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Alfred Rosmer, un texte de A. Bordiga

samedi 23 novembre 2024, par Robert Paris

Alfred Rosmer, un texte de A. Bordiga

Introduction

Avec Rosmer, décédé en mai dernier, disparaît un des rares survivants de la glorieuse époque de la révolution russe qui ne soit pas passé dans le camp de la contre-révolution stalinienne. Nous laissons à d’autres - ils s’en acquitteront mieux que nous - le soin de retracer en détail ce que fut sa vie et son politique. Ce que nous voudrions seulement tenter ici, c’est de tirer, au travers de son expérience personnelle, la leçon d’une initiative politique de la III° Internationale. Parmi les expédients tactiques qu’utilisa celle-ci - et dont certains se révélèrent désastreux, il en est un qu’il était très probablement impossible d’éviter : c’est celui qui consistait à admettre les syndicalistes-révolutionnaires de gauche dans la nouvelle organisation. Expédients dangereux pour le cas où le communisme aurait dû battre en retraite, car il pouvait développer dans l’Internationale ces conceptions « infantiles » que Lénine critiqua à juste titre, mais qui ont masqué à la plupart des militants et des dirigeants la menace de l’opportunisme de droite, fourrier de la contre-révolution stalinienne. De cet « infantilisme », et plus précisément de la part d’idéologie syndicaliste qu’il comportait, notre courant, alors représenté par la fraction abstentionniste du P.S. italien, tenait à tout prix à se délimiter. C’était en effet cet « infantilisme » de nombreuses « gauches » de l’Internationale, qui rendait inefficace, sinon impossible, la critique marxiste nécessaire de l’opportunisme manœuvrier de Moscou, critique que poursuivit inlassablement notre courant mais que la direction de l’I.C. put trop facilement confondre avec celle, de l’opposition de type anarchisant ou syndicaliste.

Rosmer fut certainement l’un des meilleurs et des plus dignes d’estime de cette catégorie de transfuges syndicalistes dont nous redoutions l’influence dans l’Internationale. A ce titre, il se trouva être en quelque sorte le bouc-émissaire de notre réaction de défense contre ce que nous considérions, non sans raison, comme un réel danger. Il est donc juste qu’au moment où on lui rend les derniers devoirs, nous lui rendions les nôtres d’une façon prolétarienne et révolutionnaire, c’est-à-dire en sachant disjoindre ce qui fut une loyale et nécessaire divergence politique du respect que l’on doit à tout militant qui a combattu pour la cause du prolétariat.
Destin politique d’un syndicaliste-revolutionnaire

Parmi ces rares syndicalistes français qui, sous le choc de la Révolution russe, rallièrent le bolchevisme, Rosmer fut l’un des plus résolus et des plus enthousiastes. Toute son activité d’opposant à la guerre impérialiste est là pour témoigner que cette adhésion représentait la transmission au communisme international de tout ce que la tradition et la praxis révolutionnaire du prolétariat français avait conservé de sain et d’intact. Ce n’est pas le fait du hasard si l’évolution de Rosmer commence avec la lutte clandestine menée par la minorité syndicaliste contre la politique d’union sacrée des social-traîtres. Une seule poignée de militants avait livré le combat à toute la force répressive de l’État dans le pays le plus chauvin d’Europe et face à la section la plus infime de la social-démocratie internationale. Sans aucun lyrisme, on peut dire qu’elle a sauvé l’honneur du prolétariat français abandonné par tous ses chefs socialistes. Qu’il en soit donc donné acte à Rosmer : il nous a laissé, non seulement un riche témoignage de cette lutte, mais encore la preuve de sa participation active, un exemple sans tache qui, dans le pays des Cachin et des Thorez ultra-patriotes, est resté sans lendemain.

Il ne fait pas de doute que son évolution dut beaucoup à l’influence de Trotsky. Cela n’a guère d’importance sinon pour expliquer les positions ultérieures de Rosmer. Quoiqu’il en soit, ce dernier fut en France l’un des plus actifs partisans de la III° Internationale. Au sein de ce noyau qui devait former plus tard le premier embryon du Parti Communiste français, la droiture et l’intelligence de Rosmer étaient indiscutées. Elles apparaissent rétrospectivement rehaussées si on les compare à la médiocrité des sociaux-démocrates que le P.C. hérita à la scission de Tours et dont le révolutionnarisme fut de si courte durée que les falsificateurs actuels de l’histoire de ce parti peuvent presqu’intégralement le passer sous silence. Participant activement aux travaux de Moscou où il œuvra à la constitution de l’Internationale syndicale rouge, il fut apprécié par Lénine, qui, nous dit-on, savait reconnaître ses solides qualités.

