre de groupes de la pseudo-gauche et d’individus qui affirmaient que ces assemblées représentaient la voix de la classe ouvrière et constituaient des organes d’autogestion et même des soviets.
Au premier plan de celles-ci, il y a un groupe appelé Lijevi (ceux de la gauche). Son site web a une introduction de trois phrases intitulée « qui sont ceux de la gauche ? » qui décrit cette organisation comme « un nouveau mouvement politique […] qui appelle tous les gens qui ont un esprit ouvert et des idées progressistes, qui refusent de sombrer dans l’apathie et le pessimisme, à nous rejoindre […] » Cette brève déclaration affirme, « Il n’y a pas d’alternative à l’action », et parle de « socialisme démocratique, laïcité, féminisme, antifascisme, et développement durable ».

Lijevi a été officiellement créé en avril 2012. L’un de ses dirigeants, Emin Eminagic, a dit à propos des manifestations étudiantes qui ont éclaté après le début de la crise financière mondiale en 2008, qu’elles « ont donné naissance à un groupe de jeunes gens qui ont commencé à penser politiquement et à tenter de créer un meilleur futur pour le pays ». Ajoutant : « Il y a maintenant un parti politique qui a été formé par d’ex-activistes étudiants, les Lijevi, qui utilisent les assemblées comme mécanismes de prise de décision dans leurs organisations de base. »

Eminagic a une maîtrise en Sciences du nationalisme de l’Université d’Europe centrale de Budapest et a fait un stage au Centre des études sur la sécurité, un laboratoire d’idées à Sarajevo dirigé par des responsables du ministère des Affaires étrangères bosniaque et financé par, entre autres, l’OTAN, l’USAID [Agence américaine pour le développement international], la Commission européenne et divers gouvernements européens.

Lijevi tire ses origines des organisations comme Dosta ! (Assez !) et l’Organisation unifiée pour le socialisme et la démocratie (JOSD). Cette dernière définit sa mission comme « unir les individus de diverses convictions anticapitalistes (marxistes, anarchistes, anarcho-syndicalistes, trotskystes, situationnistes, communistes de gauche, euro-communistes, adhérents au socialisme démocratique et d’autres) en une seule organisation ».

En septembre 2009, Dosta et JOSD ont organisés un « Forum de résistance » qui accueillait des personnalités comme François Sabado et Lucien Perpette, des membres dirigeants du Secrétariat unifié pabliste (USec). L’USec a rompu avec le trotskysme dans les années 1950. Il attribuait un rôle révolutionnaire à la bureaucratie stalinienne en Union soviétique, aux partis sociaux-démocrates en occident et à divers mouvements nationaux de par le monde. Il a liquidé section après section de la Quatrième Internationale.

Entre 2010 et 2012, le JOSD a organisé trois festivals « de gauche » à Sarajevo. Il l’a fait conjointement avec la Fondation Rosa Luxembourg, le laboratoire d’idées du parti La Gauche (Die Linke) en Allemagne, un parti bourgeois pleinement consacré à la propriété privée, à l’économie de marché et à l’État capitaliste. Appelés AntiFest, ces festivals donnaient une plate-forme à divers groupes internationaux de la pseudo-gauche. En mars 2014, Lijevi a accueilli Olivier Besancenot, le porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) le parti pabliste français. Celui-ci a en retour applaudi la ville de Tuzla comme « la capitale méconnue de l’Europe des travailleurs et des peuples ».
Le manque de principes et la démoralisation de cette couche sociale que l’on retrouve chez Dosta et au JOSD sont évidents dans leur évolution politique. Un ex-dirigeant du JOSD, Salmedin Mesihovic, un professeur d’histoire de l’Université de Sarajevo, a récemment rédigé un article qui déclare : « si vous êtes séduit par le sadomasochisme, créez ou soyez l’un des créateurs d’un parti [politique] parmi les slaves du sud, c’est-à-dire les balkanisés occidentaux ». Le dirigeant le plus en avant de Dosta, Demir Mahmutcehajic, est maintenant un député local du Parti social-démocrate, le parti successeur de la Ligue des communistes de Bosnie-Herzégovine stalinien.

L’évolution du journaliste Vuk Bacanovic est particulièrement révélatrice de ce processus : c’est un membre dirigeant de longue date du JOSD et le principal rédacteur du site web de Lijevi. Il fut un temps ou Bacanovic s’en prenait à l’inégalité, parsemant ses écrits de termes aux accents révolutionnaires et de citations de Marx, Lénine et Trotsky.
Cependant, dès 2012, quand le JOSD se débarrassait de sa vieille peau et se transformait en Lijevi, Bacanovic se plaignait que « plusieurs dizaines d’internationales trotskystes [s’engagent] dans des guerres intestines » et notait que « les mouvements révolutionnaires contemporains semblent les ignorer complètement ou, encore pire, sont ignorés par eux ».

Dans un article du 20 mars 2014 intitulé « Où les assemblées se trompent-elles ? », Bacanovic écrit que l’assemblée de Sarajevo serait dominée par « des employés du secteur associatif » et que cela « fait fuir les gens ». Il qualifie ensuite de « partiellement utopiste » ou « irréelles » des demandes en faveur de diverses aides sociales en déclarant, « au lieu de solutions à court terme comme des aides sociales généreuses, la seule voie actuelle vers la prospérité est […] par la création d’emplois. Concrètement, on pourrait exiger que 20 pour cent du budget à tous les niveaux de l’administration aillent continuellement aux […] banques de développement et aux fonds industriels » dirigés par les « sociétés d’investissement professionnelles ».

