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Le bombardement anglo-américain de 1944 sur la France

24 novembre 2014, 14:37

Le 22 avril 1944, les alliés anglo-américains de la France bombardaient le nord de Paris et la banlieue afin de détruire les bases arrières des soldats allemands dans la perspective du débarquement en Normandie deux mois plus tard.

Parmi les cibles des aviateurs, les entrepôts de la RATP, rue Championnet, où l’ennemi de l’époque réparait et entreposait son matériel de guerre. Malheureusement, les habitants du 18e arrondissement ont payé un lourd tribut aux dommages collatéraux de cette attaque aérienne.

La nuit du 19 avril 1944 marque la fin de la « trêve » des bombardements pour les Rouennais. Vers minuit, les avions venus d’Angleterre lâchent leurs bombes sur la capitale de la Haute-Normandie. En moins d’une heure, plus de 6 000 bombes tombent sur la ville. Les victimes civiles sont nombreuses. S’il n’existe aucun registre officiel, les historiens s’accordent sur près de 900 morts dont 300 uniquement sur Rouen.

Après quelques semaines de répit, les Rouennais vont vivre une semaine terrible (30 mai - 5 juin), la « semaine rouge ». Durant six jours consécutifs, les bombardiers alliés vont venir chaque nuit frapper la ville aux cent clochers. Cette « semaine rouge » ne fera « que » 400 victimes environ. Après le bombardement du 19 avril, de nombreux Rouennais avaient fui le centre-ville pour trouver refuge dans les hauteurs.

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Dans Il Dominio dell’Aria (1921, traduit en allemand en 1935 et en anglais en 1942), le général italien Giulio Douhet, commandant d’une escadrille de l’air en 1914-18, affirmait que sous l’effet de l’aviation, la guerre se voyait profondément transformée, rendant périmée la distinction entre combattants et civils. Puisque l’usage du gaz moutarde, qui pouvait être diffusé par voie aérienne, représentait une menace terrible, contre laquelle on ne pouvait se défendre, il fallait prôner une attaque préventive, fondée sur le bombardement des villes. Dès 1915, le mathématicien britannique Frederick Lanchester avait soutenu des thèses analogues dans Aircraft in Warfare, affirmant : « La capacité d’anéantir les villes ennemies est nécessaire comme argument de dissuasion ». Une telle position devint célèbre lorsque Stanley Baldwin, l’un des chefs des tories britanniques, déclara devant le Parlement, le 10 novembre 1932, qu’aucune puissance ne pouvait protéger l’homme de la rue du bombardement aérien, et que dès lors la seule défense résidait dans l’attaque : son discours devint célèbre par la phrase The bomber will always get through.

Liddell Hart, qui deviendra un critique virulent du bombardement aérien lors de la Seconde Guerre, ou Billy Mitchell, théorisent également le bombardement aérien, Mitchell y voyant un moyen d’assurer la paix en matant rapidement les rébellions (Winged Defense, 1925, qui fait allusion aux opérations britanniques en Irak). Mitchell avait notamment dirigé les opérations aériennes lors de la bataille de Saint-Mihiel (septembre 1918), romantisé au cinéma dans Les Ailes (1927) de W. Wellman, et qui impliquèrent 1 500 avions.

Durant la deuxième guerre mondiale, les Britanniques eurent leur propre campagne de bombardements nocturnes mené par la Royal Air Force Bomber Command qui commença symboliquement en 1940, puis de façon stratégique en 1942 avec le bombardement de Lübeck, pour culminer de façon massive à la fin de la guerre. Mais à cause d’une visée peu précise, ces campagnes eurent peu de succès, comme le montra le rapport Butt (en) d’août 1941, qui conduisit le député et savant A. V. Hill à déclarer, le 24 février 1942 :

« La baisse de production [industrielle] lors des pires mois du Blitz a été à peu près égale à celle observée lors des vacances de Pâques... »

Les régions industrielles comme la Ruhr (avec l’Opération Chastise de mai 1943, au cours de laquelle on inventa la « bombe rebondissante » afin de détruire des barrages de la Ruhr, inondant la vallée), les zones de production d’hydrocarbures dans le cadre de la campagne de bombardements contre les ressources pétrolières de l’Axe, ainsi que les villes comme Hambourg (lors de l’Opération Gomorrah en juillet 1943) puis Dresde (février 1945) subirent ces « tempêtes de feu » faisant chaque fois des milliers, voire des dizaines de milliers de morts, essentiellement parmi les civils. L« ’attaque aérienne contre Hambourg, écrit Sven Lindqvist, a tué plus de personnes que l’ensemble des frappes aériennes allemandes contre toutes les villes anglaises visées », avec environ 50 000 morts, la plupart ayant été tués la nuit du 28 juillet 1943. Mais dès janvier 1944, la production industrielle de Hambourg est rétablie à 80%. Le bombardement de Dresde fit entre 25 000 et plus de 100 000 victimes, selon les estimations ; la température montant à plus de 1 000 degrés. L’un des rares critiques du bombardement de zone, aux côtés de l’évêque et Lord George Bell (en) et de son camarade Alfred Salter, le député travailliste Richard Stokes déclare alors :

« Mis à part le bombardement stratégique, sur lequel j’ai des doutes très sérieux, et le bombardement tactique, que j’approuve s’il est effectué avec une précision raisonnable, le bombardement de terreur est, à mon avis, indéfendable, en quelque circonstance que ce soit. »

En tout, les bombardements des Alliés contre l’Allemagne firent 500 000 victimes civiles 31 ; l’Holocauste fit 6 millions de morts juifs, sans oublier les 5 millions de gitans, Témoins de Jéhovah, handicapés, homosexuels, communistes, sociaux-démocrates, Polonais, Ukrainiens et Russes. Pour la seule année 1943, les Alliés déversèrent 180 000 tonnes de bombes sur l’Allemagne.

