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Ce qu’était le faux socialisme en Inde

mardi 21 février 2017, par Robert Paris

Inde

Les colonisateurs anglais constatant qu’il y a un mouvement révolutionnaire irrésistible, préfèrent céder le pouvoir d’eux-mêmes à des nationalistes avec lesquels ils tentent des accords pour conserver leurs intérêts économiques plutôt que de risquer que les masses populaires ne s’embrasent. Le travailliste, le major Attlee qui a succédé à Churchill déclare qu’il craint un soulèvement révolutionnaire des masses en Inde et c’est comme cela qu’il obtient très rapidement l’accord de la bourgeoisie anglaise pour céder à toute vitesse l’indépendance ce que l’Angleterre n’envisageait absolument pas un an plus tôt. En octobre 1946 il explique à la chambre que tout retard dans l’accession à l’indépendance provoquera des graves troubles révolutionnaires selon le compte rendu de la mission ministérielle qu’il a envoyée sur place et que selon lui il sera inutile et impossible d’amener suffisamment de renforts sur place. Il est certain que la population anglaise qui réclamait d’abord et avant tout sa démobilisation et qui venait de faire chuter Churchill le représentant de tous les sacrifices consentis au nom de l’effort de guerre ne se sentait pas prête à verser son sang pour lutter contre la population de l’Inde soulevée. Et en février 47 à la chambre des lords Pethic-Lawrence déclare que l’on a déjà trop tardé que selon ses termes « il existe en Inde une situation et un danger révolutionnaire extrême, que si le transfert du pouvoir ne s’effectue pas à bref délai la révolution dont l’éruption a été momentanément retardée par l’annonce de la préparation de l’indépendance par la mission ministérielle éclatera inévitablement ». L’exemple Birman montre toute l’utilité d’aller vers l’indépendance qui a permis en janvier 1947 un rapprochement entre l’Angleterre et le nationaliste Ang San ce qui leur a permis de casser l’alliance entre les nationalistes modérés et radicaux.

En Inde la direction incontestée de la bourgeoisie nationale est le parti du congrès de Gandhi. Sa position est caractéristique vis à vis de la classe ouvrière : aucune indépendance syndicale. Ainsi la seule organisation syndicale qui lui soit liée, celle des ouvriers du textile d’Ahmedabad qui lui sont liées, est organisées syndicalement au sein du parti séparément du reste du mouvement ouvrier qui appartient à une fédération unifiée regroupant tous les autres syndicalistes des staliniens aux réformistes et aux militants radicaux. Le mouvement ouvrier organisé compte autant de membres que le parti du congrès soit 400 000 membres chacun en 1935. Mais plus la revendication politique devient prépondérante, plus la distance s’accroît en faveur de la formation nationaliste bourgeoise faute d’une politique du mouvement ouvrier. Directement lié aux propriétaires fonciers, industriels et commerçants, le parti du congrès est réticent à inclure toute mesure sociale y compris un programme agraire dans ses revendications ce qui laisserait une énorme marge pour un mouvement ouvrier révolutionnaire afin de s’adresser à une paysannerie en révolte. Tout mouvement à caractère révolutionnaire contre l’impérialisme anglais déborderait inévitablement le mouvement politique bourgeois puisque celui-ci s’interdit toute insurrection armée contre les anglais. Le mouvement nationaliste de Gandhi appelle les masses au pacifisme sous des prétextes philosophiques. N’oublions pas que cette philosophie n’avait pas empêché Gandhi de choisir d’appeler les Indiens à soutenir l’effort de guerre de l’impérialisme britannique pendant la première guerre mondiale. Par contre, la montée du mouvement indépendantiste avant guerre va le contraindre à une position plus radicale. En octobre 1939, 90 000 ouvriers d’industrie de Bombay participent à une grève politique contre la guerre qui va obliger le parti du congrès à une petite déclaration de non coopération à la guerre aux côtés des anglais. C’est seulement en 1941 qu’il peut à nouveau offrir sa coopération à l’effort de guerre anglais. Mais, de 1942 à 1944, l’impérialisme anglais ne veut qu’écraser le mouvement nationaliste et pratique des arrestations massives de ses dirigeants comme des militants plus radicaux. Et ce jusqu’à la fin de la guerre. C’est pour négocier avec eux de leur donner le pouvoir à l’indépendance que l’impérialisme anglais les fait libérer en 1945. L’année 1946 est marquée par la montée des luttes ouvrières et par une véritable maturation révolutionnaire qui débute par une mutinerie militaire. Les marins d’une caserne d’entraînement de Bombay manifestent leur mécontentement le 18 février 1946. Le lendemain il s’agit déjà d’un véritable soulèvement de plus de 20 000 marins casernés à Bombay et de 20 bâtiments ancrés dans le port. Les marins soulevés élisent un comité central de grève. Et à Karachi des troubles semblables se produisent. Face à la menace de répression violente le comité central de grève de la flotte en appelle aux travailleurs. Le parti du congrès et la ligue musulmane, les organisations indépendantistes de la bourgeoisie refusent leur soutien au soulèvement. Les 22 et 23 février la bataille fait rage dans Bombay où la population ouvrière qui a pris le parti des mutinés est violemment réprimée : 250 morts. Parti du Congrès et Ligue musulmane contraignent finalement les marins à se rendre et le comité de grève déclare : « nous nous rendons à l’Inde mais pas à l’Angleterre ». Les mutins sont sévèrement condamnés par les partis bourgeois. Gandhi les traite de « racaille » et de combinaison impie d’hindous et de musulmans ». Les dirigeants musulmans déclarent que la flotte doit être disciplinée. C’est là le point commun que ces partis bourgeois ont avec l’Angleterre : la crainte commune du déclenchement d’un mouvement de masse révolutionnaire. Et cela alors qu’ont lieu aussi des troubles dans l’armée anglaise des Indes. Les tommies qui veulent rentrer plus vite et sentent que ça va chauffer manifestent pour rentrer plus vite en Angleterre que ce soit à Delhi ou dans l’Uttar Pradesh. Au même moment, les luttes grévistes des travailleurs sont au point le plus élevé jamais atteint avec la grève insurrectionnelle de deux millions de travailleurs dans un climat de tension extraordinaire.

