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Une critique marxiste de quelques intellectuels africains

vendredi 1er avril 2011, par Alex

Critique marxiste des théories de 10 intellectuels africains - Première partie : Amady Ali Dieng sur "l’européocentrisme de Marx et Engels" et le "désintérêt de Lénine pour l’Afrique"

Un livre facile d’accès du Professeur Sekou Traore de Guinée-Conakry (ce titre pompeux est simplement une façon de retrouver les livres de l’auteur, sinon il est confondu avec ses milliers d"homonymes, précise-t-il à la fin de son livre) a pour titre Les intellectuels africains face au marxisme (1983, L’Harmattan).

Il passe en revue les thèses de dix intellectuels africains de gauche qui "réfutent" certains aspects du marxisme. Sekou Traore tire quelques citations de leurs ouvrages, résume la thèse qu’ils contiennent, donne des citations ou des références des fondateurs du marxisme (Marx, Engels, Lénine) qui réfutent ces critiques. Cela permet au lecteur de s’orienter à travers les milliers de pages écrites par tous ces auteurs. C’était la démarche de Plekhanov dans sa défense du marxisme.

Ce texte permet d’abord aux militants peu familier des courants politiques africains de faire connaissance avec des noms incontournables. Il donne aussi clairement quelques grandes lignes claires de la critique qu’ont peut opposer à ces lieux communs des adversaires du marxisme.

Extraits des deux premiers chapitres :

**************

LA THESE D’AMADY ALY DIENG SUR « L’EUROPEO-CENTRISME DE MARX ET D’ENGELS »

En 1978, Amady Aly Dieng, intellectuel sénégalais, a publié un ouvrage intitulé Hegel, Marx, Engels et les pro-blèmes de l’Afrique noire .
Dans cet ouvrage, Amady Aly Dieng affirme que Hegel, Marx, Engels étaient européocentriques et ne connaissaient pas l’Afrique. En effet, il écrit :

« II y a de l’européocentrisme dans le marxisme » . (...) « Marx et Engels étaient européocentriques dans l’orientation de leurs actions et de leurs recherches » .
« ... il (Marx) ignorait l’histoire ancienne et ré¬cente de l’Afrique » . (...) « Sur l’Afrique occidentale, il y a eu beaucoup de travaux qui ont été faits durant la vie de Marx, mais celui-ci les a ignorés complètement » .
Mais, c’est Amady Aly Dieng lui-même qui semble réfuter sa propre thèse sur « l’européocentrisme de Marx et d’Engels » en écrivant dans le même livre :

« Les adversaires du marxisme s’appuient sur son origine occidentale pour lui dénuer toute va¬leur universelle » . (...) « Si, au départ, le marxisme porte la marque de ses origines européennes, il a une vocation universelle ». (...) « La conception matérialiste de l’histoire (élaborée par Marx, S.T.)... n’exclut de l’histoire aucune partie de l’humanité » . (...) « Aujourd’hui... il (le marxisme) est devenu un bien commun de l’humanité. Tous les peuples peuvent y puiser pour résoudre les problèmes que l’histoire leur pose » . (...) « L’initiative historique des peuples africains implique un développement créateur du marxisme-léninisme qui est né en Europe, mais qui peut être utilisé par tous les peuples du monde entier » .

Ainsi donc, Amady Aly Dieng semble se contredire : d’une part, il affirme que Marx était européocentrique ; d’autre part, il soutient que le marxisme a une vocation universelle et qu’il peut être utilisé par tous les peuples du monde entier. Qu’en est-il au juste ?
Le marxisme-léninisme est la science des lois générales du développement de la nature et de la société, de la révolution socialiste et de l’édification du communisme. La base théorique du marxisme-léninisme est le matérialisme dialectique et le matérialisme historique. Etant donné que c’est Marx qui a élaboré la théorie du matérialisme historique, c’est-à-dire la science des lois générales de l’évolution de toutes les sociétés (européennes ou non), il n’est pas exact d’affirmer, comme Amady Aly Dieng, que Marx était européocentrique.

