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Connaissez-vous le militant Tarov dit Manoukian, ouvrier révolutionnaire bolchevik de l’opposition trotskiste en Russie ?
mardi 2 juillet 2024, par
Connaissez-vous le militant Tarov dit Manoukian, ouvrier révolutionnaire bolchevik de l’opposition trotskiste en Russie ?
Des déportés de l’opposition, trois seulement réussiront à passer à l’étranger avant la guerre mondiale : Ciliga, libéré à l’expiration de sa peine parce que citoyen italien, Victor Serge, écrivain de langue française, à la suite d’une campagne menée parmi les intellectuels occidentaux, et un ouvrier russe qui signera Tarov dans le Bulletin de l’opposition. Évadé par la frontière iranienne, l’auteur de cet exploit unique devait disparaître en France pendant la guerre : selon des informations invérifiables, il aurait fait partie des vingt-trois F.T.P. du groupe Manouchian fusillés à Paris par les nazis le 21 février 1944. Le sort des autres préfigure celui de dizaines de milliers de communistes, opposants repentis ou staliniens fidèles. Car c’est sur eux, ce qui reste de la génération révolutionnaire d’octobre 1917, que va d’abord s’abattre la terreur que ce préparent, depuis l’affaire Kirov, Staline et les hommes qu’il a placés aux postes clés, Nicolas Ejov et Georges Malenkov au premier chef.
Une biographie :
Arpen Tavitian rejoint le parti bolchevik de Géorgie en 1917, puis l’armée rouge l’année suivante, intégrant une brigade de gardes rouges qui combat pour défendre la commune de Bakou (voir 26 commissaires de Bakou) lors de la bataille de Bakou, affrontements lors desquels il aurait été blessé 3 fois. Il est fait prisonnier par les troupes anglaises qui s’emparent de la ville en août, mais parvient à s’échapper à Téhéran. Il revient ensuite combattre en Azerbaïdjan et en Arménie, où il aurait vraisemblablement participé à l’insurrection bolchevique de mai 1920 écrasée par le gouvernement arménien dominé par la Fédération révolutionnaire arménienne. Arpen Tavitian commence soldat, puis grimpe en 1920 les échelons et devient officier et commissaire politique après un court stage à l’école militaire rouge Chaoumian à Bakou. C’est avec cette fonction qu’il accueille la XIe Armée rouge qui entre à Erevan le 2 avril 1921. Il participe ensuite plus activement au parti communiste soviétique, devenant instructeur-organisateur auprès du Comité central d’Arménie, de Géorgie et d’Azerbaïdjan. Il combat durant toute la guerre civile russe dans le Caucase.
Membre persécuté de l’Opposition de gauche
Il entreprend à partir de 1923 des études à l’Université communiste de Transcaucasie (Tiflis) dont il est exclu en 1925 pour trotskisme et pour appartenir à l’Opposition de gauche critique du stalinisme. Il est renvoyé en Arménie, où on lui confie un certain nombre de fonctions : responsable de l’Agitprop ; secrétaire d’un comité de district puis secrétaire de la section de presse du Comité central ; sur le plan syndical, président du comité ouvrier de la construction des chemins de fer.
Mais, en juillet-août 1927 à Erevan, la purge contre l’Opposition de gauche, dont il est porte-parole, bat son plein, ce qui lui vaut d’être exclu du parti communiste à la fin de l’année puis d’être emprisonné le 24 septembre 1928 avec d’autres militants arméniens3. Il reste sous le contrôle de la Guépéou à Erevan puis à Tiflis et enfin fin décembre à Akmolinsk (Kazakhstan). Dans la nuit du 22 janvier 1931, il est de nouveau arrêté avec toute la colonie bolchevik-léniniste, incarcéré à la prison de Petropavlosk et est condamné à trois ans de prison. Transféré à Verkhneouralsk, il y entre dans le collectif bolchevik-léniniste et participe à une grève de la faim de 18 jours en décembre 1933. À la fin de sa peine, il est exilé le 22 janvier 1934 en Asie centrale à Andijan (Ouzbékistan). Il adresse en mars un télégramme (puis une lettre en avril) au Comité central du parti, à Moscou, dans lequel il propose de quitter l’Opposition pour faire front dans la lutte contre le fascisme et être réintégré dans le parti, mais cette proposition reste sans réponse. Le Guépéou essaye de le pousser pour qu’il déclare que ses opinions sont contre-révolutionnaires et pour qu’il pratique la délation, mais il ne cède pas ; toutefois, pendant ce temps, ses compagnons d’exil commencent à le considérer avec suspicion
https://fr.wikipedia.org/wiki/Arpen_Tavitian
BIOGRAPHIE DE TAROV
(1892 - 1944)
Martine Tavitian, dit Tarov, dit Manoukian.
