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Réactions de l’Etat mexicain aux protestations de masse

jeudi 27 novembre 2014, par Robert Paris

L’armée mexicaine menace d’intervenir contre le mouvement de protestation à propos de la disparition des normalistas

Par Eric London

L’Etat mexicain est en proie à une crise politique qui s’accentue sur fond de protestations de masse contre la disparition et le probable massacre de 43 étudiants normaliens. L’armée menace d’intervenir alors que la colère populaire monte contre le gouvernement et l’ensemble de l’appareil politique.

Jeudi, des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes ont convergé vers la Place Zócalo au centre de Mexico. Un grand nombre de parents des normalistas, étudiants de l’école normale rurale d’Ayotzinapa, ont participé à ce rassemblement, deux mois seulement après la disparition de leurs enfants. Les participants ont dénoncé le gouvernement du président Enrique Peña Nieto qui est complice de la disparition des étudiants et largement détesté pour sa politique droitière et pro-patronale.

L’armée a réagi en avertissant de façon sinistre qu’il y avait danger d’« instabilité » sociale. Jeudi, lors d’une cérémonie de remise de médaille, le général Salvador Cienfuegos, le ministre de la Défense de Peña Nieto, a fait allusion aux manifestations, citant l’« insécurité » comme l’un des « plus grands défis auxquels nous sommes confrontés. »

L’armée, a déclaré Cienfuegos, « agit avec force et détermination lorsque c’est nécessaire. » Il a ajouté, « C’est en temps de désunion que le pays a subi ses plus grandes fractures. » Tel est le langage type d’une clique militaire prête à intervenir par la force dans la vie politique, et la classe dirigeante mexicaine connaît une longue tradition pour ce qui est d’ordonner des attaques militaires contre des manifestations.

Lors de cette même cérémonie, Peña Nieto a annoncé, « La loyauté et le noble service que l’armée rend à la nation ne peut en aucun cas être mis en doute. »

Les manifestations de jeudi se sont déroulées dans 30 villes aux quatre coins du pays. Ce furent les plus vastes depuis que les normalistas ont disparu après avoir revendiqué une amélioration des conditions de l’éducation publique dans les communautés rurales. José Luis Abarca, le maire d’Iguala, ville située dans l’Etat du Guerrero, avait réagi aux premières protestations en ordonnant à la police locale d’attaquer brutalement les étudiants normaliens, causant la mort de six étudiants ; quarante-trois étudiants furent kidnappés.

Les quarante trois jeunes furent par la suite remis aux Gerreros Unidos, un cartel de trafiquants de drogue lié à l’Etat. Des articles de presse ont paru selon lesquels les normalistas auraient été torturés puis brûlés vifs par des membres du cartel.

Les manifestants ont demandé la démission de Peña Nieto dont l’effigie fut brûlée sous le regard de milliers de spectateurs. Les principaux intervenants furent les parents des normalistas disparus qui avaient parcouru plus de 120 kilomètres en provenance de l’Etat de Guerrero dans le but de lancer un appel national.

« Aujourd’hui, ce 20 novembre, nous célébrons le 104ème anniversaire du début de la Révolution mexicaine, » a dit Felipe de la Cruz, le père d’un des disparus. « Si nous sommes bloqués ici, c’est parce que la classe dirigeante a mutilé en sa faveur notre Constitution dans le but de justifier ses actes. »

Le gouvernement avait auparavant annoncé l’annulation de sa propre parade de commémoration de la Révolution mexicaine au motif de protestations inattendues – un geste qui en soi est une indication significative de la crise politique grandissante.

Non seulement Peña Nieto et son Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), mais aussi tous les principaux partis politiques sont d’une manière ou d’une autre impliqués dans le massacre. Le maire d’Iguala (Abarca) tout comme le gouverneur du Guerrero est un membre du parti d’opposition, Parti de la révolution démocratique (PRD), qui entretient des liens étroits avec les bandes de trafiquants de drogue. Le parti d’Andrés Manuel López Obrador (connu sous le sigle Morena, Mouvement de régénération nationale) a soutenu Abarca et a d’autres liens avec des responsables impliqués dans le massacre.

Tous les principaux partis ont également soutenu le « Pacte du Mexique » qui vise à introduire des « réformes » libérales et une restructuration de l’économie au profit de la classe dirigeante et du capital étranger.