2. L’APPRECIATION D’AMADY ALY DIENG SUR LA POSITION DE LENINE RELATIVE A L’AFRIQUE

Toujours dans le contexte de sa thèse sur « l’européo-centrisme », Amady Aly Dieng écrit gratuitement à propos de Lénine la petite phrase suivante :

« II (Lénine) s’est désintéressé de l’Afrique » .
En raison de la gravité de cette affirmation, une mise au point sérieuse s’impose.

Lénine a consacré une grande partie de son œuvre gigantesque au mouvement de libération nationale, qui est toujours le problème fondamental en Afrique, puisque les pays africains sont actuellement à l’étape de la libération nationale.

Dans son ouvrage intitulé Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes , Lénine a posé les fondements théoriques de la formation d’Etats nationaux et de leur droit à la libre détermination, question toujours à l’ordre du jour en Afrique.

Dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, il a fait une analyse géniale de l’impérialisme, qui est l’ennemi principal des peuples africains. Au chapitre VI, intitulé Le partage du monde entre les grandes puissances, il est question de l’Afrique. L’impérialisme, stade suprême du capitalisme a eu une influence décisive sur les peuples africains en leur faisant prendre conscience de l’implacable exploitation impérialiste dont ils sont victimes.

Par ailleurs, dès 1916, à la pire époque coloniale en Afrique, Lénine, prévoyant le déclenchement des guerres de libération nationale, écrivait :

« Des guerres nationales ne sont pas seulement probables, mais inévitables à l’époque de l’impé rialisme, de la part des colonies et des semi-colonies. »

« La continuation de la politique de libération nationale des colonies les conduira inévitablement à mener des guerres nationales contre l’impéria¬lisme » .

Enfin, Lénine a intégré le mouvement de libération nationale à la révolution socialiste : « La révolution socialiste ne sera pas seulement, ni principalement, une lutte du prolétariat révolutionnaire de chaque pays contre sa bourgeoisie ; non, ce sera la lutte de toutes les colonies et de tous les pays opprimés par l’impérialisme, de tous les pays dépendants contre l’impérialisme international » .

Ce sont les salves du croiseur Aurore qui ont réveillé les peuples asservis. La Grande Révolution Socialiste d’Octobre 1917, dirigée par Lénine, a rompu le front de l’impérialisme et imprimé au mouvement de libération nationale un essor impétueux qui devait aboutir, en un délai historique relativement court, à l’effondrement total du système colonial et à l’accession à l’indépendance des pays africains.
En conclusion, même si Lénine n’a pas souvent écrit explicitement le mot « Afrique », tout son travail théorique sur la révolution socialiste et le mouvement de libération nationale concerne également l’Afrique. C’est pourquoi Lénine est très populaire en Afrique, où ses œuvres sont largement diffusées et sérieusement étudiées par les militants, notamment en Angola, au Congo, en Ethiopie et au Mozambique. Il n’est donc pas juste d’affirmer que Lénine s’est désintéressé de l’Afrique.


Une critique des théories de 10 intellectuels africains - deuxième partie : La "relecture africaine de Marx et d’Engels" de Leopold Sedar Senghor

Un livre facile d’accès du Professeur Sekou Traore de Guinée-Conakry (ce titre pompeux est simplement une façon de retrouver les livres de l’auteur, sinon il est confondu avec ses milliers d"homonymes, précise-t-il à la fin de son livre) a pour titre Les intellectuels africains face au marxisme (1983, L’Harmattan).

Après Amady Aly Dieng dans les chapitres 1 et 2, il critique Leopold Segar Senghor au chapitre 3.

Mais autant la première critique restait sur le terrain du marxisme, autant celle-ci ne l’est plus entièrement, à cause de l’apologie de l’Etat du Congo et de Ngouabi présenté comme un marxiste, ainsi que l’assimilation des homosexuels (et aussi les prostituées, les aveugles ...) du Sénégal à des voyous (passages mis en italique) .

