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Egypte : révolution et luttes sociales

mercredi 13 février 2013

Egypte : révolution et luttes sociales

Si l’on retient de la révolution égyptienne de 2011 la figure du jeune internaute branché, si l’on découvre, en 2013, celle, plus sombre, du jeune cagoulé vêtu de noir, il en est une que la plupart des médias ignorent alors même que son rôle est incontestable dans le cycle de mobilisations que connaît l’Egypte depuis deux ans, et au-delà depuis la fin des années 1990 : celle du petit salarié, qu’il soit ouvrier, fonctionnaire ou employé.

Moins médiatiques que les affrontements entre militants politiques et forces de l’ordre, plus constantes et régulières que les épisodes protestataires qui se déploient dans les rues, les mobilisations du monde du travail sont l’autre face, tout aussi cruciale et tout aussi expressive, de cette révolution.

La force et l’acuité des luttes qui se déclinent en termes économiques et se conjuguent au présent de la question sociale ne sauraient être occultées dans la compréhension de la geste révolutionnaire.

Elles en sont un des réfracteurs et entretiennent un rapport homothétique, dans la forme et le fond. Elles sont aussi le soubassement, voire une des clés d’explication des flambées de violence, de colère et protestations que la moindre étincelle politique suffit à allumer dans l’Egypte d’aujourd’hui.

Une révolution ne relève pas de la théorie de la génération spontanée. L’égyptienne ne déroge pas à la règle ; si la contestation qui s’est cristallisée le 25 janvier 2011 par l’occupation de la place Tahrir fut imprévisible, elle ne s’inscrit pas moins dans un cycle de protestations indépendantes des formations politiques et à l’initiative des ouvriers et des jeunes.

OCCUPATION DE TOUTE UNE VILLE

Pour la seule année 2007, l’Egyptian Workers and Trade Union Watch dénombre 580 actions revendicatives (en 2004, il s’agissait de 191 actions). En septembre 2007, 22 000 ouvriers de l’usine de textile Ghazl Al-Mahalla, fleuron de la troisième ville du pays, Mahalla Al-Koubra, se mettent en grève pour réclamer une amélioration de leurs conditions de travail et un salaire minimum.

Pour la première fois en Egypte, un ouvrier du comité de grève élu, Sayyid Habib, déclare lors d’un meeting : "Nous défions le gouvernement (...) Nous nous battons pour nos droits et la chute du gouvernement." La politisation des revendications sociales est explicite.

Quelques mois plus tard, c’est de la même usine, en avril 2008, qu’une grève conduit à l’occupation de toute une ville. Elle reste, aujourd’hui encore, un souvenir vivace chez les militants syndicaux et politiques tant la répression est féroce (affrontements avec les forces de police faisant un mort et 331 arrestations) et tant elle marque une étape dans la synchronisation des luttes sociales et politiques.

Le 1er mai 2010, un rassemblement d’ouvriers de diverses usines se forme devant le Parlement et entonne des slogans sans ambiguïté : "Un salaire minimum juste ou que le gouvernement rentre à la maison", "A bas Moubarak et tous ceux qui augmentent les prix". Preuve supplémentaire, s’il en était besoin, de l’étroite imbrication des mouvements sociaux dans la trame révolutionnaire.

Il nous suffit de mentionner que c’est au coeur même de l’occupation de Tahrir, durant ces dix-huit jours qui conduisent au départ du président Hosni Moubarak, que se crée, le 30 janvier 2011, le premier syndicat indépendant de l’Egypte : la Fédération égyptienne des syndicats indépendants (Efitu), qui appelle immédiatement à une grève générale, très suivie.

Pourtant, l’événement est l’un des moins médiatisés du soulèvement populaire. Il n’empêche, l’un des acquis de la révolution est bien là, dans la fin du monopole de l’omnipotente Fédération des syndicats égyptiens (ETUF) fondée par Nasser.

