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Dialectique et révolution sociale

mardi 10 avril 2018, par Robert Paris

« Nous avons donc ici une contradiction qui se rencontre objectivement présente et pour ainsi dire en chair et en os dans les choses et les processus eux-mêmes. »

Friedrich Engels dans l’"Anti-Dühring"

« Emportées ici ou là par le souffle de la politique, ces masses brumeuses, informes, volatiles éclatent en morceaux ou se condensent à nouveau tout aussi facilement. Leur politique du moment peut se trouver dans la contradiction la plus aiguë avec leur développement politique. »

Parvus dans sa Préface à "Avant le 9 janvier" de L. Trotsky

« Nous formons un des détachements révolutionnaires de la classe ouvrière, qui a pris de l’avance, non parce que nous valons mieux que les autres ouvriers, ou parce que le prolétariat russe est supérieur à la classe ouvrière d’autres pays, mais seulement et uniquement parce que notre pays était l’un des plus arriérés du monde. »

Lénine – Discours au Soviet de Moscou – avril 1918

« Le refus d’admettre que les contradictions sociales sont l’élément moteur du développement a conduit, dans le royaume de la pensée théorique, à rejeter la dialectique, comme logique des contradictions. »

Trotsky dans « Défense du marxisme »

« La première et la plus importante prémisse d’une situation révolutionnaire, c’est l’exacerbation intolérable des contradictions entre les forces productives et les formes de la propriété. »

Trotsky dans « Où va la France ? »

Dialectique et révolution sociale

La raison qui pilote les révolutions est pleine des contradictions dialectiques, au point que la logique classique y perd son latin… Toutes les classes sociales agissent de manière contradictoire et ce n’est pas seulement l’ancienne classe oppresseuse qui subit les conséquences de ses contradictions.

La première, et non la moindre, des contradictions qui pilotent les révolutions est celle entre révolution et contre-révolution. Car la contre-révolution non seulement combat la révolution mais attise celle-ci et l’inverse est bien sûr tout aussi vrai. Les deux se nourrissent et s’activent mutuellement. Bien des actes de l’adversaire ont des effets inverses de ceux qui étaient souhaités. Non seulement, les deux se provoquent mutuellement mais chacune cause des avancées spectaculaires du camp adverse qui atteint ainsi des niveaux de radicalité qu’il n’aurait jamais atteint par lui-même. Et pas seulement de radicalité des moyens employés ou de la violence, mais de radicalité sociale et politique !

La logique non dialectique bute sur les révolutions. Ces dernières visent un but, l’atteignent mais ne s’en satisfont pas, le dépassent, le balayent, oublient complètement qu’elles se l’étaient donné comme but, changent de cap en des temps très courts, en effaçant complètement et rapidement les étapes, en présentant comme réactionnaires les anciens révolutionnaires avec un élan extraordinaire.

La situation objective est la première source des contradictions. Ce sont souvent les exagérations des classes possédantes qui mettent le feu aux poudres. Si celles-ci se comportaient de manière entièrement logiques, rien ne serait arrivé. Mais le propre d’une classe possédante est d’être accoutumée à ce que ses abus lui soient passés, que ces exactions soient oubliées, que ses crimes soient accomplis sans punition, que les non-possédants s’inclinent. La logique de la période non-révolutionnaire les trompe et les amène à agir dans un sens opposé à ce que serait celui qui défend leurs propres intérêts. Ils abusent quand il faudrait lâcher du lest. Mais, inversement, ils vont lâcher du lest quand cela ne peut qu’amener les exploités et les opprimés à prendre la mesure de leur force et de la crainte qu’ils suscitent.

Les possédants vont se jeter dans la guerre pour se sauver de la révolution, mais la guerre ne va faire qu’attiser la révolution, que dévoiler toutes les faiblesses des classes possédantes, et qu’aggraver toutes les haines sociales et politiques.

Les contradictions ne font pas qu’opposer un camp révolutionnaire et un camp contre-révolutionnaire. Elles passent à l’intérieur des deux et attisent tout le mouvement… Au sein de chaque camp, elles amènent des tiraillements, des radicalisations, des tentatives de prendre le dessus, des oppositions, des chocs et des confrontations.

