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L’intelligence dialectique du Vivant

dimanche 30 juillet 2017, par Robert Paris

Avertissement : dans cet article, il n’est nullement question de prêter au Vivant une conscience et une volonté, ni un but, ni un projet, et encore moins une forme quelconque de mystérieuse pensée, une espèce de mystique de la vie. Nous ne développons pas un nouvel idéalisme mais plutôt une réflexion dialectique sur les résultats de la science.

L’intelligence dialectique du Vivant

On peut d’abord se questionner de la validité de cette expression : « l’intelligence dialectique ». Est-ce que toute forme d’intelligence est nécessairement dialectique ou est-ce une spécificité avant de se demander si c’est bien une propriété du vivant et une spécificité de celui-ci. La principale difficulté en la matière provient du fait que la notion de dialectique est peu connue et encore moins étudiée de nos jours, en particulier dans la philosophie des sciences. La plupart des gens ne se posent pas du tout les question en termes dialectiques et même ont plutôt tendance à raisonner de manière dichotomique dans laquelle les pôles, les contraires, les opposés sont alternatifs mais pas interactifs et encore moins interdépendants et interchangeables.

Il faut reconnaître aussi que nombre d’auteurs n’attribuent d’intelligence qu’à l’homme, ont quelques réticences à en attribuer une, amoindrie, à quelques espèces de singes ou à quelques mammifères comme le dauphin, le chien ou le chat. Spécifier l’intelligence humaine, est-ce légitime ? Bien entendu, tout ce qui concerne l’homme n’est vrai que pour l’homme et si on parle d’intelligence humaine, on ne peut l’attribuer à aucun animal, pas même à une espèce de singe. Mais cela ne clos pas la question. Il est est peut-être erroné de limiter ainsi la définition de l’intelligence.

Celle-ci, pourrions nous dire pour commencer, se caractériser par une capacité à évaluer la situation, une capacité à évaluer les réponses possibles et enfin une capacité de choisir la réponse la plus adaptée et à la mettre en œuvre. Cela nécessite une part de liberté, de choix, de décision et d’action en réponse à une situation.

Nous avons tendance à penser que l’homme choisirait ces actes librement et consciemment et que le reste des êtres vivants n’agiraient que comme des automates matériels aux réactions préétablies. Les deux assertions me semblent exagérées dans un sens et fausses. On surévalue la liberté de l’homme et on dévalorise celle des êtres vivants. On transforme la liberté en capacité de faire n’importe quoi, indépendamment des situations. Ce n’est même pas un bon moyen d’apprécier cette liberté ni cette conscience qui doit être une conscience d’une réalité, d’une situation, des conséquences possibles de ses actes et de ses choix.

L’intelligence ne nécessite même pas un cerveau mais seulement un mécanisme utilisant des interactions dynamiques et permettant plusieurs options en fonction de certaines optimisations et avec diverses voies possibles, à prendre en fonction des choix effectués précédemment et des appréciations des conséquences possibles, en fonction donc d’une mémorisation des effets de chaque action.

Mais pourquoi parler d’« intelligence dialectique » ? Parce que ce qui fonde ces situations où plusieurs voies s’opposent, où plusieurs actions possibles s’opposent, où plusieurs appréciations s’opposent aussi, ce sont des contradictions dialectiques et pas des contradictions diamétrales. Pas des contradictions diamétrales parce que les opposés ne sont pas uniquement alternatifs mais interactifs, interdépendants,

La possibilité de choix provient de bifurcations à partir d’une situation fondée sur des contradictions. Ce sont elles qui permettent que des possibilités diverses existent. Ce sont elles qui amènent le système dans un état où il peut « choisir » diverses voies.

S’il n’y avait pas deux forces contradictoires, agissant en même temps, s’opposant mais aussi s’interpénétrant, dépendant l’une de l’autre, capables de former une unité, deux lois agissant en même temps et en sens inverse, il n’y aurait pas de pluralité possible. S’il n’y avait pas à la fois la conservation et la transformation, la réplication à l’identique de la génétique et les erreurs en son sein, le rôle particulier de l’individu et, en même temps, le rôle contraire à l’individu, celui de l’espèce, il n’y aurait pas à la fois l’individu, l’espèce et la formation, dans la descendance, d’autres espèces possibles. Par contre, grâce à la dialectique des contraires, des formes diverses peuvent apparaître, de nouvelles organisations peuvent émerger. C’est le cas de l’apoptose qui sculpte le corps vivant par l’opposition dialectique des protéines de la vie et de la mort. C’est le cas des descendances cellulaires qui permet une spécialisation des cellules vivantes. C’est encore le cas, à un tout autre niveau, de la diversification des espèces et de leur sélection par élimination, de ce qu’on appelle « la lutte pour la vie ». Cette lutte des contraires est tout à fait dialectique. D’un côté, une tendance à envahir tout l’écosystème par une seule espèce, de l’autre une tendance à combattre cet envahissement par des espèces contraires. On trouve le même obstacle à la migration des cellules dans de nouveaux tissus et à la conquête de tout le corps par ces cellules. Les messages des cellules voisines ou leur absence dictent l’apoptose de ces cellules suivant la nature des évolutions de celles-ci et permet au tissu de ne pas être envahi par des cellules inadéquates. Sans ce combat dialectique, pas de tissu se développant correctement. La génétique de l’ADN n’obéit pas à d’autres lois. Elle fixe comme principe du fonctionnement de la macromolécule la fameuse « négation de la négation ». Le gène est nié par d’autres gènes, inhibé par eux. L’ADN est ainsi spontanément un macromolécule inactivée à la base. Il faut que l’ADN soit abordé par des protéines adéquates pour inhiber l’inhibiteur et activer ainsi un gène qui produira de nouvelles protéines. Ce qui guidera la production de nouveauté, c’est donc la négation de la négation. Si le fonctionnement génétique n’était pas fondé sur la négation, cela ne serait pas possible.

