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Ma grand-mère sans frontière

30 décembre 2014, 21:00

Dans l’Égypte de ta grand-mère, une minorité d’étrangers possédait ou dirigeait la majorité des grands commerces, l’industrie ainsi qu’une partie non négligeable des terres. Tout en ayant le sentiment qu’elle se trouvait là, dans ce pays, « chez elle », elle n’a jamais cherché à en acquérir la nationalité. C’est que, paradoxalement, le statut d’étranger lui conférait des avantages et des privilèges exorbitants sur les Égyptiens eux-mêmes comme, par exemple, les Tribunaux Mixtes où un résident étranger pouvait traîner un Égyptien, en cas de litige, pour le voir jugé par un magistrat européen, sur la base de lois étrangères à l’Égypte. (Lire, plus loin, l’article intitulé « Les Tribunaux Mixtes »). Dans les grandes villes comme Le Caire, Alexandrie, Port-Saïd, la proportion d’étrangers était importante et certains quartiers peuplés presque exclusivement par eux. Il y avait des cinémas, des restaurants, des brasseries, des cafés, des boîtes de nuit, des casinos où on ne voyait pas un seul Égyptien à l’exception des serveurs. Les garçons, les maîtres d’hôtel, les barmen, les orchestres et les artistes étaient également européens et l’accès de certains clubs ou établissements était même interdit aux Égyptiens. Les banques, les compagnies d’assurance, les grands magasins, les sociétés d’une certaine importance, d’innombrables commerces et industries étaient français, grecs, italiens, anglais…J’ai travaillé moi-même pendant plusieurs années dans une société de distribution de produits pharmaceutiques qui avait dix-sept succursales dont les actionnaires, les dirigeants, les agents commerciaux et tous les employés étaient européens sauf les garçons de courses, les livreurs et ceux chargés du nettoyage des locaux. À l’exception de la Banque Misr, tous les autres établissements bancaires appartenaient à des étrangers ou bien étaient des succursales des banques internationales : Crédit Lyonnais, Comptoir National d’Escompte de Paris, Banque Belge & Internationale en Égypte, Barclays Bank, Dresdner Bank, First National City Bank of New York, Banca Italiana per l’Egitto, Banque d’Athènes et des dizaines d’autres qui ont contribué à cette mainmise étrangère sur l’économie du pays. Les représentants de fabriques de tous pays, les importateurs de marchandises de toutes sortes, les maisons exportatrices de coton étaient, à des rares exceptions près, étrangers. L’étaient également les employés de bureau, les vendeurs et vendeuses de ces établissements et la langue couramment pratiquée était le français même s’ils appartenaient à des grecs, des italiens ou des anglais.

Cette langue était prépondérante après l’arabe et, dans les quartiers européens, on se serait cru à Marseille, Lyon ou Paris. Les agents de change et leurs collaborateurs dans les Bourses de Valeurs l’étaient aussi et les cotations ainsi que les ordres d’achats et de ventes étaient lancés en français. Le nom des rues sur les plaques, les enseignes des magasins, les affiches étaient doublés en français ou en anglais alors que de nombreuses autres ne comportaient même pas la traduction en arabe. D’innombrables journaux paraissaient dans toutes les langues y compris l’arménien, le russe, le grec…En français, il y avait entre autres, La Bourse Égyptienne, Le Progrès Égyptien, Le Journal d’Égypte, Le Magazine Égyptien, Variétés, Vu et même des revues humoristiques ou satiriques comme la Lanterne et ils n’avaient d’égyptien que leur titre.

Des centaines de cercles, clubs, théâtres, cinémas, sociétés culturelles étaient spécifiques à telle ou telle communauté où l’admission d’Égyptiens était interdite. Le jour férié hebdomadaire officiel était le dimanche et non pas le vendredi qui est le jour de repos religieux des musulmans qui formaient plus de 95% de la population. On chômait aussi pendant les fêtes religieuses chrétiennes et juives : Noël, Jour de l’An, Yom Kippour, Pâques, etc…Dans les quartiers d’affaires et même les souks*, les magasins et bureaux fermaient pendant celles-ci même s’ils appartenaient à des musulmans tant le rythme de la vie commerciale et sociale était conditionné par l’influence des communautés étrangères.

Dans les grandes villes, la plupart des commerçants des artères principales étaient Européens ainsi que les produits vendus dans les magasins.

Le chef de la Police, Russel Pacha* était anglais ainsi que les constables à moto et à cheval dont la présence dans les rues inspirait la crainte aux petits vendeurs ambulants qui pullulaient. Le Commandant et les gradés des Pompiers de la Fire Brigade l’étaient aussi. Le conservateur des Antiquités Égyptiennes et du Musée Pharaonique du Caire était un abbé français, le Docteur Drioton.

Un Italien avait la haute main sur tout ce qui concernait l’entretien, la décoration et l’ameublement des palais royaux et, naturellement, il faisait appel pour les travaux à ses compatriotes entrepreneurs, artisans et ouvriers. Partout, même dans les ministères, (cela jusqu’à l’indépendance du pays) les postes clés étaient détenus par des étrangers qui devenaient ainsi des fonctionnaires ″égyptiens″ tout en gardant leur propre nationalité d’origine. Mais tous ces étrangers étaient tellement intégrés au pays que vous les auriez fort étonnés en les traitant « d’étrangers ».

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