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La révolte des Carnutes

vendredi 26 juillet 2024, par Robert Paris

La révolte des Carnutes

Les Carnutes sont le peuple gaulois de la région Chartres-Orléans-Blois. Un temps pacifiques face aux Romains, ils se révoltent et massacrent la colonie romaine d’Orléans (Cenabum, ville des Carnutes occupée militairement par les troupes romaines de Jules César).
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En 52 av. J.-C., Conconnetodumnos et Cotuatos prennent la tête d’une insurrection des Carnutes (les révoltés hostiles à l’occupation romaine se sont unis à ceux qui se mobilisaient pour ne plus obéir à un roi : voir ici)) et attaquent Cenabum, entrainant le soulèvement d’autres peuples gaulois contre l’occupation militaire romaine. La riposte de César fut le massacre de tous les habitants de la ville.

Pour Jules César, il était impératif de s’assurer le contrôle de Cenabum et de son port, durant sa conquête de la Gaule. Il réussit facilement à établir son protectorat sur les Carnutes, en s’assurant la collaboration du notable gaulois Tasgétios, qu’il rétablit sur le trône de ses aïeux en récompense de services rendus.

Le port de Cenabum devient un centre d’approvisionnement en grains pour les Romains.

En -54, César doit faire face à plusieurs rébellions. À Cenabum, Tasgétios, considéré comme traître, est exécuté par les autochtones. César ordonne alors à Lucius Munatius Plancus de rétablir l’ordre et de punir les responsables.

Une nouvelle insurrection gauloise intervient en -53 ; elle est menée par Cotuatos et Conconnetodumnos, puis par Vercingétorix. Les négociants romains qui s’étaient établis à Cenabum, l’intendant Caïus Fufius Cita, que César avait installé pour contrôler le commerce et assurer l’approvisionnement en grains des légions, sont tous massacrés ou jetés dans la Loire par les Carnutes qui avaient pénétré dans la cité. Ce soulèvement motive la septième campagne de César.

En -52, César, accouru d’Italie avec une étonnante rapidité et parvenu à Agedincum (Sens), fond en quelques marches sur Cenabum, dont il n’a pas même besoin de faire le siège. À son approche, la population veut s’enfuir par le pont de bois sur la Loire ; tandis qu’elle s’écrase dans cet étroit débouché, les Romains escaladent les remparts. Tous les habitants sont massacrés et la ville est livrée au pillage et aux flammes. Le gutuater carnute, désigné responsable des actes de rébellion gaulois, est exécuté.

Au départ de César, Caius Trebonius et deux légions romaines sont installés pour administrer la ville en ruine, qui est rattachée à la province de la Gaule lyonnaise. Celle-ci restera en l’état jusqu’en 273 et la visite du 38e empereur romain, Aurélien. La période est marquée par le pillage de la ville vers 260 par les Alamans puis les Germains.

Récit des événements révolutionnaires

« Voyant la Gaule tranquille, César, comme il l’avait résolu, va tenir les assemblées en Italie. Il y apprend la mort de P. Clodius, et, d’après le sénatus-consulte qui ordonnait à toute la jeunesse de l’Italie de prêter le serment militaire, il fait des levées dans toute la province. La nouvelle en est bientôt portée dans la Gaule transalpine. Les Gaulois supposent d’eux-mêmes et ajoutent à ces bruits, ce qui semblait assez fondé, "que les mouvements de Rome retiennent César, et qu’au milieu de troubles si grands il ne peut se rendre auprès de l’armée." Excités par ces circonstances favorables, ceux qui déjà se voyaient avec douleur soumis au peuple romain commencent à se livrer plus ouvertement et plus audacieusement à des projets hostiles. Les principaux de la Gaule s’assemblent dans des lieux écartés et dans les bois ; ils s’y plaignent de la mort d’Acco ; ils se disent qu’il peut leur en arriver autant ; ils déplorent le sort commun de la Gaule ; ils offrent toutes les récompenses à ceux qui commenceront la guerre, et qui rendront la liberté à la Gaule au péril de leur vie. Tous conviennent que la première chose à faire, avant que leurs projets secrets éclatent, est d’empêcher César de rejoindre l’armée ; ce qui sera facile parce que, pendant son absence, les légions n’oseront sortir de leurs quartiers d’hiver, et que lui-même n’y pourra parvenir sans escorte ; qu’enfin il vaut mieux périr dans une bataille que de ne pas recouvrer leur ancienne gloire militaire et la liberté qu’ils ont reçue de leurs ancêtres.