Les révolutions se fondent d’abord sur les contradictions de classe. Non seulement exploitation et oppression opposent les classes favorisées à celles qui en sont les victimes, mais les situations révolutionnaires sont celles où la situation bascule, les faibles devenant forts et inversement, les passifs devenant actifs et inversement.

La logique habituelle indique que les forces armées sont craintes par les peuples désarmés. La logique révolutionnaire inverse cette figure.
La révolution est même un point extrême des contradictions internes qui existaient au sein de la société.

Nous appellerons révolution une situation qui mène à l’émergence brutale d’une structure, qualitativement nouvelle, issue de l’agitation et des contradictions à l’échelon hiérarchique inférieur, encore appelée auto-organisation.

Les masses opprimées qui étaient les plus inorganisées de toutes les classes de la société vont brutalement s’organiser et vont même atteindre un tel niveau d’organisation de masse que leurs organisations vont envahir toute la société !!! Qu’il s’agisse des comités de la révolution française, des soviets russes ou des conseils espagnols…

La révolution, c’est d’abord la dualité du pouvoir : pouvoir d’Etat des exploiteurs contre comités des exploités ! C’est la principale contradiction de la situation qui amène celle-ci à se développer sans cesse à partir de ce point de départ : l’auto-organisation des exploités !

Mais le critère numéro un d’une révolution n’est pas à chercher du côté des opprimés mais de celui des oppresseurs. Ce sont eux qui sont en crise. C’est leur système qui ne parvient plus à fonctionner et cela bien avant que cela se traduise par des mouvements sociaux. La situation révolutionnaire est celle où le système n’est pas seulement contesté par les opprimés mais ne fonctionne plus, y compris pour les oppresseurs. Eux-mêmes se sentent menacés. Et toutes les classes sociales sont bouleversées, pas seulement les prolétaires.

On nous dit parfois : ou bien c’est une révolution prolétarienne ou bien c’est un simple mouvement démocratique. Nous répondrons d’abord que la révolution n’est pas ou prolétarienne ou démocratique, bourgeoise ou petite-bourgeoise. Elle est contradictoire. Elle est toujours tout à la fois, touche toutes les classes sociales de manière très contradictoires tout en faisant croire aux opprimés que tous ceux qui se mobilisent veulent la même chose. Elle se transforme en cours de route car les classes opprimées n’étaient nullement préparées à se voir révolutionnaires. Elles n’avaient jamais imaginé qu’elles pouvaient faire une révolution et en sont les premières surprises. Les masses sont d’autant plus tiraillés et surprises que leurs buts même sont contradictoires et ceux de la société aussi.

La révolution est même un point extrême des contradictions internes qui existaient au sein de la société. Et sa victoire apparente (renversement du dictateur par exemple) ne signifie pas que la contradiction soit dénouée : elle produit de nouvelles contradictions.

Parfois, les classes opprimées n’ont pas conscience de représenter un danger révolutionnaire dans la situation parce que les classes dirigeantes ont anticipé la situation et ne l’ont pas laissé se développer. Elles réalisent alors une contre-révolution préventive. C’est le cas de l’Algérie 1988-1990. C’est le cas de l’Allemagne de 1933. La contre-révolution est un signe de la situation révolutionnaire. C’est une situation qui ne peut basculer que d’un côté ou de l’autre, aux deux extrêmes. Même si les masses ne se voient pas encore révolutionnaires, les classes dirigeantes, elles savent que la situation est bloquée. Elles peuvent choisir de faire mine de reculer d’abord (front populaire de 1936, démocratisation à l’algérienne, démocratisation et négociations de paix du Rwanda, par exemple). Puis, c’est le fascisme ou le bain de sang de la contre-révolution préventive.