Pour faire diversion ces formations nationalistes, la Ligue musulmane et le Hindu Masahabha, organisent des manifestations d’opposition inter-ethnique, principalement dans le Bengale et dans le Bihar avec des heurts sanglants entre les communautés religieuses. La Ligue musulmane annonce qu’elle réclame la partition du pays sur des bases religieuses hindous d’un côté et musulmans de l’autre. Cette idée a été en fait discutée par la Ligue à Londres et c’est l’impérialisme anglais qui en a fait lui-même la suggestion pour détourner le mécontentement.

Malgré la répression et malgré les diversions racistes, dans les mois qui suivent, le pays plonge dans le soulèvement et le chaos. Dans des régions entières, plus personne n’obéit plus à l’administration colonialiste. Dans ces conditions, l’Angleterre accélère à toute vitesse le plan d’accession à l’indépendance. Signé début juillet 1947, le plan de partage en Inde et Pakistan, est adopté le 18 juillet et le nouveau pouvoir installé le 15 août 1947. On n’aura jamais vu un pouvoir colonial aussi pressé de donner sa place !

La menace prolétarienne en Inde était tout ce qu’il y a de plus sérieuse. Les salariés représentaient 55% de population des villes et les travailleurs indépendants n’exploitant personne 32% alors que les employeurs n’y étaient que 1%. L’essentiel du prolétariat travaillait dans de grandes entreprises industrielles et près des trois quarts vivaient dans de très grandes cités. Et la lutte s’est déroulée essentiellement dans les villes. Il y aurait eu pour une révolution prolétarienne un énorme potentiel de soutien d’une paysannerie très exploitée et révoltée. L’influence de la grande bourgeoisie sur le petite et moyenne était faible et c’est l’absence politique des travailleurs alors que les possédants ont eu des dirigeants de haut niveau capables d’unir toutes les classes possédantes indiennes qui a permis aux grands propriétaire, banquiers et grands commerçants de tenir le haut du pavé. Le parti communiste indien ne risquait pas de représenter même de manière déformée une politique de classe pour les travailleurs, lui qui proclamait vouloir « un gouvernement de démocratie populaire qui sera celui de tous les groupes, individus et partis démocratiques représentant les ouvriers, les paysans, les classes moyennes et la bourgeoisie nationale, celle qui est favorable à une véritable industrialisation du pays et à l’indépendance de l’Inde ». Pour se donner un visage plus radical que celui qu’il a eu au moment de l’indépendance, le parti communiste soutient un soulèvement paysan armé de deux régions en 1948 l’Andhra et Telengana où sur un territoire de 4000 km² 2000 villages sont organisés en comités populaires, soulèvement qui est réprimé dans le sang par la nouvelle armée de l’Inde indépendante, en guise d’avertissement aux couches populaires. La classe ouvrière a très vite eu à s’opposer à ce nouveau pouvoir avec notamment une grande grève générale de la ville de Calcutta.