La liberté syndicale est reconnue par décret le 12 mars 2011, et en août la direction nationale de l’ETUF est dissoute, ce qui était la toute première revendication de l’Efitu. Mais cet acquis est fragile et ambivalent. Liberté syndicale reconnue mais action collective criminalisée : c’est également par décret qu’en mars, le Conseil suprême des forces armées chargé de la transition assortit toute incitation à l’organisation de sit-in ou d’actions perturbant le travail des autorités publiques d’une amende de 5 537 euros.

LA CHUTE DU RÉGIME DE MOUBARAK N’A PAS APAISÉ LA COLÈRE

La sanction est de 55 377 euros et d’au moins un an de prison pour toute action de violence conduisant à "la destruction des moyens de production" ou "susceptible d’atteinte à l’unité nationale, à la sécurité publique et à l’ordre social". L’imprécision des termes est propice à l’interprétation la plus extensive, comme en témoigne la condamnation à la prison, par un tribunal militaire, le 29 juin 2012, de cinq ouvriers de la compagnie de gaz et de pétrole Pétrojet, coupables d’avoir campé deux semaines devant le ministère du pétrole, pour demander la titularisation de 200 employés au statut précaire.

La chute du régime de Moubarak n’a pas apaisé la colère, loin s’en faut. Des grèves récurrentes bloquent les usines et les rues du centre-ville. Dans les secteurs industriel et tertiaire, une amélioration des conditions de vie et une refonte du droit du travail égyptien sont revendiquées.

En 2011, selon l’ONG Sons of the Land Association for Human Rights, plus de 1 400 actions collectives ont eu lieu impliquant au moins 60 000 travailleurs, soit deux à trois fois plus qu’auparavant. Du jamais-vu dans l’histoire de l’Egypte. Pour le seul mois de septembre 2012, le Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux recense près de 300 actions collectives ouvrières.

Les revendications restent les mêmes (salaire minimum et conditions de travail), auxquelles s’ajoutent des demandes politiques : l’exigence que des directeurs de sites ou de services soient "dégagés", que les "petits Moubaraks" de toute sorte subissent le même sort révolutionnaire.

En cela, les ouvriers égyptiens partagent avec le peuple le bénéfice acquis lors du soulèvement : le pouvoir de dire, la reconquête de leurs voix, à défaut de leurs droits. En effet, ils sont rares les exemples de changement de direction, peu nombreux durant la gestion de la transition par l’armée, de plus en plus rares sous le règne des Frères musulmans.

Evoquons aussi la déconnexion grandissante entre les expressions et formulations de la question sociale et les traductions politiques des tourments transitionnels. Force est de constater que les luttes sociales, avec tout ce qu’elles comportent de revendications socio-économiques, viennent s’échouer au pied de l’arène politique.

UN PEUPLE EN PAUPÉRISATION CHRONIQUE

Non seulement peu de partis mentionnent les intérêts des travailleurs et des ouvriers, mais encore les nouveaux syndicats connaissent des conditions de travail précaires ; faute de ressources, la plupart ne disposent ni de locaux ni de cadres.

Un an après le départ d’Hosni Moubarak, l’Efitu a beau revendiquer regrouper 200 syndicats et 2 millions de membres, elle est le théâtre de scissions tonitruantes ; bien expert celui ou celle qui pourrait en établir la puissance réelle.

Soyons justes : les dimensions économico-sociales ne sont pas absentes des programmes des partis politiques, anciens ou nouveaux, et le très bon score du candidat nassériste Hamdeen Al-Sabahi, fondateur du parti Al-Karama, à la présidentielle, où il parvient à capitaliser 20,7 % des suffrages exprimés au premier tour, s’explique par sa proximité avec les mouvements sociaux.

Reste que Khaled Ali, l’ancien directeur du centre égyptien pour les droits économiques et sociaux et leader syndical, n’a récolté que 0,6 %. La compétition pour les sièges parlementaires n’a guère été plus favorable : en comptant large, 25 députés du premier Parlement postrévolutionnaire peuvent être considérés comme proches de la cause ouvrière.

