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« Qui a inventé la domination masculine ? » demande Jean-Paul Demoule, dans « Les dix millénaires oubliés »

lundi 23 décembre 2019, par Robert Paris

Dans une interview, Demoule affirme :

« La domination masculine est la plus ancienne forme de pouvoir »

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« Le matriarcat primitif est un mythe scientifique dont l’apparition remonte au milieu du XIXe siècle. Remarquant la prédominance des figurations féminines au paléolithique et au début du néolithique, les savants d’alors en ont déduit que les premiers temps de l’humanité auraient vu la domination des femmes.
Cette thèse a été systématisée dans le livre du juriste et rentier suisse Johann Jakob Bachofen, publié en 1861 : Le Droit maternel. Recherche sur la gynécocratie de l’Antiquité dans sa nature religieuse et juridique. Bachofen y prête aux femmes un rôle de domestication de la sexualité : elles auraient discipliné les appétits bestiaux des hommes ! Mais ceux-ci auraient ensuite pris le pouvoir pour ne plus le lâcher. »

Quand Demoule invente… le patriarcat primitif…

« Qui a inventé la domination masculine ? » demande Jean-Paul Demoule, dans « Les dix millénaires oubliés »}

Dans cet ouvrage, Demoule semble d’abord donner crédit à l’idée de l’ « invention » de la domination masculine, ce qui sous-entend qu’à un stade donné du développement des sociétés humaines, le matriarcat ancien aurait été renversé.

« Des mythes anciens chez les Papous de Nouvelle-Guinée, mais aussi dans bien d’autres régions du monde, l’attestent : à l’origine, ce sont les femmes qui avaient le pouvoir. »

Sauf que Demoule combat l’idée d’une histoire du développement des sociétés humaines passant par des stades progressifs. Il ne combat pas seulement sa continuité mais la notion même de développement issu d’une nécessité, d’un déterminisme économique et social !!! Et pas seulement à propos du passage du matriarcat au patriarcat…

Suivant en cela Testart, Demoule récuse l’idée de déesses qui auraient partout précédé les dieux. Certes, on retrouve des statuettes représentant des femmes avec des organes sexuels hyperthrophiés. Eh bien, cela prouve l’obsession sexuelle des hommes !

« Ainsi la sexualité semble fortement présente dans les préoccupations de ces sociétés de chasseurs-cueilleurs… »

Ces statuettes reflèteraient, pour lui, « un point de vue essentiellement masculin, préoccupé par la compréhension et le contrôle de la sexualité féminine. »

« Les plus anciennes représentations humaines paléolithiques, les Vénus déjà évoquées aux caractères sexuels outrageusement exagérés (seins, sexe, fesses) révèlent beaucoup plus un regard masculin sur la femme érotisée qu’une préoccupation féminine touchant à la fécondité. »

Il écrit encore :

« Il est difficile de ne pas voir dans ces statuettes l’écho des préoccupations que nous ont transmises les mythes des Grecs, des Hébreux ou des Papous, tels que nous venons de les voir : les femmes sont pour les hommes des objets permanents de désir (et par ailleurs indispensables à la perpétuation de la société) et incarnent même le désir dans ce qu’il a de plus fondamental. »

On en est à se demander si ce qui se manifeste là n’est pas le scientifique mais simplement l’homme, à savoir le mâle, monsieur Demoule. C’est bel et bien en mâle qu’il pense que ce sont les femmes qui sont indispensables à la perpétuation de la société (pas l’homme ?!!!) ; il pense que les femmes sont l’objet de désir (pas les hommes pour les femmes ?!!!) ; il pense que les femmes sont l’incarnation du désir (pas les hommes ?!!!) ; il pense que les préoccupations actuelles des hommes sont les mêmes que celles des anciennes sociétés (les préoccupations actuelles des… hommes seulement ?!!! Pas celles des femmes féministes, tiens donc !!!).

