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Quand les dirigeants antitrotskystes de l’URSS lançaient la prétendue « bolchevisation » des partis communistes
lundi 9 décembre 2024, par
Quand les dirigeants antitrotskystes de l’URSS lançaient la prétendue « bolchevisation » des partis communistes, transformant l’Internationale communiste en une succursale de la bureaucratie du Kremlin stalinien
En 1921, Lénine avait combattu contre les « thèses sur la structure, les méthodes et l’action des partis communistes » :
https://www.marxists.org/francais/inter_com/1921/ic3_04.htm
Il leur reprochait d’ « être trop russes », c’est-à-dire de présenter le parti bolchevik comme un exemple (alors que la Russie ne lui semblait pas devoir être en avance sur le monde dès lors qu’une autre révolution triompherait dans un pays avancé) et de calquer les autres partis sur ce prétendu exemple…
Lénine déclare au IVème congrès de l’Internationale communiste :
« En 1921, au IIIe Congrès, nous avons voté une résolution (Note : une résolution rédigée par Zinoviev) sur la structure organique des Partis communistes, ainsi que sur les méthodes et le contenu de leur travail. Texte excellent, mais essentiellement russe, ou presque, c’est-à-dire que tout y est tiré des conditions de vie russes. C’est là son bon mais aussi son mauvais côté. Son mauvais côté, parce que je suis persuadé que presque aucun étranger ne peut la lire ; avant de dire cela j’ai relu cette résolution : premièrement, elle est trop longue : 50 paragraphes ou plus. Les étrangers, d’ordinaire, ne peuvent aller jusqu’au bout de pareils textes. Deuxièmement, même s’ils la lisaient, pas un de ces étrangers ne la comprendrait, précisément parce qu’elle est trop russe. Non parce qu’elle a été écrite en russe, — on l’a fort bien traduite dans toutes les langues, — mais parce qu’elle est entièrement imprégnée de l’esprit russe. Et, troisièmement, si même quelque étranger, par exception, la comprenait, il ne pourrait l’appliquer. C’est là son troisième défaut. Je me suis entretenu avec quelques délégués venus ici, et j’espère, au cours du Congrès, sans y prendre part personnellement, — à mon grand regret, cela m’est impossible, — du moins causer de façon détaillée avec un grand nombre de délégués de différents pays. J’ai eu l’impression qu’avec cette résolution, nous avons commis une faute grave, nous coupant nous-mêmes le chemin vers de nouveaux progrès. Comme je l’ai dit, le texte est fort bien rédigé, et je souscris à tous ses 50 paragraphes ou plus. Mais nous n’avons pas compris comment il fallait présenter aux étrangers notre expérience russe. Tout ce qui est dit dans la résolution est resté lettre morte. Or, à moins de comprendre cela, nous ne pourrons aller de l’avant. J’estime que le plus important pour nous tous, tant pour les Russes que pour les camarades étrangers, c’est que, après cinq ans de révolution russe, nous devons nous instruire. C’est maintenant seulement que nous pouvons le faire. Je ne sais combien de temps nous aurons cette possibilité. Je ne sais combien de temps les puissances capitalistes nous laisseront étudier tranquillement. Mais chaque instant libre, à l’abri des batailles, de la guerre, nous devons l’utiliser pour étudier, et cela par le commencement.
Tout le Parti et toutes les couches de la population de la Russie le prouvent par leur soif de savoir. Cette aspiration montre que la tâche la plus importante pour nous, aujourd’hui, est de nous instruire, encore et toujours. Mais les camarades étrangers, eux aussi, doivent apprendre, non pas dans le même sens que nous, c’est-à-dire à lire, à écrire et à comprendre ce que nous avons lu, — ce dont nous avons encore besoin. On discute pour savoir si cela se rapporte à la culture prolétarienne ou bourgeoise. Je laisse cette question en suspens. Une chose, en tout cas, est certaine : il nous faut, avant tout, apprendre à lire, à écrire et à comprendre ce que nous avons lu. Les étrangers, eux, n’en ont pas besoin. Il leur faut quelque chose de plus élevé : notamment, et avant tout, comprendre aussi ce que nous avons écrit sur la structure organique des Partis communistes, et que les camarades étrangers ont signé sans lire ni comprendre. Telle doit être leur première tâche. Il faut appliquer cette résolution. On ne peut le faire en une nuit, c’est absolument impossible. Cette résolution est trop russe : elle traduit l’expérience de la Russie. Aussi est-elle tout à fait incompréhensible pour les étrangers ; ils ne peuvent se contenter de l’accrocher dans un coin, comme une icône, et de l’adorer. On n’arrivera à rien de cette façon. Ils doivent assimiler une bonne tranche d’expérience russe. Comment cela se passera, je l’ignore. Peut-être que les fascistes d’Italie, par exemple, nous rendront un signalé service en montrant aux Italiens qu’ils ne sont pas encore suffisamment éclairés et que leur pays n’est pas encore garanti des Cent-Noirs2 ? Cela sera, peut-être, très utile. Nous autres, Russes, devons aussi rechercher les moyens d’expliquer aux étrangers les principes de cette résolution. Sinon, ils seront absolument incapables de la mettre en œuvre. Je suis persuadé que nous devons dire, à cet égard, non seulement aux Russes, mais aussi aux camarades étrangers, que le plus important, dans la période qui vient, c’est l’étude. Nous, nous étudions dans le sens général du terme. Ils doivent, eux, étudier dans un sens particulier, pour comprendre réellement l’organisation, la structure, la méthode et le contenu de l’action révolutionnaire. Si cela se fait, je suis persuadé qu’alors les perspectives de la révolution mondiale seront non seulement bonnes, mais excellentes. »
https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1922/11/4cic/vil19221113.htm
Trotsky écrivait : « Lénine et nous avec lui, nous redoutions, avant tout, que le Parti communiste russe, disposant des puissantes ressources d’un État, n’exerçât une influence excessive, écrasante, sur les jeunes partis d’Occident qui venaient de s’organiser. Lénine, sans se lasser, multipliait les mises en garde contre un accroissement prématuré du centralisme, contre toute avance exagérée du Comité exécutif et du Présidium dans cette voie, et surtout contre des formes et méthodes d’assistance qui se transformeraient en commandement direct, n’admettant aucun recours en appel.
La rupture se produisit en 1924, sous le nom de " bolchevisation ". Si l’on entend, par bolchevisation, l’épuration du parti par l’élimination d’éléments et d’habitudes hétérogènes, celle des fonctionnaires sociaux-démocrates accrochés à leurs postes, des francs-maçons, des démocrates-pacifistes, des confusionnistes spiritualistes, etc., alors cette besogne s’accomplit dès le premier jour de l’existence de l’Internationale communiste ; lors du IVe Congrès, elle prit des formes très actives à l’égard du Parti communiste français. Mais cette bolchevisation véritable se liait indissolublement, autrefois, à l’expérience propre des sections nationales de l’Internationale communiste et s’étendait à partir de cette expérience ; elle avait comme pierre de touche les questions de politique nationale, qui s’élevaient jusqu’à devenir des problèmes internationaux. La " bolchevisation " de 1924 ne fut qu’une caricature ; on mit le revolver sur la tempe des organisations dirigeantes des partis communistes, en exigeant d’elles que, sans informations ni débats, elles prissent immédiatement et définitivement position sur les divergences internes du Parti communiste de l’U.R.S.S. ; elles savaient d’avance que les positions prises détermineraient leur maintien dans l’Internationale communiste ou leur rejet hors de ses rangs.
Pourtant, en 1924, les partis communistes européens n’avaient pas les moyens de résoudre les problèmes qui étaient posés dans la discussion russe, où s’ébauchaient à peine dans la nouvelle étape de la dictature du prolétariat deux tendances de principe. Il est évident qu’après 1924, le travail d’épuration demeurait indispensable, et, dans de nombreuses sections, des éléments hétérogènes furent éliminés à juste titre. Mais, considérée dans son ensemble, la " bolchevisation " consistait chaque fois à désorganiser les directions qui se formaient dans les partis communistes occidentaux, en utilisant comme un coin les différends russes que l’appareil d’État enfonçait à coups de marteau. Tout cela se dissimulait sous l’étendard de la lutte contre l’esprit de fraction.
Quand, au sein du parti de l’avant-garde prolétarienne, des fractions viennent à se cristalliser, menaçant de le rendre pour longtemps inapte au combat, il est évident que le parti est dans la nécessité de prendre une décision : faut-il laisser au temps la possibilité d’opérer une vérification supplémentaire, ou bien faut-il reconnaître immédiatement que la scission est inévitable ? Un parti de combat ne peut être une somme de fractions tirant à hue et à dia. Sous sa forme générale cette idée est incontestable. Mais user de la scission comme d’un moyen préventif contre les divergences de vues, amputer tout groupe ou groupement qui fait entendre la voix de la critique, c’est transformer la vie intérieure du parti en une succession d’avortements dans l’organisation. De telles, méthodes, loin de contribuer à la perpétuation et au développement de l’espèce, ne font qu’épuiser l’organisme générateur, c’est-à-dire le parti. La lutte contre l’esprit de fraction devient plus dangereuse que cet esprit lui-même.
A l’heure actuelle, les premiers fondateurs de presque tous les partis communistes du monde ont été mis en dehors de l’Internationale, sans excepter son ex-président. Dans presque tous les partis, les groupes qui en guidèrent le développement pendant deux périodes consécutives sont exclus ou mis à l’écart. En Allemagne, le groupe Brandler n’a maintenant qu’un pied dans le parti ; le groupe Maslow n’a pas franchi son seuil. En France, les anciens groupes de Rosmer-Monatte, Loriot, Souvarine, ont été exclus ; il en va de même pour le groupe Girault-Treint, qui occupa la direction pendant la période suivante. En Belgique, on a exclu le groupe de Van Overstraeten. Si le groupe de Bordiga, qui donna naissance au Parti communiste italien, n’est qu’à moitié exclu, cela s’explique par les conditions du régime fasciste. En Tchécoslovaquie, en Suède, en Norvège, aux États-Unis, en un mot dans presque tous les partis du monde, des événements plus ou moins analogues se sont produits depuis la mort de Lénine. (…)
Le choix des dirigeants des partis communistes étrangers s’est fait et se fait encore d’après leurs aptitudes à accepter et approuver le plus récent regroupement dans l’appareil du Parti communiste de l’U.R.S.S. Ceux d’entre eux qui avaient le plus d’indépendance et de sens des responsabilités, ceux qui n’acceptaient pas de se soumettre à des changements effectués de façon strictement administrative, tous ceux-là furent expulsés du parti, ou bien furent acculés à entrer dans l’aile droite (souvent prétendument de droite), ou bien passèrent dans l’Opposition de gauche. Ainsi, le processus organique de la sélection, qui permet la cohésion des cadres révolutionnaires sur la base de la lutte prolétarienne, parce qu’il est dirigé par l’Internationale communiste, est interrompu, modifié, défiguré ; on lui substitue parfois ouvertement un triage administratif et bureaucratique opéré au sommet. On comprend que les communistes les plus disposés à accepter des décisions prises à l’avance et à signer n’importe quoi l’aient souvent emporté sur des éléments qui possèdent à un plus haut degré l’esprit de parti et le sentiment de la responsabilité révolutionnaire. Le plus souvent, au lieu de choisir des révolutionnaires stoïques et rigoureux, on sélectionna ceux qui en bons bureaucrates savaient s’adapter. (…)
Parmi les gens qui, au cours de cette dernière période, dirigent l’action de l’Internationale du fond du Bureau de l’Exécutif, le représentant du Parti communiste tchécoslovaque, Sméral, devenu lui aussi un des chevaliers inexorables du néo-bolchevisme, n’occupe pas le dernier rang. Sméral et l’inexorabilité, c’est comme Tartuffe et la sincérité, ou Shylock [2] et le désintéressement. Sméral est passé par la forte école autrichienne ; s’il se distingue du type austro-marxiste, il ne s’en distingue que pour n’être jamais arrivé jusqu’à sa hauteur. Dans l’ancienne social-démocratie tchèque, Sméral était dans une demi-opposition d’une nature d’autant plus difficile à saisir que ses " idées " donnaient toujours l’impression d’une tache d’huile s’élargissant. On peut dire qu’au social-nationalisme tchèque de Nemets et tutti quanti, Sméral opposait un étatisme impérialiste austro-hongrois, inspiré de Renner, avec en moins les connaissances et le talent de celui-ci. La République tchèque s’est cependant réalisée, non comme le fruit de la politique de Kramarj, Benès et Nemets, mais comme le produit bâtard de l’action de l’impérialisme anglo-français. Quoi qu’il en soit, la Tchécoslovaquie fit son apparition et l’Austro-Hongrois Sméral échoua dans une impasse politique. Où aller ? Nombreux étaient les ouvriers qui, au début, se laissèrent griser par l’étatisme tchécoslovaque. Plus nombreux encore étaient ceux dont le cœur battait pour la Russie d’Octobre. Mais il n’en existait pas un qui s’attristât sur l’Empire austro-hongrois. Sur ces entrefaites, Sméral fit son pèlerinage à Moscou. Je me souviens comment je découvris à Lénine le mécanisme psychologique du bolchevisme de Sméral. Lénine répétait avec un sourire qui en disait long : " C’est probable… savez-vous, c’est très probable. Il nous en viendra maintenant beaucoup comme cela. Il faut ouvrir l’œil. Il faut les contrôler à chaque pas. " Sméral était profondément convaincu que le fait de changer le nom du parti tchèque en Parti communiste épuisait la question. Somme toute, il fit de son côté tout ce qu’il put pour justifier par la suite le mot d’Otto Bauer sur les deux bons partis sociaux-démocrates d’Europe : la social-démocratie autrichienne et le Parti communiste tchèque. La " journée rouge " de cette année a montré, avec un tragique éclat, que cinq années de " bolchevisation " zinovieviste, boukharinienne, stalinienne et sméralienne n’ont rien, absolument rien donné au parti, c’est-à-dire en premier lieu, à sa direction. Mais, en revanche, Sméral a pris racine. Plus la direction de l’Internationale a, idéologiquement, baissé, plus Sméral a monté. Ce genre d’éléments constitue un excellent baromètre politique. Inutile de dire que pour ce " bolchevik " patenté, nous, oppositionnels, ne sommes que des opportunistes jurés. Mais les ouvriers tchèques doivent bien se dire que jamais Sméral ne les conduira à la conquête du pouvoir. »
https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/ical/ical2212.html
Au 5e Congrès de l’Internationale communiste, en juillet 1924, Zinoviev, épanoui, s’écriait : “ Nous avons réalisé la “ bolchévisation ” à cent pour cent. ” Il croyait son règne assuré. Au faîte du triomphe personnel, il ne pouvait concevoir que le plus obscur des triumvirs le dominerait en l’espace de deux années et le ferait abattre d’une balle dans la nuque dix ans plus tard dans les caves de la Loubianka.
Les thèses de Zinoviev sur la bolchevisation des partis communistes
Lire aussi Zinoviev dans « Les cahiers du bolchevisme »
L’une des conséquences de plus longue portée du XIIIe congrès du parti russe se trouve dans la profonde transformation de l’Internationale et de ses partis, connue sous le nom de « bolchevisation ». Trotsky, pour les communistes étrangers, est un dirigeant prestigieux, beaucoup plus que Zinoviev, pourtant président de l’Internationale – pour ne pas parler de Staline, pratiquement inconnu dans tous les partis communistes de l’époque.
Il semble que l’éventualité d’une « mutinerie », voire d’une simple fronde de la part de partis étrangers, prenant parti pour Trotsky contre les autres dirigeants russes, ait à l’époque terrorisé Zinoviev et ses alliés. Leur charge se déchaîne aussitôt contre tout dirigeant d’une section de l’I.C. soupçonné de sympathie, même platonique, pour Trotsky et l’Opposition.
Au cours de l’assemblée générale des militants de Moscou du 11 décembre 1923, Karl Radek mentionne au passage le fait que les directions des partis français, allemand et polonais ont manifesté de la sympathie pour Trotsky et les Quarante-six [48].
Dans un premier temps, la direction zinoviéviste de l’Internationale se déchaîne contre Brandler, qu’elle associe à Radek pour en faire le bouc émissaire du fiasco allemand d’octobre 1923. Au présidium de l’I.C., le 12 janvier 1924, Zinoviev prononce un véritable réquisitoire contre Brandler et Radek, qu’il répète à la XIIIe conférence du parti russe [49]. Les deux hommes sont, selon lui, coupables d’« opportunisme de droite » et ont tenté d’introduire dans l’Internationale les luttes fractionnelles, défigurant et dénaturant dans son application la politique révolutionnaire décidée par l’Internationale. Effrayés, Brandler et son conseiller Thalheimer se démarquent publiquement de Trotsky, clament leur accord avec Zinoviev : il n’y aura pratiquement pas un seul partisan de l’Opposition de 1923 dans le K.P.D...
La direction du parti polonais est d’une autre trempe. Au début de décembre 1923, son comité central vote un texte qui déclare notamment :
« Le point central dans la crise actuelle à l’intérieur du parti communiste russe consiste dans les divergences d’opinion entre sa majorité et le camarade Trotsky. Nous savons que ces divergences sont liées à des problèmes complexes de la construction du socialisme, et nous ne sommes pas en mesure de juger de ce qui concerne la politique économique. Une seule chose est claire pour nous : le nom du camarade Trotsky est pour notre parti, pour toute l’Internationale, pour l’ensemble du prolétariat révolutionnaire mondial, indissolublement lié à la révolution d’Octobre victorieuse, l’Armée rouge, le communisme et la révolution mondiale.