En d’autres termes, plus d’argent pour les banques et des aides sociales uniquement dans la mesure où les capitalistes peuvent se les permettre. La redistribution des richesses, mentionnée pour faire bonne mesure, est reportée indéfiniment.

Bacanovic conclut : « C’est là l’indispensable, et ensuite on peut parler d’impôts progressifs, de participation des travailleurs, d’autogestion, du nouveau socialisme démocratique et d’autres politiques progressistes. Les assemblées […] sont le phénomène social le plus progressif […] et exactement pour cette raison ils doivent se développer en premier lieu en réalisant qu’ils ne peuvent remplacer du jour au lendemain les pouvoirs législatifs et exécutifs. »

La pseudo-gauche du JOSD/Lijevi traite avec mépris les grandes questions historiques et s’associe avec des forces qui ont un long passé contre-révolutionnaire. Ils ont fini assez rapidement par abandonner leur programme réformiste limité.

Leur base sociale est la classe moyenne : professeurs d’université et jeunes en post-doctorat qui visent des carrières universitaires ou similaires, journalistes, avocats et autres professions libérales. Les conceptions sociales de cette couche ne visent pas à lutter pour un changement complet de la société capitaliste au bénéfice de la majorité opprimée, mais saisir des occasions pour leur propre avancement social et une distribution plus équitable des revenus au sein des 10 pour cent les plus riches de la population.

La situation sociale en Bosnie, loin de s’améliorer, s’aggrave sans cesse… Selon une enquête de l’agence de presse turque Anadolu, les conditions de vie des retraités en Bosnie-Herzégovine sont dramatiques. La plupart d’entre eux doivent survivre avec 1,50 euros par jour. La situation économique ne cesse de dégrader en Bosnie-Herzégovine. Les ménages consacrent 80% de leur budget à l’alimentation. Le niveau de vie des retraités, des ouvriers et des familles monoparentales ne cesse de chuter. Selon le site Business Insider , la Bosnie se classe désormais parmi les 25 pays les plus pauvres du monde.

La révolution sociale n’a fait que de commencer. Il reste à passer de la révolte à la révolution et des manifestations à l’insurrection... L’avenir est aux conseils de travailleurs, de chômeurs et de ménagères !!!

Bosnie-Herzégovine, Kosovo, mais aussi Monténégro... Une vague de contestation gagne-t-elle la région ? 2014 sera-t-elle l’année du « printemps des Balkans » ?

Emeutes contre la misère à Zenica, Mostar, Bihac – 7 février 2014

Emeutes contre la misère à Sarajevo et Tuzla

Messages

  • Des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes de Bosnie-Herzégovine samedi pour marquer le premier anniversaire de la grande révolte de l’hiver dernier. Rien n’a vraiment changé depuis un an : la Bosnie-Herzégovine est toujours embourbée dans la crise, et sa classe politique ne parvient toujours pas à former un gouvernement, quatre mois après le scrutin du 12 octobre dernier.

    Les citoyens de Bosnie-Herzégovine n’ont pas encore cessé la lutte, et ils ont choisi de le démontrer en organisant une manifestation nationale pour commémorer le « printemps bosnien » de l’hiver dernier. A Bihać, Zenica, Tuzla, Mostar ainsi que dans la capitale, Sarajevo, des centaines de personnes sont descendues dans les rues pour manifester contre la classe politique.

    A Bihać, une centaine de personnes s’est donné rendez-vous en dépit de la neige qui a balayé la région dans la journée de vendredi. A Zenica comme à Tuzla, les citoyens ont manifesté à proximité des anciens sièges des gouvernements des cantons, qui avaient été détruits pendant les manifestations l’année dernière.

    A Mostar, les manifestants se sont donnés rendez-vous sur la place d’Espagne, tandis qu’à Sarajevo quelque 200 personnes ont occupé le trottoir en face de la Présidence. A Banja Luka, une dizaine de militants d’ONG locales ont appelé leurs concitoyens à manifester leur mécontentement.

    Un an après le Gradjanski Bunt de 2014, rien n’a vraiment changé en Bosnie-Herzégovine. Le gouvernement national et celui de la Fédération, l’une des deux entités qui composent le pays, n’ont toujours pas été constitué quatre mois après le scrutin du 12 octobre dernier, en raison de désaccords existants entre les partis qui devraient former les nouvelles majorités parlementaires aux deux niveaux, le SDA, le Front Démocratique (DF) de Željko Komšić et le HDZBiH.

  • En 2002, Kathryn Balkovac est envoyée en Bosnie comme membre de l’IPTF (International Police Task Force) pour surveiller l’application des accords de Dayton. Elle découvre un vaste réseau de trafic d’êtres humains, notamment pour la prostitution, dans lequel sont impliqués non seulement les locaux mais les flics de l’IPTF et les fonctionnaires de l’ONU, tout comme les forces militaires d’occupation à tous les niveaux de la hiérarchie. La divulgation de son rapport lui vaut d’être rétrogradée puis licenciée, menacée de mort et empêchée de tout emploi dans les organisations internationales.

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