Et l’absence d’une politique ouvrière indépendante n’est pas due à l’absence de soutien qu’il rencontrerait dans la population. Ainsi aux première élections générales en Inde, le parti communiste recueille quand même plus de 6 millions de voix et quatre autres groupes se réclamant de l’extrême gauche font respectivement 2,5 millions de voix, 1,1 millions, un million et 400 000 voix à rajouter aux 22, 8 millions de voix obtenues par l’opposition socialiste et communiste.

Citons l’ouvrage de Charles Bettelheim « L’Inde indépendante » :
« La naissance de L’union indienne est intimement liée à l’action du Congrès national indien (parti du Congrès). Cette action elle-même n’a pu aboutir que parce que, sur les ruines de l’ancienne société, s’étaient développées des forces sociales nouvelle, une bourgeoisie et un prolétariat, qui devaient s’opposer de façon de plus en plus active à la domination étrangère. (…) Au cours d’une première période, qui s’étend jusqu’à 1905, le parti du Congrès a été, essentiellement, le porte-parole de la grande bourgeoisie indienne et des couches supérieures des classes moyennes cultivées. Il se fixait pour but l’indépendance nationale. Il désirait voir les Britanniques mettre en œuvre une politique de réformes sociales et de progrès économique. (…) En 1905, année de la première victoire d’un Etat d’Asie, le Japon, sur une puissance européenne et année de la première révolution russe, le parti du Congrès se prononce pour le boycott économique des Anglais afin de protester contre le partage du Bengale. (...) Pendant la guerre de 1914-18, le parti du Congrès se prononce pour le soutien de la guerre, Gandhi lui-même demande aux Indiens de s’engager dans l’armée anglaise. A la fin de la guerre mondiale, le parti du Congrès est prêt à accepter, avec quelques réserves, les réformes promulguées par le gouvernement britannique. (…) Cependant, le mouvement des masses (mouvement qui se manifeste principalement par un puissant essor des grèves ouvrières), la mise en œuvre par le gouvernement britannique d’une politique de répression, puis la vague d’indignation que cette répression suscite dans la population indienne conduisent le parti du Congrès à raidir ses positions. Ces positions plus combatives sont abandonnées par Gandhi en 1922. Tout semble indiquer que ce revirement correspond à la crainte de voir le Congrès débordé par l’action des masses. Cette interprétation est celle que Jawaharlal Nehru lui-même semble admettre (dans « Une autobiographie »). Peu à peu, cependant, l’activité syndicale et politique de la classe ouvrière indienne prend de la force. Les organisations syndicales se multiplient et deviennent permanentes. Le Gouvernement doit même reconnaître officiellement leur existence par le Trade Union Act (1926) qui, d’ailleurs, impose de nombreuses limitations à la liberté et à l’action syndicales. Au cours des années 1922-27, le Trade Union Congress se remplit d’une vie syndicale réelle et, en 1927, il compte 57 syndicats affiliés et 150.000 membres environ. La direction du mouvement syndical échappe alors, progressivement, au parti du Congrès et passe à des syndicalistes ainsi qu’à des militants se réclamant du socialisme ou du mouvement communiste indien. L’essor syndical se poursuit malgré une répression sévère. De nouvelles centrales se forment. Parallèlement, sur le plan politique, on assiste à la naissance des partis ouvriers et paysans nés de la jonction des militants les plus combatifs du mouvement syndical et des éléments de la gauche du parti du Congrès. D’abord constitué sur une base provinciale (au Bengale, à Bombay, dans les Provinces-Unies, au Pendjab, etc…), ces partis s’unissent pour former en 1928 le parti pan-indien des ouvriers et des paysans.(…)
En 1935, avec la promulgation du Government of India Act, la partie « provinciale » de cet acte va donner l’occasion au parti du Congrès de participer pour la première fois sur une large échelle à la gestion des affaires publiques. (…) Sur le plan syndical, l’événement important est la fusion qui a lieu en 1935, du Red Trade Union Congress, centrale à direction communiste qui s’était formée en 1930, et du All India Trade Union Congress. En 1938, la fusion s’effectue aussi avec la National Federation of Trade Unions à direction réformiste. Le mouvement syndical indien est alors unifié à l’exception de l’Association des travailleurs du textile d’Ahmedabad crée par Gandhi et qui est toujours restée en dehors du mouvement ouvrier et compte environ 400 000 membres en 1938-39. Au sein du parti du Congrès, les idées socialistes trouvent un écho. Leurs partisans se regroupent dans le parti socialiste du Congrès (formé en 1934). (…)