On retrouve donc l’homme, au sens masculin du terme, dans l’archéologue ?!!!

En fait, le point de vue de Demoule va beaucoup plus loin : il récuse en totalité la thèse d’un ancien matriarcat, comme étape de l’évolution de la société humaine :

« Depuis le temps de Bachofen et de Morgan, les enquêtes ethnographiques ont quadrillé le monde entier et les ethnologues onr recensé dans l’ensemble du monde environ dix mille sociétés humaines, passées ou présentes. Dans aucune les femmes n’ont le pouvoir politique, ou même un pouvoir comparable à celui des hommes, même si l’oppression qu’elles subissent est à des degrés variables selon les sociétés. »

D’une certaine manière, Demoule discrédite d’avance l’idée du matriarcat, avant même de dire qu’il n’a pas existé, simplement par l’interprétation qu’il en donne. En effet, il en fait un pouvoir semblable à celui des hommes, symétrique de l’oppression des femmes, et, évidemment, constate que cela n’existe pas, que cela n’a jamais existé. Mais je ne connais aucun partisan de la thèse d’un matriarcat primitif qui défende l’idée que c’était un pouvoir politique et militaire des femmes opprimant les hommes et les exploitant, de manière symétrique du pouvoir des hommes ! Il est donc facile de combattre une telle thèse chimérique qui n’est que l’interprétation de Demoule et de certains auteurs sur le matriarcat.

De même qu’il est aisé pour Demoule, Testart et d’autres de combattre l’idée de religions féminines anciennes en ridiculisant l’idée d’un monothéisme féminin, de la « déeesse-mère », puisque le monothéisme, pas plus que l’Etat et l’exploitation de l’homme par l’homme n’avaient été inventés à l’époque du matriarcat primitif !!!

Discréditer l’idée d’une société avec des déesses et pas des dieux en ridiculisant l’idée d’un monothéisme matriarcal, il fallait le faire et Demoule l’a fait :

« On retiendra seulement, d’une part, que l’idée d’une grande déesse-mère-primordiale est un anachronisme, un retournement ou un renversement simpliste des religions patriarcales que nous connaissons, qui supposent elles-mêmes des sociétés très hiérarchisées et étatisées, ce qui n’était pas le cas de ces sociétés néolithiques. »

En somme, Demoule discrédite la version du matriarcat qui l’arrange quand il ne la produit pas lui-même.

Il ne risquait pas, bien sûr, de trouver une collectivité des femmes dirigeant le pouvoir d’Etat quand il n’y avait encore jamais eu de pouvoir d’Etat dans aucune société humaine !!! Personne ne dit que le matriarcat était une domination des femmes, ni une exploitation des hommes par les femmes !

Demoule récuse également l’argument de la matrilinéarité, avec autant de parti pris et de mauvaise foi, malheureusement :

« On ne peut pas non plus interpréter la matrilinéarité, c’est-à-dire la transmission de l’héritage, voire du nom, par les femmes et non par les hommes, comme le signe d’un plus grand pouvoir que détiendraient les femmes : si cette coutume est bien attestée dans diverses sociétés, elle exprime seulement que la filiation par la mère est réputée plus sûre que celle par le père… »

Manque de chance pour ce type de raisonnement : lorsque les sociétés humaines ont abandonné un peu partout la matrilinéarité, la filiation par la mère est restée plus sûre que par le père ! Cela ne colle donc pas !

Demoule oublie même que les premières sociétés humaines ignoraient sans doute la participation de l’homme dans la fécondité !!! Ce seul fait rend obligatoire la matrilinéarité originelle !!!