Trotskiste arménien de Russie, ancien officier de l’Armée rouge. Après maintes aventures (il lui arriva de coucher dans un fossé sous la neige pendant qu’un ours passait au-dessus de lui), il réussit, avec l’aide de la Ligue communiste, à gagner la France par l’Iran et l’Inde. Il avait alors perdu tous ses cheveux et la commissure de ses lèvres était couverte d’une couche de corne...
" La Ligue lui a fourni de vrais faux papiers au nom d’Armenak Manoukian et lui a trouvé du travail comme serrurier. Il habitait chez nous. Je le conduisais chaque matin au métro Porte Dorée et j’y revenais le chercher chaque soir. Un matin, je l’avais laissé avant que nous soyons arrivés à la bouche de métro. Je l’ai entendu crier "au secours". Trois hommes tentaient de l’entraîner vers une auto pendant qu’il se cramponnait à un arbre. Je suis accouru avec un énorme marteau à la main, les trois hommes sont remontés dans la voiture et se sont enfuis [1] ".
Pendant l’Occupation, Tarov, toujours sous le nom de Manoukian, adhéra au parti communiste arménien et s’enrôla dans le groupe Manouchian, la mieux connue des unités de combat de la M.O.I. (main-d’oeuvre immigrée). Après avoir été blessé au cours d’une opération, il fut capturé avec l’ensemble du groupe. Leur dénonciation fut attribuée à "Albert", le commissaire politique que leur avait affecté le P.C.F., mais ce point est controversé.
Les vingt-trois furent immortalisés par l’" affiche rouge " qui annonça leur exécution le 21 février 1944.
Léon Trotsky
La terreur de l’auto-conservation bureaucratique
26 septembre 1935
La lettre du camarade Tarov [1], un bolchevik-léniniste, un ouvrier mécanicien qui, conduit par les caprices du sort, se trouve actuellement hors d’Union Soviétique, constitue un docu¬ment politique remarquable. Tarov a été arrêté en tant que membre de l’Opposition de gauche. Il a passé trois ans en déportation, quatre en prison dans d’atroces conditions d’isole¬ment, puis, de nouveau, plusieurs mois en exil.
Quel crime Tarov a-t-il commis contre la révolution ? Apparemment, dès 1923, il a estimé que la révolution d’Octobre avait créé la possibilité d’une industrialisation infiniment plus rapide que cela n’avait été le cas dans les pays capitalistes. Avec d’autres Tarov, il avait prévenu que la politique qui misait sur le koulak devait conduire à une crise l’ensemble du système soviétique. Il exigeait qu’on se préoccupât du paysan pauvre, il réclamait la transformation systématique de l’agriculture dans le sens de la collectivisation. Tels furent ses principaux crimes au cours des années 1923-1926. Il voyait plus clair et plus loin que la couche supérieure dirigeante. En tout cas, tels étaient les crimes de la tendance dont Tarov était responsable.
En 1926 tous les Tarov exigèrent que les syndicats sovié¬tiques mettent un terme à leur amitié politique avec le conseil général des trade-unions britanniques qui était en train de trahir en même temps la grève des mineurs et la grève générale c’est précisément pour ce service que Citrine, le chef du conseil général, l’ancien allié de Staline et de Tomsky, a été anobli par Sa Royale Majesté à l’occasion des manifestations du jubilé [2]. Avec d’autres léninistes, Tarov protesta en 1926 contre la théorie stalinienne d’un « État démocratique ouvrier et paysan » - une théorie qui détermina le parti communiste polonais à soutenir le coup d’État de Pilsudski. Mais les crimes de Tarov ne s’arrêtent pas là. En tant qu’internationaliste, il portait le plus vif intérêt au sort de la révolution chinoise. Il estimait criminelle la décision du Kremlin qui avait obligé le jeune et héroïque parti communiste chinois à entrer dans le Kuomintang et à se soumettre à sa discipline ; en outre, le Kuomintang lui-même, un parti purement bourgeois, fut admis dans l’Internationale communiste en tant qu’organisation « sym¬pathisante ». Le moment arriva où Staline, Molotov et Boukharine [3] télégraphièrent de Moscou pour ordonner aux commu¬nistes chinois de mettre fin au mouvement agraire des paysans afin de ne pas « effaroucher » Chang Kaï-chek et ses officiers [4]. Avec d’autres disciples de Lénine, Tarov considérait une telle politique comme une trahison de la révolution.
Les Tarov ont plusieurs autres crimes semblables à leur actif. A partir de 1923, ils ont réclamé le début de l’élaboration d’un plan quinquennal et quand, en 1927, l’ébauche du premier plan fut enfin achevée, ils démontrèrent que la croissance ne devait pas être fixée comme l’avait fait le bureau politique à 5,9 %, mais deux ou trois fois plus haut. Il est vrai que tout cela fut bientôt entièrement confirmé. Mais comme les Tarov, par leur pénétration, avaient révélé l’arriération de l’oligarchie dirigeante, ils étaient donc coupables d’avoir porté préjudice à la révolution - c’est-à-dire au prestige de la bureaucratie.