Tous ces mérites ne nous autorisent pourtant pas à passer sous silence un fait capital concernant son adhésion au communisme. Cette adhésion, malgré sa spontanéité, reposait sur une grave équivoque. Comme la plupart des militants de son époque, Rosmer ignorait que le marxisme fût une doctrine révolutionnaire visant à la destruction de l’État. Cette ignorance, ingénuement avouée, il la devait, comme tous ses contemporains, à l’ignoble falsification des théories de Marx perpétrée par les tout-puissants chefs opportunistes de la Seconde Internationale. Les positions de Lénine sur la question de l’État et sa projection dans la réalité révolutionnaire russe, firent à Rosmer l’effet d’une véritable révélation. Il s’aperçut que l’insurrection, la grève générale, « l’expropriation des expropriateurs » figuraient bel et bien dans le marxisme authentique et que, chez les bolcheviks, elles cessaient d’être des phrases pour devenir la réalité.

Mais, en contre-partie, la révolution d’octobre lui apparut comme une sorte de conjonction historique entre deux écoles politiques en saine et loyale concurrence - le syndicalisme et le marxisme - comme une synthèse de ce que l’une et l’autre comportaient de valable. C’était là une conception fondamentalement anti-déterministe, empirique pour tout dire, et selon laquelle la doctrine, la théorie et le programme du mouvement prolétarien ne sont que des approximations entre lesquelles, selon les situations, l’histoire fait son choix. Dans ce cas, le seul critère permettant de les juger les unes et les autres est la pureté d’intention de ceux qui les professent, leur attachement à un idéal révolutionnaire. Le processus historique, tel que le marxisme, en tant que science de l’histoire, nous le décrit est totalement différent : c’est, une fois pour toutes, dans ses premières manifestations sur le plan politique qu’une classe révèle sa véritable mission historique. En ce qui concerne le prolétariat, doctrine, théorie, programme surgissent d’un bloc, tout formés des premières luttes de la classe ouvrière et l’on peut dire que, dès 1848, avec le « Manifeste Communiste », l’essentiel de se tâche historique est énoncé. Quant à la floraison de tendances, théories et conceptions qui prolifèrent à la suite dans le mouvement prolétarien, elles n’expriment (syndicalisme révolutionnaire compris) qu’autant de déviations de la théorie initiale ; elles ne représentent que le produit des échecs de la lutte révolutionnaire, les résultats sociaux des délais que ces échecs ont accordé au capitalisme et au perfectionnement de ses méthodes de corruption économique et idéologique de la classe exploitée. C’est seulement la résistance, jusqu’ici victorieuse, de la domination bourgeoise au coups de butoir du prolétariat, qui a développé cette superstructure d’idées dont la complexité est telle qu’une réaction à une déviation peut constituer à son tour une autre déviation. Tel est le cas du syndicalisme révolutionnaire qui, luttant contre l’opportunisme parlementariste de la social-démocratie, n’en abandonnait pas moins l’essentiel des conquêtes théoriques acquises au prix des luttes antérieures, notamment ce que Marx considérait être son seul apport personnel au mouvement socialiste : la nécessité de la dictature du prolétariat. Tout en restant à l’usage de la violence sociale, le syndicalisme (révolutionnaire ou non) condamnait cette notion de dictature du prolétariat, niait ou sous-estimait le rôle du parti de classe, lui substituait, tant pour l’organisation socialiste de la société que pour l’assaut au pouvoir bourgeois, le seul syndicat.
Notre divergence avec Rosmer

De cette équivoque, à l’époque où Rosmer partit pour Moscou, bien peu avaient conscience ; Trotsky et Lénine eux-mêmes n’en semblaient pas mesurer toute l’importance. C’était en 1920, dans l’enthousiasme des premiers jours, lorsqu’il semblait que la révolution européenne était proche et inévitable : il est bien certain que, victorieuse, elle eût balayé toutes ces nuances idéologiques, dangereuses dans le seul cas où la contre-révolution aurait triomphé. Aussi, quand Rosmer rencontra à Moscou le représentant de notre mouvement, la Gauche italienne, alors représentée par la fraction abstentionniste du Parti socialiste italien, fut-il étonné de la réserve, voire de la froideur qui lui fut témoignée par ce dernier. La fraction abstentionniste n’était-elle pas, comme les syndicalistes révolutionnaires, hostile à l’activité parlementaire corruptrice qui avait ruiné la Seconde Internationale ? N’adhérait-elle pas aussi au mouvement des Soviets, cette structure d’État révolutionnaire qui, à l’image de la Commune de 1871, supprimait toute délégation bourgeoise de pouvoir ?