Pourquoi ne pas reconnaître que le fait de donner naissance aux enfants était un pouvoir féminin, resté un secret pour les hommes, et qui leur paraissait mériter tout autre chose que de donner un héritage ou un nom puisqu’on parle au début de sociétés où il n’y avait rien à hériter et pas de nom ?!!! Nous parlons en effet d’archéologie et de préhistoire puisque Demoule écrit :

« Dans tous les cas, l’archéologie ne valide pas non plus l’hypothèse d’un matriarcat préhistorique ; ou, s’il a existé, il n’en existe aucune preuve tangible d’aucune sorte. »

Il oublie de dire que, de ce point de vue, il n’existe pas davantage de « preuve tangible » d’un patriarcat universel…

L’archéologie, avant l’écrit, ne laisse que très peu de preuves de quoi que ce soit…

Et surtout pas si on lui fait dire le contraire de ce qu’elle dit :

« Ainsi, au milieu de l’Age de fer, vers 500 avant notre ère, certaines femmes dans le monde celtique sont enterrées avec les mêmes égards que leurs homologues de haut rang, tel la « princesse de Vix », avec son char, son torque en or et l’immense vase en bronze d’origine grecque…Mais on peut argumenter aussi que le luxe des femmes illustrait plus le prestige de leurs époux que le leur propre. »

Ce n’est plus des arguments mais des arguties !!!

Le point de vue de Demoule semble bel et bien un parti pris plus que le résultat de recherches :

« Si la domination des hommes sur les femmes est sans doute la forme première de domination, et si elle paraît aussi universelle, peut-être a-t-elle à voir avec la façon dont les sociétés humaines vivent la sexualité ? »

Mais même cette manière de « vivre la sexualité », avons-nous des raisons de penser qu’elle n’a pas changé, qu’elle est universelle ? Et qu’est-ce qui étaie l’affirmation gratuite de Demoule selon laquelle la domination masculine serait universelle ?!!!

Ce que Demoule n’explique pas, c’est pourquoi les mythes, légendes et coutumes rapportent dans leurs récits la conquête du patriarcat contre l’ancien matriarcat…

On remarquera que même les mythes masculins chargés de casser le matriarcat sont interprétés par Demoule comme des preuves d’incapacité des femmes à gouverner !!!

« Ce sont les femmes qui avaient le pouvoir. (note M et R : ici Demoule accepte l’hypothèse matriarcal pour mieux la discréditer.) Malheureusement, elles s’en servaient très mal, si bien que les hommes durent le leur reprendre, afin de remettre l’univers en bon ordre Ainsi, chez les Baruya, les femmes avaient inventé les flûtes sacrées et étaient les seules à les posséder et à en jouer ; elles avaient aussi inventé l’arc et les flèches, mais tuaient beaucoup trop de gibier, car elles en usaient mal. les hommes leur reprirent donc le tout par la force, et le gardent depuis lors. Ces flûtes ne sont pas seulement un instrument de musique : elles sont indispensables aux initiations des jeunes garçons et leur nom secret est le même que celui du sexe féminin. »

Que conclue Demoule de cet exemple :

« Ces initiations masculines, nous y reviendrons, ont pour propos de remédier à ce scandale : ce sont les femmes qui font les enfants et l’on ne peut se passer d’elles. »

Curieusement, les coutumes des anciennes sociétés laissant, très généralement, les femmes libres de choisir leurs partenaires sexuels ne sont pas citées par Demoule, qui n’explique pas du coup pourquoi, à un stade donné de la société humaine, celui de la propriété privée des moyens de production, l’héritage a nécessité de rompre avec cette ancienne coutume pour assurer la descendance des propriétaires… Comme cette explication lui déplait, il la… saute !

Curieusement, les coutumes, qui sous-entendent un matriarcat et que Demoule interprètent comme la preuve de « préoccupations masculines de la sexualité » sont cassées par l’apparition du patriarcat, alors que, de l’aveu même de Demoule, ces préoccupations ne semblent pas avoir changé :

« Avec l’apparition des sociétés étatiques et urbaines de Mésopotamie et d’Egypte au IVe millénaire, les figures masculines de pouvoir, royales ou divines, s’imposent partout, même si les préoccupations sur la sexualité subsistent. »

Les restes du matriarcat étant ainsi transformées par Demoule en restes de la préoccupation masculine, il ne risque pas de trouver trace d’un ancien matriarcat !!!

