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Est-il grave que les Gilets jaunes croient aux satyres cornus, à la magie imitative, ou aux référendums ?

jeudi 20 décembre 2018, par Alex

Certains camarades qui se veulent trotskistes émettent des jugements quelque peu méprisants sur les Gilets jaunes : « Occuper les ronds-points ne sert à rien ! », « Demander des référendums ne sert à rien ! ». De même que Macron méprise les petites gens qui « ne comprennent pas » ses réformes, ces « révolutionnaires » enragent que les Gilets jaunes « ne comprennent pas » que la vérité est dans leurs brochures marxistes.

Un fétichisme du contenu des mots d’ordre est à notre avis très dangereux. Qu’est-ce qu’un processus révolutionnaire ? C’est avant tout une révolution dans les têtes, un processus d’évolution de la conscience politique, reflet de ruptures qui ont déjà eu lieu dans la structure économique, comme la crise de 2008. Les chocs dans la structure économique ne sont pas choisis par les révolutionnaires, leurs premières conséquences dans la superstructure politique ne le sont donc en général pas non plus. De faux révolutionnaires dénoncent alors le « manque de conscience de classe » des travailleurs. Les « spécialistes » de la politique, ceux qui se posent en « premiers de cordée » du prolétariat, peuvent certes connaître l’histoire des révolutions, mais ils retombent à notre avis dans une forme de socialisme utopique en idéalisant ou dénigrant certaines revendications. Si toutes les revendications étaient spontanément « les bonnes », il n’y aurait pas besoin d’un parti révolutionnaire.

Surtout, ces pseudo-révolutionnaires confondent deux types de revendications tout à fait distincts : les premières sont les revendications mises en avant par des milliers de personnes en lutte qui rentrent en politique, les secondes celles que des révolutionnaires se devraient de mettre en avant, à la lumière des premières. Pour avoir une politique révolutionnaire, il faut d’abord comprendre ce qui se passe dans la tête des milliers de Gilets jaunes qui se sont mis « En marche ».

Que devraient demander les Gilets jaunes, des Soviets ? Le fait est qu’autour des ronds-points des dizaines d’embryons de soviets existent, les révolutionnaires qui dénigrent l’occupation des ronds-points ne le voient même pas ! Et vouloir le pouvoir des soviets fut un piège pour le prolétariat allemand en 1918 car ces soviets étaient dirigés par les socio-démocrates qui préparaient l’écrasement de ces soviets. Il faut avant tout comprendre ce qui se passe dans les têtes de ceux qui mettent en avant une revendication pour comprendre la nature de cette revendication, évaluer l’énergie révolutionnaire qui est son moteur. De ce point de vue une procession religieuse organisée par des paysans peut être plus révolutionnaire qu’un soviet d’ouvriers dirigés par les socio-démocrates.

Prenons donc l’exemple des processions religieuses destinées à combattre des satyres cornus et ayant recours à la magie imitative. Nous sommes certains que c’est une revendication de certains Gilets jaunes, et que la CGT les a déjà dénoncés. Pourtant de telles processions peuvent avoir un caractère révolutionnaire, l’Histoire en est témoin. Ces processions sont effet décrites par l’historienne A. Lebigre dans son livre la « Révolution des Curés - Paris 1588-1594 ».

Cet épisode est-il une révolution ou une contre-révolution catholique ? Nous n’en discuterons pas ici, mais que cet épisode ait eu le caractère d’une révolution est évident :

Le lendemain [de l’assassinat du Duc de Guise], Paris était en pleine insurrection : tout le pouvoir passa au Conseil des Seize, représentants élus des seize quartiers de la ville. Les seize s’organisèrent en gouvernement révolutionnaire. Ils prononcèrent la déchéance d’Henri III « parjure, assassin, sacrilège, fauteur d’hérésie, simoniaque, magicien, dissipateur du trésor public, ennemi de la patrie. »

Malet et Isaac, XIVe, XVe et XVIe Siècles

Voici le résumé que l’éditeur donne de « La Révolution des Curés » :

13 mai 1588, un roi traqué par l’émeute s’enfuit de Paris pour n’y plus revenir. 22 mars 1594, un autre roi se glisse furtivement dans la capitale qui le repousse depuis six ans. Que cache ce vide historique entre le dernier des Valois et le premier des Bourbons ? Pourquoi tant de haine contre Henri III ? Pourquoi cette résistance désespérée à Henri IV ? Une réponse, la révolution.

Révolution insolite, prêchée par des chefs religieux fanatiques et démocrates qui, une main sur l’Evangile, l’autre sur le mousquet, mettront le pays à feu et à sang pour défendre une double cause : la foi catholique, la souveraineté du peuple. Révolution née de l’exaspération de la passion religieuse, mais aussi du refus d’un pouvoir politique sans contrôle et de la prise de conscience des injustices sociales. Révolution populaire, certes, mais voulue et menée par des intellectuels, hommes d’Eglise et hommes de loi, transfuges de la haute bourgeoisie et étudiants contestataires.