« Nous ne pouvons admettre la possibilité que le camarade Trotsky puisse se trouver hors des rangs de la direction du parti communiste russe et de l’Internationale. Nous sommes cependant inquiets à l’idée que les discussions puissent dépasser le cadre des problèmes concrets en discussion et quelques déclarations publiques de dirigeants responsables du parti justifient les pires inquiétudes [50]. »
Au présidium de l’I.C., en janvier, le représentant du Parti communiste polonais, Edward Prochniak regrette le mutisme de l’exécutif dans la question de ses propres responsabilités dans la défaite allemande. Il lance un avertissement :
« Depuis que Lénine, le dirigeant le plus important du prolétariat révolutionnaire mondial ne prend plus part à la direction de l’Internationale, et depuis que l’autorité de Trotsky, dirigeant reconnu du prolétariat révolutionnaire mondial, a été mise en question par le parti communiste russe, il existe le danger que l’autorité de la direction de l’Internationale communiste soit ébranlée [...]. Nous considérons que l’accusation d’opportunisme portée contre Radek, un des dirigeants les plus éminents, est non seulement injuste, mais au plus haut degré dommageable pour l’autorité des dirigeants de l’Internationale [...]. Les divergences entre les dirigeants les plus connus de l’Internationale communiste dans l’appréciation de la question allemande sont du type de celles qui sont inévitables dans un parti révolutionnaire vivant [51]. »
Au Ve congrès de l’Internationale communiste, les dirigeants du parti communiste russe, Staline en tête, débarquent dans la « commission polonaise » et y imposent la décision de révocation de l’ancienne direction, formée de Warski, Walecki et Wera Kostrzewa à qui Zinoviev s’est juré de « casser les reins ». Wera Kostrzewa, qui s’incline, comme les autres, parce qu’elle sait que les ouvriers polonais choisiraient l’Internationale contre leurs propres dirigeants, lance, elle aussi, un avertissement qui lui coûtera la vie :
« Nous sommes contre la création à l’intérieur du parti d’une atmosphère de lutte permanente, de tension, d’acharnement les uns contre les autres [...]. Je suis persuadée qu’avec votre système, vous allez discréditer tous les dirigeants du parti, les uns après les autres, et j’ai peur qu’au moment décisif, le prolétariat n’ait plus à sa tête d’hommes éprouvés. La direction de la révolution pourrait tomber entre les mains de carriéristes, de "chefs saisonniers" et d’aventuriers [52]. »
Alfred Rosmer décrit l’activité déployée par Zinoviev et son appareil sous le couvert de la « bolchevisation » décidée par le Ve congrès :
« Au moyen d’émissaires qu’il dépêchait dans toutes les sections, il supprimait dès avant le congrès toute opposition. Partout où des résistances se manifestaient, les moyens les plus variés étaient employés pour les réduire : c’était une guerre d’usure où les ouvriers étaient battus d’avance par les fonctionnaires qui, ayant tout loisir, imposaient d’interminables débats : de guerre lasse, tous ceux qui s’étaient permis une critique et qu’on accablait du poids de l’Internationale cédaient provisoirement ou s’en allaient [53]. »
Boris Souvarine, l’ancien représentant à Moscou du P.C.F., a publié en France une traduction du Cours nouveau et a défendu Trotsky et l’opposition au XIIIe congrès du parti russe : il est exclu. Après lui, Pierre Monatte et Alfred Rosmer, les deux anciens du noyau de la Vie ouvrière pendant la guerre sont exclus pour avoir protesté contre les conséquences de la politique de « bolchevisation » dans leur parti...
L’un des résultats de la prétendue « bolchevisation » est qu’il n’y eut aucune discussion sur le « fiasco » d’octobre 1923 en Allemagne dont il faut pourtant bien admettre qu’il posait à l’Internationale communiste les questions les plus fondamentales. L’Allemagne avait-elle connu une situation révolutionnaire à partir d’août 1923 ? Le bureau politique du parti russe et l’exécutif de l’Internationale avaient-ils eu raison de prévoir et de préparer l’insurrection en octobre ? La décision de battre en retraite après la conférence de Chemnitz était-elle fondée ?
La réponse, du fait de l’imbrication avec les luttes de tendance, ne pouvait guère émaner d’un tribunal objectif. Radek et Piatakov, partisans de Trotsky et des Quarante-six en Russie, avaient d’abord été sceptiques sur les chances de la révolution allemande, bien qu’ils n’aient pas été « au moins aussi sceptiques que Staline », comme l’assure Deutscher … Mais ils avaient préparé l’insurrection et aussi lancé le mot d’ordre de la retraite. Zinoviev, d’abord hésitant, avait approuvé le plan de marche élaboré par Trotsky mais aussi l’ordre de battre en retraite lancé par Brandler et Radek. Trotsky pensait au fond que les deux derniers n’avaient fait que boire le vin tiré par Staline et Zinoviev. Ces deux derniers, faisant de Radek et de Brandler des « trotskystes », firent d’une pierre deux coups en attribuant, en dernière analyse, à Trotsky l’échec d’une avancée révolutionnaire dont il avait été l’inspirateur et dont ils l’avaient empêché d’être l’exécutant. La « révolution allemande » de 1923 – dont l’idée même a été tournée en dérision par nombre d’historiens – est ainsi devenue un non-événement...
Les débats que nous venons de décrire avaient un goût de cendre pour les militants communistes – et il n’en manquait pas alors – aux yeux de qui la révolution allemande était un enjeu pour l’humanité entière, plus que pour les objectifs de boutique de l’appareil du P.C. russe. Pour Trotsky, ils avaient déjà un goût de mort.
Il était de nouveau à Soukhoum depuis quelques jours quand il reçut le 3 septembre 1924, par télégramme, l’annonce du suicide de son collaborateur Mikhail Salomonovitch Glazman, qui s’était tiré un coup de revolver en apprenant son exclusion du parti. Glazman était entré au Parti bolchevique en 1918. Secrétaire-sténographe de profession, il avait été l’un des hommes du train, des combattants au blouson de cuir. Militant révolutionnaire, travailleur infatigable, il avait pratiquement vécu trois ans auprès de Trotsky, n’abandonnant la plume du sténographe que pour empoigner le fusil. Il avait été également secrétaire du conseil militaire révolutionnaire.
Que lui reprochait-on qui ait pu expliquer une telle mesure ? Son travail auprès de Trotsky, la collaboration qu’il venait de lui donner pour l’édition de ses œuvres sur 1917, expliquaient qu’il fût persécuté, mais ne pouvaient à cette date constituer un motif avouable d’exclusion. Il est probable que la clé de cette énigme se trouve dans les archives du G.P.U. Des années plus tard, Trotsky évoque, à propos de Glazman, les jeunes révolutionnaires qui avaient eu une défaillance devant la police tsariste et que Staline et les siens, alors qu’ils avaient été blanchis, faisaient chanter : Glazman se serait donc suicidé pour échapper à un chantage qui exigeait de lui des accusations contre Trotsky. Nous ne savons rien de plus précis. Informé de son exclusion le 1er septembre 1924 en tout cas, Glazman se suicida le 2 septembre. Quand Trotsky signa sa nécrologie, le 6 septembre, le mort avait déjà été réintégré, et l’organisme qui avait prononcé l’exclusion avait reçu un blâme de la commission centrale de contrôle...
Glazman n’était que la première victime. A cet égard, l’abstention de Trotsky et des siens dans la bataille autour du « testament » a pesé très lourd, et c’est probablement au moment de la discussion de cette question au sommet, en mai, que s’est joué son destin personnel. Trotsky en a conscience puisqu’il écrit, dans un hommage au jeune mort que la Pravda va refuser de publier, l’expression pudique de ce qui est probablement pour lui un regret poignant : « Pardonnez-moi, mon jeune ami, de ne vous avoir pas protégé ni sauvé. »
https://www.marxists.org/francais/broue/works/1988/00/PB_tky_25.htm
Lénine et nous avec lui, nous redoutions, avant tout, que le Parti communiste russe, disposant des puissantes ressources d’un État, n’exerçât une influence excessive, écrasante, sur les jeunes partis d’Occident qui venaient de s’organiser. Lénine, sans se lasser, multipliait les mises en garde contre un accroissement prématuré du centralisme, contre toute avance exagérée du Comité exécutif et du Présidium dans cette voie, et surtout contre des formes et méthodes d’assistance qui se transformeraient en commandement direct, n’admettant aucun recours en appel.
La rupture se produisit en 1924, sous le nom de " bolchevisation ". Si l’on entend, par bolchevisation, l’épuration du parti par l’élimination d’éléments et d’habitudes hétérogènes, celle des fonctionnaires sociaux-démocrates accrochés à leurs postes, des francs-maçons, des démocrates-pacifistes, des confusionnistes spiritualistes, etc., alors cette besogne s’accomplit dès le premier jour de l’existence de l’Internationale communiste ; lors du IVe Congrès, elle prit des formes très actives à l’égard du Parti communiste français. Mais cette bolchevisation véritable se liait indissolublement, autrefois, à l’expérience propre des sections nationales de l’Internationale communiste et s’étendait à partir de cette expérience ; elle avait comme pierre de touche les questions de politique nationale, qui s’élevaient jusqu’à devenir des problèmes internationaux. La " bolchevisation " de 1924 ne fut qu’une caricature ; on mit le revolver sur la tempe des organisations dirigeantes des partis communistes, en exigeant d’elles que, sans informations ni débats, elles prissent immédiatement et définitivement position sur les divergences internes du Parti communiste de l’U.R.S.S. ; elles savaient d’avance que les positions prises détermineraient leur maintien dans l’Internationale communiste ou leur rejet hors de ses rangs.
Pourtant, en 1924, les partis communistes européens n’avaient pas les moyens de résoudre les problèmes qui étaient posés dans la discussion russe, où s’ébauchaient à peine dans la nouvelle étape de la dictature du prolétariat deux tendances de principe. Il est évident qu’après 1924, le travail d’épuration demeurait indispensable, et, dans de nombreuses sections, des éléments hétérogènes furent éliminés à juste titre. Mais, considérée dans son ensemble, la " bolchevisation " consistait chaque fois à désorganiser les directions qui se formaient dans les partis communistes occidentaux, en utilisant comme un coin les différends russes que l’appareil d’État enfonçait à coups de marteau. Tout cela se dissimulait sous l’étendard de la lutte contre l’esprit de fraction.
Quand, au sein du parti de l’avant-garde prolétarienne, des fractions viennent à se cristalliser, menaçant de le rendre pour longtemps inapte au combat, il est évident que le parti est dans la nécessité de prendre une décision : faut-il laisser au temps la possibilité d’opérer une vérification supplémentaire, ou bien faut-il reconnaître immédiatement que la scission est inévitable ? Un parti de combat ne peut être une somme de fractions tirant à hue et à dia. Sous sa forme générale cette idée est incontestable. Mais user de la scission comme d’un moyen préventif contre les divergences de vues, amputer tout groupe ou groupement qui fait entendre la voix de la critique, c’est transformer la vie intérieure du parti en une succession d’avortements dans l’organisation. De telles, méthodes, loin de contribuer à la perpétuation et au développement de l’espèce, ne font qu’épuiser l’organisme générateur, c’est-à-dire le parti. La lutte contre l’esprit de fraction devient plus dangereuse que cet esprit lui-même.
A l’heure actuelle, les premiers fondateurs de presque tous les partis communistes du monde ont été mis en dehors de l’Internationale, sans excepter son ex-président. Dans presque tous les partis, les groupes qui en guidèrent le développement pendant deux périodes consécutives sont exclus ou mis à l’écart. En Allemagne, le groupe Brandler n’a maintenant qu’un pied dans le parti ; le groupe Maslow n’a pas franchi son seuil. En France, les anciens groupes de Rosmer-Monatte, Loriot, Souvarine, ont été exclus ; il en va de même pour le groupe Girault-Treint, qui occupa la direction pendant la période suivante. En Belgique, on a exclu le groupe de Van Overstraeten. Si le groupe de Bordiga, qui donna naissance au Parti communiste italien, n’est qu’à moitié exclu, cela s’explique par les conditions du régime fasciste. En Tchécoslovaquie, en Suède, en Norvège, aux États-Unis, en un mot dans presque tous les partis du monde, des événements plus ou moins analogues se sont produits depuis la mort de Lénine.
Que beaucoup d’exclus aient commis d’énormes fautes, nous n’avons pas été en retard sur les autres pour le signaler. On ne peut pas non plus le nier, nombre d’exclus de l’Internationale communiste sont revenus dans une large mesure à leurs positions de départ, à la social-démocratie de gauche ou au syndicalisme. Mais la tâche de l’Internationale communiste ne consiste pas à acculer automatiquement à une impasse les jeunes dirigeants des partis nationaux, et à vouer ainsi certains de ceux qu’ils représentent à la dégénérescence idéologique. " L’ordre révolutionnaire " de la direction bureaucratique est devenu un obstacle terrible qui se dresse sur la voie du développement de tous les partis de l’Internationale.
Les questions d’organisation sont inséparables des questions de programme et de tactique. Il faut voir clairement qu’une des sources les plus importantes de l’opportunisme dans l’Internationale communiste est le régime bureaucratique de son appareil et de celui de son parti dirigeant. Après l’expérience des années 1923-1928, personne ne peut plus nier qu’en Union soviétique la bureaucratie ne soit l’expression et l’instrument de la pression qu’exercent contre le prolétariat des classes non prolétariennes. Le projet de programme de l’Internationale communiste donne une formule juste quand il dit que les dépravations bureaucratiques " surgissent inévitablement quand les masses manquent de culture et que se manifestent des influences de classe étrangères au prolétariat ". Nous possédons ici la clef qui permet de comprendre non seulement la bureaucratie en général, mais son accroissement extraordinaire au cours des cinq dernières années. Si le degré de culture des masses, tout en restant insuffisant, a grandi au cours de cette période (le fait n’est pas douteux), on ne peut donc chercher la cause de la progression de la bureaucratie que dans l’accroissement des influences de classe étrangères au prolétariat. Les partis communistes européens, c’est-à-dire surtout leurs noyaux dirigeants, calquent leurs organisations sur les poussées et regroupements qui s’opèrent dans le Parti communiste de l’U.R.S.S. : ainsi, la bureaucratie des partis communistes étrangers n’est-elle, dans une large mesure, que le reflet et le complément de celle du Parti communiste de l’U.R.S.S.
Le choix des dirigeants des partis communistes étrangers s’est fait et se fait encore d’après leurs aptitudes à accepter et approuver le plus récent regroupement dans l’appareil du Parti communiste de l’U.R.S.S. Ceux d’entre eux qui avaient le plus d’indépendance et de sens des responsabilités, ceux qui n’acceptaient pas de se soumettre à des changements effectués de façon strictement administrative, tous ceux-là furent expulsés du parti, ou bien furent acculés à entrer dans l’aile droite (souvent prétendument de droite), ou bien passèrent dans l’Opposition de gauche. Ainsi, le processus organique de la sélection, qui permet la cohésion des cadres révolutionnaires sur la base de la lutte prolétarienne, parce qu’il est dirigé par l’Internationale communiste, est interrompu, modifié, défiguré ; on lui substitue parfois ouvertement un triage administratif et bureaucratique opéré au sommet. On comprend que les communistes les plus disposés à accepter des décisions prises à l’avance et à signer n’importe quoi l’aient souvent emporté sur des éléments qui possèdent à un plus haut degré l’esprit de parti et le sentiment de la responsabilité révolutionnaire. Le plus souvent, au lieu de choisir des révolutionnaires stoïques et rigoureux, on sélectionna ceux qui en bons bureaucrates savaient s’adapter.
Tous les problèmes de la politique intérieure et internationale nous ramènent invariablement aux questions du régime intérieur du parti. Il est évident que les déviations qui nous ont éloignés de la ligne de classe dans les problèmes de la révolution chinoise, du mouvement ouvrier anglais, de l’économie de l’U.R.S.S., des salaires, des impôts, etc., constituent en elles-mêmes un danger des plus sérieux. Mais ce danger est décuplé par l’impossibilité où se trouve le parti de redresser, en suivant les voies normales, la ligne décidée par le sommet ; car il a les pieds et les poings liés par le régime bureaucratique. On peut en dire autant de l’Internationale communiste. La résolution du XIVe Congrès du Parti communiste de l’U.R.S.S, sur la nécessité d’une direction plus démocratique et plus collective de l’Internationale communiste a été pratiquement bafouée. Un changement dans le régime intérieur de l’Internationale communiste devient une question de vie ou de mort pour le mouvement révolutionnaire international. Ce changement peut s’obtenir de deux façons : ou bien par une transformation du régime intérieur du Parti communiste de l’U.R.S.S., ou bien par la lutte contre le rôle dirigeant joué par le Parti communiste de l’U.R.S.S. dans l’Internationale communiste. Il faut que nous tendions toutes nos forces pour y arriver par la première voie. La lutte pour un changement de régime dans le Parti communiste de l’U.R.S.S, est une lutte pour l’assainissement du régime de l’Internationale communiste ; elle se propose aussi d’assurer dans la direction de notre parti la sauvegarde de nos idées.
Il faut impitoyablement chasser du programme l’idée même que des partis vivants, actifs puissent être subordonnés au contrôle de " l’ordre révolutionnaire " imposée par la bureaucratie du parti et de l’État. Il faut rendre au parti lui-même ses propres droits. Il faut que le parti redevienne un parti. Il faut affirmer ces nécessités dans le programme ; de manière à ne laisser aucune place à la justification théorique de la bureaucratie et des tendances à l’usurpation.