Les Tarov accordaient beaucoup d’attention à la jeunesse ouvrière. Ils estimaient qu’il fallait lui donner la possibilité de penser par elle-même, d’étudier, de se tromper, d’apprendre à se tenir sur ses jambes. Ils protestaient contre le fait que la direction révolutionnaire avait fait place à un régime caporaliste. Ils prédisaient que l’étouffement policier de la jeunesse conduirait à la démoraliser et à développer dans ses rangs des tendances franchement réactionnaires et simplement le « hooliganisme ». Leurs mises en garde furent stigmatisées comme des tentatives pour dresser la jeune génération contre la vieille, comme une mutinerie contre la « Vieille Garde » - cette même Vieille Garde que Staline, aidé de ses prétoriens, a calomniée, écrasée et jetée en prison ou démoralisée [5].
Tels sont les crimes de Tarov. Il faut y ajouter que les bolcheviks-léninistes, y compris Tarov, n’ont jamais essayé d’imposer leurs idées par la force. Ils n’ont pas appelé à un soulèvement contre la bureaucratie. Pendant une période de presque neuf ans, ils ont voulu et espéré convaincre le parti. Ils ont combattu avant tout pour leur droit de faire connaître au parti leurs critiques et leurs propositions. Mais la bureaucratie, qui s’est élevée au pouvoir autocratique sur les défaites du pro¬létariat, a opposé aux bolcheviks-léninistes non la force de ses arguments, mais les détachements armés du G.P.U. Tarov se trouva parmi les plusieurs milliers de militants arrêtés au cours de l’écrasement thermidorien de l’Opposition en 1928 [6]. Par la suite, il passa plus de trois années en déportation et environ quatre en prison. Par son bref récit, le lecteur pourra connaître les conditions qui règnent dans ces prisons : injures, passages à tabac, une pénible grève de la faim de quatorze jours et, en réponse, l’alimentation forcée et de nouvelles injures. Tout cela parce que les bolcheviks-léninistes ont posé avant Staline le problème de la collectivisation, parce qu’ils avaient à temps mis en garde contre les conséquences de la perfide alliance avec Chang Kaï-chek et le futur Lord Citrine...
Puis éclata un nouveau coup de tonnerre : Hitler arriva au pouvoir en Allemagne. La politique de l’Internationale commu¬niste lui avait frayé la voie. Quand Hitler se hissa en selle, c’était Staline, et personne d’autre, qui lui tenait l’étrier. Tous les flots d’éloquence du 7º congrès ne laveront jamais ces messieurs les chefs des tâches de ce crime historique. D’autant plus enragée fut la haine de la clique stalinienne contre ceux qui avaient prévu et prévenu à temps. Les léninistes emprisonnés devaient payer de leur peau pour cette politique meurtrière qui alliait l’ignorance à la perfidie : c’est précisément cette combi¬naison qui constitue l’essence du stalinisme.
Cependant, alarmé par la victoire du national-socialisme, Tarov fit aux autorités de Moscou la proposition suivante : il s’engageait à abandonner son activité d’Oppositionnel, en échange de quoi lui, Tarov, aurait le droit de revenir dans les rangs du parti en tant que soldat discipliné et d’y mener le combat contre le danger fasciste.
Il n’est pas difficile de comprendre les raisons psycholo¬giques de cette initiative prise par Tarov. Il n’est pas pour un révolutionnaire position pire que de rester pieds et poings liés pendant que la réaction impérialiste enlève une tranchée prolé¬tarienne après l’autre. Mais, sur le plan politique, cette propo¬sition de Tarov était doublement irréaliste. Premièrement, soutenir de façon non critique la « lutte » de Staline contre le fascisme, c’est en dernière analyse aider le fascisme - toute l’histoire des douze dernières années l’a démontré de façon irréfutable ; deuxièmement, la proposition de Tarov n’a pas été acceptée et ne pouvait pas être acceptée par la bureaucratie. Le fait qu’un seul léniniste remplisse avec désintéressement et courage les tâches qu’on lui assigne, aux yeux de tous, sans renier ses opinions, aurait constitué une réfutation muette de la légende du « trotskysme en tant que détachement d’avant-garde de la contre-révolution bourgeoise ». Cette légende stupide repose sur des bases branlantes qui doivent être quoti¬diennement étayées. En outre, l’exemple de Tarov, en cas de succès, aurait inévitablement suscité des émules. On ne pouvait l’admettre. Il est impossible de réintégrer dans le parti des hommes courageux qui n’ont renoncé qu’à exprimer publique¬ment leurs opinions. Non, ils doivent renoncer et à ce qu’ils pensent et à leur droit de penser en général. Ils doivent cracher sur des idées qui ont été confirmées par tout le cours des événe¬ments.