La critique de Denghor est cependant aussi intéressante que celle de Dieng car elle pointe des aspects des idées nationalistes de Senghor, de son bilan comme président du Sénégal (de 1960 à 1980). Pour les militants d’ici non familiers avec le Sénégal et le Congo, elle familiarise avec certains aspects politiques de ces deux pays.

3. LEOPOLD SEDAR SENGHOR ET LA « RELECTURE AFRICAINE DE MARX ET D’ENGELS »

a) LE « SOCIALISME AFRICAIN » DE SENGHOR Voilà une trentaine d’années que Senghor parle inlassablement de « socialisme africain ». Dès 1948, il intitule Vers un socialisme africain une lettre qu’il adresse à Guy Mollet, secrétaire général de la S.F.I.O. (Section Française de l’Internationale Ouvrière) . Depuis, il a écrit sur ce sujet un grand nombre de textes rassemblés principalement dans trois ouvrages :

— Nation et voie africaine du socialisme (19) ;

— Liberté II (Nation et voie africaine du socialisme) contenant notamment les six textes suivants : 1) Marxisme et humanisme ; 2) Vers un socialisme africain (Lettre à Guy Mollet) ; 3) Socialisme, fédération, religion ; 4) Socialisme et culture ; 5) Nation et socialisme ; 6) La voie africaine du socialisme ;

— Pour une relecture africaine de Marx et d’Engels.
Le « socialisme africain » de Senghor, fondé sur le concept dépassé de « négritude », est rejeté par les marxistes, qui en ont fait la réfutation dans de nombreuses études sur lesquelles nous ne reviendrons pas.

b) LA POLÉMIQUE IDÉOLOGIQUE ENTRE MARIEN NGOUABI ET LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR

En février 1974, sur l’invitation du Parti Congolais du Travail (P.C.T.) et du gouvernement congolais, Léopold Sédar Senghor, président de la République du Sénégal, a effectué une visite officielle au Congo. Au cours de cette visite, Senghor a prononcé à Brazzaville, le 24 février 1974, une conférence devant les militants du P.C.T. sur le thème : « Le socialisme africain et la voie sénégalaise » . Après avoir qualifié le marxisme de « théorie importée » , Senghor a notamment déclaré : « ... nous avons élaboré... une nouvelle idéologie, nationale et négro-africaine, socialiste et démocratique » . (...) « elles (les œuvres de Marx) sont les produits de l’espace et du temps, c’est-à-dire d’une géographie et d’une histoire, d’une ethnie et d’une culture singulières » .

Ensuite, Senghor énumère ses points de désaccord avec Marx :
« Nous n’avons pas retenu certaines idées de Marx... Et, d’abord, dans le domaine de la religion.. Nous ne retiendrons pas non plus la théorie des classes, que Marx a développée... Nous ne retien-drons pas davantage la théorie marxienne de l’Etat... Enfin, sur le problème de la propriété pri-vée, nous ne partageons pas exactement les vues de Marx et d’Engels » .

En clair, Senghor rejette les thèses fondamentales du marxisme-léninisme.

Or, le Congo est le pays de l’orthodoxie marxiste. Tout se dit et s’écrit selon Marx-Engels-Lénine. On ne relève aucune déviation idéologique dans les documents officiels du Parti Congolais du Travail (P.C.T.). C’est là l’inestimable contribution des communistes congolais à la révolution africaine.

En raison de cette orthodoxie congolaise, une discussion sur l’exposé révisionniste de Senghor aurait bien pu tourner à la diatribe. Conscient de cette situation, Marien Ngouabi, hospitalité oblige, proposa de reporter le débat à une date ultérieure.
Effectivement, moins d’un an plus tard, en janvier 1975, Marien Ngouabi effectua à son tour une visite offi¬cielle au Sénégal, sur l’invitation de l’Union Progressiste Sénégalaise (U.P.S.) et du gouvernement sénégalais. A Dakar, le 15 janvier 1975, il prononça une conférence devant les cadres de l’U.P.S. sur le thème : « Le socialisme scientifique en Afrique : l’expérience congolaise » .
Cette conférence de Marien Ngouabi constitue une réfutation des thèses anti-marxistes soutenues par Sen¬ghor lors de sa conférence à Brazzaville.