Ce n’est pas la conscience révolutionnaire des masses qui nous dit d’abord qu’il s’agit d’une situation révolutionnaire mais le comportement des classes dirigeantes. Ce sont elles qui sont d’abord en crise. Qu’est-ce qui permet de reconnaître une situation révolutionnaire, par exemple d’une révolte ? Est-ce le niveau de combativité et d’organisation des opprimés, en l’occurrence particulièrement des prolétaires ? Est-ce leur conscience de la nécessité d’aller jusqu’au bout, jusqu’au renversement du système, jusqu’à la prise du pouvoir par les travailleurs sous l’égide d’un parti révolutionnaire prolétarien ? Aucune de ces réponses n’est vraiment exacte. Une révolte peut être très radicale et très auto-organisée et une révolution peut ne pas l’être. Les participants d’une révolte peuvent être très conscients ou ne pas l’être. Non, ce qui caractérise une situation révolutionnaire c’est d’abord et avant tout la crise de la domination de la classe dirigeante, le fait que celle-ci ne parvienne plus à diriger comme avant, que le système de domination ait atteint ses limites.

Le thermomètre premier d’une situation révolutionnaire est à mettre dans le derrière de la classe dirigeante. En 1789, on connaît les cahiers de doléance, les assemblées populaires qui s’érigent « en permanence », la grande peur liée à la révolte des villes et des campagnes. Mais ce n’est pas le début des événements : c’est la révolte nobiliaire de 1787 qui a lancé la révolution en France car le nobles ne voulaient plus ou ne pouvaient plus payer les impôts et c’est eux qui ont imposé les Etats Généraux pour que les autres Etats paient à leur place. Alors que la royauté était leur pouvoir, ils l’ont ainsi déstabilisé. Ce sont les classes dirigeantes égyptiennes qui ont affaibli le pouvoir du pharaon, entraînant une révolte populaire et, du coup, la suppression du pouvoir pharaonique et la mise en cause des riches eux-mêmes. Il en va de toutes les révolutions : les classes dirigeantes sont elles-mêmes en crise. Elles sont amenées à des extrêmes qu’elles n’avaient pas envisagés précédemment. Et elles entraînent aussi les masses opprimées à des extrêmes qu’eux-mêmes étaient loin d’envisager…

La révolution n’est pas purement prolétarienne, purement bourgeoise, purement petite bourgeoise ? Guérin l’a bien montré pour la Révolution française, à la fois bourgeoise, populaire et même prolétarienne avec ses « bras nus » ! Marx montra que le mouvement révolutionnaire en 1793 tenta (un moment) de dépasser les limites de la révolution bourgeoise, qu’il alla « jusqu’à la suppression de la religion (…), jusqu’à la suppression de la propriété privée, au maximum, à la confiscation (…) en se mettant en contradiction violente » avec les conditions d’existence de la société bourgeoise, « en déclarant la révolution à l’état permanent ». Dans un article de janvier 1849, Engels indiqua la « révolution permanente » comme un des traits caractéristiques de la « glorieuse année 1793 ». Le premier, Marx aperçut qu’en France, en pleine révolution bourgeoise, les enragés, puis les babouvistes avaient introduit un embryon de révolution prolétarienne.

Ainsi, Trotsky pouvait écrire dans "Les leçons d’Octobre" :

« Prise à part, la Révolution de février était une révolution bourgeoise. Mais comme révolution bourgeoise, elle était venue trop tard et ne renfermait en elle-même aucun élément de stabilité. Déchirée par des contradictions qui se manifestèrent immédiatement par la dualité de pouvoir, elle devait, ou bien se transformer en introduction directe à la Révolution prolétarienne - ce qui arriva - ou bien, sous un régime d’oligarchie bourgeoise, rejeter la Russie à un état semi-colonial. »

Et Isaac Deutscher, dans « La révolution inachevée », décrivait ainsi les contradictions de la Révolution d’Octobre :

