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Hollande a gagné l’élection présidentielle mais la classe ouvrière n’a rien gagné

8 mai 2012, 18:11, par Robert Paris

Extraits de « La question coloniale et la politique du Parti communiste français (1944-47) »
de Grégoire Madjarian :
« Le 8 mai 1945, dans toute l’Algérie, devait être célébré l’armistice. Des cérémonies officielles avaient été prévues. Un mot d’ordre clandestin du PPA avait circulé : « Le jour de la victoire, manifestons pour exiger, après le sacrifice et la conduite héroïque des Algériens dans l’armée française, un peu de démocratie et de justice ! » Une fraction légaliste des Amis du Manifeste, croyant éviter ainsi l’intervention policière, envoya une délégation demander au gouverneur général l’autorisation de s’exprimer. Les délégués ne sortirent pas de la résidence générale : ils avaient été arrêtés et les autorités prévenues.
Le jour de l’armistice, eurent lieu dans plusieurs villes des manifestations d’ampleur et de forme diverses. A Bône et Didjelli, les manifestations se joignirent au cortège officiel et déployèrent leurs propres banderoles. Des défilés analogues furent organisés à Batna, Biskra, Kenchela, Blida, Berrouaghia et Bel-Abbès. A Saïda, la mairie fut incendiée. A Alger, les fidèles n’assistèrent pas à la cérémonie officielle de la Grande Mosquée. Les incidents les plus graves eurent lieu à Sétif et Guelma.
A Guelma, peu de musulmans avaient assisté aux cérémonies officielles : les comité des AML organisait sa propre manifestation avec des mots d’ordre tels que « Vive la démocratie ! », « A bas l’impérialisme ! », « Vive l’Algérie indépendante ! ». La police tira sur la foule.
A Sétif, un cortège de quinze mille personnes se dirigeait vers le monument aux morts afin d’y déposer une gerbe, arborant pour la première fois le drapeau algérien vert et blanc. Les manifestants brandissaient des pancartes et des banderoles : « Démocratie pour tous ! », « Libérez Messali ! », « Libérez nos leaders emprisonnés ! », « Vive la victoire alliée ! », « Vive l’Algérie indépendante ! », « A bas le colonialisme ! », « Pour une Constituante algérienne souveraine ! ». La police ouvrit le feu à la suite d’un ordre du sous-préfet de retirer pancartes et banderoles.
Ces manifestations furent le point de départ d’un soulèvement qui s’étendit à la Kabylie des Babords, se propagea dans une grande partie de la région du Constantinois. Des messagers allaient dans les campagnes, les villages les plus reculés, pour faire le récit des manifestations de Sétif et Guelma et de leur répression. Les responsables locaux des AML organisaient leurs militants et dirigeaient des attaques contre les bâtiments de l’autorité française : la mairie, la poste, la recette des contributions, la gendarmerie.
Les centres de Aïn-Abessa, Sillègue, le bordj Taktount Bouga (La Fayette), ainsi que Kerrata furent encerclés. Les centres de Béni Aziz (Chevreuil) assiégé aux cris de « Djihad ! Dkihad ! » fut entièrement incendié.
Des groupes armés venus des douars voisins assaillirent Guelma, le 9 mai, pour venger leurs morts, et le car de Bougie à Sétif fut attaqué. Le 10 mai, le village d’Aokas (commune morte d’oued Marsa), la gendarmerie de Tesara, le bordj et la poste de Fedj M’zala furent encerclés. Dans la région d’oued Marsa, les communications téléphoniques furent coupées, des gardes forestiers tués.
Dans la région des Babors, au nord de Sétif, l’émeute prit « l’allure d’une véritable dissidence » d’après le rapport du général de gendarmerie. Les troupes étaient « accueillies dans certains douars à coups de fusils et même d’armes automatiques ». Des rassemblements d’hommes armés étaient signalés à El Arrouche, Azzaba, oued Amizour, Smendou, Chelghoun-Laïd, El Milia, ouest-Zénati. Entre Tizi-Ouzou et Thénia, les fils téléphoniques furent coupés. Des dépôts d’armes clandestins furent signalés à Tébessa.
Des bruits circulaient à propos d’un soulèvement général, bruits qui n’étaient, nous le verrons plus loin, pas sans fondement. Plusieurs groupes armés de paysans s’attaquèrent aux villages et aux centres de colonisation. Fermes, colons, représentants de l’ordre colonial furent les cibles de la révolte.
A propos des événements de mai 1945 et afin de dégager leur signification, il est nécessaire de poser plusieurs questions distinctes : de quel ordre sont les facteurs qui ont déterminé le soulèvement du Constantinois, quelles sont les causes immédiates du déclenchement de l’insurrection, y a-t-il eu préparation d’une insurrection, y a-t-il eu volonté insurrectionnelle ?
A l’époque, à côté de la thèse d’un complot fasciste qui fut, nous le verrons plus loin, la principale thèse officielle et qui ne repose sur aucun fondement, vint s’adjoindre celle d’une révolte de la faim. Bien que la situation des musulmans, et en particulier celle des fellahs, fût dramatique, de nombreux éléments contredisent cette dernière thèse. Pendant les événements, « Le Monde » remarquait : « Au cours de ces journées sanglantes, ni les silos remplis de blé ni les entrepôts de denrées ne furent pillés. « En 1948, Bénazet écrivait : « Non seulement les manifestants des cortèges n’ont jamais poussé des clameurs ou arboré des pancartes contre le ravitaillement » mais les silos de la région « remplis de grains et laissés sans protection, ne souffrirent nulle atteinte. » (…)