Réfutant d’abord le « socialisme africain » de Senghor, Marien Ngouabi écrit :

« A propos de l’Afrique, le socialisme est-il donc aussi peu convenable qu’on le pense ? Commençons par affirmer qu’il n’y a qu’un so-cialisme, le socialisme scientifique, la science élaborée par Marx et Engels. En sa qualité de science, il trouve application partout, dans ses lois générales... (...) L’acceptation des lois générales est la condition pour reconnaître si l’on nie ou si l’on accepte la science... (...) On pourrait parler des voies africaines du socialisme et non point de socialisme africain » .

Réfutant ensuite les positions de Senghor sur la reli-gion, les classes, l’Etat et la propriété privée, Marien Ngouabi poursuit :
« Nous avons une conception matérialiste du monde et pensons que la religion et toutes autres conceptions idéalistes du monde sont erronées. » (...) « Nous admettons le primat de l’existence des classes et nous luttons sur les positions de la classe ouvrière. » (...) « L’Etat est l’instrument de dictature par excellence... L’hypothèse marxiste prévoit, après la dictature, le dépérissement de l’Etat à l’étape supérieure de l’évolution de l’homme et de la société.
L’Etat dépérit du fait du dépérissement des antagonismes de classes... » (...) « Nous sommes pour la socialisation des moyens de production » (30). En conclusion, Léopold Sédar Senghor représente le point de vue révisionniste et Marien Ngouabi le point de vue marxiste. Cette polémique entre deux chefs d’Etat africains montre l’acuité de la lutte idéologique en Afri-que.

c) LA « RELECTURE AFRICAINE DE MARX ET D’ENGELS »

Du 1er au 7 juillet 1975, s’est tenu à Tunis un colloque sur le thème : « Le libéralisme planifié et les voies africaines vers le socialisme. » Au cours de ce colloque, Léopold Sédar Senghor a fait une importante intervention intitulée Pour une relecture africaine de Marx et d’Engels .
Affirmons tout de suite que nous sommes entièrement d’accord avec Senghor lorsqu’il préconise la relecture de Marx et d’Engels. Nous ajoutons même qu’il faut relire plusieurs fois Marx et Engels, car l’héritage légué par les deux grands maîtres est si profond et, à vrai dire, si difficile, que plusieurs relectures sont nécessaires pour une parfaite assimilation.

Mais la question est de savoir ce que Senghor entend par « relecture ». Relire pour assimiler, ou relire pour rejeter ? Ecoutons Senghor : « La première question qui s’est posée à notre recherche était de savoir si le socialisme, très précisément le socialisme scientifique, tel qu’il avait été formulé par Marx et Engels dans la période de leur maturité, c’est-à-dire après 1857, était encore valable un siècle après. » (...) « Voilà qui nous ramène à la nécessité de penser notre socialisme en Africains et pour les Africains. » (...) « Le socialisme... exige une rupture idéologique avec les lectures du Centre, qu’elles soient mar-xistes-léninistes ou social-démocrates » (32).

En conclusion, Senghor, faisant une relecture africaine de Marx et d’Engels, découvre que le marxisme-léninis¬me n’est pas applicable à l’Afrique, et préconise alors pour l’Afrique une nouvelle idéologie : le « socialisme africain », que nous avons réfuté plus haut.

d) BILAN HONTEUX D’UNE VINGTAINE D’ANNEES DE PRATIQUE DU SOCIALISME AFRICAIN AU SÉNÉGAL

La philosophie marxiste enseigne que la pratique est le critère de la vérité. Pour porter un jugement de valeur sur le socialisme africain de Senghor, il faut donc examiner quelle en a été la pratique au Sénégal. On sait que Senghor a régné sans partage sur le Séné-gal pendant une vingtaine d’années, au cours de laquelle il a appliqué à son pays sa théorie du socialisme africain.