La Ligue musulmane avait été fondée en 1906 à l’initiative des autorités britanniques. Celles-ci cherchaient à opposer une force nouvelle au Congrès dont l’orientation leur déplaisait de plus en plus. (…) Les élections ont lieu en 1937 dans les différentes « provinces ». Ces élections, tenues sur une base censitaire, aboutissent à une victoire écrasante du Congrès. La Ligue musulmane, par contre, n’obtient que de maigres résultats : 4,6% du total des votes musulmans. L’accession du parti du Congrès aux gouvernements de la majorité des Provinces accroît considérablement son prestige. En 1938-39, le Congrès est devenu un parti de masse comptant 4 400 000 membres, contre environ 500 000 trois ans plus tôt. L’action pratique du parti du Congrès à travers les gouvernements provinciaux qu’il dirige se trouve doublement limitée : par les pouvoirs restreints dont ces gouvernements disposent et par la différenciation politique qui ne tarde pas de s’opérer à nouveau au sein du parti. (…) La majorité des cadres dirigeants du parti du Congrès étaient étroitement liés aux propriétaires fonciers, aux industriels et aux commerçants indiens et n’étaient donc pas particulièrement disposés à promouvoir les mesures qui, comme une réforme agraire quelque peu profonde, ou des moratoires importants accordés aux paysans écrasés par les dettes ou des augmentations de salaires, etc, auraient porté préjudice aux intérêts matériels de la bourgeoisie indienne. Bien entendu, les masses qui avaient soutenu le parti du Congrès s’attendaient à un changement plus sensible de leurs conditions d’existence, d’où l’apparition d’une certaine désillusion. Comme le disait Jawaharlal Nehru : « Le progrès était lent et le mécontentement se fit jour. » (…)
Au début de la seconde guerre mondiale, le parti du Congrès prend une position de principe radicalement différente de celle adoptée en 1914-18. Tandis que le Congrès avait alors apporté son concours à la guerre, le Comité déclare qu’il « ne peut s’associer à une guerre de caractère impérialiste et dont le but est de consolider l’impérialisme en Inde ». (…) La classe ouvrière indienne prenait elle-même l’initiative de la « non-coopération » : elle déclenchait sur l’initiative de ses propres organisations (et sans l’accord du parti du Congrès) une grève pacifique de protestation contre la guerre. Comme le note justement R. Palme-Dutt, « cette grève du 2 octobre 1939, à laquelle participèrent 90 000 ouvriers de l’industrie de Bombay, a été la première grève contre la guerre dans l’histoire du mouvement ouvrier mondial. » (…) Le refus de coopération du parti du Congrès se limite à la démission des ministères provinciaux en octobre 1939. (…) En juillet 1940, le parti du Congrès change d’attitude. Il offre sa coopération à l’effort de guerre, à condition que soit reconnu le principe de l’indépendance de l’Inde (…) Cette proposition est rejetée par le gouvernement britannique. Les propositions britanniques sont unanimement rejetées par le Congrès. (…) Au cours de l’été 1941, l’extension de la guerre à l’Union soviétique puis en décembre de cette même année, l’entrée en guerre du Japon contre les Etats-Unis amènent la majorité de la direction du Congrès à réviser encore une fois de position à l’égard de la guerre. Fin décembre 1941, le Congrès offre sa coopération aux Nations Unies. (…) Finalement c’est la politique de Gandhi qui l’emporte avec le vote de la résolution d’août 1942. Cette résolution déclare que le Congrès ne veut nuire ni « à la défense de la Chine et de la Russie » ni « à la campagne de défense des Nations Unies ». (…) La déclaration de Nehru au cours du débat où cette résolution été adoptée est particulièrement significative : « Cette résolution n’est pas une menace ; c’est une invitation et une explication, c’est une offre de coopération. » Le gouvernement britannique, loin d’interpréter ainsi la déclaration du 8 août 1942 (la « lutte non-violente » de Gandhi), y trouve une occasion de déclencher une vaste opération de répression. (…) Entre août 1942 et la fin de l’année, les manifestations entraînent, d’après les chiffres officiels, plus de 60 000 arrestations, tandis que 940 personnes sont tuées et 1 630 blessées à la suite d’actions de répression menées par la police ou les forces militaires. La répression se poursuivra jusqu’à la fin de la guerre. Le 6 mai 1944, au moment où la guerre se termine en Europe, Gandhi est libéré pour raison de santé et il annonce que la partie de la résolution d’août 1942 relative à la désobéissance civile est annulée. (…) La formation en Grande-Bretagne d’un gouvernement travailliste, à la suite des élections de l’été 1945, n’accélère pas l’accession de l’Inde à l’indépendance. (…)