La réticence de notre mouvement à l’égard des syndicalistes révolutionnaires ne peut guère être comprise qu’aujourd’hui alors que tout le communisme international a définitivement perdu la boussole et a sombré dans le démocratisme bourgeois qu’il avait autrefois combattu chez les sociaux démocrates. Seulement aujourd’hui il est possible de comprendre pourquoi, dans les années 1920-24, compte tenu des conditions difficiles de la révolution socialiste européenne, ç’était la solidité théorique et l’homogénéité politique du nouveau parti prolétarien du parti communiste international en formation, qui devait être l’objet essentiel de la préoccupation des révolutionnaires. Admettre, sans effort continu de clarification théorique, des éléments non-marxistes dans l’Internationale, c’était exposer celle-ci à la débâcle au premier reflux de la lutte politique, comme cela, d’ailleurs, s’est vérifié. Sans doute Rosmer était-il un des meilleurs syndicalistes révolutionnaires, sans doute fut-il une victime et non pas un complice de l’opportunisme dit stalinien. Mais la confusion qu’il représentait - indépendamment de ses indéniables qualités personnelles de probité et de courage - c’est dans les rangs de l’opposition trotskyste qu’elle devait se manifester : dans cette opposition que, par disgrâce, le grand Trotsky devait conduire à dilapider les énergies saines du mouvement communiste et à retarder d’autant le regroupement prolétarien dont nous ne voyons poindre aujourd’hui que les toutes premières lueurs.

Il conviendra un jour d’exposer combien l’immixtion de conceptions non-marxistes dans l’organisation prolétarienne manifeste ses effets négatifs dès les premiers reflux de la vague révolutionnaire internationale. La seule divergence qui existait sur ce point entre la majorité de la III° Internationale et notre propre courant résidait dans le fait que cette majorité, consciemment ou non, fermait les yeux sur ce risque de reflux, tandis que nous en percevions déjà divers symptômes. Des syndicalistes révolutionnaires comme Rosmer avaient rompu avec les préjugés les plus marquants de leur idéologie originelle. Ils avaient rejeté la superstitution de la « violence en soi » chère à Sorel. Ils n’avaient pas paraphé, au bas de la « Charte d’Amiens », le mythe de l’indépendance et de l’autonomie des syndicats. Ils étaient en lutte ouverte avec les anarchistes du parti ; il acceptaient la tactique syndicale de l’I.C. (Rosmer, nous dit-on, se séparait de Monatte en ce qui concerne la priorité du syndicat sur le parti). Ils s’étaient, pour ainsi dire, « jetés dans les bras » de la révolution d’Octobre. Mais le mobile profond de leur adhésion résidait avant tout dans le caractère violent et expropriateur de cette révolution, dans le fait que, grâce à elle, l’espoir séculaire du prolétariat sortait des « schémas abstraits » pour entrer dans la réalité historique, dans leur admiration pour l’efficacité et la probité des chefs bolcheviks, en un mot dans une impulsion essentiellement provoquée par la forme historique de la première révolution prolétarienne victorieuse. Mais ils possédaient à un degré bien moindre la conscience des conditions réelles de cette révolution, de sa subordination à la victoire de la révolution socialiste européenne. Ils comprenaient moins encore que le parti bolchevik tirait sa force non tant de son habileté tactique que de sa totale autonomie idéologique, de son intransigeance farouche en matière de principes, de la spécificité de son organisation face à toutes les autres expressions politiques du mouvement ouvrier. Qu’un « rallié » d’aussi grande valeur que Rosmer soit passé à côté de ces choses, on en trouvera la preuve dans le fait qu’il ait accepté que son livre « Moscou sous Lénine » soit préfacé par Camus de façon telle qu’il semble, à lire cette préface, que la scission entre bolcheviks et mencheviks ait été un accident regrettable alors que c’est à elle qu’est intégralement dû le succès de la Révolution d’Octobre.

Il doit être clair que, dans cette critique rétrospective, nous ne songeons nullement à faire grief au militant Rosmer de n’avoir qu’incomplètement répudié ses conceptions d’origine (lui rendant d’ailleurs cette justice qu’il y fut le moins emprisonné des syndicalistes) : il n’avait guère de chances, même auprès de marxistes de la trempe de Trotsky, de les acquérir en une situation où les événements imposaient d’agir plutôt que d’assimiler, et par surcroît d’agir vite. La rafale révolutionnaire entraînait vers Moscou les meilleurs éléments venus de tout l’horizon du mouvement ouvrier, mais ceux-ci amenaient obligatoirement avec eux leurs préjugés et leurs illusions. Tant que la rafale soufflerait, on pouvait lui faire confiance pour qu’elle balaie impétueusement tous les germes néfastes ; mais on devait tout craindre si le vent de la révolution venait à tomber.