Le vivant est sans cesse en prise avec ces contradictions dialectiques : influence du milieu et isolement par rapport à celui-ci, conservation et transformation, individu et groupe, protection de l’identité et mimétisme, fermeture et ouverture, protection et influence, copie et modification, contingence et lois, singularité et pluralité, vie et mort, complexité et simplicité, autonomie et dépendance des autres, lois à une échelle et interaction d’échelle, comportements stéréotypés et bricolage, égoïsme et coopération, autonomie et dépendance d’autrui, etc. Et, en même temps, toujours la vie fondée sur la mort, la singularité sur la pluralité, les lois sur la contingence, etc… Les contraires se marient sans cesse et se transforment l’un dans l’autre… Le système immunitaire de protection se change en destructeur… Le plus adapté devient inadapté…

C’est la confrontation des contraires qui mène à une situation où des transitions vers de nouvelles structures sont possibles, du type de l’évolution des destinées cellulaires, de l’évolution de l’individu ou de l’évolution des espèces.

Cette capacité au changement est permanente au sein du vivant et en assure la dynamique. C’est le fondement de sa capacité à vivre dans un environnement qui change, que ce soit progressivement ou brutalement.

On parle d’ « ingéniosité du vivant », de « créativité du vivant », d’« inventivité » du vivant, de « néguentropie » du vivant, de « créations (ou d’émergences) de formes, de structures, de modes de fonctionnement, de dynamiques, de rythmes, de modes d’organisation, de modes d’interaction », en somme d’intelligence du vivant.

Bien sûr, il y a des risques à comparer ainsi le mode de fonctionnement du vivant avec l’intelligence humaine. On risque en particulier de croire qu’il y aurait une intentionnalité au fonctionnement du vivant, et de réintroduire ainsi dans la pensée scientifique la pensée magique, mystique, religieuse, créationniste, idéaliste et autres pensées qui prêtent à la nature un but, un choix, une conscience, un directivité consciente. Mais ce risque provient du fait que notre connaissance de l’intelligence humaine lui prête des propriétés tout aussi idéalistes, tout aussi mystiques. Nous nous émerveillons des capacités de l’homme au point de les considérer comme issues de processus qui ne peuvent pas être naturels, matériels, biologiques. Nous oublions que les contradictions de la matière inerte, elle-même, ne sont pas diamétrales mais dialectiques. Et que cela même autorise la formation de matière vivante, et autorise aussi cette matière vivante à subir des transitions de phase multiples, avec non seulement des changements lents et progressifs, mais aussi des changements qualitatifs, radicaux et rapides, des révolutions et pas seulement des évolutions. De manière spontanée, la matière change sans cesse, à toutes les échelles. Elle explore sans cesse toutes les transformations possibles. Ce sont ses lois qui l’y poussent, sans aucune intervention consciente. La vie utilise ainsi les lois de la matière pour réaliser toutes ses formes nouvelles, pour construire sans cesse des modes d’existence différents. Chaque individu est différent, est nouveau, est une construction totalement nouvelle, tout en étant bâtie sur la base de modèles préétablis. La dialectique est donc toujours bel et bien présente. C’est une intelligence dialectique qui la conduit. Cela signifie que la manière de faire est toujours remise en question. La comparer à l’intelligence humaine nécessite de comprendre le caractère dialectique de l’intelligence humaine, au lieu d’en faire un facteur purement conscient, purement volontaire, entièrement piloté, entièrement libre, agissant comme bon lui semble, pensant comme bon lui semble.

L’intelligence humaine est tout à fait contradictoire au sens dialectique, opposition du conscient et de l’inconscient, du rêve et de la réalité, du cerveau droit et du cerveau gauche, de l’imaginaire et du sensible, de l’abstrait et du concret, du rationnel et de l’irrationnel, de la construction et de la destruction du message neuronal, des réseaux neuronaux interconnectés, des zones activées et désactivées, de la formation et de la déconstruction des images, etc. Ce sont ces contradictions qui font de l’intelligence une dynamique qui ne s’arrête jamais. Mais elle n’est pas pilotée par notre volonté, par notre conscience, par notre moi. Elle continue à fonctionner quand nous dormons, quand nous sommes plongés dans le coma, quand nous sommes dans un état hypnotique, quand nous sommes drogués, quand nous laissons vaguer notre esprit, etc. Nous pilotons autant que nous sommes pilotés. Voilà revenue la dialectique des contraires. Intelligence ne signifie pas une volonté située en dehors des lois de la matière, en dehors des lois contradictoires du réel. C’est une dialectique du corps et de l’esprit, de l’individu et de son environnement, de la cellule vivante et de ses voisines, de l’ADN et des protéines qui l’entourent, un immense ballet dialectique permanent, une dynamique des contradictions extraordinairement novatrice.

De nombreux scientifiques ont été amenés à remarquer que la nature vivante s’y entendait non seulement à établir des lois rigoureuses mais aussi à la contourner par des faux semblants, par des imitations de formes, par des modes astucieux, par des ruses de renard. Oui, on peut bel et bien appeler cela l’intelligence dialectique du vivant…

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