Signe des temps ou paradoxe dramatique d’un pays qui connaît une situation économique catastrophique et dont tous les indicateurs financiers sont au rouge ? Quoi qu’il en soit, au désastre de l’économie égyptienne et au désarroi d’un peuple en paupérisation chronique, le pouvoir en place reste, dans le meilleur des cas, sourd, à tout le moins peu réceptif et, dans le pire, répressif.

En effet, il est faux de croire que le projet politique des Frères musulmans est un véritable projet de société dans le sens plein du terme : s’il est bien sociétal, connu - ô combien - pour ses aspects relatifs aux moeurs et à l’édiction de la morale, il est plus que superficiel sur la question sociale et euphémistique sur la fracture sociale.

Cependant, les Frères ont des considérations plus nettes et plus précises qu’on ne le croit sur le volet économique. Le credo néolibéral, avec ce qu’il implique de privatisations dans l’éducation, la santé, les transports et l’énergie n’est pas, pour eux, une découverte des injonctions du FMI.

Ils l’endossent et le revendiquent explicitement dans leur programme qui fut le seul, lors de la campagne présidentielle, à encourager les investissements étrangers dans les infrastructures principales et la libéralisation centralisée des échanges commerciaux.

"PAIN, DIGNITÉ, JUSTICE SOCIALE"

Le slogan de la révolution "Pain, dignité, justice sociale" garde toute sa pertinence, deux ans après. Si la violence des black blocs (fondés sur le modèle des groupes radicaux européens) a pu surprendre, si celle des forces de l’ordre a pu rester intacte, elles n’en demeurent pas moins sans commune mesure avec la violence sociale qui perdure, au-delà et à côté de la révolution.

La dynamique et l’enjeu de cette dernière ne sont réductibles ni au clivage simplifié entre laïc et islamiste, ni à la seule alternative entre pacifisme et violence, ni, encore, au trompe-l’oeil de la distinction entre Etat civil et Etat militaire.

Assia Boutaleb, maître de conférences à Paris VIII

Assia Boutaleb, maître de conférences en sciences politiques à l’université Paris-VIII - Saint-Denis, a soutenu une thèse sur les processus de légitimation en direction de la jeunesse dans l’Egypte d’Hosni Moubarak. Ses travaux portent sur l’autoritarisme, les processus révolutionnaires et les configurations transitionnelles en Egypte et dans le monde arabe

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Messages

  • Fin 2006, un conflit social dans la ville de Mahalla al-Kobra centrée sur l’industrie textile18 allume l’étincelle et entraîne un tournant majeur. Les femmes en sont à l’origine. Un problème salarial se transforme en conflit global, une confrontation s’engage avec le comité syndical officiel, hostile, posant la question de sa dissolution et de son remplacement par un syndicat indépendant. Des promesses n’ayant pas été tenues, un préavis de grève est déposé pour le 6 avril 2008. La colère enfle qui concerne le salaire minimum, le droit de créer un syndicat, et qu’attisent la rareté du pain subventionné et la hausse du prix des denrées alimentaires. La protestation devient opposition : le portrait d’Hosni Moubarak est déchiré. La répression s’abat sur la ville. De jeunes contestataires cairotes lancent, via les réseaux sociaux, un appel à une grève générale de solidarité. Malgré son échec, c’est l’acte de naissance du « mouvement du 6 avril » qui appellera à la manifestation le 25 janvier 2011.