Les premiers mois de l’année 1946 sont marqués par deux événements qui influencent sérieusement l’évolution à venir : la tenue des élections aux assemblées législatives et d’importants soulèvements dans la Royal Indian Navy. Aux élections aux assemblées provinciales (élections toujours tenues sur une base censitaire et auxquelles ne peuvent participer que 11% de la population), le Congrès obtient 930 sièges (et 55,5 ù des voix) et la Ligue musulmane obtient 427 des 507 sièges destinés aux musulmans. (…) ces élections mettent en lumière le caractère « représentatif » de ces organisations mais ne suffisent pas à inciter le gouvernement britannique à prendre l’initiative de nouvelles discussions sur le problème de l’indépendance indienne. Cependant, depuis de longs mois, on assiste à une maturation révolutionnaire qui est accélérée par l’action syndicale et ouvrière. Le 18 février les marins d’un centre d’entraînement de Bombay manifestent leur mécontentement, nombre de leurs doléances n’étant pas satisfaites depuis longtemps. Dès le 19 au matin, on est en présence d’un véritable soulèvement auquel participent plus de 20 000 marins casernés à Bombay et dans ses environs ainsi que 30 bâtiments à l’ancre dans le port. Les marins soulevés élisent un Comité central de grève. (…) Le 21 février au matin, la bataille s’engage. Le Comité central de grève de la Flotte fait appel au soutien de la population et des organisations politiques. Le Congrès et la Ligue musulmane se refusent à apporter tout soutien aux marins ; par contre, les syndicats de Bombay et le parti communiste leur apportent leur concours et décident d’une grève générale qui commence effectivement le 22 février. Les 22 et 23 février, la bataille fait rage dans Bombay et une répression, massive et brutale, s’abat sur la population, faisant plus de 250 morts. Le Congrès et la Ligue font alors pression sur le Comité central de grève pour que les marins se rendent. Le Comité central de grève décide finalement de céder, en déclarant : « Nous nous rendons à l’Inde, non à l’Angleterre. » Gandhi condamne sévèrement la « combinaison impie » des hindous et des musulmans qui, si elle avait triomphé aurait « livré l’Inde à la racaille », tandis que Valabhbhai Patel déclare que « la flotte doit être disciplinée. » Ainsi se confirme la volonté de la direction du Congrès d’éviter le déclenchement ou l’expansion d’un mouvement de masse qui pourrait mettre en cause non seulement la domination étrangère mais le régime social.
A partir de la mi-août 1946, les heurts sanglants entre les communautés religieuses se multiplient, principalement au Bengale et dans le Bihar. A l’action de la Ligue musulmane, les organisations politico-religieuses hindoues, et principalement le Hindu Mahasabha qui, dans cette situation, reprend des forces, répondent également par la violence.
Parallèlement, les luttes revendicatives se développent, englobant près de 2 millions de travailleurs dans des mouvements de grève. Un tel chiffre n’avait jamais été atteint jusque là.
C’est dans ces conditions que le vice-roi décide de constituer le premier gouvernement intérimaire. Celui-ci entre en fonctions le 2 septembre 1946. Il est dirigé par Jawaharlal Nehru, Premier ministre. (…) La situation est telle que l’Assemblée constituante décide de s’ajourner jusqu’à avril. La formation du gouvernement intérimaire, en effet, n’a pas mis fin à la détérioration de la situation intérieure. En dépit de la répression massive et de milliers d’arrestations, le pays glisse vers le chaos et l’administration elle-même cesse par endroits de fonctionner. (…)
Le 20 avril 1947, alors que la situation intérieure indienne se détériore rapidement, le Premier ministre britannique, Clément Attlee, déclare que le gouvernement de sa Majesté est « décidé à prendre les mesures nécessaires pour transférer le pouvoir en des mains indiennes responsables, au plus tard en juin 1948. » En même temps le Premier ministre annonce (…) que lord Mountbattent est nommé vice-roi de l’Inde en remplacement de lord Wavell. Lord Mountbatten, aussitôt arrivé en Inde, prépare un plan de partage de l’Inde. Celle-ci doit être divisée en deux dominions : l’Union indienne et le Pakistan, tandis que les Etats princiers conserveront leur indépendance et joindront, après négociations, l’un des deux dominions. Le parti du Congrès et la Ligue musulmane acceptent ces propositions (…). Au début de juillet 1947, le plan est soumis au gouvernement britannique qui le discute et l’adopte en un temps record, faisant preuve d’un remarquable réalisme, étant donné la place tenue par l’Inde dans l’empire britannique. Le 18 juillet 1947, la loi d’indépendance de l’Inde est adoptée par le parlement britannique. »