A partir de l’automne de 1923, l’aile gauche prolétarienne du parti, qui a exposé ses vues dans toute une série de documents dont le principal est la Plate-forme des bolcheviks-léninistes (Opposition), fut systématiquement soumise, en tant qu’organisation, à la destruction. Les procédés de répression étaient déterminés par le caractère du régime intérieur du parti, qui devenait de plus en plus bureaucratique à mesure qu’augmentait la pression exercée par les classes non prolétariennes contre le prolétariat.
Le caractère général de la période permit la réussite de ces méthodes : c’est en effet le moment où le prolétariat subit de graves défaites et où la social-démocratie reprit vigueur, tandis qu’au sein des partis communistes les tendances centristes et opportunistes se renforçaient et que le centrisme, jusqu’aux tout derniers mois, glissait systématiquement vers la droite. La première répression contre l’Opposition s’exerça aussitôt après la défaite de la révolution allemande dont elle fut, en quelque sorte, le complément. Elle eût été impossible si le triomphe du prolétariat allemand avait pu augmenter la confiance du prolétariat de l’U.R.S.S. en lui-même et du même coup sa force de résistance à la pression des classes bourgeoises de l’intérieur et de l’extérieur, et aussi à sa courroie de transmission, la bureaucratie du parti.
Pour éclairer le sens général des regroupements qui se sont opérés dans l’Internationale communiste depuis la fin de 1923, il serait de la plus haute importance d’examiner comment le groupe dirigeant, aux diverses étapes de son glissement, expliquait ses victoires " d’organisation " sur l’Opposition. Ce travail n’est pas possible dans le cadre de notre critique du projet de programme. Mais pour atteindre notre but, nous n’avons qu’à examiner comment fut comprise la première " victoire " remportée sur l’Opposition en septembre 1924, d’après l’article où Staline débuta dans les questions de politique internationale :
" Il faut considérer la victoire décisive remportée dans les partis communistes par l’aile révolutionnaire comme le symptôme le plus sûr – écrivait Staline – des processus révolutionnaires très importants qui se produisent dans les profondeurs de la classe ouvrière... "
Et à un autre endroit du même article :
" Si l’on ajoute à cela le total isolement de la tendance opportuniste au sein du Parti communiste russe, le tableau que l’on obtiendra sera complet. Le Ve Congrès de l’Internationale communiste n’a fait que consolider la victoire de l’aile révolutionnaire dans les sections principales de l’Internationale communiste " (Pravda, 20 septembre 1924).
Ainsi, la défaite de l’Opposition du Parti communiste russe fut présentée comme le résultat de l’orientation vers la gauche du prolétariat marchant directement à la révolution, et dans toutes les sections, prenant le dessus sur l’aile droite. Maintenant, cinq ans après la plus grande des défaites du prolétariat international, celle de l’automne de 1923, la Pravda est obligée de reconnaître que c’est seulement actuellement que l’on commence à remonter " du creux de la vague, l’apathie et la dépression qui commencèrent après la défaite de 1923 et permirent au capitalisme allemand de renforcer ses positions " (Pravda, 28 janvier 1928).
Mais se pose alors une question, qui est nouvelle pour les dirigeants actuels de l’Internationale communiste, sinon pour nous : faut-il donc expliquer l’échec de l’Opposition, en 1923 et dans les années suivantes, par un déplacement de la classe ouvrière vers la droite et non vers la gauche ? La réponse à cette question décide de tout.
Celle qui fut donnée en 1924, lors du Ve Congrès de l’Internationale communiste, et plus tard dans des discours et des articles, était nette et catégorique : ce furent le renforcement des éléments révolutionnaires dans le mouvement ouvrier d’Europe, le nouveau flot ascendant et l’approche de la révolution prolétarienne qui causèrent la " débâcle " de l’Opposition.
Mais aujourd’hui la cassure politique durable, brutale qui, après 1923, s’est opérée vers la droite et non vers la gauche, est un fait établi et indiscutable. Par conséquent, il est clair que le déchaînement de la lutte contre l’Opposition et son intensification, qui entraîna exclusions et déportations, est intimement lié au processus politique de stabilisation de la bourgeoisie en Europe. Ce processus, il est vrai, a été contrarié, au cours des quatre dernières années, par d’importants événements révolutionnaires. Mais de nouvelles erreurs de la direction, plus cruelles encore que celles de 1923 en Allemagne, donnèrent chaque fois la victoire à l’ennemi, dans les pires conditions pour le prolétariat et le Parti communiste, et firent apparaître de nouveaux facteurs favorables à la stabilisation bourgeoise. Le mouvement révolutionnaire international a subi des défaites ; de ce fait, l’aile gauche prolétarienne du Parti communiste de l’U.R.S.S. (bolchevique) et l’Internationale communiste ont connu des échecs.
L’explication serait incomplète si nous ne tenions compte des conditions dans lesquelles se développaient les processus internes de l’économie et de la politique en U.R.S.S. : parties de la N.E.P., les contradictions s’aggravaient, parce que la direction comprenait mal les problèmes de l’alliance économique des villes et des campagnes, tout en sous-estimant le déséquilibre dont souffrait l’industrie et les tâches qui en résultaient dans une économie planifiée.
L’augmentation de la pression économique et politique exercée par les milieux bureaucratiques et petits-bourgeois à l’intérieur du pays, sur le fond des défaites de la révolution prolétarienne en Europe et en Asie, voilà l’enchaînement historique dont, pendant ces quatre années, le nœud coulant se resserra autour de la gorge de l’Opposition. Celui qui ne comprend pas cela ne comprend rien du tout.
https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/ical/ical2212.html
La « bolchevisation » de l’Internationale.
C’est en 1924, selon l’histoire officielle, que l’Internationale a été « bolchevisée ». Entre 1919 et 1921, elle est construite sur la perspective de luttes révolutionnaires immédiates pouvant aboutir à brève échéance à la prise du pouvoir dans plusieurs pays. Ainsi s’expliquent les vingt et une conditions imposées aux partis pour leur adhésion et les statuts qui visent à en faire un parti mondial centralisé, un « parti bolchevique international ». Seul Lénine s’inquiète de cette russification : cette organisation, artificiellement imposée à des partis qui n’ont ni l’expérience ni la tradition des révolutionnaires russes, risque de freiner leur développement. Les délégués du III° congrès de l’Internationale communiste ne le suivent pas : ils ne l’avaient pas non plus suivi au II° congrès, lorsque, rappelant la trop grande influence des socialistes allemands dans la II° Internationale, il avait proposé d’installer le siège de l’exécutif à Berlin, afin de réduire l’influence des dirigeants russes.
En fait, c’est le contraire qui se produit, de son vivant même. Les partis communistes, petites sectes comme le parti anglais, grands partis de type sociale-démocrate comme le parti italien ou le parti français, n’ont ni expérience des luttes, ni dirigeants capables de tenir tête aux dirigeants russes. Le parti communiste allemand, après l’assassinat de Liebknecht et Rosa Luxembourg, est divisé en plusieurs tendances violemment opposées. Son ex-secrétaire, Paul Levi, est exclu en 1921, pour avoir publiquement condamné l’action insurrectionnelle de mars. Lénine fait tout son possible pour le conserver dans le parti afin d’éviter la scission et, après son exclusion, il écrit aux communistes allemands, qu’il a « seulement perdu la tête » [9].
Mais avec Lénine disparaît de l’Internationale le souci d’éduquer et d’associer. Zinoviev, sous le prétexte de « bolcheviser » les partis communistes, va en faire des organisations serviles, dépendant entièrement de l’exécutif. Alfred Rosmer, témoin et acteur écrit : « Au moyen d’émissaires qu’il dépêchait dans les sections, il supprimait, dès avant le congrès, toute opposition. Partout où des résistances se manifestaient, les moyens les plus variés étaient employés pour les réduire ; c’était une guerre d’usure où les ouvriers étaient battus d’avance par les fonctionnaires qui, ayant tout loisir, imposaient d’interminables débats ; de guerre lasse, tous ceux qui s’étaient permis une critique et qu’on accablait du poids de l’internationale cédaient provisoirement, ou s’en allaient » [10].
Après la défaite de Trotsky, tous ceux qui l’ont défendu sont frappés. Boris Souvarine, l’un des fondateurs du communisme français, est exclu de la direction, puis du parti, pour avoir traduit et publié Cours nouveau. Brandler, rendu seul responsable de la défaite allemande, est écarté de la direction du parti communiste allemand. Les dirigeants communistes polonais Warski, Walecki et Wera Kostrzewa sont écartés pour avoir protesté contre les attaques dirigées contre Trotsky. Au V° congrès, Zinoviev promet de leur « casser les reins ». Répondant à Staline le 3 juillet 1924, Wera Kostrzewa accuse : « Nous sommes contre la création à l’intérieur du parti d’une atmosphère de lutte permanente, de tension, d’acharnement les uns contre les autres. [...] Je suis persuadée qu’avec votre système vous allez discréditer tous les dirigeants du parti, les uns après les autres, et j’ai peur qu’au moment décisif le prolétariat n’ait plus à sa tête d’hommes éprouvés. La direction de la révolution pourrait tomber entre les mains de carriéristes, de « chefs saisonniers » et d’aventuriers » [11].
Mais le ton, au V° congrès, est donné par une autre militante, la jeune Allemande Ruth Fischer. Eloquente et ardente, mais sans aucune expérience de la lutte des classes, compagne de Maslow, militant allemand d’origine russe, porte-parole de la gauche en 1923, elle a été imposée à la tête du parti communise allemand par Zinoviev à la place de la vieille garde des militants de la ligue Spartacus condamnés comme « droitiers ». Elle incarne la tendance « bolchevisante », dénonce comme « liquidateurs mencheviques » Trotsky, Radek et Brandler et réclame la transformation de l’internationale en « parti bolchevique mondial » monolithique d’où seraient exclus tous conflits de tendance. Ce programme est, en fait, déjà aux trois quarts réalisé. La subordination définitive à Moscou des partis communistes a été possible seulement parce que ce parti bolchevique conserve aux yeux des ouvriers avancés le prestige révolutionnaire du vainqueur d’octobre. Wera Kostrzewa reflète le sentiment de bien des communistes quand elle affirme, à la fin de son intervention, à l’adresse de Zinoviev et Staline : « Vous savez qu’il nous est impossible de lutter contre vous. Si demain, vous demandiez aux ouvriers polonais de choisir entre nous et l’Internationale Communiste, vous savez très bien que nous serions les derniers à leur dire de vous suivre » [12]. La pseudo-bolchevisation, tuant esprit critique et pensée communiste indépendante, anéantit ainsi toute chance de faire des partis de l’Internationale des partis capables de jouer le rôle joué en Russie par le parti bolchevique.
Leçons d’Octobre et la deuxième campagne contre Trotsky.
Militant discipliné, acceptant pour le moment de s’incliner et de taire, Trotsky reste inquiétant pour la troïka. Le Bolchevik du 5 Juin ne dissimule pas son irritation à propos du « discours en caoutchouc » qu’il a tenu au XIII° congrès. Elle n’a cependant pas intérêt à le provoquer et, du moment qu’il accepte de se taire sur les problèmes politiques essentiels, s’attache à ne pas le faire. Pourtant, Trotsky n’est pas décidé il se laisser enterrer sous la calomnie. Une occasion de s’expliquer lui est offerte avec la publication, depuis longtemps prévue, du volume III de ses Ecrits et discours aux Editions d’Etat, consacré précisément à l’année 1917. Ces textes sont, évidemment, irréfutables en eux-mêmes et donnent à Trotsky la place qui fut la sienne au cours de la révolution, le premier après Lénine, comme il consentait il l’admettre, sinon le premier avec lui. Mais l’histoire, pour le militant et combattant impénitent, n’a de valeur que si elle est comprise, expliquée, que si elle sert d’instrument pour transformer le monde, pour le troisième volume de ses œuvres, Trotsky écrira une étude qui est l’équivalent d’une épaisse brochure, dans laquelle il reprend, à propos d’Octobre, les « leçons » qui lui paraissent essentielles et dans laquelle il regroupe les idées principales défendues par lui sur le rôle du parti dans la révolution à plusieurs reprises et notamment au cours de l’année 1923. Du terrain solide, irréfutable, que constitue le passé et que lui fournissent les textes publiés par les Editions d’Etat, il entend faire un tremplin pour tout le parti, pour la compréhension de l’étape qui vient à peine de commencer, pour l’avenir.
Les pages denses de la préface intitulées « Leçons d’Octobre » brossent d’abord un tableau d’ensemble de l’histoire du parti bolchevique. Trotsky y distingue trois périodes : La période préparatoire, avant 1917, l’époque révolutionnaire, 1917, l’ère post-révolutionnaire. Des trois - et ce n’est pas seulement parce que Trotsky y fut l’incarnation du bolchevisme consacré par l’expression courante à l’époque du « parti de Lénine et Trotsky » -, c’est évidemment la deuxième qu’il juge l’époque décisive : elle fut pour le parti l’épreuve par excellence, sa justification historique. Or l’histoire, telle qu’elle ressort des documents et des écrits et discours de Trotsky comme de tout autre, fait apparaître au cours de l’année deux crises au sein du parti : celle d’avril où la majorité des cadres bolcheviques orientés vers la conciliation avec les mencheviks et l’adaptation à une république démocratique se cabrent sous les coups que donne Lénine, dictant, avec l’appui de l’avant-garde ouvrière, la nouvelle orientation, - et celle d’octobre où Zinoviev, Kamenev et une partie de l’état-major bolchevique ne cèderont à Lénine que parce qu’il a su rallier l’assentiment des larges masses et leur démontrer dans l’action et le succès la justesse de son point de vue. La « leçon » est d’importance : c’est l’autorité de Lénine et son sens des mouvements sociaux profonds qui ont pu seuls venir à bout, lors de l’épreuve décisive, de la vieille garde bolchevique qui se prétend aujourd’hui gardienne de la tradition. Trotsky souligne que Zinoviev, ni Kamenev n’ont pas le moindre titre à se prévaloir du « léninisme » dans la mesure où, au cours de circonstances décisives, à la veille notamment de la prise du pouvoir, ce mur où l’on voit le maçon révolutionnaire, ils ont pris position contre Lénine, que lui, Trotsky, dont le passé n’était pas bolchevique, épaulait sans restriction.
D’octobre 17, il passe à octobre 23, rappelle à grands traits la situation en Allemagne l’année précédente, les hésitations du parti communiste allemand, qui laisse passer le moment favorable et s’effondre sans combat. Ce que l’Octobre russe a démontré de façon positive, l’Octobre allemand l’a confirmé de façon négative : or ce sont les mêmes dirigeants du parti qui ont la responsabilité de l’Internationale - que Zinoviev préside - et, avec elle, de l’échec de la révolution allemande : ils ont eu, quand il fallait tourner et marcher hardiment au pouvoir, le même réflexe conservateur que six ans plus tôt en Russie. La classe ouvrière allemande, dans une situation objective favorable, avait un parti communiste, elle n’avait pas, ni à l’échelon national, ni à celui de l’Internationale, une direction à la hauteur de celle de Lénine, et c’est pourquoi elle a été battue.
L’attaque est dévastatrice : profondément étayée par l’histoire et la réalité contemporaines, elle est d’une solidité à toute épreuve. Pourtant, en mettant l’accent sur le rôle de la direction, à son sommet le plus élevé, elle minimise aux yeux de bien des militants le rôle du parti lui-même. Enfin, répondant aux « révélations » de la troïka sur le passé menchevique de Trotsky par ce qui est en réalité une « révélation » sur le passé « conciliateur » de Zinoviev et Kamenev, elle semble une querelle personnelle, un déballage de linge sale, qui, finalement, contribuera à discréditer tous les protagonistes, acharnés ainsi à se démolir réciproquement leurs légendes de bolcheviks de fer, lieutenants fidèles de Lénine.
La parution du livre, avec sa préface inédite, est annoncée par la Pravda dès le 12 octobre. Ainsi que l’ont souligné Pierre et Irène Sorlin dans leur minutieux examen de la presse, il faut attendre le 2 novembre pour qu’un article, « Comment ne pas écrire l’histoire d’Octobre » [13], parle de nouveau d’un livre que tous les militants connaissent. Les journaux, à partir du 12 novembre, sont remplis de lettres et de motions de protestations d’organisation locales dont on peut à bon droit supposer qu’elles ont été téléguidées par l’appareil, ce qui explique parfaitement leur nombre, leur simultanéité, ainsi que le délai de réaction, incompréhensible autrement.
En tout cas, la campagne qui se déclenche sera d’une extraordinaire violence. Nous nous contenterons d’une énumération sommaire des articles des chefs de file consacrés à la préface pendant ces quelques semaines, 18 novembre – « Léninisme ou trotskysme » par Kamenev [14], 19 novembre « Trotskysme ou léninisme » par Staline [15], 30 novembre « Bolchevisme ou trotskysme » par Zinoviev [16]. Tous ces articles accusent Trotsky de « révisionnisme », de tentative de « liquidation du léninisme ». Puis viennent les articles contre la « révolution permanente ». Kamenev, de nouveau le 10 décembre, Boukharine le 12, Staline le 20, une de ses premières incursions dans la théorie, concluant, dans son style si particulier. « Ce n’est pas avec des discours mielleux et une diplomatie pourrie que l’on cachera l’abîme béant qui sépare la théorie de la « révolution permanente » du léninisme. »
Ce sont là les grosses bombes. Mais Trotsky est pilonné de tous côtés, avec la puissance de feu que permet le contrôle de l’appareil sur la presse, l’utilisation systématique de tous les documents existant dans les archives, l’exhumation dans les polémiques du temps passé - qui n’en manquent pas - et l’exhibition saris explication, hors du contexte qui était de leur, des formules les plus tranchantes : le lecteur de la Pravda apprendra au même instant que Lénine traitait Trotsky de « cochon », tandis que ce dernier faisait confidence de ses griefs contre Lénine au menchevik Tchkheidzé. Des textes bien choisis, des citations bien découpées peuvent donner l’impression que Trotsky fut l’antiboichevik de toujours, l’adversaire irréductible de Lénine. Même celui qui n’a pas oublié 1917 peut plier sous le poids des ligues : peu importe que Zinoviev et Kamenev aient été traités de « jaunes » et Staline d’« argousin », puisqu’on ne répète pas la première affirmation et qu’on ignore la seconde. Le membre ordinaire du parti pour qui 1917 n’était, dans le meilleur des cas, qu’une glorieuse légende, admet, non sans amertume par fois, le rôle du méchant Trotsky sans croire vraiment aux mérites du bon Zinoviev. Dans la troïka, le discret Staline est le moins éclaboussé, son rôle mineur avant et pendant 1917 lui permettant d’échapper au discrédit qui frappe les anciens premiers rôles.