Chez les Alliés, les pertes aériennes furent lourdes : lors du bombardement de Nuremberg, des centaines d’appareils furent perdus, pas moins de 44 % des pilotes engagés dans ces opérations y perdirent la vie [réf. nécessaire]. 56 000 pilotes britanniques furent tués au champ de bataille. Selon S. Lindqvist, « le fait de guerre le plus important du Bomber Command a peut-être été, justement, d’obliger les Allemands à investir autant de ressources dans la défense de leurs villes ».

Les pays occupé par l’Axe furent aussi bombardés pour gêner l’industrie de guerre et les communications ennemies. Plus de 67 000 Français ont été victimes de ces raids (un millier en 1942, près de 5 500 morts en 1943 dont la moitié pour le seul mois de septembre et toutes les autres victimes au cours de l’année 1944 et particulièrement en mai) lors des pilonnages intensifs contre les réseaux ferroviaire et lors de l’opération Chattanooga Choo-choo, qui précédèrent le débarquement de Normandie.

À la fin de la guerre, l’Allemagne lança les premiers missiles balistiques de l’histoire, les V2, relativement proches des futurs Scuds. À puissance destructrice égale, ceux-ci étaient cependant beaucoup plus chers à fabriquer que les bombardiers et les munitions nécessaires pour des opérations plus classiques.

Auschwitz, enfin, ne fut guère ciblé, malgré les demandes de la communauté juive américaine au printemps 1944. Un long débat historique (en) s’ensuivit. Le 13 septembre 1944, un raid vise Monowitz, une usine de fabrication de caoutchouc synthétique à quelques kilomètres du camp d’Auschwitz. Certaines bombes tombent sur le camp, tuant accidentellement une dizaine de déportés, mais démontrant aussi la possibilité de détruire le camp ou les voies ferroviaires y menant. En 2008, au cours d’une visite au Mémorial de Yad Vashem, le président George W. Bush aurait déclaré, de façon informelle, à sa conseillère Condoleezza Rice : « Nous aurions dû bombarder » [Auschwitz].

Deux mesures furent prises : au lieu de viser précisément des cibles particulières, les Britanniques se mirent à procéder à des bombardements dans des zones à forte concentration humaine, ce qui vise à faire le plus de dégâts matériels et à tuer le plus de travailleurs possibles, tout en cassant le moral des habitants. C’est la doctrine du « bombardement de zone » (area bombing), formalisée dans la Directive sur le bombardement de zone du 14 février 1942, qui, de fait, menait à la dissolution de la distinction entre civils et combattants. À la tête des opérations, l’Air Marchall Arthur Harris, surnommé « le Boucher ».

L’exemple du bombardement de Dresde en février 1945, en est l’exemple typique : le but du commandement était réellement d’anéantir une ville (le bombardement fit plus de 35 000 morts en quelques nuits), pensant avancer ainsi de quelques mois la fin de la guerre. Les bombardiers anglo-saxons procédaient par tapis de bombes : volant en formation serrée et larguant leurs bombes en même temps indistinctement, afin d’aplatir la ville. Inutile de préciser la terreur ressentie par la population sous un tel déluge de feu et d’acier (voir à ce sujet Cavanna, Les Ruskoffs) ; cependant celle-ci semble avoir été plus résolue après qu’avant le bombardement.

C’est l’impact des attaques délibérées des centres urbains qui fait débat, aspect le plus critiqué des opérations alliées quant à leur efficacité rapportée à leur coût humain et culturel. Dès 1940, les raids de la Luftwaffe sur le Royaume-Uni, qui renforcèrent plutôt la détermination des Britanniques à résister, auraient dû semer le doute sur cette méthode. Les bombardiers du maréchal Harris commencent à frapper massivement le Reich à partir de 1942, avec des moyens à côté desquels ceux du terrible blitz de 1940 semblent bientôt dérisoires. Au total, 1 350 000 tonnes de munitions ont été lâchées sur l’Allemagne entre 1942 et 1945, soit, si l’on retranche l’acier, 450 000 tonnes d’explosif, ce qui représente l’équivalent en puissance de 25 fois la bombe atomique lâchée sur Hiroshima.

Il y eut environ 300 000 victimes civiles et 150 villes détruites aux deux tiers, aux trois quarts ou aux quatre cinquièmes ; la ville de Berlin est en grande partie détruite, le centre-ville un désert de ruines. En 1945, 20 % des logements sont dits « inhabitables », ce qui est un taux relativement faible par rapport à d’autres cibles de l’aviation britannique. Les bombardements alliés se sont concentrés sur les quartiers centraux, mais ont épargné volontairement des zones proches des aéroports que l’on souhaitait utiliser après la fin des hostilités.

La notion d’« objectif militaire légitime » fut ainsi étendue jusqu’à être vidée de son sens : l’exemple de Dresde, illustre ville d’art incendiée le 13 février 1945 alors que le sort du régime hitlérien ne faisait plus guère de doute, faisant sans motif militaire sérieux plus de 35 000 victimes, est le plus connu (cette opération détient le record historique du plus grand nombre de personnes tuées en une fois en un même lieu, selon l’historien militaire américain Lt. Col. Mark A. Clodfelter, si l’on excepte les bombardements sur le Japon). Dresde, avant guerre, avait à peu près la réputation de Venise ou de Prague en matière culturelle.

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