« On mesure ainsi les prodigieuses contradictions qu’eurent à surmonter les bolcheviques lorsqu’en octobre ils lancèrent et dirigèrent une double révolution. Ils opérèrent une révolution bourgeoise, en créant des conditions favorables au développement de la propriété bourgeoise ; ils opérèrent une révolution prolétarienne ayant pour objectif l’abolition de la propriété privée… Dans l’immense campagne russe, le peuple était affamé de propriété, au moment où les ouvriers des deux capitales luttaient pour l’abolition de la propriété. La révolution socialiste était en contradiction latente avec la révolution bourgeoise. Mais il y avait plus grave encore, la révolution socialiste avait aussi ses propres contradictions internes. La Russie tout à la fois était et n’était pas mûre pour une révolution socialiste. Elle était mieux préparée à démolir qu’à construire. Sous la direction des bolcheviques, les ouvriers exproprièrent les capitalistes et conférèrent le pouvoir aux soviets. Mais ils ne purent pas instaurer une économie et un mode de vie socialistes, et ne surent pas maintenir leur prépondérance politique. Au début, nous l’avons dit, la révolution tira sa force d’être à la fois bourgeoise et socialiste. S’il y avait eu auparavant une révolution bourgeoise ou si, lors de leur émancipation, en 1861, les serfs affranchis avaient reçu des terres dans des conditions acceptables, la paysannerie serait devenue une force conservatrice qui se serait opposée à la révolution prolétarienne, comme ce fut le cas en Europe occidentale et notamment en France, au dix-neuvième siècle. Son conservatisme aurait même pu alors exercer une influence sur les ouvriers des villes, qui, pour beaucoup, gardaient de profondes attaches avec la campagne. Un régime authentiquement bourgeois aurait été beaucoup plus solide et résistant que le régime bâtard mi-féodal mi-bourgeois de la Russie d’alors. C’est la conjonction des deux révolutions qui a rendu possible cette alliance des ouvriers et des paysans que Lénine voulait à tout prix. Et c’est cette alliance qui permit aux bolcheviques de gagner la guerre civile et de repousser l’intervention étrangère. »

Une révolution bourgeoise change ainsi en son contraire, comme c’est le cas de la révolution russe qui est à la fois, et contradictoirement, une révolution bourgeoise par ses tâches et une révolution prolétarienne par le rôle de direction du prolétariat et par sa liaison avec la vague révolutionnaire prolétarienne en Europe.
Bien entendu, cette contradiction de la révolution bourgeoise/prolétarienne qui a un caractère objectif dans les tâches de la révolution d’une part et dans ses acteurs d’autre part, peut aussi se tourner en son contraire si la vague révolutionnaire échoue en Europe.
Si le prolétariat est affaibli, démoralisé, isolé dans un seul pays, le caractère contradictoire de la révolution se retourne contre ses auteurs. Autant le prolétariat offensif a pu prendre la tête des paysans et des nationalités opprimées, autant le prolétariat isolé, très minoritaire, d’un pays arriéré, détruit, isolé se retrouve face aux masses paysannes et petites bourgeoises des villes qui se retournent alors contre lui, le tout dans un encerclement impérialiste hostile, ne peut que mener la révolution vers le fossé.
Ce qui était la principale avancée historique du prolétariat mondial se retourne alors en son contraire dialectique : en la principale force contre-révolutionnaire internationale, le stalinisme, capable à l’égal du fascisme de détruire toute forme autonome d’organisation prolétarienne, en Russie comme dans des pays où sonnent l’heure de la révolution, comme en Espagne…

Un autre exemple : la Révolution française. Ainsi, toute la société était en crise parce que la classe qui dirigeait la société, la noblesse, n’était pas la classe qui dirigeait et profitait de l’économie. Cette contradiction fondamentale, aucune mesure bien prise au niveau gouvernementale ne pouvait éviter qu’elle finisse par faire exploser l’ordre social et politique. Ainsi, la royauté était là pour renforcer l’ordre de la noblesse et la noblesse pour défendre le pouvoir royal. Et pourtant, la situation révolutionnaire amenait chaque jour la noblesse à nuire à la royauté et la royauté à nuire à la noblesse ! Ainsi, la guerre en Europe a été lancée par une fraction de la bourgeoisie qui voulait freiner ainsi la révolution et même l’arrêter, la faire reculer. La guerre a été un véritable outil pour accélérer et radicaliser la révolution !!!