Après cette vingtaine d’années de pratique du socialisme africain, la situation politique, économique, sociale et culturelle du Sénégal est caractérisée par les traits suivants :

— un Parti socialiste (néo-colonisé) au pouvoir, d’une part ; de l’autre, treize partis d’opposition ; au total, quatorze partis politiques au Sénégal à la date du 14 mars 1983, dont sept se réclamant du marxisme-léninisme. (Il serait souhaitable, pour une plus grande efficacité dans le combat révolutionnaire, que les différents partis marxistes-léninistes et nationalistes du Sénégal constituent un Front Uni Patriotique, sur la base d’un programme minimum commun de lutte anti-impérialiste et anti-néocolonialiste, en vue de la libération nationale, de la liquidation du pouvoir néo-colonial actuel et de la construction d’un Sénégal véritablement indépendant et économiquement prospère) ;

— une féodalité religieuse anachronique et parasitaire (Mourides et Tidjanes), perpétuant à l’aube du XXIe siècle le système esclavagiste médiéval, et cependant cour tisée par les hommes politiques en quête de clientèle électorale ;

— une base militaire française à Dakar, prête à intervenir à tout moment pour soutenir les fantoches au pouvoir en Afrique et maintenir le statu quo néo-colonial, comme ’ce fut le cas au Gabon en 1964, où les troupes françaises intervinrent à partir de Dakar pour réinstaller Léon M’Ba chassé du pouvoir par les progressistes gabonais ;

— une politique africaine réactionnaire (non-reconnaissance de l’indépendance de l’Angola en 1975 ; intervention des troupes sénégalaises en Gambie en 1981 pour réinstaller Daouda Jawara chassé du pouvoir par les pro¬ gressistes gambiens ; soutien à la politique réactionnaire et expansionniste du Maroc en République Arabe Sah¬ raouie Démocratique (R.A.S.D.) ; non-reconnaissance de l’admission de la R.A.S.D. à 1’O.U.A. le 22 février 1982 à Addis Abeba ; expulsion de Dakar du ministre de l’Infor-mation de la R.A.S.D. venu pour participer le 15 mars 1982 à la Conférence des ministres de l’Information de l’Agen¬ce panafricaine de presse (PANA) ; non-participation au 19e sommet de TO.U.A. prévu du 5 au 8 août 1982, puis du 23 au 26 novembre 1982 à Tripoli) ;

— une politique internationale également réactionnaire et dictée par la France, dont la politique africaine demeure toujours néo-colonialiste, malgré l’accession de la gauche au pouvoir le 10 mai 1981 (en effet, la France maintient toujours des bases militaires dans des pays africains ; elle impose toujours à ses anciennes colonies d’Afrique des accords inégaux de sujétion et d’exploita¬tion ; elle soutient toujours les gouvernements africains réactionnaires au détriment des révolutionnaires africains qui luttent contre ces gouvernements vomis par le peuple et elle continue à vendre des armes à l’Afrique du Sud raciste malgré les protestations des peuples africains et des progressistes français) ;

— une situation économique et sociale catastrophique ;
— une économie dominée par l’impérialisme français, qui exploite férocement le brave paysan sénégalais vic¬ time de la détérioration des cours de l’arachide ;

— la plupart des entreprises aux mains des capita¬ listes étrangers ;

— une bourgeoisie nationale rapace, opposée au so¬ cialisme ;

— des hommes d’affaires véreux, suppôt de l’impérialisme et du néo-colonialisme ;

— une bureaucratie oisive, corrompue, avide, bloquant l’appareil d’Etat ;

— une université néo-colonisée culturellement, calquant tout sur la France, seule référence culturelle ;

— des étudiants, hier combatifs et regroupés au sein d’organisations militantes (U.G.E.A.O., U.E.D.), aujourd’hui démobilisés, fatigués, embourgeoisés, voire réactionnaires sur le plan politique ;

— le français toujours langue nationale, malgré le tapage démagogique fait par les linguistes sénégalais autour de cette question ;

— enfin, pour clore le décor, des mendiants, des aveugles, des charlatans, des « bana-bana » (marchands ambulants), des spéculateurs, des escrocs, des chômeurs, des délinquants, des voyous, des truands, des prostituées, voire des homosexuels, déambulant pêle-mêle sur l’avenue Georges Pompidou (ex-avenue William Ponty) à Dakar, la capitale.