Rien ne caractérise aussi bien le régime stalinien, sa corruption interne et son hypocrisie que son incapacité totale à assimiler un révolutionnaire sincère qui est prêt à servir avec obéissance mais refuse de mentir. Non ! Staline a besoin de pénitents, de renégats braillards, de gens qui soient prêts à dire sans vergogne que ce qui est blanc est noir, à frapper pathé¬tiquement leurs poitrines vides, alors qu’en réalité ils pensent à la carte de ravitaillement, à l’automobile et à la station bal-néaire. L’appareil du parti et celui de l’État regorgent de semblables roublards, de faux jetons et de cyniques corrompus. On ne peut pas compter sur eux, mais ils sont indispensables : l’absolutisme bureaucratique, qui est entré en contradiction absolue avec les intérêts économiques et culturels de l’État ouvrier, a un besoin pressant de filous prêts à tout.
Ainsi, la tentative de Tarov pour réintégrer les rangs du « parti » officiel fut un échec total. Tarov ne trouva pas d’autre issue que de fuir l’Union soviétique. Cette expérience, qu’il a si chèrement payée, constitue une leçon précieuse, tant pour le prolétariat soviétique que pour le prolétariat mondial. La « Lettre ouverte » des organisations qui se sont placées sous le drapeau de la IVº Internationale trouve dans l’affaire Tarov une nouvelle confirmation plus nette encore. La « Lettre ouverte » déclare : « Par les persécutions, les falsifications, les amalgames et une sanglante répression, la clique dirigeante s’ef¬force d’étouffer dans l’œuf toute manifestation de pensée marxiste. Nulle part au monde le léninisme véritable n’est per¬sécuté aussi bestialement qu’en U.R.S.S. » [7].
Vues de façon superficielle, ces lignes peuvent paraître exagérées. Le léninisme n’est-il pas impitoyablement pourchassé en Italie et en Allemagne ? En fait, il n’y a aucune exagération dans la « Lettre ouverte ». Dans les pays fascistes, les léni¬nistes sont persécutés en même temps que les autres ennemis du régime. Hitler, comme on sait, a fait preuve de la plus grande cruauté vis-à-vis des opposants qui étaient de vieux compagnons de parti, la « gauche », qui lui rappelait son propre passé [8]. C’est avec la même cruauté bestiale que la bureaucratie stali¬nienne traite les bolcheviks-léninistes, les révolutionnaires authentiques qui incarnent les traditions du parti et de la révolution d’Octobre.
Les conclusions politiques qu’il faut tirer de l’affaire Tarov sont tout à fait claires. Ce serait pure folie que de songer à « réformer » ou à « régénérer » le parti communiste d’Union Soviétique d’aujourd’hui. Une machine bureaucratique qui sert avant tout à maintenir le prolétariat dans un étau ne peut pas être contrainte à servir les intérêts du prolétariat. La terreur révolutionnaire qui, pendant la période héroïque de la révolu¬tion, était l’arme des masses en mouvement, contre leurs oppresseurs, et la sauvegarde directe du pouvoir du prolétariat, cette terreur révolutionnaire a été complètement supplantée par la terreur froide et cruelle de la bureaucratie qui se bat avec acharnement pour ses postes et ses rations, pour son règne autocratique incontrôlé et contre l’avant-garde prolétarienne. C’est précisément pourquoi le stalinisme est condamné !
Le 20 février 1889, Engels écrivait à Kautsky une lettre absolument remarquable - qui n’a été publiée que récem¬ment - au sujet des rapports de classes à l’époque de la grande révolution française. Il y disait entre autres : « En ce qui concerne la Terreur, dans la mesure où elle avait un sens, c’était au fond une mesure de guerre. Elle servait non seulement à maintenir à la barre la classe, ou la fraction de la classe qui seule pouvait assurer la victoire de la révolution, mais lui assurait aussi la liberté de mouvement, les coudées franches [9], la possibilité de concentrer ses forces en un point décisif, c’est-à-dire aux frontières. » Mais, une fois les frontières pré¬servées, grâce aux victoires militaires, et après la destruction de cette folle Commune qui avait voulu apporter la liberté aux autres peuples à la pointe des baïonnettes, la terreur en tant qu’arme de la révolution se survivait à elle-même. Il est vrai que Robespierre[10] était alors au faîte de sa puissance, mais, dit Engels, « désormais la terreur devint pour lui un moyen de sa propre préservation, et, du coup, elle devenait une absurdité » (souligné par Engels).
Ces lignes sont remarquables de simplicité et de profon¬deur. Il est inutile de s’étendre ici sur les différences entre le passé et le présent : elles sont suffisamment connues. La diffé¬rence entre le rôle historique de Robespierre et celui de Staline n’est pas moins claire ; le premier a assuré la victoire de la révolution sur ses ennemis de l’intérieur et de l’extérieur pen¬dant la période la plus critique de son existence tandis qu’en Russie c’est sous la direction de Lénine que ce travail fut accompli. Staline n’est venu au premier plan qu’après la fin de cette période. Il est la vivante incarnation d’un Thermidor bureaucratique. Entre ses mains, la terreur a été et reste avant tout un instrument pour écraser le parti, les syndicats et les soviets et pour instaurer une dictature personnelle à laquelle il ne manque que... la couronne impériale. La terreur, qui a rempli sa mission révolutionnaire et est devenue un instrument des usurpateurs pour leur propre préservation se transforme ainsi en une « absurdité » pour employer l’expression d’Engels. Dans le langage de la dialectique, cela signifie qu’elle est vouée à un effondrement inévitable.