En pleine guerre impérialiste mondiale, Lénine écrivait, dans un article intitulé « Le krach de la deuxième internationale », en août 1915 :

« « Le manifeste de Bâle dit que : 1°) La guerre provoquera une crise économique et politique ; 2°) Les ouvriers considèrent leur participation à la guerre comme un crime, considèrent comme un crime de tirer les uns sur les autres pour les bénéfices capitalistes, l’honneur des dynasties, l’exécution des traités secrets, et que la guerre provoquera parmi les ouvriers l’indignation et la révolte ; 3°) Cette crise et cet état d’esprit des ouvriers doivent être exploités par les socialistes afin de soulever les peuples et de hâter le krach du capitalisme ; 4°) Les gouvernements – tous sans exception – ne peuvent commencer la guerre sans danger pour eux-mêmes ; 5°) Les gouvernements craignent la révolution prolétarienne ; 6°) Les gouvernements doivent se souvenir de la Commune de Paris (c’est-à-dire de la guerre civile), de la révolution russe de 1905, etc. »

« Pour un marxiste, il est certain que nulle révolution n’est possible à défaut d’une situation révolutionnaire. Toute situation révolutionnaire, du reste, n’aboutit pas à une révolution. Quels sont en général les indices d’une situation révolutionnaire ? Nous ne nous tromperons pas en indiquant les trois indices suivants : 1°) L’impossibilité pour les classes dirigeantes de maintenir intégralement leur domination ; une crise des milieux dirigeants, crise politique de la classe exerçant le pouvoir, produisant une faille dans laquelle pénètrent les mécontentement et l’indignation des classes opprimées. Pour qu’une révolution ait lieu, il est en général insuffisant que l’on n’accepte plus en bas ; il faut aussi que l’on ne puisse plus, en haut, vivre comme par le passé. 2°) L’aggravation anormale des privations et des souffrances des classes opprimées. 3°) L’augmentation sensible, en raison de ce qui précède, de l’activité des masses qui, en temps de paix, se laissent paisiblement voler, mais, en temps d’orage, sont incitées par toute la crise et aussi par les dirigeants à prendre l’initiative d’une action historique. A défaut de ces modifications objectives, indépendantes de la volonté des groupes isolés et des partis, comme des classes, une révolution est – en règle générale – impossible. L’ensemble de ces modifications objectives constitue précisément la situation révolutionnaire… »

« Demandons-nous : que supposait à ce propos le manifeste de Bâle en 1912, et qu’est-il arrivé en 1914-1915 ? On supposait une situation révolutionnaire, sommairement indiquée par les mots « crise économique et politique ». S’est-elle produite ? Assurément oui. Le social-chauvin Lensch (qui défend le chauvinisme avec plus de franchise et d’honnêteté que les Cunow, les Kautsky, les Plékhanov et autres hypocrites) s’est même exprimé ainsi : « Nous traversons une sorte de révolution » (page 6 de sa brochure « La social-démocratie allemande et la guerre », Berlin, 1915. La crise politique est un fait : aucun des gouvernements n’est sûr du lendemain, aucun n’est sûr d’éviter la banqueroute, de ne pas perdre des territoires, de ne pas être chassé de son pays. Tous les gouvernements vivent sur un volcan… Nous entrons dans une ère de formidables bouleversements politiques… En un mot, il existe dans la plupart des Etats avancés et des grandes puissances de l’Europe, une situation révolutionnaire… A cet égard, la prévision du manifeste de Bâle s’est pleinement justifiée. »

« Le marxisme diffère de toutes les autres théories socialistes en ce qu’il allie de façon remarquable la pleine lucidité scientifique dans l’analyse de la situation objective et de l’évolution objective, à la reconnaissance on ne peut plus catégorique du rôle de l’énergie, de la création et de l’initiative révolutionnaires des masses, et aussi, naturellement, des individus, groupements, organisations ou partis qui savent découvrir et réaliser la liaison avec telles ou telles classes.