A la fin de la guerre civile, Lénine avait - croyait-il - définitivement blanchi Zinoviev et Kamenev en écrivant dans L’Internationale communiste : « Immédiatement avant la révolution d’octobre et aussitôt après un certain nombre d’excellents communistes en Russie ont commis une erreur que chacun s’en voudrait de mentionner aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que, à moins que ce ne soit absolument nécessaire, il est faux de rappeler des erreurs qui sont entièrement rectifier » [17]. Une seule voix s’élève aujourd’hui pour faire entendre un point de vue marqué du souci de conserver tous les cadres précieux, et qui avait amené Lénine lui-même aussi bien à accueillir comme son égal ce « cochon » de Trotsky que garder à ses côtés les « jaunes » Zinovieve et Kamenev. Kroupskaia dit en effet le 16 décembre qu’« elle ne sait si le camarade Trotsky est coupable de tous les péchés mortels dont on l’accuse, non sans intention polémique », rappelle sa participation réelle à 1917 et ce que le parti lui doit, mais conclut en disant que « quand un camarade comme Trotsky prend, inconsciemment peut-être le chemin de la révision du léninisme, le parti a son mot à dire » [18]. Une lettre de Trotsky, publiée dans la Pravda du 20, rappelle que son livre constitue simplement le développement d’idées fréquemment exprimées par lui auparavant et qui ne lui ont jamais valu de telles attaques [19].
A longueur de colonnes, le secrétariat, par tous les organes, écoles, instructeurs, orateurs, propagandistes, forge le « trotskysme ». Trosky a, de tous temps, sous-estimé le rôle du parti et défendu, depuis 1903, des conceptions qui sapent ses fondements et en font le « porte-parole des influences petites-bourgeoises ». En même temps il a toujours sous-estimé la paysannerie et défendu une politique risquant de briser l’alliance entre ouvriers et paysans. Tous ses désaccords avec Lénine dans le passé, sur le parti avant-guerre, sur Brest-Litovsk, sur les syndicats, s’expliquent par ces deux vices. C’est en raison des mêmes déviations qu’il prône la planification, méthode d’autocrate, l’industrialisation au détriment des paysans, et qu’il s’efforce de détruire de l’intérieur la direction qui l’a démasqué. Ainsi développé, le « léninisme » n’est plus qu’un alibi justifiant la politique présente, la main de fer dans le parti et les concessions aux paysans.
Il faut éduquer le parti. Une résolution du comité central du 17 janvier 1925 décide de « continuer le travail pour dévoiler le caractère antibolchevique du trotskysme » et « introduire dans les programmes de l’enseignement politique l’explication de son caractère petit-bourgeois [20]. La révision de l’histoire elle-même est proche. Pour le présent, ayant par ses attaques donné aux « éléments anti-soviétique et chancelants » le « signal du regroupement contre la politique du parti », est avisé que « l’appartenance au parti bolchevique exige une subordination effective et non seulement verbale à la discipline et un renoncement total et sans réticence à toute lutte contre le léninisme », autrement dit à toute opposition. Sa place n’est plus au commissariat à la guerre et au comité révolutionnaire de guerre : sur sa demande, il est libéré de ses fonctions. Seule l’opposition de Staline, circonspect vis-à-vis de ses alliés, empêche Zinoviev et Kamenev d’obtenir son exclusion, que les jeunes communistes de Léningrad vont réclamer à grands cris.
https://www.marxists.org/francais/broue/works/1963/00/broue_pbolch_9.htm
L’Internationale communiste sous la coupe de Staline-Zinoviev-Kamenev
La demi-décennie d’existence de l’Internationale Communiste est divisée en 2 périodes par son 3° congrès mondial. Durant les deux premières années, la vie et l’activité du Comintern est intégralement et exclusivement marquée par la guerre impérialiste et ses suites. Les perspectives révolutionnaires sont élaborées à partir des conséquences de la guerre. En conséquence des convulsions sociales dues à la guerre, il est considéré comme évident par tous que la fermentation politique au sein des masses va aller constamment en s’intensifiant jusqu’à la conquête du pouvoir par le prolétariat. Cette appréciation des développements en cours trouve son expression dans les manifestes des premier et second congrès qui sont inclus dans ce volume. L’appréciation principielle de la situation de l’après-guerre fournie par ces documents conserve aujourd’hui toute sa force. Mais le rythme des développements s’est avéré différent.
La guerre n’a pas abouti directement à la victoire du prolétariat en Europe occidentale. Ce qui manqua à la victoire en 1919 et 1920 est aujourd’hui trop évident : il manquait un parti révolutionnaire.
Ce n’est que quand le puissant ferment au sein des masses commencera à refluer que de jeunes partis communistes commenceront à prendre chair - et encore s’agit-il de leur physionomie brute. Les événements allemands de mars 1921 illustrent à merveille la contradiction qui existait entre la situation existante et la politique de l’Internationale Communiste. Des Partis Communistes, ou au moins leurs ailes gauches, recherchaient impétueusement à déclencher l’offensive alors que des millions de prolétaires, après les défaites initiales, subissaient les contrecoups de la situation de l’après-guerre et observaient avec attention les partis communistes. Au troisième congrès mondial, Lenine constate l’écart grandissant entre le développement du mouvement des masses et la tactique des partis communistes, et d’une main ferme, impulse un tournant décisif de la politique de l’Internationale. Nous sommes à présent suffisamment éloignés du troisième congrès pour pouvoir évaluer ses travaux avec le recul nécessaire ; on peut donc affirmer que le tournant effectué lors du troisième congrès à eu la même importance pour l’Internationale Communiste que celui de Brest-Litovsk pour la république soviétique. Si la III° Internationale avait continué à suivre mécaniquement le même chemin, l’une des étapes étant les événements de mars en Allemagne, peut-être qu’en un an ou deux ne serait-il demeuré que des débris des partis communistes. Avec le troisième congrès, commence un cours nouveau : les partis prennent en considération le fait que les masses sont encore à gagner et qu’un assaut doit être précédé par une période prolongée de préparation. C’est là qu’entre en scène le Front Unique, la tactique de jonction avec les masses sur la base de revendications transitoires. Les discours et articles contenus dans la seconde partie de ce volume sont consacrées à ce "cours nouveau".
La seconde période de développement de l’Internationale Communiste, qui a invariablement mené à l’approfondissement de l’influence de ses principales sections parmi les masses laborieuses, couvre la puissante marée révolutionnaire qui a déferlé en Allemagne à la fin de 1923. Une fois encore, l’Europe était prise de convulsions, au cœur desquelles était la question de la Ruhr. La question du pouvoir se pose une fois de plus en Allemagne, dans toute sa nudité et toute son acuité. Mais la bourgeoisie survivra cette fois encore. Un troisième chapitre s’ouvre alors pour le développement de l’Internationale Communiste. La tâche du V° congrès mondial est d’identifier les caractéristiques de cette nouvelle période et d’en déduire les tâches tactiques.
Pourquoi la révolution allemande n’a pu être victorieuse ? Les raisons en sont entièrement dans la tactique et non dans les conditions objectives. Nous avons affaire à une situation révolutionnaire classique qu’on a laissé échapper. A partir de l’occupation de la Ruhr, et encore plus lorsque la banqueroute de la résistance passive est devenue évidente, il était impératif que le Parti Communiste adopte une orientation ferme et résolue pour la conquête du pouvoir. Seul un courageux tournant tactique aurait pu unir le prolétariat allemand dans sa lutte pour le pouvoir. Si au troisième congrès, et en partie au quatrième nous avions dit aux camarades allemands : "vous ne gagnerez les masses qu’en prenant part à leur combat sur la base de revendications transitoires", au milieu de 1923, la question se posait désormais différemment : après tout ce que le prolétariat allemand avait du subir dans les années récentes, il pouvait être mené à la bataille décisive s’il était convaincu que la question se posait, comme disent les allemands, aufs ganze (ce qui est en cause n’est par telle ou telle tâche partielle mais bien l’essentiel), que le Parti Communiste était prêt à marcher à la bataille et capable de remporter la victoire. Mais le Parti Communiste exécutera le tournant sans l’assurance nécessaire et avec un retard extrême. Les courants de droite et de gauche, en dépit des durs combats qu’ils se menaient, feront tous deux preuve de fatalisme face au développement de la révolution jusqu’en septembre-octobre [1923]. Au moment où la situation objective exigeait un tournant décisif, le parti n’agit pas pour organiser la révolution mais resta à l’attendre. "La révolution ne se fait pas sur ordre", répondirent les droites et les gauches, mélangeant ainsi la révolution comme un tout avec l’une de ses étapes - celle de la prise du pouvoir. Mon article "La révolution se fait-elle sur ordre ?" était consacré à la question. Cet article résume les innombrables discussions et polémiques qui avaient eu lieu précédemment. Il est vrai qu’un tournant radical de la politique du parti avait eu lieu en octobre. Mais c’était déjà trop tard. Durant 1923, les masses laborieuses ont compris ou ressenti que le moment du combat décisif approchait. Mais elles ne virent pas la résolution et la confiance nécessaire de la part du Parti Communiste. Et quand commencèrent les préparatifs fiévreux pour l’insurrection, il perdit immédiatement son équilibre et aussi ses liens avec les masses. La même chose arrive au cavalier qui, arrivant doucement face à une barrière élevée, plante nerveusement ses éperons dans les flancs du cheval. Même si le cheval tentait de franchir la barrière, il est fort probable qu’il se briserait les jambes. Pour ce qui nous concerne, il s’est arrêté à la barrière et couché par terre. Tels sont les mécanismes de la cruelle défaite subie par le Parti Communiste Allemand et l’Internationale toute entière en novembre passé [1923].
Quand apparut un tournant dans les rapports de forces réciproques, que les fascistes légalisés bougèrent en première ligne alors que les communistes s’enfonçaient dans la clandestinité, des camarades estimèrent que "nous avons surestimé la situation ; la révolution n’est pas encore mûre". En réalité, la révolution ne fut pas victorieuse non parce qu’en général "elle n’était pas mûre" mais parce que le chaînon décisif - la direction - a quitté la chaîne au moment décisif. "Notre" erreur ne réside pas dans "notre" surestimation des conditions de la révolution mais dans "notre" sous-estimation de celles-ci ; elle réside dans "notre" incapacité à comprendre à temps le besoin d’un tournant tactique décisif et abrupt : de la lutte pour les masses à la lutte pour le pouvoir. "Notre" erreur réside en ce que "nous" avons continué durant des semaines à répéter les vieilles banalités au nom de ce que "la révolution ne se fait pas sur ordre" et avons ainsi laissé passer le moment propice.
Le Parti Communiste avait-il gagné à lui la majorité des travailleurs dans la dernière partie de l’année ? Il est difficile de dire quel aurait été le résultat d’un sondage à ce moment. Ces questions ne se décident pas par sondage. Elles se décident par la dynamique du mouvement. Malgré le fait qu’un nombre considérable d’ouvriers restaient dans les rangs de la social-démocratie, seule une fraction négligeable d’entre eux était prête à prendre une position hostile voire même passivement hostile face à ce tournant. La majorité du parti social-démocrate et même des partis bourgeois subissait de façon aiguë l’impasse oppressante du régime démocratique-bourgeois et attendaient le dénouement. Leur confiance, leur sympathie complète et définitive pouvait seulement être gagnées dans le cours de la lutte pour le dénouement elle-même. Toutes les discussions sur les forces redoutables de la réaction, les centaines de milliers d’hommes de la Reichswehr noire, etc., se sont avérées de monstrueuses exagérations, ce qui ne fit jamais aucun doute dans l’esprit des éléments animés d’un sens révolutionnaire. Seule la Reichswehr officielle représentait une force réelle. Mais elle était numériquement trop faible et aurait été balayée par l’assaut de millions d’hommes.
Aux cotés des masses déjà fermement gagnées par le Parti Communiste, gravitaient des masses encore plus nombreuses attendant le signal du combat et une direction. Ne l’ayant pas reçu, elles ont commencé à s’éloigner des communistes aussi spontanément qu’elles s’en étaient rapprochées. Ceci explique précisément le basculement rapide du rapport de forces qui permit à Seeckt de gagner sur le champ de bataille politique sans résistance notable. Parallèlement, les politiciens qui le soutenaient, s’appuyant sur les rapides succès de Seeckt proclamèrent : "Vous voyez, le prolétariat ne désire pas le combat". En fait, après l’expérience d’une demi-décade de combats révolutionnaires, les travailleurs allemands ne voulaient pas seulement le combat ; ils voulaient un combat qui les mènerait enfin à la victoire. N’ayant pas trouvé la direction nécessaire, ils évitèrent le combat. Ils montrèrent seulement ainsi que les leçons de 1918-21 avaient été profondément assimilées.
Le Parti Communiste Allemand avait 3 600 000 électeurs. Combien en a-t-il perdu ? Il est de difficile de répondre à cette question. Mais les résultats des élections partielles aux Landtags, aux municipalités, etc., attestent que le parti communiste a participé aux élections au Reichstag dans une situation d’affaiblissement extrême. Et malgré tout cela, il a encore obtenu 3 600 000 voix ! "Regardez", nous dit-on, "le Parti Communiste Allemand est sévèrement critiqué, mais représente encore une force puissante !". Mais après tout, le nœud de la question est que 3 600 000 vois en mai 1924, donc après le sommet de l’action spontanée des masses, le recul du régime bourgeois, prouvent que le parti communiste était la force décisive à la fin de l’année, mais que cela n’a malheureusement pas été compris ni utilisé à temps. Ceux qui, même aujourd’hui, refusent d’admettre que la défaite provient d’une sous-estimation, plus précisément d’une évaluation tardive de la situation exceptionnellement révolutionnaire de l’an passé, ceux qui persistent, courent le risque de ne rien apprendre et par suite de refuser de reconnaître la révolution une deuxième fois lorsqu’elle frappera de nouveau à la porte.
Les circonstances dans lesquelles le Parti Communiste Allemand a renouvelé ses organes dirigeants est dans l’ordre des choses [1]. Le parti tout entier attendait et désirait le combat, espérait la victoire - à la place, il y eut une défaite sans combat. Il est naturel que le parti se retourne vers sa vieille direction. La question de savoir si la gauche aurait pu mieux assumer ces tâches si elle avait eu la direction a peu de signification. Franchement, nous ne le pensons pas. Nous avons déjà noté qu’en dépit de sa vive lutte fractionnelle, l’aile gauche partageait la politique de l’ancien Comité Central sur les questions essentielles - la prise du pouvoir, une politique floue, semi-fataliste, dilatoire. Mais le seul fait que la gauche ait été en opposition en a fait le recours naturel pour diriger le parti, après que sa vieille direction ait été rejetée. A présent, la direction est entre les mains de la gauche. C’est une nouvelle étape dans le développement du parti allemand. Il est nécessaire de prendre ceci en compte, de le prendre comme point de départ. Il est nécessaire de faire tout ce qui est possible pour aider la nouvelle direction du parti à assumer ses tâches. Et pour cela, il faut avant tout identifier clairement les dangers. Le premier danger possible pourrait découler d’une attitude insuffisamment sérieuse concernant la défaite de l’an passé : une attitude visant à faire croire que rien d’extraordinaire ne s’est passé, seulement un léger retard ; la situation révolutionnaire va bientôt se répéter ; nous continuons comme avant - vers l’assaut décisif. C’est faux ! La crise de l’an passé est un gâchis colossal de l’énergie révolutionnaire du prolétariat. Le prolétariat a besoin de temps pour digérer sa défaite tragique de l’an passé, une défaite sans combat décisif, une défaite sans même une tentative de combat décisif. Il a besoin de temps pour s’orienter à nouveau de façon révolutionnaire dans une situation objective. Ceci ne signifie évidemment pas qu’un grand nombre d’années est nécessaire. Mais quelques semaines ne suffiront pas. Et le plus grand danger est que la stratégie du parti allemand tente de passer par-dessus les processus qui ont lieu au sein du prolétariat allemand en conséquence de la défaite de l’an passé.