    Les protestations sociales s’accentuent avec en parallèle l’affirmation d’un syndicalisme indépendant qui prend de l’ampleur, sans devenir massive. Des secteurs en lutte s’émancipent avec la fondation de syndicats autonomes.
    L’épisode le plus décisif est la naissance de l’Union générale indépendante des travailleurs de l’autorité de la taxe foncière fondée en 2008 à la suite de la grève de décembre 2007 pour
    l’égalité des salaires avec l’agence des impôts. Le comité supérieur qui dirige le mouvement s’oppose aux autorités, au syndicat officiel et à la FGSTE. Une augmentation de salaire de 32% est obtenue. Les structures de la grève poursuivent leur action en faveur d’un syndicat autonome. Une nouvelle bataille débute pour obtenir la reconnaissance légale.
    De nouveaux secteurs s’engagent dans cette brèche. Des syndicats autonomes de retraités (2008), d’enseignants (2008) et de techniciens de la santé (décembre 2010) apparaissent. La
    structuration progresse19. D’autres initiatives et expériences s’affirment tel le comité préparatoire pour le congrès des ouvriers d’Égypte. La mouvance autonome élabore un projet de loi syndicale. La question des libertés syndicales est mise en avant avec une large campagne. Les conflits sociaux prennent de l’ampleur. Face à cette intense agitation sociale, le gouvernement a lâché du lest, ainsi en triplant en novembre 2010 le salaire minimum mensuel, majoré à 400 livres égyptiennes par mois. Joel Beinin indique que deux millions
    d’ouvriers ont mené plus de 3 500 actions collectives au cours des années 1998-2010.

    À partir du 25 janvier 2011, les manifestations se développent sur l’ensemble du territoire égyptien même si la place Tahrir incarne le mouvement, symboliquement et politiquement. D’importants conflits sociaux éclatent à partir du 7 février. Cela touche un large éventail de secteurs (textile,
    pétrole, pharmacie, transports, services généraux, télécommunications, postes, commerce, santé, fonctionnaires, arsenaux…) et de localités (Le Caire, Alexandrie, Mansoura, Mahalla, Beni Soueif, la zone du canal où circule environ 10% du commerce international). Les griefs sont économiques et parfois syndicaux. Plus rarement, les travailleurs avancent des revendications politiques24. L’agitation touche aussi les campagnes avec des manifestations paysannes ou des affrontements dans les oasis de la nouvelle vallée.
    Le 30 janvier 2011, les syndicats indépendants lancent au cours d’une conférence de presse qui se tient sur la place Tahrir une fédération indépendante appelant les travailleurs à former
    des comités de défense dans les entreprises et lançant un mot d’ordre de grève générale pour le lundi 31 janvier. Elle demande aussi la chute du président et la levée de l’état d’urgence. Ces protestations sociales s’avèrent importantes voire décisives. Le pays est sous tension, notamment les 8, 9 et 10 février. Le vendredi 11 février 2011, le président Moubarak est « sacrifié » et renonce au pouvoir.

  • La chute d’Hosni Moubarak a d’importantes et multiples répercussions sur le plan social. Conscients que la brèche est ouverte, les travailleurs égyptiens s’y engouffrent mais les syndicats leur disent qu’il s’agit seulement d’affirmer leurs revendications. Une vague énorme de luttes sociales se propage sur l’ensemble du territoire sous la forme de grèves, manifestations ou sit-in d’ouvriers, d’employés, de paysans.

    Outre les motifs économiques classiques, s’expriment aussi des demandes de renvoi de responsables d’usine, des dénonciations pour mauvaise gestion ou corruption. Leur rythme connaît une pointe en mars-avril, notamment dans le textile, les transports ou la zone du canal sans pour autant que cesse le trafic maritime.

    Malgré les mises en garde de l’armée, les grèves et les protestations se poursuivent. Pour endiguer le mouvement, le
    CSFA élabore le décret n°34, le 23 mars 2011, qui interdit les grèves, les manifestations, les sit-in et les rassemblements et prévoit des peines allant jusqu’à un an de prison et une amende d’au moins 100 000 livres (12 500 euros). La police militaire intervient aussi dans les conflits.

    Mais cela n’y change absolument rien. Les conflits se poursuivent. Sur le plan politique, les syndicats se limitent à l’exigence de démocratie, et les revendications portent sur des réformes et des décisions en faveur des travailleurs et de leurs droits syndicaux. Les ouvriers de l’Autorité du canal de Suez débutent un long conflit avec grève, rassemblements, manifestations, sit-in, blocages de routes dans les villes de Port Said, Suez et Ismaïlia. Les travailleurs réclament l’intégration de 40% des primes dans le salaire de base, une augmentation de 7% des salaires et une hausse de la prime de repas. La démission du président de l’Autorité du canal de Suez est en jeu.