La haute appréciation donnée aux périodes révolutionnaires dans le développement de l’humanité découle de l’ensemble des conceptions historiques de Marx c’est dans ces périodes que se résolvent les multiples contradictions qui s’accumulent lentement dans les périodes dites d’évolution pacifique. C’est dans ces périodes qu’apparaît avec le plus de force le rôle direct des différentes classes dans la détermination des formes de la vie sociale, que se créent les fondements de la « superstructure » politique, laquelle se maintient longtemps ensuite sur la base de rapports de production rénovés. A la différence des théoriciens de la bourgeoisie libérale, c’est justement dans ces périodes que Marx voyait non pas clés déviations par rapport à la marche « normale », des symptômes de « maladie sociale », de tristes résultats d’excès et d’erreurs, mais les moments les plus vitaux, les plus importants, essentiels et décisifs de l’histoire des sociétés humaines. »

La révolution démarrée en Russie en 1917 est contradictoire, au sens dialectique, et à plus d’un titre. Elle est le produit de l’effondrement de la domination, sociale, politique et économique, des impérialismes européens au bout d’une guerre mondiale féroce et pourtant elle débute sur des bases nationales russes. Elle est portée, dès le début, par l’action de l’infime minorité ouvrière de Russie et pourtant elle est la révolution des paysans et des nationalités opprimées de l’immense empire. Les conseils que mettent en place les ouvriers dès février 1917 sont dominés par des partis bourgeois qui ne veulent pas du tout d’une révolution ouvrière ni d’une direction de la société par les soviets. Abattant le tsarisme et la féodalité, cette révolution de février est incapable de prendre des mesures révolutionnaires bourgeoises parce que les partis bourgeois eux-mêmes craignent trop la révolution pour réaliser leurs propres aspirations bourgeoises. C’est le prolétariat qui se trouve ainsi amené à réaliser les tâches bourgeoises de la révolution en Russie, mais, en même temps, il ne peut se contenter d’en rester là et prend ainsi la tête de la révolution prolétarienne communiste en Europe. Mais cette tâche historique nouvelle, il ne peut certainement pas la réaliser dans la seule Russie. Il faut que plusieurs pays avancés d’Europe triomphent de la bourgeoisie pour que cette révolution devienne réellement socialiste. Et, malheureusement, grâce à la trahison des directions réformistes de la classe ouvrière des pays impérialistes d’Europe qui vont voler au secours de la bourgeoisie, le prolétariat des pays les plus avancés, tout en prenant le chemin de la révolution, en constituant ses soviets, en s’affrontant à l’Etat bourgeois, est dans l’incapacité de prendre le pouvoir pour lui-même dans toute l’Europe. Les révolutions finlandaise, autrichienne, allemande, hongroise et italienne échouent. Du coup, les débuts de soulèvement du prolétariat en Angleterre et en France reculent. Le prolétariat est isolé en Russie. Il tient le pouvoir dans le seul espoir d’un renouveau de la révolution en Europe et dans le reste du monde. Mais les forces prolétariennes, isolées dans le monde, se heurtent à l’arriération du pays, à l’épuisement suite à une guerre civile féroce, à l’effondrement économique, au découragement social et politique qui lamine la génération révolutionnaire. L’échec de la révolution prolétarienne en Europe ne provient pas d’une incapacité du prolétariat des pays riches de faire la révolution, mais de la trahison de sa direction politique et, en dehors de Russie, de l’inexistence d’une direction de rechange préparée et instruite de ses tâches. Le principal résultat de cet échec sera la bureaucratisation de l’Etat ouvrier russe due à l’effondrement de la participation ouvrière dans les soviets d’un prolétariat écrasé sous la lourde tâche de battre tous les impérialisme coalisés, d’exercer toutes les tâches de direction d’un Etat à cet échelle et de tenir et de développer un pays arriéré et isolé. Il convient de redire que jamais au grand jamais les communistes russes n’avaient pensé construire le socialisme dans un seul pays, idée absurde et réactionnaire qui sera le drapeau politique des bureaucrates.