Les atrocités insensées qui ont été engendrées par les méthodes bureaucratiques de collectivisation comme les lâches représailles et les violences exercées contre les meilleurs élé¬ments de l’avant-garde prolétarienne provoquent inévitablement l’exaspération, la haine, le désir de vengeance. Cette atmosphère engendre chez les jeunes des tendances au terrorisme individuel. Le petit Bonaparte ukrainien S. Kossior [11], célèbre pour son impudence, a dit il n’y a pas longtemps que « Trotsky appelle dans la presse à assassiner les dirigeants soviétiques », alors que Zinoviev et Kamenev - comme cela a été prouvé, à ce qu’il dit, par l’affaire Enoukidzé - ont participé directement à la préparation de l’assassinat de Kirov. Comme tout un chacun qui a accès aux écrits de Trotsky peut facilement vérifier s’il a ou non appelé à « assassiner les dirigeants soviétiques » - si toutefois l’on admet qu’il puisse exister des adultes qui aient besoin de vérifier pareilles inepties - cela jette une lumière suffisante sur la seconde partie du mensonge de Kossior, celle qui a trait à Zinoviev et Kamenev. Nous ignorons si l’on est en train aujourd’hui de fabriquer quelque document frauduleux avec l’aide de « consuls lettons » ou d’ « officiers de Wrangel » [12]. Les Kossior du régime bonapartiste peuvent encore traquer, étrangler et fusiller bien des révolutionnaires irrépro¬chables, mais cela ne changera pas l’essentiel : leur terreur est une absurdité historique. Elle sera balayée avec ses organisa¬teurs.
Appelons-nous à assassiner les dirigeants soviétiques ? Si les bureaucrates, qui se sont déifiés eux-mêmes, s’imaginent sincèrement qu’ils font l’histoire, pour notre part, nous ne partageons absolument pas cette illusion. Staline n’a pas créé l’appareil, c’est l’appareil qui a créé Staline - à sa propre image. Le remplacement de Kirov par Jdanov n’a absolu¬ment rien changé à la nature des choses. Contrairement aux « biens de consommation », il existe un assortiment illimité de Kossior : ils se distinguent les uns des autres par un ou deux centimètres de hauteur et quelques-uns de largeur. C’est tout ! Pour le reste, ils se ressemblent autant que leurs dithyrambes respectifs de Staline. Le remplacement de Staline lui-même par des Kaganovitch amènerait aussi peu de nouveauté que le remplacement de Kirov par Jdanov. Mais un Kaganovitch aurait-il assez d’ « autorité » ? Ne vous inquiétez pas : tous les Kossior, - le premier, le quinzième comme le mille et unième - lui procureraient tout de suite l’autorité nécessaire au moyen de la chaîne bureaucratique exactement comme ils ont créé l’« autorité » de Staline, c’est-à-dire leur « autorité », leur règne incontrôlé.
C’est pourquoi la terreur individuelle nous apparaît à ce point pitoyable et impuissante. Non, nous n’avons pas oublié l’A B C du marxisme. Non seulement le destin de la bureau¬cratie soviétique, mais aussi le destin du régime soviétique dans son ensemble dépendent de facteurs d’une envergure historique mondiale. Seuls des succès du prolétariat international peuvent ,rendre au prolétariat soviétique sa confiance en soi. La condi¬tion fondamentale de la victoire de la révolution est l’unification de l’avant-garde prolétarienne mondiale autour du drapeau de la IVº Internationale. La lutte pour ce drapeau doit être égale¬ment menée en U.R.S.S. avec prudence, mais avec intransi¬geance. L’absurdité historique d’une bureaucratie autocratique dans une société « sans classes » ne peut pas durer et ne durera pas éternellement. Le prolétariat qui a accompli trois révolu¬tions redressera une fois de plus la tête. Mais l’ « absurdité » bureaucratique ne va-t-elle pas résister ? Le prolétariat trouvera un balai assez grand. Et nous l’aiderons.
Notes
[1] A. TAROV était le pseudonyme d’un ouvrier arménien, ancien officier de l’Armée rouge, Arpen TAVITIAN ou DAVITIAN, (1892-1944), dit également MANOUKIAN, qui venait de s’évader d’U.R.S.S. et se trouvait en Iran d’où il avait adressé au Biulleten un premier témoignage.
[2] Trotsky fait allusion à l’épisode du « comité syndical anglo-russe ». Walter Citrine était devenu Sir Walter, en récompense de ses bons et loyaux services, au lendemain de la dissolution de ce comité.
[3] A l’époque de la deuxième révolution chinoise, Staline, Molotov et Boukharine étaient les dirigeants de l’I.C.