Voilà pourquoi notre courant manifestait, dans l’Internationale, une grande circonspection à l’égard des éléments venus du syndicalisme révolutionnaire. Voilà pourquoi, lors de sa première rencontre avec Rosmer à Moscou, Bordiga « tint à prendre ses distances », comme le note, non sans un léger pincement, le militant défunt dans son ouvrage « Moscou sous Lénine ». C’était pour le responsable de la fraction abstentionniste, « prendre ses distances » avec le représentant d’une école non-marxiste dont la conviction révolutionnaire ne pouvait être mise en doute, mais dont l’éclectisme politique, en cas de reflux international, était d’autant plus dangereux qu’il était sincère. Face aux éléments comme Rosmer notre courant eut toujours, d’ailleurs, une attitude très nette, reconnaissant leurs mérites de combattants et de révolutionnaires, mais relevant sans pitié leur orientation foncièrement étrangère au marxisme. Parlant d’eux au Congrès de Marseille du P.C.F. en 1921, Bordiga déclarait que le parti « avait raison de travailler avec eux parce qu’ils comptaient bon nombre de braves ouvriers qui pourront être gagnés aux méthodes communistes de lutte contre les « réformistes », mais il rappelait que le syndicalisme révolutionnaire avait, sur la question de l’exercice du pouvoir des conceptions toutes différentes de celles des communistes, que ses membres avaient « une conception toute différente de la nôtre du développement de l’histoire », qu’ils avaient « une critique différente de la société capitaliste », « qu’ils traçaient un processus différent de l’émancipation prolétarienne ». Cette délimitation et ces critiques seraient peut-être devenues inutiles si la révolution européenne avait triomphé, mais elles ont pris toute leur importance dans une décomposition du communisme international telle que toutes les déviations, du syndicalisme au réformisme, y compris leurs nuances et sous-nuances, y acquièrent, progressivement droit de cité, de Tito à Khrouchtchev, de Togliatti à Mao-Tse-Tung.
L’épreuve de la contre-révolution

La « bolchevisation » de 1924, qui élimina tous les dirigeants révolutionnaires des P.C., ne pouvait d’autant moins épargner Rosmer, qu’il était ami personnel de Trotsky. A la différence des autres syndicalistes également bannis du parti par Moscou et qui retournèrent à leur mouvement d’origine, Rosmer resta fidèle à l’organisateur de l’armée rouge et participa à la fondation de la IV° Internationale. Il ne se trouva pas très à l’aise, nous dit-on, dans ces noyaux de ternes manœuvriers auxquels Trotsky imposa les stratégies les plus saugrenues, et c’est pourquoi il se consacra finalement à son œuvre sur « l’Histoire du mouvement ouvrier pendant la guerre », ouvrage qui restera une des sources les plus sérieuses et documentées pour l’étude de cette époque.

Mais, dès lors, Rosmer, en dépit de sa collaboration régulière aux journaux syndicalistes, n’a plus été qu’un témoin des années cruciales qu’il avait vécues ; un témoin sincère et passionné sans doute, mais dont l’œuvre représente bien plus une chronologie précise du passé qu’un enseignement pour les luttes de l’avenir. La contre-révolution est la pierre d’achoppement, non seulement de la valeur individuelle et du courage des révolutionnaires, mais plus encore, de la solidité de la doctrine qu’ils professent.

A la lueur de 40 années de reflux prolétarien, il ne nous est plus difficile de justifier notre réticence passée à l’égard de Rosmer, syndicaliste puis trotskyste. Cette réticence répondait à une intuition de ce qui allait se passer et dont la reprise prolétarienne de l’avenir ne manquera pas de tenir compte. Nous disions en 1920 que la III° Internationale ne devait compter dans ses rangs que d’authentiques marxistes acceptant intégralement tout le programme communiste, que les syndicalistes révolutionnaires ne devaient y être accueillis qu’avec circonspection. Contre l’opportunisme du centre de l’I.C., nous ne voulions pas lutter à leur côté dans la confusion, car nous estimions leur « conception de l’émancipation prolétarienne » dangereuse, aussi dangereuse que la position des réformistes. Eh bien, non seulement la fidélité de Rosmer à la cause révolutionnaire constitue, parmi les syndicalistes du parti une rare exception (peut-être la seule), mais encore toutes les formules et solutions qui, à ses yeux de syndicaliste, représentaient la fin des fins pour la libération du prolétariat, sont désormais devenues des armes de la conservation sociale bourgeoise.

