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Le mécanisme cellulaire de contrôle de la vie et de la mort

lundi 12 février 2018, par Robert Paris

Le mécanisme cellulaire de contrôle de la vie et de la mort, ou suicide cellulaire, un processus fondamental commun aux cellules des êtres vivants, de l’homme au ver Caernorhabilis elegans …

Tout d’abord qu’est-ce que le suicide cellulaire ?

Quel est le rôle du mécanisme d’autodestruction des cellules dans la formation du corps vivant ?

L’organisation collective des cellules

« En 1988, David Vaux, un jeune biologiste australien travaillant aux Etats-Unis, découvrait qu’une protéine humaine, Bcl-2, était capable de bloquer dans des cellules humaines le déclenchement du suicide cellulaire. Ainsi se révélait l’existence dans la bibliothèque de nos gènes, comme dans celle du petit ver, d’informations permettant à nos cellules de fabriquer un protecteur. Comment ce protecteur agissait-il ? Rien ne permettait de l’imaginer.

Quatre ans plus tard, en 1992, Vaux réalisa une expérience dont le résultat allait causer une grande surprise. Les embryons mutants de Caernorhabilis elegans (un petit ver qui avait permis de découvrir pour la première fois dans un être vivant l’existence d’un nombre limité de protéines dont les interactions exerçaient un effet majeur sur la vie et la mort des cellules de l’embryon) dans lesquels le gène ced-9 est altéré, s’autodétruisent à mesure qu’ils se construisent et disparaissent avant leur naissance.

Vaux introduisit le gène bcl-2 humain dans une cellule-œuf de Caernorhabilis elegans dépourvue de gène ced-9. La cellule-œuf et ses cellules filles se mirent à fabriquer la protéine humaine Bcl-2. Et ces embryons de Caernorhabilis elegans se construisaient normalement et naissaient comme des embryons normaux.

La protéine humaine Bcl-2 était capable, dans le petit ver transparent, de remplacer la protéine Ced-9 et d’exercer son effet protecteur.

Un protecteur humain permettait aux cellules du Caernorhabilis elegans de réprimer le déclenchement de leur suicide.

Un protecteur humain était capable de traverser le temps et d’exercer son pouvoir par-delà plusieurs centaines de millions d’années d’évolution du vivant.

Ainsi, malgré les innombrables mutations aléatoires, les variations, les divergences et les inventions qui avaient, de Caernorhabilis elegans à l’homme, métamorphosé les livres de la bibliothèque des gènes, modifiant les protéines et l’architecture des corps, certaines des composantes fondamentales du contrôle du suicide cellulaire apparaissaient capables de dialoguer à travers le temps.

Le petit ver, soudain pour la première fois, éveillait l’intérêt. Il apparaissait comme un véritable « modèle » : un modèle qui pouvait avoir une utilité pour comprendre le fonctionnement de nos corps.

Deux ans allaient encore s’écouler, et, en 1994, Hengartner et Horvitz décryptaient et révélaient enfin la nature des informations – des lettres, des mots et des phrases – contenues dans le gène ced-9. Elles étaient proches de celles que contenait le gène bcl-2 humain. Une partie importante des informations qui permettaient aux cellules de fabriquer un protecteur contre le suicide était resté semblable de Caernorhabilis elegans à l’homme. Ainsi s’expliquait le pouvoir étrange de Bcl-2 qui était capable de se substituer à Ced-9 et de bloquer la mort cellulaire dans l’embryon du petit ver en train de se construire.

Un tel degré de similitude et de conservation à travers le temps des informations contenues dans des gènes – et surtout des potentialités de protéines correspondantes – est très rare. Il n’a été, à ce jour, retrouvé que pour certaines protéines, telles les cyclines, qui participent au contrôle du dédoublement cellulaire, ou certaines protéines « architectes » qui participent à la régionalisation et à la segmentation du plan du corps des embryons, à l’émergence d’un haut et d’un bas, d’un avant et d’un arrière, d’une droite et d’une gauche.

L’explication habituelle à l’existence de telles conservations est que la pérennité de ces protéines et l’activité des réseaux auxquels elles s’intègrent sont tellement importantes qu’aucun des embryons dans lesquels les informations génétiques correspondantes ont, au cours de la longue évolution du vivant, un jour par hasard, été profondément altérées, n’a pu survivre et avoir des descendants. Seules des mutations génétiques qui n’ont pas abouti à une perte d’activité de ces réseaux mais l’ont simplement nuancée, modifiée, ont été compatibles avec la survie et la reproduction des individus dans lesquelles elles sont survenues et ont pu se transmettre à travers le temps.