« A la suite de cette discussion, les Carnutes déclarent "qu’ils s’exposeront à tous les dangers pour la cause commune ; qu’ils prendront les armes les premiers de tous ; et comme, afin de ne rien découvrir, ils ne peuvent se donner des otages, ils demandent que les alliés engagent leur parole, et sur les étendards réunis (cérémonie qui, dans leurs moeurs, est ce qu’il y a de plus sacré), on leur jure de ne pas les abandonner, quand ils se seront déclarés." On comble d’éloges les Carnutes ; tous ceux qui sont présents prêtent le serment exigé ; on fixe le jour pour l’exécution, et l’assemblée se sépare. »

Source

« Quand arrive le jour convenu, les Carnutes, entraînés par Cotuatos et Conconnetodumnos, hommes dont on ne pouvait rien attendre que des folies, se jettent, à un signal donné, dans Cénabum, massacrent les citoyens romains qui s’y étaient établis pour faire du commerce, mettent leurs biens au pillage ; parmi eux était Caïus Fufius Cita, honorable chevalier romain, que César avait chargé de l’intendance des vivres. La nouvelle parvient vite à toutes les cités de la Gaule. En effet, quand il arrive quelque chose d’important, quand un grand événement se produit, les Gaulois en clament la nouvelle à travers la campagne dans les différentes directions ; de proche en proche, on la recueille et on la transmet. Ainsi firent-ils alors ; et ce qui s’était passé à Cénabum au lever du jour fut connu avant la fin de la première veille chez les Arvernes, à une distance d’environ cent soixante milles. »

— Jules César, Commentaires sur la guerre des Gaules, VII, 3.

Ce qui se passait à l’époque

Ce sont les Carnutes qui se révoltent les premiers contre l’occupation militaire romaine de César

Acco, leader de la révolte des Sénons contre les Romains en 53 avant J.-C.

Pendant les deux premières années de la Guerre des Gaules, les Carnutes ne font pas parler d’eux. En 57-56 av. J.-C., c’est en pays carnute que César envoie ses légions prendre leurs quartiers d’hiver, ce qui indique que le pays passe pour sûr. Peut-être les Carnutes (ou du moins leur aristocratie), qui commercent avec les Romains, pensent-ils alors tirer profit de la situation.

Si l’on suit César, leur cité est alors une espèce de « république oligarchique », prenant la succession d’une royauté antérieure. Il faut certes se méfier : ce schéma relève du tropisme habituel de toute historiographie romaine, et vise à justifier la politique du proconsul.

Car César tente alors de soumettre les Carnutes (de même que les Sénons) à un régime de protectorat, qui ne doit pas être sans rapport avec l’importance économique reconnue à leurs pays. Il favorise ainsi l’accession d’un « roi » au pouvoir, un certain Tasgetios, « de très haute naissance et dont les ancêtres avaient régné sur leur cité ».

Nous avons une trace de Tasgetios en dehors de César, parce qu’il eut le temps d’émettre une monnaie : elle porte au revers son nom, autour d’un char ailé, et au droit un mot mystérieux : ELKESOOVIX, dans lequel on a voulu voir soit le nom, soit le titre d’un ancêtre.

Mais Tasgetios n’est pas très populaire. Dès l’automne 54 av. J.-C., César rapporte qu’il a été assassiné par ses ennemis « ouvertement soutenus par un grand nombre de ses concitoyens ». Les Carnutes ne semblent pas le remplacer : apparemment ils se passent fort bien d’un roi.

La révolte des Belges a des répercussions au sud de la Seine. Les Sénons s’agitent à leur tour, et ce n’est peut-être qu’à partir de ce moment qu’ils se rapprochent étroitement des Carnutes. Ils veulent faire subir à leur roi postiche, Cavarinos, le sort de Tasgetios, mais Cavarinos réussit à s’enfuir et à se réfugier auprès de César. Dès que les légions font mine d’intervenir, les Sénons, par l’intermédiaire de leurs « protecteurs » Éduens, envoient une ambassade pour obtenir le pardon du proconsul, qui exige alors cent otages. Les Carnutes s’empressent d’envoyer à leur tour ambassadeurs et otages, par l’intermédiaire des Rèmes, alliés de Rome, et qui seraient également leurs « protecteurs » (mais quel sens cette « protection » pouvait-elle avoir avant l’intervention romaine en Gaule ?). César, apparemment, « pardonne », mais l’année suivante, il convoque à Durocortorum en pays des Rèmes une assemblée des cités gauloises ; il y fait juger le sénon Acco « chef de la conjuration des Sénons et des Carnutes », celui-ci est exécuté « à la romaine », c’est-à-dire battu de verges jusqu’au coma, puis achevé par décapitation. César retourne en Italie, laissant Plancus hiverner chez les Carnutes, pour enquêter sur le meurtre de Tasgetios.

