Accueil > ... > Forum 2532

La trahison de la révolution russe a-t-elle commencé avec la signature des accords de Brest-Litovsk comme le prétendent les communistes de gauche tels Boukharine et Radek ?

11 juin 2012, 15:44, par Robert Paris

Trotsky :

On nous dit :

" Vous avez signé le traité de Brest-Litovsk [4] qui n’est qu’un traité de pillage et d’oppression. C’est vrai, tout à fait vrai ; il n’y a pas de pire traité de pillage et d’oppression que celui de Brest-Litovsk. Mais qu’est-ce en réalité que ce traité ? C’est une reconnaissance de dettes, une vieille reconnaissance de dettes, qui avait déjà été signée par Nicolas Romanov, Milioukov et Kerensky, et c’est nous qui devons payer.

Etait-ce nous qui avions déclenché cette guerre ? Etait-ce la classe ouvrière qui avait déchaîné ce sanglant carnage ? Non, c’étaient les monarques, les classes nanties, la bourgeoisie libérale. Étions-nous la cause des terribles désastres subis par nos malheureux soldats, quand ils se retrouvèrent sans fusil ni munitions dans les Carpathes ? Non, c’était le tsarisme, soutenu par la bourgeoisie russe.

Et est-ce nous qui, le 1er juillet 1917 [5], avons gaspillé dans cette offensive honteuse et criminelle le capital de la révolution russe, sa bonne réputation, son autorité ? Non, ce sont les conciliateurs, les socialistes-révolutionnaires de droite, les mencheviks, ensemble avec la bourgeoisie. Et cependant, c’est à nous qu’on a présenté la note pour tous ces crimes ; et, en serrant les dents, nous avons été obligés de la payer. Nous savons que c’était une note d’usurier, mais, camarades, ce n’était pas nous qui avions contracté les emprunts, ce n’est pas nous qui en sommes moralement responsables devant le peuple. Notre conscience est parfaitement nette. Nous sommes, devant la classe ouvrière de tous les pays, le parti qui a fait son devoir jusqu’au bout. Nous avons publié tous les traités, nous avons déclaré sincèrement que nous étions disposés à conclure une honnête paix démocratique. Cette déclaration demeure, cette idée demeure, inscrite dans les sentiments et dans la conscience des masses laborieuses d’Europe, et la voilà qui y accomplit son profond travail souterrain.

Il est vrai, camarades, qu’à l’heure actuelle les frontières de notre pays ne sont sûres ni à l’Est, ni à l’Ouest. Là-bas, à l’Est, le Japon essaye depuis longtemps de s’emparer de la partie la plus fertile et la plus riche de la Sibérie, et la seule chose qui préoccupe la presse japonaise, c’est la limite territoriale jusqu’à laquelle le Japon est appelé à " sauver" la Sibérie. Voici ce que disent les journaux : " Nous devrons répondre devant Dieu et les cieux du sort de la Sibérie. " Certains prétendent que le ciel leur a ordonné de s’emparer de la Sibérie jusqu’à Irkoutsk, d’autres disent jusqu’à l’Oural. C’est le seul point de désaccord entre les classes possédantes du Japon. Ils ont cherché toutes sortes de prétextes pour faire ce raid. En fait, il y a longtemps que l’affaire est en cours. Déjà sous le tsarisme, et plus tard, à l’époque de Teretchenko [6] et de Kerensky, la Russie se plaignait, dans des documents confidentiels, des préparatifs du Japon pour s’emparer de nos possessions d’Extrême-Orient. Et pourquoi cela ? Simplement parce qu’elles constituent une proie facile. Voilà, en vérité, l’essence de l’impérialisme international. Toutes ces belles phrases sur " la démocratie ", " le sort des petites nations ", " la justice ", " les commandements de Dieu ", ne sont que des mots, des phrases utilisés pour tromper le peuple ; en réalité, les puissances sont seulement à la recherche d’un butin sans protection pour l’empocher. Telle est, dis-je, l’essence de la politique impérialiste.

Et c’est ainsi, camarades, que tout d’abord, il y a six semaines, les japonais ont répandu dans le monde entier la rumeur selon laquelle le transsibérien était à la veille d’être saisi par les prisonniers allemands et autrichiens, qui, ma foi, avaient été organisés et armés sur place, et que 200.000 d’entre eux n’attendaient plus que l’arrivée d’un général allemand. On donnait même le nom du général – tout était parfaitement défini et exact. L’ambassadeur du Japon à Rome en parla, et la nouvelle de la saisie prochaine du transsibérien fut envoyée par les stations radio du quartier général japonais à travers toute l’Amérique ; là-dessus, afin de dévoiler aux yeux du monde entier le mensonge honteux qui avait été répandu dans le but de préparer un raid de piraterie, je fis l’offre suivante aux missions militaires anglaises et américaines : " Donnez-moi un officier anglais et un officier américain, et je les enverrai immédiatement, accompagnés de représentants de notre commissariat à la guerre, le long du transsibérien, afin qu’ils puissent voir par eux-mêmes combien il y a de prisonniers allemands et autrichiens armés dans le but de s’emparer du transsibérien. "

