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Qui était le socialiste utopique Fourier ?

6 juillet 2012, 08:29

La première tâche historique des utopistes, dont Marx-Engels ne cessent précisément de souligner l’esprit dialectique, a été la critique de la société bourgeoisie, donc - au niveau de l’élaboration théorique - la dissolution de son idéologie et la négation de sa justification historique ultérieure. Le marxisme systématisera enfin cette critique par les armes dans le feu de la révolution politique.

L’exemple le plus évident, et le plus tangible aussi, de ce rôle désagrégateur de l’économie bourgeoise, c’est celui que fournit Owen, par exemple. Comme les socialistes égalitaires anglais, il s’agrippe directement à Ricardo pour dissoudre l’économie politique classique en un premier procès, en revendiquant la généralisation de la propriété privée à tout le monde, c’est-à-dire en ruinant les riches et en nivelant toutes les conditions. En cela, Owen se place directement sur le terrain bourgeois pour lancer son action. Ainsi il reprend tel quel le système des fabriques théorisé par Ricardo, mais substitue à la gestion de l’entrepreneur capitaliste privé celle de tous les travailleurs associés, et la fabrique capitaliste devient coopérative de production et de distribution, dont Marx dira dans l’Adresse de la Première Internationale qu’elle est une première victoire de l’économie politique ouvrière sur la bourgeoisie. En utopiste toujours concret, Owen construira quelques modèles de coopératives, qui démontreront - victoire encore purement théorique mais définitive, « qu’aucun canon ne peut plus remettre en question » - la viabilité el la supériorité communiste. Marx en proposera, lorsque les conditions matérielles seront mûres (parmi lesquelles figure le prolétariat révolutionnaire, qui « de tous les instruments de production est le plus grand pouvoir productif »), un « système national » complet pour assurer la transition historique au communisme.

Enfin en utopiste anglais - c’est-à-dire pratique et économiste - Owen, dans le corps à corps avec l’économie politique bourgeoise, démontrera que le système des machines tend au-delà de ce qui est humain la force vivante de travail, de sorte qu’il réclame la limitation, par une loi de fabrique coercitive pour tous (bourgeois et ouvriers), du temps de fonctionnement du monstre capitaliste : première revendication de la diminution des horaires de travail, avec la fixation légale à 10h 1/2 de la journée de travail ! À la suite de quoi, Marx pourra déclarer que « cette intervention despotique » des travailleurs dans l’anarchie de la production bourgeoise, afin de la dompter, a fait succomber l’économie bourgeoise devant l’économie communiste de la classe ouvrière. Il s’agit, en effet, d’une anticipation géniale - quoique encore empêtrée dans l’État bourgeois - de ce socialisme, où les producteurs associés organiseront et fixeront la quantité et la qualité de la production d’après leurs besoins subjectifs au moyen d’un plan consciemment élaboré au préalable, qui remplacera le système de lois aveugles de la production capitaliste pour la production.

Fourier et Saint-Simon ont joué le même rôle, à une période antérieure à celle d’Owen. Au sens historique, ils sont parfaitement unilatéraux, même par rapport à l’économie de Ricardo, critiquée victorieusement par Owen : Fourier se rattache encore au système agraire des physiocrates, et Saint-Simon se confine dans le pur système industriel. Cependant tous deux, à la manière politique française, s’attaqueront d’emblée au monstre capitaliste de l’État - certes de manière utopiste, c’est-à-dire pacifique et donc comme simple démonstration théorique, destinée à convaincre les esprits de raison. Ayant déjà affaire à l’État bourgeois pleinement développé par la révolution de 1789, ils réclameront son " abolition " à la manière négatrice de faiseurs de systèmes, en demandant « l’égalité sociale en plus de l’égalité politique » (selon la formule d’Engels) par la généralisation des fonctions détenues dans l’économie par les monopoleurs bourgeois au profit de tous les individus, l’État devenant alors rationnel pour la classe ouvrière elle-même, puisqu’elle dépossède les capitalistes de leur pouvoir privé de classe pour le transférer aux plus qualifiés des producteurs (notamment chez Saint-Simon). L’État - dans ces systèmes utopiques - cesse dès lors d’être politique pour ne plus se préoccuper que de l’administration des choses, de la production. Ici encore les utopistes font une première critique toute négative de la politique bourgeoise au niveau de la démonstration théorique, le marxisme prouvant plus tard que le mouvement historique même de la production en fera la critique pratique, dont le prolétariat sera l’agent actif et conscient, en abolissant positivement l’État.

On notera déjà chez Saint-Simon, Fourier, comme chez Owen, le mouvement de dépassement « marxiste » de l’unilatéralité bourgeoise, avec leur dissolution de la politique dans l’économie. Cependant cette critique ne peut encore se réaliser dans la pratique, et ne peut donc être encore tout à fait systématique, comme dans le marxisme. Saint-Simon et Fourier ne peuvent abolir leur État et sont donc condamnés à taire de l’alchimie théorique. En somme, les « germes de communisme » n’exigent plus qu’une maturation plus grande de la société : la critique utopiste des conditions capitalistes a bien déblayé le terrain pour le socialisme scientifique.

Au niveau des superstructures idéologiques, Weitling joue le même rôle de prophète du socialisme scientifique, en combinant déjà les systèmes de Saint-Simon, de Fourier, de Cabet et d’Owen en une première synthèse théorique qui, à la manière prolétarienne, n’est plus purement intellectuelle, mais s’organise déjà en force militante et agissante dans le parti, la Ligue des communistes, qui regroupe les artisans allemands dispersés en Europe occidentale. Ceux-ci ne forment-ils pas eux-mêmes la vivante transition au prolétariat moderne ? En réalisant une première synthèse théorique des socialismes anglais et français, Weitling fait écran à la philosophie allemande pour le marxisme. Il constitue ainsi, après le proudhonisme même, le dernier maillon de la chaîne, une sorte d’utopisme hypertrophié par son unilatéralité théorique : « Pour ce qui est de la formation théorique ou des dispositions théoriques des travailleurs allemands en général, il suffit de mentionner les œuvres géniales de Weitling qui, sur le plan théorique, dépassent bien souvent celles de Proudhon lui-même (qui représente déjà une sorte de dissolution de 1’utopisme), bien qu’elles n’aient pas leur brillant... La disproportion entre le développement philosophique et politique de l’Allemagne n’a rien d’anormal. C’est une disproportion nécessaire. C’est dans le socialisme seulement qu’un peuple philosophique peut trouver la pratique qui lui corresponde : ce n’est donc que dans le prolétariat qu’il pourra trouver l’élément actif de son émancipation. »

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