En 52 av. J.-C., le climat change. La mort atroce d’Acco – qui paraît avoir été un chef respecté, au-delà même de son peuple – a joué un rôle dans la mobilisation des Gaulois contre César.

Les chefs s’assemblent « dans des endroits isolés en forêt ». Cette réunion mémorable dans l’histoire des Gaules doit-elle être mise en relation avec l’assemblée annuelle des druides ? On en discute depuis longtemps et le problème est loin d’être résolu. Les Carnutes en tout cas y proclament dans l’enthousiasme général que « nul péril ne les arrêtera dans la lutte pour le salut commun et qu’ils seront les premiers à prendre les armes ».

« Au jour convenu, les Carnutes conduits par Cotuatos et Conconnetodumnos, deux hommes prêts à tout, se ruent dans Cenabum et y massacrent les citoyens romains ». C. Fufius Cita, l’homme de confiance de César, est parmi les victimes. En massacrant, le 13 février 52 av. J.-C., ces « citoyens romains », comme César y insiste, il est clair que les Carnutes ont commis l’irréparable.

Le coup de main de Cenabum, aussitôt répercuté chez les peuples voisins, donne le signal de l’insurrection générale sous la direction de Vercingétorix. César repasse les Alpes. Parvenu à marche forcée au pays des Sénons, il réduit facilement Vellaunodunum près de Triguères, tandis que les Carnutes qui croient en avoir le temps se préparent à envoyer des troupes pour défendre Cenabum. César y arrive avant eux, l’emporium est pillé et incendié, la population gauloise qui tentait de traverser nuitamment la Loire est massacrée ou réduite en esclavage. Puis, chez les Bituriges Cubes, les Romains prennent Noviodunum (Neung-sur-Beuvron) dont les habitants (ou la garnison) se rendent.

Les Carnutes, au dire de César, auraient fourni un contingent de 12 000 hommes - chiffre certainement excessif, comme il est de règle lorsque César estime les effectifs gaulois - qui « partirent pour Alésia, joyeux et pleins de confiance ».

Après la reddition de Vercingétorix, les cités ne désarment pas. Les Carnutes, pour d’obscures raisons, ont maille à partir avec leurs voisins Bituriges Cubes qui réclament justice auprès de César à Bibracte. Deux légions sont alors cantonnées dans Cenabum en ruines, d’où elles lancent de sanglantes opérations de commando contre les Carnutes qui se sont dispersés, « écrasés par la rigueur de l’hiver et par la peur, chassés de leurs toits, n’osant s’attarder nulle part ». Les survivants en armes se réfugient chez les peuples voisins.

Certains d’entre eux participent sans doute à la révolte infructueuse de l’andécave Dumnacos en pays des Pictons. À la suite de cette campagne, au cours de l’été 51 av. J.-C., C. Fabius repasse chez les Carnutes : « Les Carnutes qui, si souvent éprouvés, n’avaient jamais parlé de paix, offrent des otages et se soumettent ».

Mais César qui, tout en pardonnant n’oublie rien, vient lui-même à Cenabum se faire livrer « le premier responsable de leur crime, le fauteur de la guerre ». C’est le fameux Gutuater, probablement Cotuatos qui a lancé les premières hostilités : les manuscrits divergent sur le nom de celui qui porte le titre de Gutuater, personnage si considérable que César hésite à le mettre à mort. Pourtant, sous la pression « de l’énorme foule des soldats qui le rendaient responsable de tous les dangers courus, de toutes les pertes subies », il est comme naguère Acco, battu à mort et décapité.

Avec leur chef mis à mort, les Carnutes disparaissent de l’Histoire. Il ne sera jamais question d’eux lors des mouvements gaulois ultérieurs.

• En ce qui concerne les sites religieux de l’époque carnute, on a la trace de quelques sanctuaires locaux qui ont perduré après la conquête romaine : ceux d’Allauna à Allonnes, d’Orgos à Logron, d’Acionna à Orléans... Les trésors de Neuvy-en-Sullias et de Vienne-en-Val, découverts au XIXe siècle, appartiennent à l’époque gallo-romaine, malgré le monstre anthropophage de Vienne.

• Les Carnutes sont célèbres surtout pour leur lien, réel ou présumé, à la religion gauloise. C’est en un locus consecratus, dans la mythique « forêt des Carnutes », que les druides auraient tenu leur assemblée générale annuelle ; ce lieu était peut-être situé près de l’actuelle abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire. C’est aussi en pays carnute que César captura et mit à mort le mystérieux Gutuater. Mais c’est là un domaine dans lequel il est bien difficile de faire la part de la légende et de l’histoire.

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