[4] Chang Kaï-chek, chef de l’armée nationaliste du gouvernement de Canton et véritable patron du Kuomintang était, comme la plupart de ses officiers, lié à la classe des propriétaires fonciers, directement menacés par la révolution à la campagne.
[5] Les paragraphes ci-dessus constituent un résumé des positions défendues depuis 1923 par l’Opposition de gauche russe.
[6] C’est en 1928 que la masse des militants de l’Opposition de gauche avaient été arrêtés, certains condamnés à la prison et la majo¬rité d’entre eux déportés.
[7] Cf. Œuvres 5, janvier-juin 1935, p. 351.
[8] Trotsky fait allusion au massacre des cadres des S.A. - dont leur chef d’état-major Ernst Röhm - et de l’aile « plébéienne » du parti nazi, pendant la « Nuit des Longs Couteaux » du 30 juin 1934.
[9] L’expression du texte original russe est anglaise : « elbow ¬room ». (N.d.T.)
[10] Maximilien de ROBESPIERRE (1758-1795) dirigea le Comité de Salut public - gouvernement révolutionnaire - en France de juillet 1793 à 1794 et prolongea la Terreur, même après avoir assuré la situation militaire qui l’avait initialement justifiée.
[11] Stanislas V. Kossior (1889-1938), stalinien de choc, avait joué un rôle important dans l’élimination de l’Opposition de gauche en Ukraine et avait une réputation de férocité. Son frère, Vladimir V. Kossior (1891-1938), métallo, membre de l’Opposition de gauche, était en prison depuis 1928.
[12] Le « consul étranger » - vraisemblablement le consul de Lettonie Georg BISSENIEKS (1885-194 ?) - avait été introduit par le G.P.U. dans les « aveux » de Nikolaiev, l’assassin de Kirov, afin de « démontrer » qu’il existait un lien entre Trotsky et les terroristes. Trotsky avait démontré que le « consul » ne pouvait être qu’un agent du G.P.U. L’« officier de Wrangel » était un autre agent du G.P.U., Stroilov, ancien officier de l’armée blanche pendant la guerre, qui avait proposé en 1927 ses services à un jeune militant de l’Opposition, Chtcherbakov, afin de « démontrer » que l’Opposition était liée aux Blancs.
Manoukian, Arménien du Caucase, membre du Parti bolchevik (1917) ; oppositionnel trotskyste, exclu, puis emprisonné et déporté ; évadé, collaborateur à Paris de Léon Sedov ; combattant des FTP-MOI, fusillé.
Armenak Manoukian serait né le 7 novembre 1898 à Chouchi au Karabagh (Arménie) suivant les papiers en sa possession. Mais il est douteux que ces indications figurant sur de fausses pièces d’identité qui lui avaient été délivrées en 1937 pour le soustraire, autant que possible, aux recherches du Guépéou, soient exactes. D’après Diran Vosguiritchian (dans son livre, Les Mémoires d’un franc-tireur), ami et confident de Dav’tian, qui rencontra sa famille en Arménie soviétique, il serait né le 5 novembre 1895 à Alégouchen (aujourd’hui Azadachen) au Zanguezour. Son père était maçon et lui-même travailla dès l’âge de quatorze ans à Tiflis (Géorgie) comme mécanicien, puis comme typographe. Selon Vosguiritchian, il aurait fait de pair des études et réussi l’examen d’entrée au séminaire Nercissian. Dav’tian entra au Parti bolchevik de Géorgie en 1917. Il combattit en 1918 dans une brigade de gardes rouges pour la défense de la commune de Bakou et aurait été blessé trois fois. Fait prisonnier par les troupes anglaises qui s’emparèrent de la ville en août, il put s’échapper et se réfugia en Perse, à Téhéran. Revenu combattre tour à tour en Azerbaïdjan et en Arménie, il participa probablement à l’insurrection bolchevique avortée en Arménie, en mai 1920. Il fut promu officier, commissaire politique la même année, après un court stage à l’école militaire rouge Chaoumian à Bakou. Ce fut comme commissaire politique d’une brigade qu’il se rendit avec son unité, à la rencontre de la XIe Armée rouge qui pénétra dans Érévan (Arménie) le 2 avril 1921. Il passa alors dans l’appareil du parti, en tant qu’instructeur-organisateur auprès du Comité central d’Arménie, de Géorgie et d’Azerbaïdjan. En 1923, il fut envoyé à Tiflis à l’université communiste de Transcaucasie, mais en fut exclu au cours de sa troisième année, en 1925, comme oppositionnel de gauche. Renvoyé en Arménie, Dav’tian y occupa des fonctions de responsable de l’agit-prop et de secrétaire d’un comité de district puis de secrétaire de la section de presse du Comité central et, enfin, au plan syndical, de président du comité ouvrier de la construction des chemins de fer. La lutte contre l’opposition battit son plein en juillet-août 1927 à Érévan, et Dav’tian, qui en fut l’un des porte-parole, fut exclu du parti à la fin de l’année.