En dernière analyse, comme nous le savons, l’économie décide. Les succès économiques limités obtenus ces derniers mois par la bourgeoisie allemande sont en soi le résultat inévitable de l’affaiblissement du processus révolutionnaire, un certain renforcement - très superficiel et instable - de la "loi et l’ordre" bourgeois, etc. Mais le rétablissement du moindre équilibre capitaliste en Allemagne n’a pu se faire substantiellement plus que durant la période de juillet à novembre de l’an passé. En toute occasion, la voie de la stabilisation mène à de si grands conflits entre Travail et Capital, et la France bouche la voie avec tant de difficultés, que le prolétariat allemand est encore assuré de fondements économiques favorables à la révolution pour une période indéfinie. Ceci étant, ces processus partiels qui ont lieu dans les fondations - aggravations temporaires ou au contraire jugulements temporaires de la crise et de ses manifestations auxiliaires - ne nous sont en aucun cas indifférents. Si un prolétariat relativement bien nourri et puissant est toujours sensible au moindre recul de sa situation, à l’inverse, le prolétariat allemand, épuisé, qui souffre et a faim depuis longtemps, est sensible à la moindre amélioration de sa condition. Ceci explique le renforcement - encore une fois, extrêmement instable - de la social-démocratie allemande et de la bureaucratie syndicale qui est désormais manifeste. Aujourd’hui plus que jamais, nous sommes forcés de suivre attentivement les fluctuations de la situation commerciale et industrielle en Allemagne, et de la façon dont elles se répercutent sur le niveau de vie de l’ouvrier allemand.
L’économie décide, mais seulement en dernière analyse. Les processus politiques-psychologiques qui ont lieu actuellement au sein du prolétariat allemand et qui selon toutes probabilités ont leur logique propre ont une signification plus directe. Le parti a recueilli 3 600 000 voix aux élections : un merveilleux noyau prolétarien ! Mais les éléments vacillants nous ont quitté. Cependant, une situation révolutionnaire directe est toujours caractérisée par le flux d’éléments hésitants en notre direction. Nombre d’ouvriers social-démocrates, supposons-nous, ont dû se dire durant les élections : "nous savons parfaitement que nos dirigeants sont de fieffés coquins, mais pour qui voter ? Les communistes promettaient de prendre le pouvoir, mais s’en sont avérés incapables et ont seulement aidé la réaction. Allons-nous suivre les nazis ?". Et la rage au cœur, ils ont voté social-démocrate. L’école de la réaction bourgeoise, on peut l’espérer, va rapidement aider le prolétariat allemand dans sa grande majorité à assimiler une orientation révolutionnaire, cette fois plus définitivement et plus fermement. Il est nécessaire d’aider ce processus de toutes les façons. Il est nécessaire de l’accélérer. Mais il est impossible de sauter les étapes inévitables. Caractériser la situation comme si rien d’extraordinaire n’avait eu lieu, comme si seule une légère secousse avait eu lieu, etc., serait on ne peut plus faux et augurerait de pires bévues stratégiques. Ce qui a eu lieu n’est pas un ralentissement superficiel mais une énorme défaite. Sa signification a à être assimilée par l’avant-garde prolétarienne. S’appuyant sur ces enseignements, l’avant-garde doit accélérer les processus de regroupement des forces prolétariennes autour des 3 600 000. Le flux révolutionnaire monte, puis reflue, puis a lieu un nouveau flux - ces processus ont leur propre logique et leurs propres échéances. Les révolutions ne surgissent pas seulement, nous le répétons, les révolutions s’organisent.
Mais il n’est possible d’organiser une révolution que sur la base de son évolution interne. Ignorer l’état d’esprit critique, précautionneux, sceptique de larges cercles du prolétariat après ce qui a eu lieu, c’est se préparer à une nouvelle défaite. Un jour après la défaite, même le plus valeureux parti révolutionnaire ne peut appeler à une nouvelle révolution, pas plus que le meilleur obstétricien ne peut donner naissance tous les trois ou cinq mois. Que la naissance révolutionnaire de l’an passé ait avorté ne change pas le fond des choses. Le prolétariat allemand doit passer à travers une phase de recouvrement et de regroupement de ses forces pour un nouveau sommet révolutionnaire, avant que le Parti Communiste, ayant apprécié la situation, puisse appeler à un nouvel assaut. Mais d’autre part, nous savons que le danger de ne pas reconnaître une nouvelle situation révolutionnaire - et par là de se montrer incapable de l’utiliser à ses fins - n’est pas moindre.
Deux des plus grandes leçons données au Parti Communiste Allemand : mars 1921 et novembre 1923. Dans le premier cas, le parti prit son impatience pour une situation révolutionnaire ; dans le second cas, il fut incapable d’identifier une situation révolutionnaire et la laissa s’échapper.
Il y a de grands dangers à "gauche" et à "droite" - ce sont les limites de la politique du parti prolétarien à notre époque. Nous continuerons à espérer qu’enrichi par les batailles, les défaites et l’expérience, le Parti Communiste Allemand arrivera dans un futur pas si lointain à diriger son navire entre le Scylla de "mars" et le Charybe de "novembre" et arrivera à donner au prolétariat allemand ce qui qu’il a si durement mérité : la victoire !
Alors qu’en Allemagne, les dernières élections parlementaires, sous l’impact du danger de l’an passé, ont donné au camp bourgeois une nouvelle impulsion à droite - mais dans le cadre du parlementarisme et non d’une dictature fasciste - dans le reste de l’Europe et en Amérique la tendance des divers groupements bourgeois est vers le "conciliationnisme". En Angleterre et au Danemark, la bourgeoisie règne via les partis de la seconde internationale. La victoire du Bloc des Gauches en France signifie une participation plus ou moins masquée (probablement ouverte) des socialistes au gouvernement. Le fascisme italien prend la route de la "régulation" parlementaire de sa politique. Aux Etats-Unis, les illusions conciliationnistes sont mobilisées sous la bannière du "Troisième Parti". Au Japon, l’opposition a gagné les élections.
Quand un navire perd son gouvernail, il faut parfois faire fonctionner ses moteurs droit et gauche alternativement : le bateau avance en zigzags, beaucoup d’énergie est dépensée, mais le bateau continue à avancer. C’est au moment présent le mode de navigation des Etats capitalistes d’Europe. La bourgeoisie est forcée d’alterner méthodes fascistes et social-démocrates. Le fascisme demeure le plus fort dans les pays où le prolétariat s’est approché le plus près du pouvoir, mais sans être en mesure de le prendre ou le conserver : Italie, Allemagne, Hongrie, etc. Au contraire, les tendances conciliationnistes commencent à gagner la prépondérance là où la bourgeoisie ressent moins directement la montée prolétarienne. Si la bourgeoisie se sent assez forte pour ne pas avoir à utiliser l’activité directe des gangs fascistes, elle ne sent par ailleurs pas assez forte pour avancer sans couverture menchevique.
A l’époque du quatrième congrès du Comintern, qui se déroula entièrement sous l’égide de l’offensive capitaliste et de la réaction fasciste, nous écrivions que si la révolution allemande ne débouchait pas à partir de la situation existant à ce moment et ne donnait donc pas une nouvelle direction au développement politique européen entier, alors on pouvait s’attendre avec une pleine assurance au remplacement du chapitre fasciste par un chapitre conciliationniste, en particulier l’arrivée d’un gouvernement du Labour Party en Angleterre et du Bloc des Gauches en France. A l’époque, cette prévision apparaissait comme la semence... d’illusions conciliationnistes. Certains réussissent à rester des révolutionnaires en gardant les yeux fermés.
Utilisons, cependant, les citations. Dans l’article "Perspectives politiques", publié dans les Izvestia du 30 novembre 1922, je polémiquais contre les conceptions simplistes, non marxistes, mécanistes, du développement politique qui soi-disant mènent du renforcement automatique du fascisme et du communisme à la victoire du prolétariat. Dans cet article, il est écrit :
"Dès le 16 juin [1921], mon discours à l’Exécutif de l’I.C. développait l’idée que si des événements révolutionnaires ne survenaient pas d’abord en Europe et en France, alors l’ensemble de la vie parlementaire-politique française se cristalliserait inévitablement autour de l’axe du Bloc des Gauches par contraste avec le Bloc "National" alors dominant. Dans l’année et demi qui s’est écoulée, la révolution n’est pas survenue. Et quiconque a suivi la vie politique en France ne niera pas que - à l’exception des communistes et syndicalistes-révolutionnaires - tous se préparent actuellement au remplacement du Bloc National par le Bloc des Gauches. C’est vrai : la situation en France reste marquée par l’offensive capitaliste, des interminables menaces à destination de l’Allemagne, etc. Mais il y a en parallèle la montée de la confusion parmi la bourgeoisie, spécialement les couches intermédiaires, qui vivent dans la peur du lendemain, sont désenchantées par la politique des "réparations", se serrent la ceinture pour juguler la crise financière qui réduit les dépenses au profit de l’impérialisme, ont l’espoir de rétablir les relations avec la Russie, etc., etc.
Cette atmosphère imprègne aussi une fraction considérable de la classe ouvrière par le moyen des socialistes et syndicalistes réformistes. D’où il découle que la continuation de l’offensive du capitalisme et de la réaction française n’est en aucune manière contradictoire avec le fait que la bourgeoisie française se prépare clairement une nouvelle orientation pour elle-même. "
Et plus loin dans le même article, nous écrivions :
"La situation en Angleterre n’est pas moins instructive. En conséquence des récentes élections, la domination de la coalition libéraux-conservateurs a été remplacée par un cabinet purement conservateur. Un évident pas vers la "droite" ! Mais d’un autre coté, précisément, le résultat des dernières élections prouve que l’Angleterre bourgeoise-conciliationniste s’est d’ores et déjà préparée une nouvelle orientation pour elle-même, en cas d’aggravation des contradictions et de difficultés aiguisées (et les deux aspects sont inévitables)... Sont-ce là des bases sérieuses pour penser que le régime conservateur actuel mènera directement à la dictature du prolétariat en Angleterre ? Nous ne voyons pas de telles bases. Au contraire, nous considérons que les actuelles contradictions insolubles - économiques, coloniales et internationales - de l’Empire britannique offriront un ferment considérable à l’opposition plébeienne-classes moyennes sous la forme du soi-disant Labour Party. Selon toutes les indications, en Angleterre, plus que dans tout autre pays du globe, la classe ouvrière, avant d’arriver à la dictature du prolétariat aura à passer par l’étape d’un gouvernement "travailliste" vertébré par un Labour Party réformiste-pacifiste qui a déjà reçu quelques quatre millions et demi de voix lors des dernières élections."
"Mais ceci n’implique-t-il pas que votre point de vue est qu’il y a atténuation des contradictions politiques ? Mais, après tout, c’est de l’opportunisme de droite !" ont objecté les camarades qui ne peuvent se protéger contre les tendances opportunistes qu’en les ignorant. Comme si prévoir un remontée temporaire des illusions conciliationnistes signifiait les partager en quoi que ce soit ! Il est bien sûr beaucoup plus simple de ne rien prévoir, de se restreindre à la répétition des formules sacrées. Mais il n’est désormais plus besoin de continuer la polémique. Les événements ont fourni la vérification de ces prognoses : nous avons le gouvernement Mac Donald en Angleterre, le ministère Staunig au Danemark, la victoire du Bloc des gauches en France et les partis d’opposition au Japon, tandis que la figure symbolique de LaFolette apparaît à l’horizon politique aux Etats-Unis, figure sans espoir, on peut en être sûr.
Les élections en France fournissent la vérification finale d’une autre polémique : celle concernant l’influence du Parti Socialiste Français [2]. Ainsi que chacun sait, ce "parti" n’a presque pas d’organisation. Sa presse officielle est très limitée et lue par presque personne. Partant de ces faits incontestables, certains camarades ont étés amenés à considérer le Parti Socialiste comme insignifiant. Ce point de vue rassurant mais faux a trouvé une expression accidentelle jusque dans certains documents officiels du Comintern. En réalité, il est faux jusqu’à la racine d’évaluer l’influence des socialistes français en se basant sur leur organisation ou la circulation de leur presse. Le Parti Socialiste représente un appareil dont l’objet est d’attirer des travailleurs dans le camp de la bourgeoisie "radicale". Les éléments les plus retardataires comme les plus privilégiés de la classe ouvrière n’ont besoin ni d’organisation, ni de presse de parti. Il ne rejoignent ni le parti ni les syndicats ; ils votent pour les socialistes et lisent la presse jaune. La relation entre nombre de membres du parti, d’abonnés à la presse du parti, et d’électeurs n’est pas la même pour les socialistes et les communistes. Nous avons eu l’occasion de nous exprimer plus d’une fois sur ce sujet. Utilisons une fois de plus des citations. Le 2 mars 1922, nous écrivions dans la Pravda :
"Si nous prenons en compte le fait que le Parti Communiste a 130 000 membres alors que les socialistes sont 30 000, alors l’énorme succès du communisme en France est évident. Mais, si nous mettons ces chiffres en relation avec les forces numériques de la classe ouvrière en tant que telle, l’existence de syndicats réformistes et de tendances anti-communistes dans les syndicats révolutionnaires, alors la question de l’hégémonie du Parti Communiste dans le mouvement ouvrier nous confronte à une tâche très difficile, qui est loin d’être résolue par notre prépondérance numérique sur les dissidents (socialistes). Dans certaine conditions, ces derniers peuvent s’avérer un facteur contre-révolutionnaire bien plus significatif au sein de la classe ouvrière que cela n’apparaît si l’on évalue les choses sur la seule base de la faiblesse de leur organisation, la circulation insignifiante et le contenu idéologique de leur organe, Le Populaire."
Récemment, nous avons eu l’occasion de revenir sur la question. Au début de l’année, un document décrivait le Parti Socialiste comme "moribond" et indiquait que seuls "quelques travailleurs" voteraient pour lui, etc., etc. A ce sujet, j’écrivais le 7 janvier de cette année ce qui suit :
"Il est bien trop facile de parler du Parti Socialiste Français comme moribond et de dire que seuls "quelques" travailleurs voteront pour lui. C’est une illusion. Le Parti Socialiste Français est l’organisation électorale d’une fraction considérables de masses ouvrières passives et semi-passives. Si parmi les communistes, la proportion entre ceux qui sont organisés et ceux qui votent est de, disons, 1 pour 10 à 20, alors parmi les socialistes, cette proportion peut s’avérer de 1 à 50 ou 1 à 100. Notre tâche durant les campagnes électorales consiste dans une large mesure à capter une section considérable de cette masse de travailleurs passifs qui s’éveillent durant les élections."
Les récentes élections ont pleinement et de façon décisive confirmé ce point de vue. Les communistes, avec une organisation et une presse bien plus forte, ont obtenu considérablement moins de voix que les socialistes. Même les proportions arithmétiques se sont avérées approximativement celles qui avaient été indiquées... Cependant, le fait que notre parti aie reçu approximativement 900 000 voix représente un sérieux succès, particulièrement si nous prenons en compte la croissance réelle de notre influence dans la banlieue parisienne !
Il y a aujourd’hui toutes les raisons d’attendre l’entrée des socialistes dans le Bloc des Gauches et leur participation au gouvernement créera des conditions favorables à la croissance de l’influence politique des communistes, en tant que seul parti libre de tout lien vis à vis du régime bourgeois.
En Amérique, les illusions conciliationnistes de la petite-bourgeoisie, principalement les paysans, et les illusions petites-bourgeoises du prolétariat prennent la forme du Troisième Parti. Elles sont au moment présent mobilisées autour du sénateur LaFolette, ou plus précisément, autour de son nom, car le sénateur lui-même, âgé de presque 70 ans, n’a toujours pas trouvé le temps de quitter les rangs du Parti Républicain. Tout ceci est d’ailleurs dans la nature des choses. Mais la positions de certains dirigeants du Parti Communiste Américain, sommant le parti d’appeler à voter pour LaFolette afin de renforcer l’influence communiste parmi les paysans, est pour le moins étonnante [3]. Par-dessus le marché, on cite en exemple le bolchevisme russe, qui aurait soi-disant gagné les paysans au moyen de ce type de politique [4]. Enfin, on ne nous épargne pas les variations sur un thème qui a déjà perdu le moindre semblant de sens, à savoir que la "sous-estimation" de la paysannerie serait l’un des traits de base du menchevisme. L’histoire du marxisme et du bolchevisme en Russie est avant tout l’histoire de la lutte contre les "narodniki" (populistes) et contre les S.R. Cette lutte a offert les prémices du combat contre le menchevisme et avait comme tâche fondamentale d’assurer le caractère prolétarien du parti. Des décades de lutte contre les narodniki petit-bourgeois ont permis au bolchevisme au moment décisif c’est à dire au moment de la lutte ouverte pour le pouvoir, de détruire les S.R. d’un seul mouvement en prenant possession de leur programme agraire et en amenant les masses paysannes à se ranger derrière le parti. L’expropriation politique des S.R. était la condition de l’expropriation économique de la noblesse et de la bourgeoisie. Il est évident que le chemin que sont prêts à suivre certains camarades américains n’a rien de commun avec le bolchevisme. Pour un Parti Communiste jeune et faible, manquant de trempe révolutionnaire, jouer le rôle de rabatteur électoral et de rassembleur des "électeurs progressistes" pour le sénateur républicain LaFolette revient à avancer vers la dissolution du parti dans la petite-bourgeoise. Après tout, l’opportunisme ne s’exprime pas seulement par son étapisme, mais aussi par l’impatience politique : il recherche souvent à récolter avant d’avoir semé, d’obtenir des succès sans rapport avec son influence. La sous-estimation de la tâche de base - le développement du caractère prolétarien du parti - est le trait caractéristique de l’opportunisme ! Une confiance insuffisante dans les potentialités du prolétariat est la source des cabrioles pour gagner les paysans, cabrioles qui peuvent coûter son existence au Parti Communiste. Que le Parti Communiste doive suivre attentivement les besoins et l’état d’esprit de la paysannerie, en utilisant la crise politique actuelle pour étendre son influence à la campagne - tout ceci est évident. Mais le parti ne peut accompagner les paysans et la petite-bourgeoisie en général à travers toutes leurs étapes et leurs zigzags, il ne peut volontairement accompagner leurs illusions et désillusions, courant après LaFolette pour le mettre ensuite à découvert. En dernière analyse, la masse des paysans suivra le Parti Communiste dans la bataille contre la bourgeoisie seulement si elle est convaincue que ce parti représente une force en mesure d’arracher son pouvoir à la bourgeoisie. Et le Parti Communiste ne peut devenir une telle force - y compris aux yeux de la paysannerie - que dans l’action en tant qu’avant-garde du prolétariat, pas en tant qu’arrière-garde d’un troisième parti.