Sur le déclenchement des événements, l’analyse de Mohamed Boudiaf et le témoignage qu’il a recueilli, attribuant un rôle déterminant aux provocations policières, semblent faire le point sur cette question : « L’effervescence populaire était à son comble, les autorités coloniales, décidées à reprendre la situation en mains, cherchaient l’occasion de frapper un grand coup (..) J’ai eu plus tard l’occasion d’en parler avec le responsable du parti (le PPA) de Sétif, Maïza, il n’avait aucune directive et ne savait quoi répondre aux militants qui vinrent lui en demander après le début des incidents dans la région. Ce sont les provocations qui ont mis le feu aux poudres. Le scénario fut le même un peu partout. Dès que les drapeaux étaient sortis, la police tirait sur le porteur. La foule réagissait. » (El Jarida – novembre-décembre 1974)
(…) Par contre, après le 8 mai, des responsables du Constantinois demandèrent aux dirigeants du PPA d’appeler à l’insurrection générale pour soulager les populations de la région qui supportaient, seules, le poids de la répression, mais celle-ci n’eut pas lieu, à cause notamment des tergiversations de la direction du PPA. (…) Il apparaît, comme l’écrit Mahfoud Kaddache dans « Il y a trente ans », que « les événements de Sétif et Guelma furent considérés comme le signal de la révolution, de la guerre libératrice. » Ainsi, les heurts et les fusillades qui se produisirent dans les deux villes en question – et ce dernier élément seul permet de comprendre l’embrasement du Constantinois – ne trouvèrent un écho que parce qu’il existait une volonté insurrectionnelle dans les masses.
Dirigée par le général Duval, la répression du soulèvement du Constantinois fut d’une sauvagerie indescriptible. (…) dans un message à l’ONU, Messali Hadj dira des événements du Constantinois qu’ils « ont coûté plus de quarante mille victimes au peuple algérien. » (…)
Comment ces massacres furent-ils justifiés par les autorités et acceptés par l’opinion de la métropole ? (…) la version officielle du gouvernement de l’Algérie, version qui fut également celle des trois partis politiques au pouvoir sous la tête gaulliste (MRP, SFIO et PCF) était la suivante : le soulèvement du Constantinois était un « complot fasciste » accompli par des « agents hitlériens ». L’armée n’était dépêchée que pour « poursuivre l’action patriotique de nettoyage ». (…)
Le 11 mai, « L’Humanité » relatait les événements du 8 en rapportant la déclaration du gouvernement général : « Des éléments troubles d’inspiration hitlérienne se sont livrés à Sétif à une agression armée contre la population qui fêtait la capitulation hitlérienne. La police, aidée de l’armée, maintient l’ordre. » En publiant sans réserves ces propos sous le titre : « A Sétif, attentat fasciste le jour de la victoire », le quotidien du PCF accréditait la version de l’administration coloniale. (…)
(Le 12 mai,) le Comité central du PCF, prenant une position sans nuances, recommandait explicitement une répression rapide et impitoyable. Il publiait immédiatement la révolution suivante : « Il faut tout de suite châtier impitoyablement et rapidement les organisateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute. » (…)
Sur une distance de 150 kilomètres, de Sétif à la mer, la loi martiale fut proclamée. La troupe reçut l’ordre de tirer sans sommation. « sur le burnous ». Tout arabe ne portant pas le brassard réglementaire était abattu (témoignage de Charles-André Julien dans « L’Afrique du Nord »). Les légionnaires furent autorisés à massacrer toute la population arabe de Sétif et même ailleurs, où aucune manifestation n’avait eu lieu.
A Villard, pendant deux jours, une batterie de 75 bombarda les douars environnants. A Saint-Armand, les soldats eurent pour mission de raser tous les villages se trouvant à 15 kilomètres des centres de colonisation. Périgotville et Chevreuil furent entièrement détruits.
L’aviation bombardait et mitraillait à l’intérieur, tandis que les navires de guerre canonnaient des villages côtiers. D’après ce que reconnut le général Weiss, il y eut, en quinze jours, vingt actions aériennes contre la population. Les avions détruisirent 44 mechtas (groupe de maisons pouvant aller de 50 à 1000 habitants). La marine intervint devant Bougie et à Djijeli. Le croiseur Dugay-Trouin, venu de Bône, fut employé au bombardement des environs de Kerrata. Le douar Tararest fut rasé. Des douars entiers disparurent. (…)
A Guelma, la réaction viscérale de la population européenne, sous l’initiative du sous-préfet, mena à l’organisation d’une milice. Le comité de vigilance, qui recrutait et contrôlait la milice, comportait une forte majorité de combattants de la « France combattante », y compris deux responsables du Parti communiste algérien, ainsi que le secrétaire de l’Union locale de la CGT. Dans ce qui fut l’une des opérations de représailles les plus meurtrières de mai 1945, les miliciens massacrèrent entre 500 et 700 « musulmans ». (…)
Le mouvement syndical de la métropole, par l’intermédiaire de son principal représentant, la CGT, adopte des positions voisines du PCF (…) afin de « souligner l’action courageuse et magnifique des organisations syndicales d’Algérie pour empêcher que le mouvement ne s’étende à d’autres régions. »

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