    Les secteurs et les localités touchés sont si nombreux qu’il reste difficile d’en dresser la liste exhaustive. Les autorités veulent poursuivre les grévistes et les faire juger par des tribunaux militaires qui poursuivent déjà des manifestants. Le 29 juin 2011, le tribunal militaire de Madinet Nasr (Le Caire) condamne à un an de prison avec sursis cinq ouvriers de la compagnie pétrolière Petrojet, pour avoir participé devant le ministère du Pétrole à un sit-in contre des licenciements. Le 3 juillet, cinq travailleurs de l’Autorité du canal en grève sont interrogés par le procureur militaire.

    Les autorités font aussi des concessions par secteur, par exemple dans le cas emblématique de Mahalla, la santé ou la poste. Ces actions, largement spontanées et indépendantes des groupes militants, obtiennent une série de victoires sur leurs revendications ou dans leur rejet des anciennes directions syndicales. Des syndicats indépendants se forment. Dans de nombreux endroits les syndicats officiels sont dénoncés et leur dissolution exigée.

    Le premier mai, les syndicats indépendants manifestent place Tahrir alors que la FGSTE rend hommage aux martyrs de
    la révolution lors d’une cérémonie organisée sous le patronage du maréchal Hussein Tantawy, chef du CSFA. Une
    manifestation devant le siège de la FGSTE regroupe quelques milliers de personnes. Des manifestants tentent de pénétrer dans
    les locaux et exigent que la fédération soit dissoute et son président chassé. Les principales revendications concernent
    l’adoption d’une nouvelle loi du travail légalisant la formation de syndicats indépendants et établissant un salaire minimum et
    un salaire maximum.
    Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 83.204.164.91 - 18/11/2018 14h49. © Editions Kimé
    Document

    L’armée tente en vain d’arrêter la grève des travailleurs du canal. Elle intervient, tirant à balle réelle et en l’air le 19 juin à
    Suez. La veille à Ismaïlia, un officier a fait de même pour empêcher les grévistes d’envahir le bâtiment de l’administration
    de l’Autorité du canal de Suez. Les travailleurs de l’Autorité du canal de Suez sont 8 600 et appartiennent à sept entreprises du
    secteur public. Signé le 19 avril 2011, un accord qui prévoyait l’intégration de 40% des primes dans le salaire et 7% de hausse
    des salaires n’est pas encore appliqué au premier juin comme il était prévu. Seule, une augmentation de l’indemnité de repas de
    2 livres (0,25 euros) au lieu de 4 est obtenue. La grève se poursuit.

    Ces grèves représentent une véritable rupture. Leur caractère massif en atteste. Les autorités tergiversent sur les principales questions (législations sociales, FGSTE…). Le patronat résiste, arguant de difficultés de trésorerie, notamment pour le salaire minimum. Face à la monté des protestations et leur impact en parallèle des manifestations politiques, les autorités cherchent à obtenir une stabilisation et sont de plus en plus autoritaires face aux mobilisations. Le ton des manifestations change. Les travailleurs demandent la fin de la nomination de militaires à la tête des départements de ministères, l’arrêt des jugements de civils par des tribunaux militaires, l’abrogation du décret antigrève, la dissolution de la FGSTE, un salaire minimum de 1 200 livres (140 euros) et un salaire maximum ne dépassant pas quinze fois le salaire minimum, l’indexation des salaires sur les prix.
    La vague de grèves de septembre implique particulièrement les secteurs de l’enseignement, les transports publics, la poste, les raffineries de sucre, les médecins. De nombreuses grèves spontanées éclatent. Les résistances se poursuivent, même si elles sont moindres pendant la période des élections législatives qui s’étalent de novembre à début janvier.
    Les perspectives budgétaires s’avèrent défavorables aux travailleurs. Le 4 janvier, un décret réduit les dépenses de l’État de 14,3 milliards de livres (1,8 milliard d’euros). Les salaires des agents du secteur public sont affectés avec une réduction de 4 milliards de livres (500 millions d’euros). Trois milliards de livres supplémentaires (375 millions d’euros) sont prélevés sur les réserves salariales. Les autorités envisagent de réduire de 10% les primes du public, ce qui signifie une réduction de quelque 8% des salaires : les primes et les indemnités constituent en effet environ 80% d’un revenu du secteur public.
    L’augmentation de 10% des retraites des fonctionnaires prévue pour le 1er janvier 2012 est reportée. Une réduction des subventions et une augmentation des taxes sont décidées.