La vitesse à laquelle un point de départ erroné aboutit aux pires erreurs politiques est démontrée par un document émanant du soi-disant Comité d’Organisation, mis en place pour organiser le congrès du troisième parti en juin et désigner LaFolette comme candidat à l’élection présidentielle. Le président de ce comité est un des dirigeants du parti ouvrier-paysan du Minnesota ; son secrétaire est un communiste, désigné à cette charge par le Parti Communiste. Et maintenant, ce communiste a donné sa signature à un manifeste qui en appelle aux "électeurs progressistes", déclare que l’objectif du mouvement est de parvenir à l’"unité politique nationale", et, en réfutant l’accusation que la campagne est contrôlée par les communistes, déclare que ceux-ci ne forment qu’une minorité insignifiante et que même s’ils tentaient de s’emparer de sa direction, il ne pourraient y arriver car le "parti" [ouvrier-paysan] a pour but d’obtenir une législation constructive et non des utopies. Et le Parti Communiste prend la responsabilité de ces abominations face à la classe ouvrière ! Au nom de quoi ? Au nom de ce que les inspirateurs de ce monstrueux opportunisme, imbibés de scepticisme quant au prolétariat américain, sont impatients de transférer le centre de gravité du parti vers un milieu paysan - un milieu secoué par la crise agraire. En reprenant, même avec des réserves, les pires illusions de la petite-bourgeoisie, il n’est pas difficile de se donner l’illusion que l’on dirige la petite-bourgeoisie. Considérer que le bolchevisme consiste en cela, c’est ne rien comprendre au bolchevisme.
Il est difficile de prévoir combien de temps la phase actuelle du conciliation durera. En tous cas, il ne saurait être question pour l’Europe bourgeoise de rétablir son équilibre économique intérieur, non plus que son équilibre économique avec l’Amérique. En ce qui concerne le problème des réparations, on fait, il est vrai, une tentative réelle pour le résoudre à l’amiable. L’avènement au pouvoir du Bloc des gauches en France fortifie cette politique. Mais la contradiction fondamentale subsiste intégralement : pour payer, l’Allemagne doit exporter ; pour payer beaucoup, elle doit exporter beaucoup ; or les exportations allemandes sont une menace pour les exportations anglaises et françaises. Pour avoir de nouveau la possibilité de lutter victorieusement sur le marché européen, extrêmement réduit, la bourgeoisie allemande devrait surmonter de formidable difficultés intérieures, ce qui amènerait infailliblement une nouvelle exacerbation de la lutte de classe. D’un autre côté, la France elle-même a des dettes formidables dont elle n’a pas encore entrepris le paiement. Pour commencer à payer, il lui faut développer ses exportations c’est-à-dire accroître, en matière de commerce extérieur, les embarras de l’Angleterre, dont les exportations n’ont encore atteint que 75% de leur niveau d’avant-guerre. Devant les problèmes économiques, politiques et militaires essentiels, le gouvernement conciliateur de Mac Donald manifeste sa banqueroute bien plus fortement qu’on ne pouvait s’y attendre. Inutile de dire qu’avec le gouvernement du Bloc des gauches, en France, les affaires n’iront pas mieux. La situation désespérée de l’Europe, situation masquée actuellement par des tractations internationales et intérieures, apparaîtra de nouveau dans son essence révolutionnaire. Sans aucun doute, les partis communistes s’avéreront alors mieux aguerris. Les récentes élections parlementaires dans nombre de pays montrent déjà que le communisme représente une force puissante et que cette force croît.
Notes
[1] En mai 1924, le congrès du K.P.D. procède au renouvellement de ses organes dirigeants suite à l’échec de "l’octobre allemand". La gauche, liée à Zinoviev et dirigée par R. Fischer, remplace le groupe dirigé par H. Brandler. La nouvelle direction adopte un cours ultra-gauche. Ainsi lors de son entrée au parlement, R. Fischer commence par déclarer : "nous, communistes, sommes prêts à commettre des actes de haute trahison". D’où les passages de ce texte relatifs à la nécessité de ne pas tenter de sauter les étapes. Voir à ce sujet - entre autres - P. Broué : Révolution en Allemagne et Histoire de l’Internationale Communiste.
[2] Cette question avait été amplement débattue lors des sessions de la commission française de l’I.C. (1922). La direction d’alors du P.C.F. considérait en effet comme négligeable l’influence des "dissidents" de la S.F.I.O. Cette direction avait quitté depuis quitté le P.C.F. Voir notamment les interventions de Trotsky sur la question (mai-juin 1922).
[3] Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a évidemment rejeté une politique si fausse et si dangereuse. La direction du C.E.I.C. était plus qu’opportune. Quelques jours après, le sénateur LaFolette procéda à une attaque en règle contre les communistes et déclara pieusement qu’il n’aurait rien à voir avec cette racaille, le fruit rouge de Belzébuth et de Moscou. Espérons que cette leçon s’avérera fructueuse pour les super-stratèges concernés. (Notes de Trotsky)
[4] Le représentant de l’I.C. aux Etats-Unis, Pepper est particulièrement visé. Il écrivait en août 1923 : "L’Amérique est confrontée à sa troisième révolution, (...) la révolution LaFolette. Elle comprendra des éléments de la grande révolution française et de la révolution russe de Kerensky. Il y aura dans son idéologie des éléments de jeffersonisme, des coopératives danoises, du Ku-Klux-Klan et du bolchevisme. C’est après la révolution LaFolette que commencera le rôle indépendant des ouvriers et des fermiers exploités (...)".
https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1924/05/240520.htm
La crise de l’Internationale, par Léon Trotsky
Le Congrès qui se réunit actuellement siège après un intervalle de plus de quatre ans, marqués par des événements internationaux de la plus grande importance et par de cruelles erreurs de direction. L’Opposition, constituée par les bolcheviks léninistes, et dont fait partie le soussigné, a maintes fois émis son appréciation sur ces événements et sur ces erreurs, dans une série de documents, d’articles et de discours. Le cours des événements a déjà justifié, et il justifie de plus en plus le point de vue de l’Opposition dans toutes ses considérations fondamentales et essentielles (son jugement sur la défaite de 1923 en Allemagne, ainsi que sur les prévisions du développement futur de la stabilisation ; son appréciation de l’ère démocratique pacifiste et de l’évolution du fascisme et de la social démocratie ; les rapports entre l’Amérique et l’Europe ; le mot d’ordre des Etats Unis soviétiques d’Europe ; les problèmes stratégiques de la Révolution chinoise et du Comité anglo russe ; les questions relatives au développement économique de l’URSS ; celle de la construction du socialisme dans un seul pays, etc.). Il n’est pas possible, ni d’ailleurs nécessaire, en restant dans les limites fixées à cette déclaration, de revenir sur ces questions que nous avons déjà suffisamment mises en lumière. Il suffira de répéter que toutes les erreurs de principe de la direction sont la conséquence du glissement causé par l’abandon de la ligne de conduite marxiste, bolchévique, vers une ligne centriste, qui, jusqu’à ces derniers temps, a dévié de plus en plus à droite. La fausse orientation poursuivie avec acharnement au cours de plusieurs années, est, depuis 1923, indissolublement liée à la dégénérescence du régime intérieur des Partis, régime de fonctionnarisme bureaucratique qui sévit dans l’Internationale Commu¬niste et dans toute une série de ses sections, plus particulièrement dans le PC de l’URSS. La bureaucratisation a atteint, au cours de cette période, des proportions absolument inouïes ; elle se présente sous des formes menaçant les fondements mêmes du Parti du prolétariat international. L’esprit bureaucratique et l’arbitraire de l’appareil du Parti se manifestent de la façon la plus patente, la plus incontestable, dans le fait que la Direction, appelée à régir les plus grands événements se déroulant dans le monde entier, a évité, pendant plus de quatre ans, de convoquer le Congrès de l’IC ; en même temps, le CE, élu au V° Congrès, a subi un complet remaniement intérieur, entrepris en dehors de tout congrès, dans le but d’éliminer le, noyau directeur désigné au cours du V° Congrès. Les conséquences de cette ligne de conduite erronée, ainsi que les pénibles défaites qu’elle a occasionnées, sont les suivantes : retard dans la croissance de l’IC et dans l’extension de son influence, affaiblissement de la position de l’URSS au point de vue international, ralentissement de l’allure de l’évolution économique et de la construction du socialisme dans le premier État ouvrier.
La tendance des masses à s’orienter vers la gauche, qui commence à se dessiner en Europe, traverse à présent sa première étape et pose devant l’IC des problèmes de la plus haute importance, exigeant un changement radical d’orientation et un nouveau regroupement des forces à l‘intérieur. D’ailleurs, de son côté, la situation politique, et économique de la République des Soviets renforce avec la même acuité ces exigences. Le VI° Congrès se réunit au moment où sous la pression des événements, la brisure de la ligne de conduite suivie par la Direction se manifeste déjà ; la poussée vers la gauche est ébauchée tant dans une série de résolutions et de mesures pratiques adoptées par le Comité Central du PC de l’URSS, que dans certaines décisions du Plenum du CE de l’IC siégeant en Février. Cette poussée incohérente vers la gauche s’est partiellement reflétée dans le projet de programme présenté au VI° Congrès ; c’est précisément pour cela que ce document présente un caractère éclectique ; il ne peut en aucune mesure, ni à aucun degré, servir de directive à l’avant garde prolétarienne internationale. Le soussigné a tenté de présenter dans deux vastes études, écrites à l’occasion du VI° Congrès, une appré¬ciation du projet de programme, examiné à la lumière des modifications qui se sont produites dans la situation politique internationale (plus parti-culièrement au cours des cinq dernières années), ainsi qu’un jugement sur le dernier changement, d’attitude du Comité Central du PC de l’URSS, sur le dernier Plenum de CE de l’IC, en rapport avec la situation en URSS et dans l’Internationale Communiste. L’un de ces travaux est déjà expédié, l’autre sera adressé an VI° Congrès en même temps que la présente déclaration. Le but de celle ci est de poser devant l’instance suprême de l’Internatio¬nale Communiste la question de la réadmission dans le Parti des bolcheviks léninistes (Opposition), en se basant sur un exposé clair et précis de leurs convictions par rapport à la situation actuelle et aux tâches incombant à l’IC.
L’isolement auquel sont réduits les partisans « Plate forme des bolcheviks léninistes (Opposition) », éloignés de la capitale et séparés entre eux par des centaines et des milliers de kilomètres (déportés en Sibérie, en Asie Centrale, etc.), les empêche totalement d’élaborer en commun une déclaration collective. Les lettres adressées aux oppositionnels exilés (aussi bien que les envois recommandés) n’arrivent qu’exceptionnellement : une lettre parvient sur trois ou quatre, et cela après des interruptions d’un, deux ou trois mois ; en face de cette situation, la présente déclaration ne peut forcément porter que mon seul nom. Il est très probable, il est même certain que si ce document avait été soumis à une discussion collective, des modifications essentielles y eussent été, apportées. Pourtant, la correspondance que j’entretiens actuellement avec ceux qui se sentent en affinité d’idées avec moi, si restreinte et si étouffée qu’elle soit, me permet d’affirmer avec une certitude parfaite que, dans ce qu’elle a d’essentiel, cette lettre exprime l’opinion, sinon de la totalité, tout au moins de l’écrasante majorité, des partisans de la plate forme de l’Opposition, et avant tout celle de plusieurs centaines de déportés.
Il est impossible de concevoir une politique juste à l’intérieur de l’URSS sans politique juste de l’IC. Aussi, la question de la ligne de conduite à adopter par l’IC, c’est à dire le choix stratégique de la voie à suivre par la Révolution internationale, domine à nos yeux toutes les autres questions. Mais l’histoire a voulu que la clef de la politique de l’IC soit formée par celle du PC de l’URSS. Il est inutile de parler ici des conditions et des causes qui ont réservé de plein droit à ce Parti le rôle de Parti leader dans l’IC. Ce n’est que grâce à la direction exercée par le PC de l’URSS, que l’IC a acquis, au cours des premières années de son existence, des conquêtes réellement formidables. Mais la politique d’erreurs pratiquée ensuite par les dirigeants du PC de l’URSS, ainsi bureaucratisation du régime intérieur de celui-ci firent que l’influence féconde, exercée par bolchevisme sur l’IC, au point de vue doctrinal politique, s’est vue de plus en plus remplacée éliminée par des « combinaisons », œuvres de fonctionnaires et d’administrateurs. Ceci explique aussi bien l’absence de Congrès pendant quatre ans, que le vote, au dernier Plenum du CE de l’IC, d’une résolution affirmant que « l’Opposition du PC de l’URSS table sur le renversement du pouvoir des Soviets » ; cette affirmation ne discrédite que ceux qui l’ont inspirée au CE et ceux qui l’ont votée ; elle ne parvient d’aucune façon à entâcher la valeur révolutionnaire des bolcheviks léninistes (Opposition). La tâche présente est de sauvegarder, on plus exactement, de faire renaître l’influence décisive des idées et de la politique bolcheviques sur les jeunes Partis de l’Internationale Communiste, en les libérant en même temps des commandements des bureaucrates. Cette tâche est indissolublement confondue avec celle des modifications à apporter à l’orientation et au régime intérieur du PC de l’URSS lui même. Nous basant ainsi sur des vues d’avenir internationales, et sur les intérêts essentiels de l’Internationale Communiste, nous concentrons dans la présente déclaration notre attention sur la crise du PC de l’URSS, sur les groupements qui existent au sein de celui ci, et sur les circonstances qui en sont la conséquence, telles qu’elles se présentent, selon nous, devant l’Opposition.
Seul un esprit superficiel manquerait de voir les immenses difficultés objectives qui se dressent, et qui se dresseraient d’ailleurs contre toute direction du PC de l’URSS dans la situation présente. Avant tout, ces difficultés sont dues à des causes fondamentales telles que le caractère petit bourgeois du pays et l’encerclement capitaliste. Les erreurs commises par la direction pendant cinq ans, signifient, en outre, . . . (ici un blanc dans le document NDLR).
Le fait de blâmer les fautes ne détruit pas leur conséquences, qui deviennent à leur tour une condition objective. Toute direction serait obligée de prendre comme point de départ, la situation objective difficile, compliquée au dernier point, par une accumulation obstinée d’erreurs. Cela signifie qu’il n’existe pas de solution simple et rapide. On peut même admettre jusqu’à un certain point qu’une solution allant résolument vers la droite, en élargissant les limites de la NEP et en restreignant celles du monopole du commerce extérieur, donnerait de résultats plus rapides et plus directs qu’une orientation vers la gauche. Seulement, ces résultats conduiraient vers une toute autre voie. Une forte importation des marchandises et des capitaux étrangers, faisant suite à l’abolition ou à la limitation du monopole, la baisse des prix des produits indus¬triels, l’extension de l’exportation, etc., tout cela entraînerait, dans la période suivant immédiatement après, une atténuation de la disproportion, une réduction de l’écart des « ciseaux ». une certaine régularisation du marché, l’enrichissement du village, c’est à dire des éléments riches de celui ci, et même une certaine diminution du chômage. Mais ce seraient là des succès obtenus en suivant la voie du capitalisme qui, après quelques brèves étapes, inté-grerait l’URSS dans la chaîne impérialiste. « La Russie N° 2 » se trouverait être à nouveau le chaînon le plus faible de celle ci ; il en résulterait pour elle une vie de semi colonie. Pourtant, avant que la voie à droite n’apparaisse comme étant celle du capi¬talisme arriéré et esclavagiste, de l’exploitation odieuse des travailleurs, de nouvelles guerres au service des maîtres de l’impérialisme mondial, les résultats immédiats de la politique de droite pour¬raient aux yeux de masses considérables de la popu¬lation des campagnes et même des villes, être accep¬tés comme une issue de l’impasse dans laquelle se trouve actuellement, l’économie, en face du manque de marchandises, des queues aux portes des boulan¬geries, et du chômage croissant. C’est précisément en cela que réside, au point de vue politique, le danger d’orientation à droite : après la pénible expérience de la politique centriste, elle pourrait donner des résultats trompeurs et attrayants, après avoir accompli la première étape de la route menant directement à l’abîme du capitalisme. Il n’existe pas, il ne peut exister de recette de gauche simple permettant de triompher d’un seul coup des difficultés se dressant sur la voie du socialisme. En général, dans les limites d’une seule nation, il est impossible de vaincre entièrement les difficultés provenant du retard de la révolution mondiale. Cela doit être dit clairement, fermement, honnêtement, en marxiste, en léniniste.
Pourtant, il est aussi peu logique de tirer des déductions pessimistes pour l’URSS en se basant sur l’indéfectible dépendance liant la construction du socialisme à la Révolution internationale, que d’arriver à des conclusions du même genre pour la Révolution allemande, parce qu’elle dépend directement des succès de la dictature en URSS. L’idée même, que le pessimisme découle logiquement du fait que notre édification socialiste est fonction des rapports internationaux, est une honte pour un marxiste.