La révolution russe de 1917 était dès le départ issue de contradictions inextricables :

 Le pays le plus retardataire au plan économique, social et politique devenait le phare du monde…

 Sa révolution était, dès février 1917, menée par le prolétariat qui était une infime minorité, ne disposant même plus de son industrie et anéantie par la guerre et la guerre civile…

 Le pays n’avait pas mené sa révolution bourgeoise et pourtant il était contraint par la situation historique à mener une révolution prolétarienne…

 Mais cette révolution prolétarienne était elle-même contrainte de donner la terre aux paysans et de parcelliser les terres et la propriété, de soutenir aussi les révolutions nationales des peuples opprimés par le tsarisme…

Et pourtant ces contradictions, mortelles pour la révolution, étaient aussi sa dynamique…

Du moins tant que la révolution se développait aussi en Europe…

Quand la révolution russe s’est retrouvée isolée, elles se sont retournées contre la dynamique révolutionnaire, produisant le stalinisme…

Mais le stalinisme, aussi contre-révolutionnaire soit-il et il l’était, ne pouvait pas interrompre la chaîne des contradictions dialectiques :

« Si, à la suite de quelques conditions extraordinaires ou extraordinairement défavorables (par exemple, une intervention militaire victorieuse de l’extérieur ou des fautes irréparables du gouvernement soviétique lui-même), le capitalisme russe était rétabli sur l’immense territoire soviétique, en même temps que lui serait aussi inévitablement rétablie son insuffisance historique, et lui même serait bientôt à nouveau la victime des mêmes contradictions qui le conduisirent en 1917 à l’explosion. Aucune recette tactique n’aurait pu donner la vie à la révolution d’Octobre si la Russie ne l’avait portée dans son corps. Le parti révolutionnaire ne peut finalement prétendre pour lui qu’au rôle d’accoucheur qui est obligé d’avoir recours à une opération césarienne. » disait Trotsky dans la conférence de Copenhague de 1932.

Bien des gens, y compris bien des militants ouvriers et des militants révolutionnaires ont cru avoir compris la nature de la bureaucratie russe en ayant montré qu’elle opprimait, qu’elle trahissait, qu’elle détruisait et ont pensé qu’elle agissait ainsi selon des perspectives propres à une classe sociale ou même à une couche sociale, sans jamais détecter la contradiction profonde, l’abîme qui était creusé entre les racines historiques de la formation de cet Etat, racines révolutionnaires prolétariennes, et les intérêts de cette couche sociale bureaucratique, contre-révolutionnaire et anti-prolétarienne, et n’ont jamais vu que cet abime menaçait sans cesse la bureaucratie elle-même, l’obligeant à des grands écarts invraisemblables, passant du soutien à une bourgeoisie dite démocratique, en sacrifiant la révolution sociale, sous prétexte de lutte contre le fascisme, pour passer ensuite un accord direct et non secret avec le fascisme, détruisant aussi directement la perspective révolutionnaire du courant communiste.

Certains ont vu dans le stalinisme une vraie force révolutionnaire, d’autres y ont vu une véritable force sociale autonome, ni bourgeoise ni prolétarienne, d’autres encore y ont vu simplement un appendice de la bourgeoisie impérialiste. Le caractère contradictoire, et partant instable, de cette construction sociale nouvelle, une bureaucratie issue d’un état ouvrier, n’est apparu à aucun d’eux. Tous, amis ou adversaires du régime stalinien, ont pensé que la bureaucratie avait une force autonome, qu’elle avait des perspectives propres, qu’elle avait une force et même un rôle historique et on été impressionnés par ce qui leur semblait la solidité de leur pouvoir d’Etat et l’extension de leur pouvoir international. C’est au point qu’après la guerre, nombre de dirigeants ex-trotskistes ont attribué un tel rôle à la bureaucratie sous prétexte qu’elle avait mis la main sur une partie de l’Europe et de l’Asie et se maintenait au pouvoir, semblant défier le pronostic de Trotsky. L’effondrement de l’URSS les a bien étonnés !!!

Le caractère contradictoire de la bureaucratie issue d’un Etat ouvrier ne signifie pas que cette bureaucratie soit partiellement socialiste ni la politique stalinienne partiellement marxiste ni partiellement léniniste. Au contraire, c’est une contradiction dialectique. Le stalinisme est la négation du socialisme, la négation de l’internationalisme prolétarien et la négation de l’organisation révolutionnaire de la société par le prolétariat. Il est le point le plus radical de la contre-offensive de la bourgeoisie face à la vague révolutionnaire qui a suivi en Europe la première guerre mondiale. Le caractère contradictoire dialectiquement provient du fait que cette politique ultra-bourgeoise et entièrement contre-révolutionnaire, anti-prolétarienne se fasse sur les bases d’une bureaucratie issue d’une révolution ouvrière véritable et non détournée.