A la question posée par lui en titre de chapitre : « Jadis un pouvoir des femmes ? », Demoule commence par répondre : « D’un bout à l’autre de la planète, les choses sont claires : tout le mal vient des femmes, mais ce mal est indissociable du désir sexuel qu’elles inspirent aux hommes, finalement malgré eux. »

Demoule n’exprime pas ainsi son propre point de vue mais celui qu’il attribue à la société préhistorique comme historique.

Une des thèses que Demoule, comme Testart ou Darmangeat, se pique de démolir est celle de Bachofen dont les limites proviennent non de défauts de raisonnement, contrairement à Demoule, Testart ou Darmangeat, mais de défauts des connaissances scientifiques de l’époque.

« La démonstration de Bachofen reposait sur peu de choses, si ce n’est ces découvertes de statuettes féminines préhistoriques, et certains aspects de la religion grecque, où les déesses féminines jouent un grand rôle… »

En fait, discréditer Bachofen, c’est attaquer Marx et Engels (à peine mentionnés), sans avoir trop à discuter leurs thèses sur le matriarcat… Et se contenter de discréditer celles du stalinisme en parlant des thèses du « matriarcat des scientifiques des pays de l’Est ».

Elles sont démolies sans être discutées, ce qui permet à Demoule d’affirmer ainsi péremptoirement :

« Le livre, assez indigeste, de Bachofen, aurait pu tomber dans l’oubli, mais il eut une grande influence, d’une part sur les théories marxistes originelles, d’autre part sur les mouvements féministes, anciens ou actuels. »

Parlant prétendument au nom de toute la science du passé contemporaine, Demoule tranche définitivement, pense-t-il, que Bachofen (et Marx-Engels) avait tout faux :

« Toutes les grandes civilisations urbaines que nous connaissons par l’histoire sont bien des sociétés patriarcales, comme la quasi-totalité des sociétés villageoises étudiées par les ethnologues. »

Bien entendu, on aura relevé le « que nous connaissons par l’histoire » qui est de la même eau que la remarque selon laquelle les sociétés étatiques n’étaient pas matriarcales. Puisque l’histoire écrite n’est apparue que bien après le matriarcat !

Cependant, nos études des anciennes sociétés humaines, nomades, sédentaires, villages puis villes, ont connu le matriarcat. Il suffit d’étudier les premières sociétés néolithiques comme celles d’Europe ou du Moyen-Orient, mais aussi celles des amérindiens.

Pour trouver des matriarcat avérés, il aurait fallu à Demoule qu’il examine les civilisations d’avant la division en classes et avant l’Etat, comme les premières sociétés néolithiques d’Europe ou comme la civilisation de l’Indus. Mais il ne le fait pas…

Dommage que toute cette école d’archéologie et de préhistoire masculine ne regarde le passé que d’un seul œil, celui de l’homme (masculin)… et encore du mâle d’aujourd’hui…

On remarquera que quelques femmes, archéologues, préhistoriennes ou historiennes, ont eu un autre regard… à partir des mêmes faits, dans les mêmes sociétés, ce qui montre qu’il y a des préjugés à l’œuvre. Et, comme les préjugés dominants sont ceux des hommes, on a donc droit aux préjugés des hommes projetés sur les anciennes sociétés…

Tous les hommes ne sont peut-être pas également capables d’imaginer une société sans oppression de la femme, tout comme tous ne sont pas également capables d’imaginer une société sans classes sociales et sans Etat…

Une dernière remarque : Demoule admet l’universalité des fantasmes des hommes mais pas celle des aspirations des femmes, sinon il admettrait que les sociétés anciennes auraient pu voir des femmes aspirer à l’égalité. Curieux, non ? Toute une ethnologie reste à faire pour étudier… les hommes ethnologues !!!

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