Mais, bien que le sort de la révolution soit fonction de son caractère international, il n’en résulte nullement que le parti de chaque pays soit débarrassé du devoir de faire dans tous les sens le maximum d’efforts. Au contraire, cette obligation ne fait que grandir : en effet, les fautes économiques commises à l’intérieur de l’URSS, non seulement retardent la construction du socialisme dans notre pays, mais frappent de la façon la plus directe la Révolution mondiale. Si, en temps voulu, c’est à dire dès le XII° Congrès [1], l’on s’était assigné comme but de vaincre la disproportion existant dans le domaine économique par une politique juste de répartition des revenus nationaux et par une industrialisation intense, notre position serait maintenant bien plus avantageuse. Certes, même dans ce cas, des difficultés essentielles se dresseraient encore devant nous. Mais dans la lutte mondiale que nous menons. ce sont l’allure et les délais qui importent. Si le développement économique avait une allure plus rapide, si par conséquent les rapports entre les forces des classes à l’intérieur du pays nous étaient, plus favorables, nous pourrions marcher avec infiniment plus d’assurance vers les victoires du prolétariat dans les pays plus avancés. Le cours de gauche n’implique pas en soi la construction par nos propres forces du socialisme tout entier. Il ne peut même pas impliquer le triomphe complet des contradictions existant à l’intérieur du pays, aussi longtemps qu’il en subsiste dans l’ensemble du monde ; mais il peut établir graduellement un règlement plus juste des contrastes internes de classe, plus juste au point de vue du socialisme en construction : en hâtant l’allure de la croissance, grâce à une politique plus juste de la répartition du revenu national, en arrivant à un renforcement plus sérieux et plus systématique des positions dominantes occupées par le prolétariat, en renforçant au point de vue politique une ligne de conduite de classe plus claire et plus ferme, en établissant des liens plus profonds avec l’œuvre de l’IC, en assurant enfin la prévoyance et la direction marxiste dans les problèmes fondamentaux de la Révolution prolétarienne mondiale. L’ensemble de tout cela constitue précisément tout ce qu’il faut, pour vaincre au point de vue international. Le cours de gauche présuppose un plan économique réparti sur plusieurs années, plan profondément médité, plan audacieux, de grande envergure, qui n’oscillerait pas de côté et d’autre sous les coups des manœuvres dues aux changements de conjoncture, manœuvres absolument nécessaires, mais qui ne doivent pas avoir une importance décisive. Le cours de gauche présuppose aussi l’existence d’une direction extrêmement cohérente, capable de remonter le courant, de sauvegarder, dans sa stratégie la ligne de conduite générale, et de la maintenir à travers toutes les sinuosités imposées par la tactique. Or, cela exige de l’optimisme réel en présence des questions de la Révolution prolétarienne internationale, et sur cette assise inébranlable, une foi profonde dans la possibilité de construire avec succès le socialisme dans notre pays. Des circulaires ne peuvent amener qu’un zigzag vers la gauche. Mais il est impossible d’appliquer le cours de gauche à coups de circulaires. Pour réaliser ce cours prolétarien, léniniste, notre Parti, depuis la base jusqu’au faîte, a besoin d’une orientation nouvelle, d’un nouveau regroupement de ses forces. C’est un processus qui doit se développer sérieusement et longuement. Il faut rendre au Parti sa pensée collective libre, sa volonté élastique. Il faut que le Parti cesse d’avoir peur de ses cadres. Il faut que les cadres ne puissent pas et n’osent pas terroriser le Parti. Il faut que le Parti redevienne le Parti. Une politique de droite est possible, entraînant des « victoires » évidentes et relativement rapides... pour le capitalisme. Une politique de gauche est également possible en tant que politique de dictature du prolétariat, de construction du socialisme et de Révolution internationale. Mais ce qui ne peut pas exister en tant que politique durable et victorieuse (et d’autant plus en tant que politique bolchévique), c’est un soi disant « cours de gauche », pratiquant des méthodes de « combinaisons » centristes, étranglant le Parti, et continuant à démolir son aile gauche. A moins que le Parti n’impose sa transformation en cours de gauche, un zigzag du centrisme « gauche » de ce genre fera inévitablement faillite ; cela se produira d’ailleurs bien avant qu’il n’ait pu amener des résultats pratiques de quelque importance. A ce moment, la droite pourra avoir tous les atouts dans son jeu, elle se renforcera immédiatement au détriment du centre actuel, se choisissant peut-être même des chefs dans les rangs de celui ci.
Ceux qui ne pensent que le revirement à gauche exécuté par l’appareil du Parti réduit à néant le péril de droite se trompent radicalement. Jamais, au contraire, ce danger ne fut plus grand, plus menaçant, plus imminent qu’aujourd’hui. La position la plus dangereuse d’une voiture montant une côte très rude est celle où les roues de devant ont déjà franchi le sommet, tandis que l’arrière train, le lourd fardeau et les voyageurs sont encore de l’autre côté de la pente. C’est précisément alors que le maximum d’efforts des chevaux et du conducteur est nécessaire ; c’est alors surtout qu’il faut que les voyageurs eux mêmes poussent aux roues.
Mais malheur à eux s’ils somnolent, ou s’ils hésitent en se serrant les uns contre les autres, tandis que le cocher, se retournant vers l’arrière brandit, en guise de fouet, l’article 58 du Code pénal [2] pour chasser ceux qui, manches retroussées, empoignent les rayons, poussent le véhicule et le soutiennent de leur dos par derrière. C’est justement à ce moment que la voiture peut se précipiter de tout son poids en arrière et rouler sur la pente abrupte. Jamais le péril de droite ne fut aussi grand, aussi menaçant, aussi imminent qu’à présent.
A l’heure actuelle, quelle est la signification de ce péril de droite ? C’est moins le danger d’une contre-révolution bourgeoise complète et agissant ouvertement, que celui d’un Thermidor, c’est à dire d’un coup d’Etat ou d’une poussée contre révolutionnaire partielle, qui, précisément parce qu’elle est inachevée, peut encore assez longtemps se dissimuler sous des formes révolutionnaires, tout en revêtant déjà au fond un caractère nettement bourgeois.
Dans ce cas, le retour de Thermidor à la dictature du prolétariat ne pourrait s’effectuer qu’à travers une nouvelle révolution. Nous avons affirmé à plus d’une reprise (notamment au Plenum du Comité Central en février 1927) que la direction centriste, en pourchassant la gauche, entraîne inévitablement à sa remorque une longue queue de suiveurs venant de la droite du Parti, sortant même des limites de celui ci, et se terminant par des thermidoriens conscients et combatifs. Nous avons prédit que cette queue pesante finirait inéluctablement par pousser la tête, et que ce choc pourrait être le point de départ d’un regroupement profond au sein du Parti, c’est à¬-dire de l’affirmation de plus en plus insolente de l’aile droite, d’un déplacement vers la gauche plus brutal et plus audacieux du noyau prolétarien du Parti et d’une agitation convulsive de la fraction centriste de l’appareil perdant peu à peu ses forces. L’insurrection des koulaks en 1927 28 qui se produisit sans effusion de sang et qui eut l’appui de membres du Parti désirant vivre en paix avec toutes les classes, constitue précisément l’un de ces remous où la queue pousse la tête. La Pravda elle même a reconnu maintenant officiellement (dans un article de fond paru le 15 février 1928) qu’il existait dans notre Parti une aile thermidorienne on semi therrmidorienne influente ; en effet, quels autres thermidoriens peut il y avoir dans un parti prolétarien, que ceux qui sont prêts à tout instant à démolir l’Opposition, et qui veulent vivre en paix avec le koulak entraînant avec lui le paysan moyen contre le pouvoir des Soviets ? Nous ne voulons pas dire par là que tons ceux qui appliquent cette poli¬tique veulent consciemment en venir à un thermidor. Non, les thermidoriens et à plus forte raison les semi thermidoriens, n’ont en général jamais brillé par une perspicacité historique profonde ; c’est seule¬ment cela qui permet à un grand nombre d’entre eux de remplir leur rôle de défenseurs d’une autre classe. Ainsi, le choc de la queue poussant la tête s’est produit, choc sérieux, mais n’ayant cependant, jusqu’à présent que la valeur d’un signal et d’un avertissement. Des regroupements commencent à se former dans le Parti, quoique encore très imprécis et très insuffisants. Une des formes par lesquelles ce processus se manifeste est la transformation de la manœuvre gauchiste exécutée dans les sphères supé¬rieures, et qui grandit jusqu’à devenir un zigzag sérieux vers la gauche. Ainsi les deux roues de devant du Parti peut être même seulement l’une d’entre elles semblent déjà avoir atteint le sommet de la côte, mais le chariot tout entier, si pesamment chargé, est encore en pleine montée et cette montée peut devenir pour lui une descente terrible.
Dans ces circonstances si critiques, quel est actuellement le devoir de l’Opposition envers le Parti ? Nous parlons évidemment ici de la vraie Opposition léniniste, et non de ces compagnons de route occasionnels, qui sont toujours prêts à abandonner leurs opinions si on le leur demande avec insistance, pour adhérer à d’autres idées plus faciles à défendre. Pour répondre plus clairement à la question traitant du devoir de l’Opposition, il faut commencer par examiner la pire des éventualités : il faut supposer qu’utilisant d’année en année les erreurs commises par la direction, la désorganisation chronique du marché, la cherté de la vie, le chômage, le tiraillement exercé par l’administration, etc., la queue thermidorienne, koulak, bourgeoise, bureaucratique, tente dans l’avenir, au moment d’un pas difficile, à l’occasion de difficultés plus grandes encore, de pousser sérieusement la tête, c’est à dire qu’elle essaie de passer des formes semi légales de sabotage capitaliste auquel elle a recours actuellement à la guerre civile directe.
Peut on a priori exclure cette éventualité ? Non. Malheureusement non. Surtout si des complications internationales venaient à se produire. Celui qui affirmerait le contraire endormirait traîtreusement le Parti.
Peut on redouter qu’une assez grande partie des piliers du faux monolithisme du Parti à Smolensk, à Artiemovsk, à Chakhty, et même à Léningrad, et même à Moscou, tirent leur épingle du jeu lors d’un moment difficile, ou trahissent directement ? Non seulement on peut le redouter, mais on le doit. Les divulgations récentes ne font à peine que soulever le bord du rideau bureaucratique. Dans ce domaine, le Parti doit être en garde contre de grands dangers.
Peut on s’imaginer, d’autre part, un oppositionnel disant : « Ils ont créé cette situation par leur politique : qu’ils se débrouillent eux mêmes ! » Non, on ne peut concevoir un oppositionnel tenant ce langage, à moins que ce ne soit un agent des gardes blancs, un provocateur pénétrant dans les rangs de l’Opposition dans le dessein de lui nuire. Les oppositionnels combattront pour le Parti, pour la dictature, pour la Révolution d’Octobre, comme il convient à des révolutionnaires dévoués, sans arrière pensée, tels qu’ils se sont affirmés en défendant l’étendard du bolchevisme dans les circonstances historiques les plus pénibles, alors que persécutions et répressions tombaient sur eux dru comme grêle. Les cadres de l’Opposition ont supporté l’épreuve. Si le bureaucratisme et la stupidité de l’appareil du Parti venaient à empêcher les oppositionnels d’occuper leurs places dans les rangs de l’armée régulière au moment d’un péril extrême, ils combattraient l’ennemi de classe en francs tireurs, car un révolutionnaire défend la Révolution au besoin sans en recevoir l’ordre... On pourrait ne pas parler de tout cela si des cris hystériques furieux n’annonçaient pas le défaitisme de l’Opposition misant sur la chute du pouvoir des Soviets.
L’allégation que l’attitude des oppositionnels n’a aucune importance pour la défense de la dictature, à cause de leur faiblesse numérique, apparaît, maintenant surtout, comme ayant fait faillite. Si l’Opposition est si faible, pourquoi l’appareil, la presse, les orateurs officiels, les professeurs des écoles du Parti pendant cinq ans et le Guépeou au cours de la dernière période se sont ils assignés comme tâche principale la lutte contre l’Opposition ? Pourquoi tous les discours, les articles, les circulaires, les instructions, les livres prennent ils cette lutte comme point de départ et gravitent ils autour d’elle ? Mais quelle que soit la valeur de l’influence exercée par l’Opposition, celle que l’on voit et celle qui existe en puissance, celle d’aujourd’hui et celle de demain, une seule chose est incontestable : le Parti de la dictature du prolétariat peut compter sur ce détachement qui lui appartient, en toutes circonstances, complètement et entièrement.
Quoi qu’il en soit, une autre question demeure, qui revêt un caractère d’une actualité, plus brûlante : qu’est ce que l’Opposition peut et doit faire maintenant dans la période présente, période critique de crise ? Nous voulons poser nettement ici toutes les questions afin de ne laisser place à aucune confusion, à aucun malentendu. L’Opposition peut elle soutenir la droite contre les centristes qui formellement détiennent le pouvoir, pour aider au renversement de ces derniers, pour se venger sur eux de l’odieuse persécution subie, de la brutalité, de la déloyauté, de « l’officier wrangélien », de l’article 58, et d’autres affaires laissées obscures à dessein ? De semblables combinaisons entre la droite et la gauche ont existé au cours des révolutions. De telles combinaisons ont également ruiné des révolutions. La droite représente dans notre Parti le chaînon auquel s’accrochent secrètement les classes bourgeoises pour entraîner la Révolution dans la voie de Thermidor. Pour l’instant, le centre tente de résister ou de résister à moitié. Il est clair que l’Opposition n’a rien de commun avec un esprit de « combine » aventurier espérant renverser le centre avec l’aide de la droite. L’Opposition appuie chaque pas, même hésitant, vers une ligne de conduite prolétarienne, tout tentative, même indécise, de résister aux éléments thermidoriens. L’Opposition le fait et le fera tout à fait indépendamment du fait que le centre, s’appuyant sur la droite, le désire ou non. L’Opposition ne pose à cela aucune condition d’entente, de concession, etc. Elle tient simplement compte de ce que le zigzag esquissé actuellement par la tactique du centre, suit parallèlement à une certaine, distance la ligne observée par la stratégie de la politique bolchevique. Nous avons déjà dit (et pour la dernière fois dans notre déclaration lue par le camarade Smilga au XV° Congrès) que l’Opposition, même mise hors du Parti, ne se considérait pas comme déliée des devoirs de celui ci, ni de responsabilité qui incombe au Parti dans son ensemble vis à-¬vis du pays. Nous ne pouvons que répèter ici entièrement ce que nous disions alors. Cela signifie en particulier que, malgré les persécutions, les exclusions, l’article 58, etc., chaque oppositionnel est prêt à exécuter comme autrefois les missions que le Parti lui confierait, indépendamment de son attitude envers la Direction de celui ci et du régime que cette Direction applique. Pourtant, l’Opposition peut elle, du point de vue politique, se tenir pour responsable devant le Parti du revirement exécuté actuellement, en le qualifiant de cours léniniste juste ? Non, elle ne le peut pas. L’appui accordé par l’Opposition à tout mouvement, même partiel, conduisant à une ligne de conduite prolétarienne, ne sera jamais une approbation au centrisme (même de gauche) comme en expriment les médiocrités du Parti, passant sous silence sa faculté de ne faire les choses qu’à demi, son incohérence, les erreurs qu continue à commettre, ou fermant hypocritement les yeux pour ne pas voir ses théories révisionnistes qui préparent pour demain de nouvelles fautes encore plus lourdes. Tout en soutenant contre la droite chaque pas du centre vers la gauche.
L’opposition doit (et elle le fera) critiquer l’insuffisance complète de ces démarches et l’insécurité de ce revirement, dans la mesure où il conserve le carac¬tère de mesures exécutées par ordre, mais n’émanant pas vraiment du Parti. Avec intransigeance, l’Oppo¬sition divulguera au Parti les dangers immenses provenant de l’inconséquence, du manque de réflexion politique, des contradictions politiques du cours actuel, persistant à s’appuyer sur le bloc du centre avec la droite contre l’aile gauche. Dans ces condi¬tions, l’Opposition peut elle renoncer à sa plate¬-forme ? Maintenant moins que jamais. Abjurer ainsi équivaudrait à renoncer au fondement médité, généralisé et systématisé du cours de gauche ; ce serait rendre le meilleur service à la droite dont tous les espoirs et tous les calculs pour arriver à la victoire se basent avec raison sur les zigzags et l’incohérence de l’orientation centriste. La conti¬nuation de la lutte pour les idées et les propositions exprimées dans la plate forme sont le seul soutien juste, sérieux et honnête qui puisse être accordé à toute démarche quelque peu progressiste du centre. C’est à cette seule condition qu’on peut nourrir l’espoir de voir le Parti réussir, par une réforme intérieure, à transformer le zigzag centriste gauche de la direction en un véritable cours léniniste.
Cette lutte pour la plate forme de l’Opposition est elle compatible avec l’unité du Parti ? Elle peut se trouver provisoirement incompatible avec cette unité, en face d’un régime bureaucratique, c’est à dire injuste et malsain ; l’exclusion de l’Opposition du Parti l’a démontré. Mais la circulaire lancée par le Comité Central le 3 juin constitue avant tout l’aveu criant (quoique forcé) du caractère malsain et insoutenable du régime qui s’est créé dans notre Parti au cours des cinq dernières années.
Dans un régime sain, la critique la plus rigoureuse des erreurs de principes commises par le Comité Central est parfaitement compatible avec l’unité du Parti et la discipline de fer dans l’action. Quant aux divergences d’opinion (maintenant qu’elles ont déjà subi l’épreuve géante des événements), elles seraient relativement aisées à liquider par le Parti, si celui ci reconquérait ses droits élémentaires ; c’est vers cela que convergent à présent toutes les questions.