L’existence d’un tel degré de ressemblance entre le protecteur humain et celui de Caernorhabilis elegans suggérait que le contrôle du suicide cellulaire avait dû représenter, au cours de l’évolution du vivant, une composante essentielle – vitale – du développement des embryons.

Présent dans des espèces radicalement différentes, l’ancêtre du protecteur du suicide semblait être apparu il y a longtemps et s’être transmis de génération en génération, pendant plusieurs centaines de millions d’années, à travers des branches distantes de l’arbre du vivant.

Mais quelle est la nature de l’exécuteur sur lequel le protecteur exerce son pouvoir ? Qu’est-ce qu’un exécuteur du suicide ? Et comment accomplit-il son œuvre d’autodestruction ?

En 1993, Yuan et Horvitz décryptaient les informations contenues dans le gène ced-3, révélant qu’elles partageaient une partie de ses lettres, de ses mots, de ses phrases avec un gène humain, le gène ICE, qui avait été identifié à la fin des années 1980, et dont personne n’avait soupçonné la moindre relation avec le suicide cellulaire.

Mais on connaissait certaines des caractéristiques de la protéine ICE. C’était l’équivalent d’un ciseau moléculaire – une protéase – c’est-à-dire une enzyme capable de reconnaître sur certaines protéines de la cellule une signature moléculaire, de s’y fixer et de découper ces protéines, à l’endroit de la signature, en deux morceaux. Et l’exécuteur Ced-3 se révélait être, comme ICE, une protéase.

Soudain, à une notion entièrement abstraite, mystérieuse – celle d’exécuteur du suicide cellulaire – se substituait une identité, un visage concrets. L’arme de l’exécuteur du suicide était l’équivalent de ciseaux, capables de découper en morceaux des protéines indispensables à la survie d’une cellule. (…)

Progressivement furent identifiiées une quinzaine de protéines portant la signature qui permettait aux ciseaux de l’exécuteur de les découper. Une des protéines cibles fait partie de l’enveloppe qui entoure le noyau et le sépare du corps de la cellule, le cytoplasme. La destruction de cette protéine par les ciseaux de l’exécuteur provoque la condensation et la fragmentation du noyau de la cellule en train de mourir.

D’autres protéines cibles decoupées par les ciseaux de l’exécuteur sont localisées dans le corps cellulaire. Certaines font partie des microtubules, l’équivalent de minuscules muscles moléculaires qui parcourent la cellule de part en part et dont la contraction et le relâchement modifient la forme de la cellule et lui permettent de se déplacer. Le découpage de ces protéines va favoriser le détâchement de la cellule de ses voisines.

Une autre protéine n’a été identifiée qu’au début de l’année 1998. Elle est liée à une enzyme – une ADNase – qu’elle capture et garde prisonnière dans le corps cellulaire. Les ciseaux de l’exécuteur détruisent cette protéine, délivrant l’ADNase, qui pénètre alors dans le noyau et découpe l’ensemble de l’ADN, la bibliothèque des gènes, en une multitude de petits fragments.

Ainsi se révélait, progressivement, une partie des mécanismes qui font naître, dans une cellule en train de s’autodétruire, le visage de l’apoptose. Mais ce visage garde encore aujourd’hui une part importante de son mystère. On ne sait toujours rien des mécanismes qui permettent au corps cellulaire de se fragmenter en petits ballonnets, ni des mécanismes qui permettent à la cellule mourante de faire apparaître, à sa surface, la signature de la mort.

L’étude des mutants génétiques de Caernorhabilis elegans suggérait que la protéase Ced-3 était incapable, à elle seule, de déclencher le suicide. Il fallait la présence de l’activateur Ced-4 pour transformer Ced-3 en véritable exécuteur. Comment se faisait-il que la protéase Ced-3, une fois fabriquée, sommeillait dans la cellule, incapable, en l’absence de l’activateur, de déclencher le suicide ?

Ced-3 est produite dans la cellule sous la forme d’un précurseur inactif, sous la forme de ciseaux incapables de fonctionner. Nous allons recourir à une métaphore. Elle ne correspond pas exactement à la réalité mais elle permet de comprendre.

Imaginons que les informations contenues dans le gène ced-3 permettent à chaque cellule de fabriquer une paire de ciseaux dont les deux lames sont liées l’une à l’autre par un fil. Les lames ne peuvent s’écarter l’une de l’autre et les ciseaux ne peuvent fonctionner. Le fil qui les retient prisonniers porte la signature moléculaire qui permet à des ciseaux – actifs – de le trancher. Mais, prisonniers du lien qui les enserre, les ciseaux ne peuvent, d’eux-mêmes, se libérer.