Arrêté le 24 septembre 1928 avec de nombreux militants arméniens, transporté à Tiflis, il fut déporté fin décembre dans le Kazakhstan, à Akmolinsk. Dans la nuit du 22 janvier 1931, toute la colonie bolchevik-léniniste fut transférée dans la prison de Petropavlosk. Condamné à trois ans de prison, Dav’tian fut transporté six mois après dans l’isolateur de Verkné-Ouralsk, où il s’inséra dans le collectif bolchevik-léniniste et participa en décembre 1933 à la grève de la faim qui dura dix-huit jours. À l’expiration de sa peine, il fut relégué le 22 janvier 1934 en Asie centrale, à Andijan. S’inspirant de l’exemple de Rakovsky, il adressa en mars un télégramme au Comité central du parti, à Moscou, offrant de cesser son activité oppositionnelle en vue de faire front dans la lutte contre la réaction fasciste et d’être réintégré dans le parti à cet effet. Ce message, explicité par une lettre en avril, demeura sans réponse. N’entendant pas abjurer ses convictions et souscrire à une déclaration qualifiant ses opinions de contre-révolutionnaires comme le lui suggérèrent les fonctionnaires du Guépéou ni, à plus forte raison, à pratiquer la délation, il se sentit piégé car ses compagnons d’exil commençaient à le considérer avec suspicion. Il choisit dans ces conditions de s’évader, songeant d’abord à se rendre à Moscou pour s’expliquer, puis devant l’irréalisme d’une telle tentative, il décida de passer à l’étranger. Il s’enfuit d’Andijan le 30 juin 1934 et franchit la frontière perse le 18 juillet. Aussitôt arrêté par les gardes-frontière perses, détenu à Tabriz jusqu’en septembre, il vécut dans cette ville dans un complet dénuement et dans une situation légale précaire. Il avait alors déjà fait sienne l’identité de Manoukian.
Découvrant en 1935 des publications menchéviks éditées à Paris, Dav’tian réussit enfin, en été, à établir par cet intermédiaire le contact avec Léon Sedov. Il adressa à celui-ci l’Appel au prolétariat mondial, daté du 4 août, signé Tarov, son pseudonyme d’alors. Ce document relata son expérience et alerta l’opinion publique sur le sort des prisonniers politiques détenus en URSS. Il fut diffusé par la presse trotskyste internationale accompagné d’un commentaire de Trotsky.
À l’initiative de Trotsky et de Sedov, un « fonds Tarov » fut créé et alimenté par une souscription internationale, pour lui venir en aide et payer son voyage en Europe. Il fallut près de deux ans pour réunir la somme nécessaire et régler la question du visa, puisqu’il n’arriva à Marseille que le 22 mai 1937 et à Paris le 25. Il fut hébergé à Maisons-Alfort chez les militants ouvriers Roland et Yvonne Filiâtre, et il passa une partie de l’été chez Alfred et Marguerite Rosmer dans leur grange de Périgny-sur-Yerres. Le 12 juin 1937, il fut entendu par la commission d’enquête parisienne sur les procès de Moscou et sa déposition, reproduite dans la presse trotskyste, fit une forte impression. Il eut des contacts suivis avec Léon Sedov et participa au groupe russe animé par celui-ci. Les relations n’y furent pas des plus faciles en raison, sans doute, des agissements de l’agent du Guépéou infiltré, Zborowski, proche collaborateur de Sedov. Il y eut un litige au sujet du manuscrit volumineux des mémoires de Dav’tian, intitulées Dans les prisons du Thermidor russe, écrites à Tabriz. Zborowski accumula les objections pour en rendre impossible la publication. La coupure avec le groupe russe devint entière après le décès de Sedov, dans des conditions peu claires, le 16 février 1938. Dav’tian s’en plaignit dans une lettre à Trotsky du 9 juillet, laissant entendre que le malaise était dû à la présence « d’un élément étranger qui s’est introduit dans notre milieu », ce qui semblait viser Zborowski.
Au printemps 1939 parut, enfin, une brochure imprimée en français (traduite du russe), signée Tarov, présentée comme une « contribution à la critique du programme d’action de la IVe Internationale » et intitulée Le Problème est : viser juste. Domiciliée à l’adresse du Parti socialiste ouvrier et paysan de Pivert, rue de Rochechouart, elle fut réalisée avec l’aide de Georges Servois du syndicat des correcteurs. Ce pamphlet « gauchiste » présentait comme entachée de réformisme la lutte pour les revendications immédiates des travailleurs et pour les objectifs de transition, et préconisait le combat direct pour la prise du pouvoir. Il se réclamait de l’orthodoxie trotskyste. Des proches de la Révolution prolétarienne – à laquelle se rattachait aussi Servois – trouvèrent un emploi à Dav’tian à l’Association des ouvriers en instruments de précision, entreprise coopérative du XIIIe arrondissement, où il travailla du 20 décembre 1937 au 30 mars 1940. Dès qu’il eut trouvé ce travail, il s’installa dans un hôtel de l’avenue Daumesnil. Il fit de rapides progrès en français, bien qu’il eût un fort accent.