Tel est le bilan honteux d’une vingtaine d’années de pratique du socialisme africain au Sénégal. C’est dire que le socialisme africain de Senghor s’identifie à la misère, au sous-développement, au capitalisme et au néo-colonialisme


Critique marxiste des théories de 10 intellectuels africains - Troisième partie : Le "consciencisme" de Kwame Nkrumah

Un livre facile d’accès du Professeur Sekou Traore de Guinée-Conakry (ce titre pompeux est simplement une façon de retrouver les livres de l’auteur, sinon il est confondu avec ses milliers d"homonymes, précise-t-il à la fin de son livre) a pour titre Les intellectuels africains face au marxisme (1983, L’Harmattan).

Après Amady Aly Dieng dans les chapitres 1 et 2, Leopold Sedar Senghor au chapitre 3, il critique dans le chapitre 4 le consciencisme de Kwame Nkrumah. Quelques traits fondamentaux de cette théorie sont exposés à partir de citations de Nkrumah, les différences avec certaines idées fondamentales du marxisme sont soulignées.
En 1964, Kwame Nkrumah a publié un ouvrage philosophique intitulé Consciencism . Dans cet ouvrage, Nkrumah divise la société africaine en trois fractions :

— « une fraction fidèle à notre genre de vie traditionnelle »,

— « une fraction représentant la présence en Afrique de la tradition musulmane »,

— « une fraction trahissant l’infiltration de la tradition chrétienne et de la culture de l’Europe occidentale dont les principaux véhicules sont le colonialisme et le néo-colonialisme » .

En raison de ces conditions spécifiques, Nkrumah affirme la nécessité de créer en Afrique une nouvelle « idéologie dont le but sera de contenir à la fois l’expérience africaine de la présence musulmane et euro-chrétienne et celle de la société traditionnelle ». Il élabore cette nouvelle idéologie, qu’il appelle « consciencisme », et qu’il définit comme suit :

« Le consciencisme est l’ensemble, en termes intellectuels, de l’organisation des forces qui permettront à la société africaine d’assimiler les éléments occidentaux, musulmans et euro-chrétiens présents en Afrique et de les transformer de façon qu’ils s’insèrent dans la personnalité africaine ». Le consciencisme est caractérisé par les quatre traits suivants :

— « le consciencisme est une philosophie profondément matérialiste » ;

— « le consciencisme n’est pas nécessairement athée » ;

— « le consciencisme soutient la thèse du parti unique ("la démocratie parlementaire d’un peuple à parti unique exprime et satisfait les aspirations communes de l’ensemble de la nation mieux qu’un système parlementaire à plusieurs partis") » ;

— « le consciencisme soutient la thèse du parti de masse ("elle (cette idéologie, c’est-à-dire le consciencisme) doit être adoptée par un parti de masse") » .

A la lumière de cette analyse, on voit apparaître des différences essentielles entre le consciencisme et le marxisme, à savoir :

— Le consciencisme n’est pas nécessairement athée, contrairement à la philosophie marxiste. C’est là une différence importante. Le marxisme considère que la religion est un frein au progrès de l’humanité et qu’elle constitue un instrument de l’asservissement spirituel des travailleurs. Et, bien que la liberté de religion soit garantie dans les pays socialistes, la lutte contre les préjugés religieux, par un travail patient d’explication scientifique, fait partie intégrante de l’éducation communiste du peuple.