Ce sont les activateurs Ced-4 qui permettent aux ciseaux de se dégager de leurs liens. Et cette libération s’effectue en plusieurs étapes. Chaque activateur capture, tout d’abord, un ciseau. Puis, les activateurs s’agglomèrent les uns aux autres, réunissant ainsi autour d’eux un grand nombre de ciseaux. Si la densité de ciseaux réunie au même endroit dépasse un certain seuil, les frottements entre la pointe des lames et le fil entraînent la rupture de certains liens, libérant des ciseaux. Ces premiers ciseaux, devenus capables de fonctionner, commencent à leur tour à trancher les liens qui retiennent les autres prisonniers. Et ces ciseaux, une fois délivrés, libèrent à leur tour d’autres ciseaux.

Un tel phénomène débute lentement, mais une fois que la réaction a franchi un seuil critique, elle s’accélère de manière explosive, exponentielle. Ce sont des réactions que l’on appelle autocatalytiques (capables de s’auto-amplifier). Elles se décomposent en une période de mise en route, pendant laquelle le retour en arrière est encore possible, suivie d’une période d’exécution autonome qui échappe à tout contrôle.

Revenons à Ced-9, le protecteur qui empêche le déclenchement du suicide. C’est en capturant l’activateur et en l’empêchant ainsi de se fixer aux ciseaux et à d’autres activateurs qu’il empêche le déclenchement du suicide. Une fois que l’activateur a commencé son travail, le protecteur peut encore, un temps, intervenir. Mais une fois que le seuil critique a été dépassé, il est trop tard. La présence de l’activateur n’est plus nécessaire et le protecteur devient inopérant. Les ciseaux libérés de leurs liens libèrent d’autres ciseaux. Ils sont devenus les maîtres du destin de la cellule.

Il restait un mystère. Il manquait dans les cellules humaines une des pièces essentielles du puzzle : le parent humain de Ced-4 l’activateur. Pourtant, dès 1992, Yuan et Horvitz avaient révélé la nature des informations génétiques contenues dans ced-4. Toutes les recherches visant à retrouver un parent de ced-4 dans la bibliothèque de nos gènes restaient vaines. Les années passaient et une idée commença à s’imposer. L’évolution avait conservé, de Caernorhabilis elegans à l’homme, les informations génétiques permettant de fabriquer le protecteur et l’exécuteur. Mais l’absence de tout parent de Ced-4 chez l’homme suggérait l’existence d’une césure.

Xiadong Wang, un jeune chercheur chinois travaillant aux Etats-Unis, avait abordé le problème de la recherche des acteurs du suicide cellulaire par un autre angle. Il avait décidé de plonger dans l’inconnu. Il ne cherchait pas à identifier des informations contenues dans des gènes, mais directement, dans des cellules humaines, la présence de protéines encore inconnues qui pourraient participer au contrôle de la vie et de la mort.

A la fin de l’année 1997, Wang découvre dans des cellules humaines une protéine capable d’activer les ciseaux de l’exécuteur. Il nomme cette protéine Apaf-1 (apoptosis-activating factor-1 ou premier facteur d’activation de l’apoptose). Puis il décrypte les informations contenues dans le gène correspondant. Et le gène livre alors son secret. Il ressemble à ced-4, mais d’une manière fragmentée, morcelée, qui explique que sa parenté ait échappé à tous les efforts visant à rechercher certaines de ses phrases dans les livres de la bibliothèque des gènes humains. (…)

Ce qui est semblable dans les protéines Ced-4 et Apaf-1, ce sont des petites portions communes qui leur permettent à toutes deux d’exercer leur activité : se lier à l’exécuteur, s’agglomérer et déclencher l’activation de l’exécuteur.

De génération en génération, l’ancêtre de l’activateur, la clé de voûte de l’architecture du contrôle du suicide cellulaire, s’était métamorphosé jusqu’à devenir méconnaissable, mais avait conservé au cours de ses réincarnations successives, les informations qui lui permettaient de poursuivre, sans relâche à travers le temps, son dialogue avec l’exécuteur.

Caernorhabilis elegans, le petit ver aux neuf cent cinquante-neuf cellules, avait dévoilé la nature étroite de la parenté qui nous liait à lui.

Jean-Claude Ameisen dans « La sculpture du vivant – Le suicide ou la mort créatrice »

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