Ressentant la menace qui, à terme, pesait sur l’URSS au début de la guerre, et vivant dans un isolement accru, Dav’tian prit contact avec des communistes arméniens. Il alla travailler en Allemagne, où il aurait séjourné du 14 janvier 1941 au 26 mars 1942 obéissant alors à une consigne communiste. Ce fut du moins ce qu’il déclara à Servois avant son départ, en lui confiant la garde de ses documents politiques dont, vraisemblablement, le manuscrit de ses mémoires. Malheureusement, Servois les détruisit en découvrant sur les murs « l’affiche rouge » du groupe Manouchian. Ce fut après son retour que Dav’tian se lia à Manouchian et que s’établirent entre eux des liens d’estime et de confiance. Mélinée Manouchian se souvient que « Manouche » lui présenta Dav’tian en 1942, dans un café, en disant : « Il est avec nous. » Elle pense qu’il voulait connaître l’impression que lui produisait cette nouvelle recrue. Elle ajoute que Manouchian savait qu’il était anti-stalinien et qu’il s’était enfui d’URSS. Dav’tian ne pouvait dissimuler son passé à ses compatriotes, tout en édulcorant, peut-être, certains aspects. Manouchian prit sur lui d’intégrer Dav’tian dans le groupe arménien de la MOI et de le faire venir ensuite dans le premier détachement des Francs-tireurs et partisans (FTP) où il fut admis en juillet 1943 avec le matricule 10 050 sous le pseudonyme d’André par le responsable politique des effectifs Abraham Lissner. En corrélation, peut-être, avec ce cas très particulier, la direction du PCF aurait été avisée en août 1943 par une note écrite de la section des cadres que Manouchian était de tendance trotskyste, selon Auguste Lecœur (Est-Ouest, juillet-août 1985). Il pourrait s’agir simplement d’une confusion de noms entre Manouchian et Manoukian.
Dav’tian fut engagé dans la nuit du 12 au 13 août 1943 dans une opération de déraillement sur la ligne Paris-Verdun, à proximité de Chalons-sur-Marne, conduite par Bosczov. Il jeta une grenade sur un camion rempli de soldats allemands, le 28 août, à la sortie des usines Renault à Boulogne-Billancourt, couvert par ses camarades FTP arméniens. Il fut blessé dans l’opération suivante qui échoua, visant à abattre le 5 octobre Gaston Bruneton, directeur de la main-d’œuvre française en Allemagne, devant l’École des mines, boulevard Saint-Michel. L’opération fut dirigée par le Roumain Alexandre Jar avec quatre autres partisans qui ne semblaient pas bien se connaître. Au cours du repli, l’un des FTP tira par mégarde et atteignit Dav’tian au bras gauche et à la hanche, alors qu’il s’apprêtait à rendre son arme à Olga Bancic, avenue de l’Observatoire. Son camarade Vosguiritchian lui sauva la vie ce jour-là réussissant à le soutenir et à le mener chez un médecin arménien, puis à la clinique Alésia où eut lieu l’opération. Le lendemain, Arménouhi Assadourian, la sœur de Mélinée, recueillit Dav’tian chez elle. Puis on l’installa à proximité dans une chambre d’hôtel de la rue des Gravilliers, cédée par Henri Karayan, jeune FTP arménien. Pendant près de six semaines, Mélinée lui apporta chaque jour nourriture, médicaments et renouvela les pansements ; ils purent converser longuement en toute confiance. Dav’tian parla ouvertement de son passé trotskyste et voua une immense reconnaissance à Mélinée.
La Brigade spéciale no 2 des Renseignements généraux l’arrêta le 19 novembre, à son domicile, 200 rue de Belleville. Il aurait pu échapper aux arrestations si, malgré l’insistance de Mélinée, n’étant pas entièrement rétabli, il n’avait quitté prématurément l’hôtel. La police découvrit au cours des premières arrestations la facture de la clinique Alésia où Dav’tian avait décliné son nom et son adresse. Les médecins furent également arrêtés et inquiétés. « Il faut penser également à Manoukian qui meurt avec moi », écrivit Manouchian à la sœur de Mélinée, deux heures avant son exécution, soulignant son attachement à ce compagnon. Sur la tombe de Dav’tian au cimetière d’Ivry, dans le carré réservé aux membres du « groupe Manouchian » fusillés le 21 février 1944, se trouve une plaque de la République socialiste d’Arménie portant la mention : « Tes camarades de combat qui ne t’oublieront jamais ». Dav’tian aurait été réhabilité en Arménie, ainsi que sa femme et sa fille, qui avaient été déchues de leurs droits civils.
Source : https://fusilles-40-44.maitron.fr/?article73527&id_mot=4295