On est très loin des clichés si souvent plaqués sur ce « temps des troubles »—Henri III le dégénéré, Henri de Guise le héros, Henri IV le libérateur. Le vrai visage du drame est à chercher ailleurs, dans les rues et les églises, à la Sorbonne et à l’Hôtel de Ville, chez tous ceux qui en furent les témoins et parfois les victimes. Six ans de violence, de complots et d’assassinats, des foules en délire, des dizaines de milliers de morts : avec deux cents ans d’avance, Paris s’offre sa première grande fête révolutionnaire.

A propos de la sorcellerie, l’historienne met en lumière un aspect fondamental : lorsque des foules voulaient chasser Henri III, elles le faisaient avec leur idéologie, celle du Moyen-âge. Etait-il regrettable qu’elles se placent sur le terrain de la magie et de la sorcellerie ? Eussent-elles dû emprunter les idées politiques et philosophiques les plus avancées de l’époque, et crient par exemple « Vive Copernic ! Taxer le Féodal, pas le Capital ! Solidarité avec les Indiens d’Amérique ! » ? Peut-être. Moins brillants, les manifestants avaient des slogans liés à la sorcellerie, mais ils manifestaient avant tout contre le roi, et c’est cela qui est fondamental. Notre historienne décrit bien ce phénomène dialectique de scission au sein de, sur le terrain de, l’idéologie des classes dominantes (essentiellement la religion, prenant la forme de processions), à un moment où la révolte anti-Henri III monte d’un degré :

Un pas de plus sera bientôt franchi et Henri III lui-même accusé d’avoir eu des rendez-vous nocturnes avec Satan au bois de Vincennes. Il a adoré des images démoniaques, sous forme de satyres cornus ornant des chandeliers d’argent, et il a invoqué les forces du mal en écrivant « des noms horribles dans ces cercles ». C’est le prédicateur Lincestre qui le révèle à ses ouailles de Saint-Gervais, le mercredi des Cendres 1589, après avoir prévenu « qu’il ne prêcherait point l’Evangile parce qu’il était commun et que chacun le savait, mais qu’il prêcherait la vie, gestes et faits abominables de ce perfide tyran Henri de Valois ».

Propagande grossière assénée aux masses par quelques individus sans scrupules ? Il faut se garder de conclure trop vite. (...) Quand Lincestre
et ses amis parlent sorcellerie au peuple, c’est que le peuple a déjà lui-même transmué l’image charismatique du roi-guérisseur , ministre de Dieu, en celle du maléfique roi-sorcier.

A travers Henri III, c’est toute sa dynastie qui est visée. Plus de cent mille parisiens , un jour de janvier 1589, monteront du cimetière des Innocents à l’église Sainte-Geneviève, en criant« Dieu, éteignez la race des Valois ! ». Insolite procession, procession « à l’envers », implorant la colère de Dieu et non sa miséricorde, où chacun porte un cierge de cire jaune allumée, qu’il baisse à terre et piétine pour en éteindre la flamme au moment de franchir le seuil de l’église. Procédé de magie imitative, renvoyant à toutes les processions jadis commandées par le roi, du temps qu’il espérait « avoir lignée qui pût succéder à la couronne de France ». Le peuple a chassé le roi et retourne, contre lui et tous les siens, les armes du surnaturel.

La Révolution des curés A.Lebigre (1980)

Des révolutionnaires savants n’ont pas tort de penser que des référendums, sous le règne de la bourgeoisie, sont à dénoncer autant que le surnaturel, la croyance en les satyres cornus ou en Satan. Mais de même qu’une procession religieuse organisée par le roi, ou une procession anti-satyres cornus organisée contre le roi n’ont pas la même signification, des référendums revendiqués par des Gilets jaunes qui ne croient plus en, et veulent combattre les institutions politiques de la classe dominante, n’ont pas le même sens que les référendums téléguidés par en-haut.

Lorsque les futurs communards se sont emparés du drapeau bleu-blanc-rouge dans un réflexe patriotique, ce drapeau et ce patriotisme n’étaient déjà plus les mêmes que ceux de Napoléon III.

Certes il est urgent dans ces situations de mettre en avant les « bons » mots d’ordre qui sont écrits dans nos brochures.

Mais ignorer la nature révolutionnaire d’actions qui sont maladroitement masquées par des emballages réformistes ou même réactionnaires (comme le royalisme des paysans en 1789, le patriotisme pour la Commune), c’est avoir une politique réformiste ou même réactionnaire, masquée par un emballage révolutionnaire : Le sectarisme est un opportunisme qui a peur de lui-même (L. Trotsky).

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