La lutte pour les convictions exposées dans la plate forme des bolcheviks léninistes (Opposition) est elle compatible avec le renoncement aux méthodes fractionnelles employées pour défendre ces opinions ? En face d’un régime qui, selon l’expression employée dans la circulaire même du 3 juin, « est atteint du bureaucratisme le plus odieux », toute critique des opinions du Comité Central, du Comité provincial, du Comité de rayon, du secrétaire de cellule, est flétrie du terme d’« esprit fractionnel » et la plupart du temps obligatoirement refoulée dans la voie du travail fractionnel. L’Opposition est entièrement et complètement disposée à ne défendre son point de vue que par les méthodes rigoureusement normales au sein du Parti, en prenant fermement comme base l’ensemble des résolutions du X° Congrès ayant trait à la démocratie dans le Parti et à l’interdiction de constituer des fractions. Pourtant, même maintenant, après les derniers manifestes et circulaires, l’Opposition ne se fait pas d’illusions quant au régime intérieur du Parti. La crédulité bienheureuse qui consiste à prendre les paroles pour des actes, les manifestes contradictoires pour un sûr cours de gauche, ne fut et ne sera jamais considérée comme une qualité par un révolutionnaire prolétarien, surtout s’il a vécu et médité sérieusement l’expérience des cinq dernières années. Jamais encore l’esprit fractionnel n’a autant qu’à présent, après la tentative d’amputer mécaniquement l’Opposition, rongé le Parti. La droite, le groupe tampon, les deux tronçons du faîte de l’Opposition de Léningrad, les bolcheviks léninistes (Opposition), voilà les groupements principaux existant maintenant dans le Parti, sans compter les sous fractions. Le centrisme de la fraction dirigeante, avec son manque de précision, et son incohérence dans les idées et dans la politique, est un véritable bouillon de culture pour l’esprit fractionnel de droite et de gauche.
Des mesures extérieures, des manifestes, des arrestations, ne feront pas sortir de cette situation. Seul un cours juste, élaboré et appliqué par le Parti tout entier, peut triompher de l’esprit de fraction qui le dévore. Ce cours ne sera obtenu que par l’exercice de la critique par le Parti, par l’examen des déviations essentielles et des vices du régime établi au cours des cinq dernières années. Il faut condamner le cours faux pour frayer la voie à celui qui est juste. Quant à l’« autocritique » annoncée dans les manifestes et les articles, elle se réduit jusqu’à présent au fait qu’on laisse le mécontentement de la base s’exprimer contre des fautes secondaires, ou qu’on sacrifie une centaine ou deux de bureaucrates, comme victimes expiatoires. La critique de l’exécution est présentée comme bonne, saine, sérieuse. Celle de la direction est dite destructrice, pernicieuse, oppositionnelle. Si l’autocritique ne dépasse pas ces limites, tout le zigzag centriste à gauche ne sera qu’un avortement et rien de plus. Tirer de cette impasse l’« autocritique » bureaucratique et légalisée, l’amener dans la voie de la démocratie au sein du Parti, c’est jusqu’à présent une besogne à exécuter par le Parti lui même. De la réussite plus ou moins grande de cette œuvre, dépend le succès de la profonde réforme sans laquelle le Parti ne sortira pas de la Révolution de la crise qu’elle traverse. Pour résoudre ce double problème : assainir ses propres rangs et l’Etat soviétique, le Parti a avant tout besoin de clarté dans les idées. L’Opposition a donc pour devoir d’élever la voix dans l’autocritique que certains centristes, bureaucrates très influents, considèrent comme la soupape de sûreté laissant échapper le mécontentement accumulé ; elle doit, en réalité, faire partie intégrante du régime de la démocratie dans le Parti. Avant tout, l’Opposition doit aider la masse du Parti (non seulement dans le PC de l’URSS, mais dans l’IC tout entière) à résister aux bureaucrates qui veulent « protéger » de l’autocritique les problèmes fondamentaux de la ligne de conduite politique et de la direction du Parti. L’expérience de la direction économique en URSS celle du mouvement révolutionnaire allemand en 1923 1928, celle de la Révolution chinoise et du Comité anglo russe doivent être contrôlées, mises en lumière, étudiées de toutes parts. En même temps, l’Opposition doit rigoureusement veiller à ce que l’« autocritique » (qui, ultérieurement, se heurtera inévitablement de plus en plus aux obstacles du bureaucratisme) ne suivre une voie dirigée contre le Parti et ne puisse amener de l’eau aux moulins anarcho menchévistes. La politique opportuniste et le régime bureaucratique font naître inéluctablement des réactions malfaisantes dans les masses ouvrières elles¬-mêmes. Seule, l’Opposition peut protéger le Parti contre ce mal, ou tout au moins réduire cette réaction au minimum, en faisant renaître, en renforçant la confiance des ouvriers dans le Parti, en balayant impitoyablement toute échappatoire, tout camouflage de l’appareil, en luttant ouvertement pour ses nos d’ordre intégraux, en un mot en suivant fermement la ligne de conduite léniniste.
Tel que nous le posons, l’ensemble de nos principes nous épargne la peine de réfuter à nouveau l’idée qu’on veut nous attribuer en nous faisant dire que le Parti serait devenu thermidorien et que Thermidor, ou le coup d’État contre révolutionnaire serait déjà un fait accompli. L’acharnement vraiment hystérique avec lequel cette idée est propagée, alors qu’elle n’a absolument rien de commun avec notre position, n’est profitable qu’à nos ennemis de classe, elle ne fait que témoigner de l’impuissance de nos adversaires dans la lutte d’idées, née de l’incapacité générale des centristes de saisir et de comprendre la vivante dialectique du processus de l’histoire. Le même résultat est atteint lorsqu’on tente de nous attribuer la conception de l’lC cessant d’être l’avant garde dit prolétariat mondial et devant être remplacée par quelque autre union internationale.
Nous avons déclaré déjà, et nous le répétons, que nous ne pouvons prendre. même une ombre de responsabilité pour ceux qui estiment comme achevé le processus du glissement de la direction du PC, de l’URSS et de l’IC s’écartant de la ligne de classe (processus qui existe incontestablement au cours des dernières années) et qui, pour cette raison, directement ou indirectement tournent le dos à ces organisations. Par là même, nous déclinons toute responsabilité quant à la politique des candidatures oppositionnelles parallèles à celles des PC, politique que nous avons condamnée d’avance et contre laquelle nous avons mis en garde dans une lettre envoyée la l’étranger. Celle ci ayant été publiée dans la Pravda (15 janvier 1928), les assertions persistant à annoncer notre solidarité avec la politique des candidatures parallèles font partie d’une des nombreuses tentatives de tromper son propre Parti, pour justifier dans une certaine mesure l’application de la répression.
Nous basons tous nos calculs sur le fait qu’il existe, au sein du PC de l’URSS de l’IC et de l’URSS, d’énormes forces révolutionnaires intérieures, écrasées par la fausse direction et le pénible régime, mais qui, sous l’effet de l’expérience, de la critique et de la marche de la lutte des classe dans le monde entier, sont parfaitement capables de redresser la ligne suivie par la direction et d’assurer un cours prolétarien juste. Les tentatives faites actuellement par la direction pour échapper aux conséquences de sa propre politique, en suivant la voie de la gauche et non celle de la droite, en répétant et en utilisant en partie les idées et les mots d’ordre de l’Opposition, se font sous la pression imprécise encore du noyau prolétarien du Parti ; elles constituent une des preuves de l’exactitude de notre analyse générale et de nos calculs. De toutes nos forces, nous aiderons les forces intérieures du Parti et de la classe à provoquer un redressement de la politique en ébranlant le moins possible le PC de l’URSS, l’État, ouvrier et l’Internationale. Nous repoussons formellement l’accusation prétendant (tue nos déclarations antérieures sur la cessation du travail fractionnel n’auraient pas été, sincères. Ces déclarations supposaient un minimum de bonne volonté de la part de la majorité, pour établir un régime permettant la défense des points de vue différents, par des méthodes normales, élaborées à travers toute l’histoire du Parti. Il est toujours possible à l’appareil bureaucra¬tique tout puissant et luttant pour son inviolabilité et son inamovibilité, de fermer mécaniquement toutes les voies devant les membres du Parti, à l’exception de celles du travail fractionnel. En for¬mulant nos déclarations annonçant notre dessein de renoncer aux méthodes fractionnelles, nous nous sommes toujours référés à l’enseignement de Lénine sur le Parti prolétarien, et sur les conditions fonda¬mentales d’une existence saine de celui ci. Nous nous basions en particulier sur la décision du 6 dé¬cembre 1923 disant que le bureaucratisme pousse les meilleurs membres du Parti dans la voie de l’iso¬lement et de l’esprit de fraction. Cette, déclaration n’était pas qu’une pure formalité, elle exprimait l’essence même de la question. Les accusations for¬mulées contre 1’Opposition n’étaient que plus dépla¬cées et plus indignes, lorsqu’elles disaient que celle ci, même après le XV° Congrès, malgré sa déclaration de soumission aux résolutions du Parti et de cessation du travail fractionnel, aurait en réalité continué. La promesse que nous faisions au Congrès supposait notre maintien dans le Parti, par conséquent, la possibilité de défendre nos opi¬nions en restant dans ses rangs. Dans le cas contraire, cet engagement n’eut été qu’une renonciation à toute activité politique en général, l’engagement de cesser de servir le Parti et la Révolution interna¬tionale. Des fonctionnaires corrompus jusqu’à la moelle peuvent seuls exiger une pareille abjuration d’un révolutionnaire. De méprisables renégats pou¬vaient seuls donner de pareilles promesses. Nous basant sur ces positions au point de vue des principes, nous ne pouvons, par conséquent, avoir rien de commun avec la politique des soi disant léninistes qui rusent avec le Parti, font de la diplomatie dans la lutte de classes, jouent à cache cache avec l’histoire, reconnaissent en apparence leurs erreurs, affirment avoir eu raison, créent le mythe du « trotskysme », le démolissent, tentent de le constituer de nouveau, appliquent en un mot, au Parti, la politique de la « paix de Brest », c’est à dire celle d’une capitulation provisoire, insincère et faite dans l’espoir de la revanche ; cette politique est admissible envers un ennemi de classe, elle devient le fait d’aventuriers lorsqu’elle est pratiquée envers le Parti même. Nous éprouvons de la répugnance envers la philosophie byzantine du repentir par laquelle le souci de l’unité du Parti impliquerait, à l’époque de la dictature prolétarienne, le renoncement aux opinions de principe que la direction actuelle estime inadmissibles pour des raisons de prestige et ose même poursuivre par des moyens d’Etat.
Nous nous considérerions comme des criminels si, pendant cinq ans, nous avions mené notre âpre lutte au sein du Parti au nom de principes assez élastiques pour y renoncer par ordre ou sous la menace de l’exclusion du Parti. Servir le Parti est indissolublement lié à la lutte pour l’établissement d’une ligne de conduite politique juste. Nous vouons donc au mépris tout membre du Parti pour qui la crainte de perdre provisoirement sa carte du Parti pour douloureuse qu’elle soit dépasse le souci de la lutte pour les traditions fondamentales du Parti et pour son avenir.
Les discours annonçant que l’attitude actuelle de l’Opposition (fidèle à ses convictions, luttant pour elles) serait incompatible avec ses déclarations sur l’unité du Parti, ces discours suent la fausseté. Si nous estimions que le cycle de l’évolution du Parti s’est achevé, au XV° Congrès, il n’y aurait alors pas d’autre issue historique que la création d’un second Parti. Mais nous avons déjà dit que nous n’avons rien de commun avec cette appréciation. Si, à l’occasion du stockage des blés, en corrélation avec celui ci, et comme par hasard, il est apparu qu’il existait dans le Parti une fraction influente voulant vivre en paix avec toutes les classes ; si, dans un laps de temps très court, ont surgit les affaires de Chakhty, d’Artiemovsk, de Smolensk, et bien d’autres, tout cela montre que l’inévitable processus de différenciation du Parti, de sa clarification, de son auto épuration est encore à faire ; le noyau prolétarien aura encore suffisamment d’occasions de se convaincre que notre appréciation de la politique du Parti, de sa composition, (les tendances générales de son développement, sont confirmées par des faits d’importance décisive. placés momentanément hors du Parti par un régime mensonger et malsain, nous continuons à vivre avec le Parti, à travailler pour son avenir. Notre ligne de conduite et nos perspectives étant justes, nos méthodes de lutte pour des convictions léninistes ayant le vrai caractère du Parti, aucune force au monde ne pourra nous arracher de celui ci, nous opposer à l’avant garde prolétarienne internationale et à la Révolution communiste. Mais il sera moins possible encore d’y arriver par l’application de l’article 58 qui ne déshonore que ceux qui nous l’ap¬pliquent. La contradiction qui nous oblige à demeurer pour la forme en dehors des limites du Parti, tout en combattant pour lui contre ceux qui le désor¬ganisent et le minent du dedans, est une contra¬diction inévitable, formée par la vie elle même au cours de l’Histoire. On ne peut en sortir par un sophisme de juriste et qu’en aboutissant à un seul lieu : le méprisable lieu du reniement des idées. La contradiction qui nous est imposée n’est qu’un exemple particulier de contradictions plus profondes, plus générales ; elle ne pourra être résolue réellement que par l’emploi des méthodes léninistes envers les problèmes fondamentaux posés devant l’IC et le PC de l’URSS. Jusque là, la. question de l’Opposition, restera la pierre de touche permettant de juger la ligne de conduite et le régime du Parti. Le châtiment appliqué à l’Opposition pour sa critique du Comité Central, critique complètement confirmée par les faits et renforcée par les récentes résolutions et interventions partielles du Comité Central lui¬-même, ce châtiment est une des manifestations les plus flagrantes des pires méthodes du régime fonctionnariste et des pires aspects de la direction du Parti. De nouvelles exclusions et des déportations d’oppositionnels continuent encore à terroriser le Parti, malgré les circulaires rassurantes. La question de la réadmission des oppositionnels dans le Parti, du retour des déportés, de la libération des emprisonnés, devient l’épreuve essentielle, le moyen de contrôle infaillible et le premier indice du degré de sérieux et de profondeur de toutes les récentes démarches vers la gauche. Le Parti et la classe ouvrière jugeront, non point d’après les paroles, mais d’après les actes. C’était l’enseignement, de Marx, ce fut celui de Lénine, c’est celui de l’Opposition. Le VI° Congrès de l’IC peut, dans une grande mesure, faciliter le rétablissement de l’unité du Parti en conseillant avec fermeté aux institutions centrales du PC de l’URSS d’abroger immédiatement l’application de l’article 58 à l’Opposition, application basée sur une déloyauté politique grossière, et sur un perfide abus de pouvoir. La réintégration des bolcheviks léninistes (Opposition) dans le Parti est une condition indispensable et inévitable d’un retour à la voie de Lénine. Cela est incontestablement vrai, non seulement pour le PC de l’URSS mais aussi pour toutes les autres sections de l’IC. Tout oppositionnel, en reprenant la place qui lui appartient de droit dans son Parti, dont nous le répétons à nouveau, aucune force, ni aucune résolution ne pourront l’arracher, fera tout ce qu’il pourra pour aider le Parti à sortir de la crise actuelle, et à supprimer l’esprit de fraction. Il ne peut y avoir aucun doute qu’un pareil engagement rencontrera l’appui unanime de tous les bolcheviks léninistes (Opposition).
Alma Ata, 12 juillet 1928.
Notes
[1] Le XII° Congrès du Parti Communiste Russe eut lieu en avril 1923. Trotsky y présenta un rapport sur l’industrie, dans lequel il fixa les traits essentiels de la politique économique du prolétariat à l’époque de la Nep. En résumé la thèse principale de ce rapport affirme que la base fondamentale de la dictature du prolétariat est constituée par l’industrie socialisée capable d’aiguiller aussi vers la voie du socialisme l’économie paysanne. Une résolution conforme à ce rapport fut adoptée, présentant, comme tâche primordiale de la politique économique, l’extension de la place occupée par l’industrie dans l’ensemble du système économique, c’est à dire l’industrialisation du pays.
Pourtant, bientôt, la direction Staline Zinoviev, cédant devant la pression de l’élément petit bourgeois, renonça à réaliser cette résolution du XII° Congrès.
Les difficultés économiques, de plus en plus accentuées, auxquelles se heurte l’URSS an cours des dernières années, proviennent en partie de l’abandon de l’unique ligne de conduite juste au point de vue économique qui avait été fixée par le XII° Congrès, d’après le rapport de Trotsky.
[2] L’article 58 du Code pénal de l’URSS relatif aux crimes contre révolutionnaires, fut appliqué par Staline dans la répression exercée contre les oppositionnels.
https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1928/07/lt19280712.htm
Contre la prétendue « bolchevisation » du parti communiste italien
https://www.marxists.org/francais/bordiga/works/1925/07/bordiga_19250700.htm
https://www.marxists.org/francais/bordiga/works/1926/02/bordiga_ic262.htm
Contre la prétendue « bolchevisation » du parti communiste français
https://www.marxists.org/francais/cermtri/cermtri_141.pdf
https://www.marxists.org/francais/cermtri/cermtri_145.pdf
https://www.marxists.org/francais/general/souvarine/works/1925/10/souvarine_19251023.htm
https://www.marxists.org/francais/4int/ogi/1925/10/ogi_19251025.htm
https://www.marxists.org/francais/rosmer/works/1929/rosmer_19290416.htm
http://www.matierevolution.org/spip.php?article7570
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4800747j.texteImage
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k126129/f45.item.r=bolchevisation
Lénine et les bolcheviks ne défendaient pas la thèse du « parti unique » stalinien ou zinoviéviste