C’est cette situation dialectique que la logique formelle est incapable de comprendre et qu’analyse un Trotsky au plus haut niveau de sa compréhension politique et sociale de l’Histoire humaine et qui éclaire non seulement le passé mais l’avenir….

C’est parce qu’il est dialectique que l’univers change, qu’il a même des potentialités de changement radical. Il ne suffit pas de dire « réforme ou révolution » ou « socialisme ou barbarie ». Il ne suffit pas d’opposer le capitalisme au socialisme. Car sinon, on en reste aux déclarations et aux abstractions. On ne montre pas concrètement comment les uns entraînent les autres. Comprendre la crise actuelle, c’est montrer comment elle entraîne nécessairement révolution ou contre-révolution et que la réforme est impossible. Tous les éléments du combat font donc partie de la situation. Comprendre le capitalisme actuel, c’est aussi chercher comment il peut, en essayant de continuer à fonctionner malgré l’impasse actuelle, rendre impossible tout fonctionnement capitaliste. En effet, la recherche du profit pour tout capital privé investi impose, dans une situation de suraccumulation du capital dans la production et le commerce, un investissement massif dans la spéculation qui accroît la crise de suraccumulation. C’est l’effort de maintenir le système qui l’empêche de fonctionner et l’étouffe… Ce sont donc des contradictions dialectiques. Les Etats et les banques centrales, devant le surplus de capitaux, ne peuvent qu’augmenter les capitaux en circulation, en inondant les marchés de l’argent des banques centrales. Encore une contradiction dialectique.

Luttant pour retarder sa mort officielle, le capitalisme se tue encore plus sûrement…
L’économie n’est pas moins dialectique que le reste du monde. Le capitalisme s’est appuyé sur des valeurs d’usage pour produire des valeurs d’échange mais il développe de plus en plus de valeurs qui n’ont aucun usage comme toutes les valeurs spéculatives. C’est le capitalisme qui a développé la formation massive de plus-value issue des investissements privés dans la production de marchandises et pourtant ce qui caractérise la situation actuelle, c’est que le capital privé a intérêt à se retirer de ses investissements en capital productif. C’est le capitalisme lui-même qui scie la branche sur laquelle il est assis. Défendre le capitalisme nécessite aujourd’hui de détruire le capitalisme. C’est cette contradiction qui fait que le capitalisme est entré dans une spirale définitivement mortelle.
Les contradictions diamétrales ne peuvent nous mener à comprendre la situation. Ils nous disent « ou les riches s’enrichissent ou ils s’appauvrissent ». Et ils concluent du constat que les riches s’enrichissent que le capitalisme a de beaux jours devant lui. Contresens complet.

La classe la plus révolutionnaire de l’Histoire, la plus capable de changer le monde n’a pas de conscience immédiate de son rôle. Voilà encore une contradiction qui ne doit surtout pas être considérée comme diamétrale car alors cela signifierait que la défaite serait fatale….

Ce n’est pas nous qui inventons les contradictions du capitalisme : la dernière crise de 2007 s’en charge, le fait que le capitalisme ne s’en sorte toujours pas s’en charge, qu’il soit incapable de se réformer s’en charge. Notre rôle consiste seulement à enlever de nos yeux les voiles qui pourraient nous cacher la réalité car nous avons besoin de nos yeux. Le meilleur boxeur au monde ne peut pas gagner ses combats avec un bandeau sur les yeux. Le prolétariat du capitalisme, la dernière classe exploitée de l’Histoire, est un très rude combattant et la classe capitaliste l’a mesuré bien des fois mais il ne peut pas vaincre les yeux fermés, en étant aveuglés par ses ennemis et par ses faux amis.

Les discontinuités de la révolution

Ceux qui veulent nous enfermer dans des contradictions diamétrales en politique

Que vient faire la philosophie dialectique dans la politique des révolutionnaires ?

La dialectique ou l’algèbre de la révolution

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