Au moment où la classe dirigeante mexicaine se prépare à réprimer l’opposition sociale sur le plan intérieur, elle peut compter pleinement sur le soutien de son homologue aux Etats-Unis.

En février 2014, lors d’une conférence de presse à Toluca, au Mexique, avec le président Peña Nieto, le président américain Barack Obama avait loué « notre engagement commun en faveur des valeurs démocratiques et des droits humains », louant les « énormes sacrifices » faits par les forces de sécurité mexicaines dans la lutte contre les cartels de drogue.

Alors que les Etats-Unis ont en grande partie gardé le silence sur les normalistas, la porte-parole du Département d’Etat américain, Jen Psaki, a parlé du massacre d’Ayotzinapa au début du mois en exhortant « toutes les parties à rester calmes tout au long du processus, » comme si les manifestants pacifiques et ceux responsables du meurtre des étudiants étaient la même chose. En remarquant que le gouvernement américain était « préoccupé par les tensions qui existent sur le terrain, » Psaki a ajouté que les Etats-Unis étaient « aussi étroitement engagés là-bas, avec les responsables. » Ce qui, sans aucun doute, comprend de hauts responsables de l’armée mexicaine.

Entre-temps, sous le couvert de la « guerre contre la drogue », l’armée et les services secrets américains continuent de renforcer des liens, d’ores et déjà très étroits, avec leurs homologues mexicains. Un article paru vendredi dernier dans le Wall Street Journal précisait que des responsables du Département de la Justice endossaient l’uniforme des Marines mexicains et participaient à des attaques armées sur le territoire mexicain. Les Etats-Unis ont fourni quelque 2 milliards de dollars d’armes à l’Etat mexicain sous prétexte de combattre la criminalité.

Les représentants du capital financier international ont également réagi avec inquiétude face aux manifestations. Alfredo Coutiño, le directeur de l’agence de notation Moody’s pour l’Amérique latine, a dit vendredi que « les événements politiques et sociaux du mois dernier commencent à soulever des questions quant aux perspectives économiques prometteuses qui sont générées par le travail du nouveau gouvernement. Les marchés, et avant tout les marchés internationaux, commencent à être déçus… »

Les « perspectives économiques prometteuses, » mentionnées par Moody’s concernent avant tout la privatisation historique de l’industrie pétrolière du Mexique, une décision que le capital financier international – et particulièrement la classe dirigeante américaine – considère être une occasion unique de réaliser des bénéfices.

Les étudiants disparus du Mexique

Par Bill Van Auken

Il y a près de quatre semaines, la police de la ville d’Iguala, dans l’Etat très pauvre de Guerrero au Sud du Mexique, a brutalement attaqué un groupe de 80 étudiants d’une école normale d’instituteurs, faisant au moins six morts, dix-sept blessés et quarante trois « disparus ».

Les étudiants de l’Ecole normale rurale d’Ayotzinapa manifestaient contre les coupes dans les ressources de leur université et pour lever des fonds en vue d’une manifestation prévue à Mexico pour y marquer l’anniversaire du massacre de Tlatelolco en 1968, qui avait causé la mort de centaines d’étudiants et de civils dans l’une des pires atrocités de l’histoire comtemporaine du Mexique.

Le massacre des normalistas (c’est ainsi que sont nommés les candidats professeurs en zone rurale) d’Iguala représente un nouveau crime historique qui a provoqué dans tout le Mexique une indignation populaire de masse, des manifestations de colère et des grèves d’étudiants.

Le sort exact des quarante trois étudiants disparus reste encore incertain. Certains des étudiants qui avaient réussi à s’échapper ont rapporté que la police les avait remis à un cartel local de la drogue, connu sous le nom de Guerreros Unidos (guerriers unis). Alejandro Solalinde, un prêtre mexicain engagé dans les questions de droits humains, a dit cette semaine que des témoins s’étaient présentés pour confirmer que les gangsters avaient brûlé vif au moins quelques-uns des étudiants.