L’Inde de Nehru avait fait sienne la thèse du développement autocentré, étatiste, ne visant pas spécialement les exportations et encore moins les importations de capitaux étrangers. Pays surtout agricole et textile, l’Inde faisait le choix de se doter d’une industrie lourde par des investissements étatiques très importants et de se protéger de la concurrence par un fort protectionnisme, comme l’avait fait la Russie stalinienne. Certains secteurs d’investissement en Inde étaient quasiment fermés aux capitaux étrangers. Cela ne signifie pas que la politique du pouvoir indien soit « socialiste ». Les industriels nationaux bénéficiaient, eux aussi, des faveurs de ce pouvoir, des aides de l’Etat et de ce protectionnisme, même si les objectifs des plans quinquennaux furent présentés comme « un développement de type socialiste, afin d’assurer une croissance économique rapide, l’expansion de l’emploi, la réduction des inégalités de revenus et de richesse. », comme l’affirmait le Préambule au deuxième plan. Le « type socialiste de société » selon une expression du chef de l’Etat, Nehru, ne faisait référence qu’à l’étatisme, au dirigisme économique, à la planification de grands ouvrages et d’une industrie lourde et aux liens économiques avec la Russie stalinienne. En politique, l’Inde s’affirmait opposée au bloc capitaliste, comme chef de file du bloc des pays « non-alignés ». L’Inde n’a jamais eu une économie d’Etat comme les pays de l’Est, mais une économie mixte avec une importante grande bourgeoisie considérablement aidée, l’étatisme a dominé l’économie pendant quarante ans, les dépenses du plan allant jusqu’à 20% du PIB. Du fait de l’impossibilité pour l’Inde d’exporter sur le marché mondial en grande partie monopolisé par les pays riches, l’Etat indien investissait à perte dans l’économie.

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