    Depuis le 25 janvier 2011, l’Égypte vit une période d’intensification des conflits sociaux par rapport à 2007-2008, mais jamais la question ouvrière n’est posée par les syndicats sur le plan politique, par un programme de transformation de la société…

  • Les luttes dépassent les secteurs classiques pour s’étendre au privé et même au secteur informel, sans oublier les campagnes. Les plus importantes ont été celles des employés de l’autorité des transports en février et en septembre-octobre, la grève du textile de Mahalla en février, la grève générale des médecins en mai et celle des enseignants en septembre.

    Tout cela se déroule dans un pays où les grèves ont été interdites et où les médias, notamment les télés et les journaux officiels, entretiennent une vive hostilité envers les conflits sociaux, s’exprimant selon des registres allant du très violent au plus subtil. Jano Charbel souligne l’apparition d’un nouveau vocabulaire comme le terme « corporariste ». Les conflits sociaux représenteraient une menace pour l’économie du pays, la stabilité politique et/ou un danger pour la révolution. On les compare à une « fitna » (sédition). L’argument du coût économique est souvent utilisé. Les conflits ralentiraient le rythme de la production et feraient fuir les touristes. Certains appellent à l’arrêt pour un an des conflits corporatistes (« ihtigagat fi’awya ») ou demandent une pause (hodna). Des voix minoritaires expriment un avis différent : ainsi, Wael Gamal rejette l’accusation de corporatisme et souligne le rôle des grèves dans la révolution et sur le chemin de la démocratie.
    L’année 2011 est cependant marquée par une série d’avancées, notamment la reconnaissance publique du pluralisme syndical. Les milieux syndicaux autonomes sont associés au « dialogue social » initié par les autorités pour le changement de la loi syndicale 35 de 1976. Et les syndicats acceptent le dialogue avec le pouvoir militaire mais jamais ne s’adressent à l’ensemble de la population pour placer le prolétariat en tête de la lutte…

  • Le mouvement syndical en plein essor s’inscrit dans l’ensemble des mobilisations. La naissance de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants (FESI) sur la place Tahrir est plus que symbolique. La participation aux manifestations se fait d’abord et surtout sur une base individuelle. Les syndicats, les unions, les regroupements ouvriers s’y joignent sans peser de manière significative. Ils appellent aux grèves et aux manifestations. Toutefois, aucune grève n’exige que les militaires quittent le pouvoir.

    Les syndicats prennent position sur les questions générales mais surtout sur les dimensions sociales et économiques de la question démocratique, singulièrement, les libertés syndicales et le futur cadre légal. Ainsi, la FESI critique le gouvernement pour sa politique d’austérité. Les revendications du mouvement social ont trait à des motifs économiques (salaire minimum, échelle des salaires, assurances chômage, CDI, contrôle des prix, retour des entreprises privatisées à l’État…) et aux libertés syndicales (droit de grève et de manifester, dissolution et confiscation des biens de la FGSTE, « un des plus grands symboles de la corruption de l’ancien régime »).

    Pour le 11 février, plus de 200 syndicats représentant 2 millions appellent à la grève générale lancée par les jeunes révolutionnaires. Sur le terrain, la mobilisation est inégale, mais certaines fédérations se montrant réticentes à l’égard de cette initiative. Son échec patent témoigne tant de la fragilité du mouvement en cours de construction que de la difficulté pour des réseaux syndicaux à intervenir sur un terrain directement politique.

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