Dans la doctrine marxiste, il n’y a pas de thèse du parti unique. Bien sûr, des circonstances historiques peuvent mener à l’existence d’un seul parti dans un pays donné (on sait qu’il y a un seul parti dans certains pays socialistes, et plusieurs partis dans d’autres). L’essentiel est que la direction de la révolution soit assurée par le parti marxiste-léniniste. — La thèse du consciencisme relative au parti de masse n’est pas conforme au marxisme-léninisme qui, précisément, insiste sur la nécessité de créer un parti d’avant- garde en vue de mener la révolution socialiste.

— Le consciencisme ne tient pas compte de la lutte des classes et n’accorde aucun rôle privilégié au prolétariat qui est, au contraire, le facteur déterminant de la théorie marxiste-léniniste de la révolution socialiste.

En conclusion, le « consciencisme » de Kwame Nkru-mah, en accordant une trop grande importance aux conditions spécifiques de l’Afrique, s’écarte des thèses fondamentales du marxisme-léninisme.


Critique marxiste des théories de 10 intellectuels africains - quatrième partie : l’ "Ujamaa" de Julius Nyerere

Un livre facile d’accès du Professeur Sekou Traore de Guinée-Conakry (ce titre pompeux est simplement une façon de retrouver les livres de l’auteur, sinon il est confondu avec ses milliers d"homonymes, précise-t-il à la fin de son livre) a pour titre Les intellectuels africains face au marxisme (1983, L’Harmattan).

Après Amady Aly Dieng dans les chapitres 1 et 2, Leopold Sedar Senghor au chapitre 3, Kwame Nkrumah, l’auteur critique au chapitre 5 la théorie de l’Ujamaa de Julius Nyere.

Cette théorie rappelle celle des populistes russes qui à la fin du XIXème voyaient dans la "communauté rurale russe" (idéalisée) une base sur laquelle construire le socialisme, sans passer par la phase capitaliste.

La "spécificité" de la Tanzanie mise en avant par Nyere rappelle la "spécificité" russe mise en avant par les populistes russes. Ce type de théorie basée sur une prétendue spécificité nationale est critiqué par Lénine dès ses premiers écrits, voir par exemple Le contenu économique du populisme,1894. oeuvres complètes, tome 1.

*****

Le mot swahili « ujamaa » qui signifie « famille » désigne le socialisme tanzanien. L’ujamaa a été défini en 1962 par Julius Nyere dans un document intitulé Ujamaa, the basis of African Socialism (traduction française : L’Ujamaa, la base du socialisme africain dans la revue Présence Africaine n°47,1963)

Son sens et son contenu ont été précisés plus tard dans d’autres écrits de Nyere, notamment dans Freedom and Socialism et dans Socialism and Rural development.

Selon Nyere, la famille africaine vivait selon les trois principes suivants (voir Julius Nyere, Liberté et socialisme Edition Clé, Yaoundé, 1972, p. 106-110) , qui constituent les principes de base de l’Ujamaa :
 respect mutuel et engagement mutuel des uns pour les autres
 propriété commune des biens de base et partage de la production commune ;
 obligation pour tous de travailler

Et c’est sur ces traditions que Nyere fonde son système idéologique, l’Ujamaa. Il écrit

« En employant le mot « ujamaa », nous affirmons que pour nous le socialisme veut dire construire sur les fondations de notre passé, et construire comme nous l’entendons. Il ne s’agit pas d’importer en Tanzanie une idéologie étrangère pour qu’elle étouffe nos modèles sociaux particuliers. Nous avons décidé de plein gré de croître en tant que société à partir de nos propres racines, mais dans une direction et vers un objectif donnés. Nous le faisons en mettant l’accent sur certaines caractéristiques de notre organisation traditionnelle.
Si nous insistons pour que notre croissance se fasse à partir des modèles traditionnels de l’existence sociale, c’est que nous voulons essayer de créer quelquec hose qui soit spécifiquement à nous, par des méthodes propres à la Tanzanie. Cela n’infirme pas notre volonté de bâtir le socialisme. »

En conclusion l’« ujamaa » de Julisu Nyere, caractérisé par l’idéal égalitaire, se situe plus près du socialisme utopique que du socialisme scientifique.

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