Le syndicalisme révolutionnaire est bel et bien mort en 1914, mais non pas toutes les conceptions qu’il a inspirées et qui nient la dictature du prolétariat en prônant les « conseils d’usine », la « gestion ouvrière » et autres formules semblables. Cette déviation « au second degré » a infesté tout le mouvement communiste recrutant ses représentants aussi bien chez les communistes dégénérés en syndicalistes que chez les anciens syndicalistes déguisés en communistes, mais toujours sous l’égide de la servilité à l’égard de la contre-révolution stalinienne et de son continuateur Khrouchtchev. Pour un Rosmer demeuré fidèle à son idéal subversif, combien de Frachon et de Monmousseau, parmi les transfuges du syndicalisme révolutionnaire, sont-ils passés du côté du bourreau de Moscou ? D’autre part, existe-t-il un seul mot d’ordre dans tout l’arsenal théorique du. syndicalisme qui ne soit devenu une arme du capitalisme, soit pour convaincre les ouvriers que, grâce à ces mots d’ordre leur révolution est déjà faite, soit pour les persuader que, devenant leur propre patron grâce à la gestion de l’entreprise, cette révolution est devenue inutile ? Dans un cas comme dans l’autre, cela n’est dit que pour les détourner de la lutte politique pour la prise du pouvoir et l’établissement de leur dictature de classe…

Pour tous les philistins modernes il semble que, de la joute historique entre syndicalistes et « apparentés » d’une part, marxistes de l’autre, les premiers soient définitivement sortis vainqueurs. Leurs mots d’ordre « gestionnaires » gagnent partout du terrain, tandis que tous, même le « communiste » Khrouchtchev, nous convient à renier la dictature du prolétariat chère à Marx. La « gestion, ouvrière » n’existe-t-elle pas à Cuba ? « L’autogestion »à Alger ? Les « conseils ouvriers » chez Tito ? C’est en réalité d’une façon plus dialectique qu’il faut voir les choses et, pour nous, la cause est entendue, mais d’une manière toute différente : c’est le syndicalisme comme formule de libération prolétarienne qui est battu. Précisément parce que la dictature du prolétariat n’existe plus nulle part et parce que toutes les formules syndicalistes ne triomphent que comme mots d’ordre des divers complices de la domination bourgeoise. L’étendue de la défaite internationale ouvrière où la lutte anti-impérialiste, n’a servi qu’à la bourgeoisie, où la sur-exploitation la plus inouïe fait rage, où les grèves ouvrières sont trahies avant même de commencer le prouve amplement.
Conclusion

Il fallait dire cela, bien que nous nous gardions d’imputer à Rosmer, le militant, l’oppositionnel, ce triste aboutissement des conceptions à la défense desquelles il a voué sa vie. S’il n’est guère de possibilité dans la lutte politique, dans le combat de tous les jours pour la sauvegarde des principes, de séparer, dans la critique, l’homme des idées qu’il défend, cette disjonction dévient un devoir lorsque l’adversaire honorable n’est plus qu’un militant qui s’éteint. En Rosmer nous ne voulons plus voir que l’ultime expression honnête et généreuse d’une tendance qui puisait ses ressources de lutte à la racine même de la tradition révolutionnaire du prolétariat français, historiquement plus accueillant à l’anarchisme qu’au marxisme.

Du syndicat peut surgir la révolte la plus exacerbée mais non pas la conscience des buts et moyens de l’émancipation du prolétariat : voilà ce que nous enseigne l’histoire. Le cas Rosmer constitue une exception, mais aussi une confirmation puisque tout en se jetant corps et âme dans le mouvement communiste, Rosmer ne devint jamais un marxiste. Cette constatation n’a rien d’injurieux pour sa mémoire, au contraire, puisqu’elle met en évidence le courage et la probité d’un militant privé à un tournant crucial de son évolution du seul « milieu » qui, en définitive, conditionne la clairvoyance et la ténacité des lutteurs prolétariens : le parti de classe.

C’est dans cet esprit que nous nous inclinons devant sa dépouille, conscients de lui rendre un hommage plus sincère que la plupart de ceux qui se pressaient autour’ de son cercueil et qui, hormis quelques indéfectibles amis personnels, représentaient cette intelligentsia « de gauche », pour qui Rosmer fut surtout un membre honorable de la grande famille du socialisme démocratique. Nous, c’est le combattant révolutionnaire des années terribles, le militant se donnant corps et âme à la révolution russe et à la cause de la dictature prolétarienne que nous avons tenu à saluer.

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