Cet épisode horrifiant a révélé au grand jour comment, sous couvert de la soi-disant « guerre contre la drogue », les institutions de l’Etat et les forces de sécurité ont été annexées par les cartels de drogue et y ont été intégrées. Les Mexicains utilisent pour décrire ce processus des termes tels que narcopolitica et narcoestado ; y sont impliqués tous les partis bourgeois, de la droite à la soi-disant gauche.

Ce massacre a également mis en exergue l’inégalité croissante et la brutalité sauvage qui va de pair avec les « réformes » libérales imposées au Mexique. Ce processus s’est constamment renforcé au cours des trois dernières décennies, trouvant sa culmination dans le « Pacte du Mexique », introduit par l’actuel PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) du président Enrique Peña Nieto avec le soutien de tous les autres principaux partis.

Ce plan comporte des mesures visant à éradiquer certains des derniers vestiges des acquis datant de la Révolution mexicaine d’il y a un siècle dans le but de rendre le pays plus attractif aux investisseurs capitalistes étrangers. Parmi ces mesures se trouve une « réforme » de l’énergie qui ouvre la voie à la privatisation et à la propriété étrangère du monopole pétrolier PEMEX appartenant à l’Etat ainsi que des « réformes » du marché du travail censées introduire une plus grande « flexibilité » en termes d’exploitation et de licenciement des travailleurs.

Le premier volet de ce programme capitaliste réactionnaire à introduire fut toutefois une mesure concernant l’éducation nationale et destinée à faire des enseignants des bouc-émissaires et à les punir, tout en ignorant l’état catastrophique de l’infrastructure et les profonds problèmes sociaux qui sous-tendent la crise de l’éducation publique. Promulguée loi le mois dernier, cette mesure vise à subordonner l’éducation aux besoins du profit privé et de la grande entreprise.

Les normalistas, les idéalistes futurs enseignants du Mexique, furent parmi les adversaires les plus combatifs de ce genre de « réforme » capitaliste. Ce n’est guère par hasard qu’ils furent pris pour cible de cette incroyable violence.

Le massacre commis à Iguala n’est pas un cas isolé. Depuis le lancement en 2006 de la soi-disant guerre contre la drogue sous le prédécesseur de Peña Nieto, le président Felipe Calderón, quelque 130.000 Mexicains ont perdu la vie tandis que, selon les propres chiffres du gouvernement, 22.322 personnes demeurent « disparues ».

Rien qu’en juin dernier, dans la ville de Tlatlaya, des troupes mexicaines ont exécuté sommairement vingt-et-un civils non armés, dont une jeune fille de 15 ans, un massacre que le gouvernement a tenté en vain de camoufler.

Il est clair que ces méthodes ne concernent pas seulement la guerre contre la drogue mais découlent inévitablement d’une société caractérisée par un niveau insupportable d’inégalité. Le Mexique est le plus inégal des 34 pays membres de l’OECD (Organisation de Coopération et de Développement économiques), les 10 pour cent les plus riches de la population y ayant un revenu près de 30 fois supérieur à celui des 10 pour cent les plus pauvres. Alors que le Mexique compte parmi ses habitants le deuxième individu le plus riche du monde, Carlos Slim, et au moins quinze autres milliardaires, environ la moitié de la population vit dans la pauvreté. Le salaire minimum du pays n’a pas été augmenté depuis 1976 et a perdu depuis 77 pour cent de son pouvoir d’achat.

La politique officielle est totalement au service des intérêts de la nouvelle oligarchie et des sections privilégiées de la classe moyenne supérieure qui lui sont les plus proches. Tous les partis sont impliqués dans les événements sanglants survenus à Guerrero, et en premier lieu les partis bourgeois soi-disant de gauche autour desquels gravitent diverses organisations pseudo-socialistes.

Des membres du PRD (Parti de la révolution démocratique), fondé par Cuauhtémoc Cárdenas, occupaient le poste de gouverneur de l’Etat de Guerrero comme celui de maire d’Iguala. Le maire PRD, Jose Luis Abarca, vit depuis caché avec sa femme, qui est la sœur de l’un des principaux dirigeants de la bande de narcotrafiquants des Guerriers unis.

C’est aussi MORENA (Mouvement de régénération nationale), le parti fondé par Andrés Manuel López Obrador, qui est à présent profondément impliqué. López Obrador, l’ancien maire de la ville de Mexico et candidat présidentiel du PRD, a fondé MORENA après avoir quitté le PRD et être resté, comme il dit, en « excellents termes » avec lui. Il a soutenu la candidature d’Abarca au poste de maire d’Iguala sur la recommandation du proche ami de ce dernier, Lázaro Mazón Alonso, ancien maire d’Iguala et récemment limogé de son poste de secrétaire à la Santé de l’Etat de Guerrero. Mazón, candidat de MORENA au poste de gouverneur de cet Etat, a déclaré récemment ne pas pouvoir « répondre de ses amis. »

Le gouvernement Obama à Washington a été remarquablement silencieux à propos du massacre d’Iguala. L’impérialisme américain détient d’importants intérêts au Mexique qui est le troisième partenaire économique des Etats-Unis. Le Mexique fournit aux entreprises américaines une vaste armée de main-d’œuvre bon marché, employée dans les chaînes d’assemblage des maquiladoras [filiales étrangères], dans la production automobile et autres industries destinées au marché américain. Les sociétés financières et pétrolières américaines attendent avec impatience la privatisation de l’industrie pétrolière mexicaine et les perspectives de profit qu’elle créera.

Washington est aussi profondément impliqué dans la répression meurtrière au Mexique par ses livraisons d’armes à hauteur de quelque 2 milliards de dollars sous la soi-disant Initiative Merida, son entrainement des forces de sécurité et son envoi de « conseillers » au-delà de la frontière. Il est tout à fait possible que les policiers impliqués dans le massacre d’Iguala aient été entraînés et armés par les Etats-Unis et il n’est nullement exclu que l’aide financière ait également atterri entre les mains de la bande de Guerriers unis.

Dans les semaines qui ont suivi le massacre, Washington n’a fait de déclarations officielles que pour enjoindre les touristes américains à éviter les protestations concernant les normalistas disparus. Ce silence est une expression manifeste de complicité directe dans la répression brutale des luttes de la classe ouvrière mexicaine.

Pour les travailleurs, les étudiants et les jeunes aux Etats-Unis, le massacre d’Iguala doit être compris comme un avertissement très sérieux. Les mêmes méthodes meurtrières seront employées aussi contre les luttes de masse au nord du Rio Grande.

Il existe une puissante base objective pour l’unification de la classe ouvrière américaine et mexicaine dans une lutte commune contre un ennemi de classe commun, elles qui sont. réunies dans un processus de production commun de part et d’autre de la frontière militarisée entre les Etats-Unis et le Mexique, des millions de travailleurs mexicains étant de plus employés directement aux Etats-Unis. Ce qui est nécessaire c’est la construction d’une nouvelle direction révolutionnaire basée sur le programme socialiste et international du trotskysme...

Messages

  • Huit mois après la disparition, des manifestants ont défilé dans Mexico pour rappeler aux autorités que ce drame n‘était toujours pas résolu. Les familles exigent des réponses alors que le gouvernement mexicain affirme que les 43 jeunes ont été assassinés par un groupe criminel puis incinérés dans une décharge isolée. Des affrontements ont eu lieu avec les forces de l’ordre.

  • Au Mexique, il y a eu 27.000 disparus en six ans. Les familles qui demandent des informations, les forces de l’ordre refusent d’enquêter. Si les familles persistent, elles sont carrément menacées…

    Les familles qui entreprennent des recherches trouvent carrément d’énormes charniers…

    Le Mexique est quotidiennement aux prises avec les enlèvements. En septembre 2014, l’affaire des 43 étudiants disparus avait bouleversé le pays. Il y a deux jours encore, mardi 12 janvier, 17 personnes qui se rendaient à un mariage ont été enlevées dans l’Etat du Guerrero ; la veille, cinq enseignants étaient kidnappés dans un collège.
    Gangs, drogues, corruption, complicité des forces de police et d’armée, tout concours à de véritables massacres…

    C’est la suite de la « guerre de la drogue » : voir ici

    Bilan total : 80.000 morts !!!

  • Il y a 250 000 détenus au Mexique. Rapporté à la population du pays, cela représente deux fois plus de détenus qu’en France. Il manque 50 000 places dans les prisons mexicaines, peuplées en grande partie de trafiquants qui font leur loi dans les locaux, où les armes prolifèrent et où la torture est monnaie courante.

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