Ils ne pouvaient décemment pas refuser cette offre, camarades, et les officiers désignés par eux y allèrent, après avoir reçu de moi des papiers ordonnant aux soviets de Sibérie de leur accorder toutes facilités : "laissez-les examiner tout, voir tout ce qu’ils veulent voir, avoir accès libre et complet partout". On me montra ensuite tous les jours leurs rapports, envoyés par ligne directe. Il va sans dire qu’ils ne purent trouver nulle part la moindre trace de prisonniers ennemis armés. Ils virent qu’à l’encontre des chemins de fer russes, le transsibérien était bien gardé et marchait mieux. Ils ne trouvèrent que 600 prisonniers hongrois, qui étaient des socialistes internationalistes et qui s’étaient mis à l’entière disposition des autorités soviétiques contre tous leurs ennemis. C’est tout ce qu’ils trouvèrent. Il fut ainsi absolument démontré que les impérialistes et le quartier général japonais avaient trompé consciemment et dans une intention criminelle l’opinion publique, afin de justifier un raid de pillage sur la Sibérie, afin de pouvoir dire : les Allemands menaçaient le transsibérien et nous, japonais, l’avons sauvé par notre intervention. Et bien, ce subterfuge-là avait échoué ; aussi, on en concocta un nouveau sur-le-champ. A Vladivostok, on avait tué deux ou trois japonais. Aucune enquête sur cette affaire n’avait encore été menée. Qui étaient les assassins ? Etaient-ce des agents japonais, de simples bandits, des espions allemands ou autrichiens ? Personne ne le sait à ce jour. Cependant, bien qu’ils aient été tués le 4 avril, les japonais débarquèrent leurs deux premières compagnies à Vladivostok le 5 avril. Dès que la légende de la prise du transsibérien par les Allemands ne fut plus d’aucune utilité, la chose la plus simple était de prendre avantage de la mort de deux ou trois japonais – tués, selon toute probabilité, sur l’ordre de l’état-major japonais lui-même – afin de créer un prétexte plausible pour nous attaquer. Ce genre de meurtres dans un coin sombre constitue la pratique admise de la diplomatie capitaliste internationale. Mais là, la chose s’arrêta brusquement. Deux compagnies furent débarquées et ensuite le débarquement fut arrêté. Des agents anglais, français et américains se rendirent à notre commissariat et déclarèrent : " Il n’y a pas là de banditisme, pas le moindre commencement de banditisme et d’annexion, c’est juste un incident local, un malentendu local temporaire " ; en fait, il semblait que les japonais eux-mêmes hésitaient. D’abord, leur propre pays est épuisé par le militarisme, et une expédition contre la Sibérie est une affaire importante, compliquée et coûteuse, car les ouvriers et les paysans de Sibérie, les paysans robustes et opiniâtres que j’ai étudiés d’assez près il y a longtemps et qui n’ont jamais connu le servage, refuseraient, c’est assez clair, de laisser les Japonais les soumettre sans rien dire. Un combat long et obstiné serait nécessaire ; il y a, bien sûr, au Japon même un parti qui le redoute. D’autre part, les capitalistes américains, qui sont en compétition directe avec le Japon sur les rives du Pacifique, ne veulent pas d’un renforcement du Japon, l’ennemi principal.

Ceci, camarades, est à notre avantage : les brigands et les bandits de grand chemin du monde sont à couteaux tirés entre eux, et se disputent le butin. Cette rivalité entre le Japon et les Etats-Unis sur les rivages d’Extrême-Orient constitue une grande chance pour nous, car elle nous laisse du répit, elle nous donne une occasion de rassembler nos forces et d’attendre le moment où la classe ouvrière européenne et mondiale se lèvera pour nous aider.
Nouveaux carnages à l’ouest

A l’Ouest, camarades, nous observons en ce moment même un nouvel embrasement du terrible carnage qui dure déjà depuis quarante-cinq mois. On avait, auparavant, l’impression que les forces de l’enfer s’étaient déjà mises en mouvement, que rien de plus ne pouvait être inventé, que la guerre avait conduit à une impasse. Si les pays qui s’étaient affrontés auparavant avec leurs forces encore intactes n’avaient pu se surpasser l’un l’autre, il semblait qu’il n’y avait rien à attendre de plus, qu’on ne pouvait nulle part espérer de victoire. Mais c’est bien là une malédiction si le sorcier du capitalisme, ayant invoqué le démon de la guerre, est incapable de l’exorciser. Il est impossible pour, disons, la bourgeoisie allemande, de revenir devant ses ouvriers et de leur dire : et bien, nous avons mené cette terrible guerre pendant quatre ans ; vous avez supporté de nombreux sacrifices, et qu’est-ce que cette guerre vous a rapporté ? Rien, absolument rien ! De même la bourgeoisie anglaise ne peut revenir devant ses ouvriers pour leur présenter le même résultat en échange de leurs sacrifices inouïs.

C’est pourquoi ils continuent à faire traîner ce carnage, automatiquement, sans but, sans raison, toujours davantage. Comme une avalanche roule le long de la montagne, ils roulent de plus en plus bas sous le poids de leurs propres crimes.

C’est ce que nous observons, une fois de plus, sur le sol de la malheureuse France, saignée à blanc. Là, camarades, sur le sol français, le front est d’une nature différente de ce qu’il était dans notre pays. Là, chaque mètre a été étudié de longue date, enregistré, marqué sur la carte, chaque mètre carré marqué distinctement. Là, des moyens de destruction colossaux, des engins monstrueux et gigantesques de meurtre massif sont rassemblés des deux côtés, sur une échelle jusqu’ici inconcevable pour l’imagination la plus puissante.

Camarades, j’ai vécu deux ans là-bas, en France, pendant la guerre, et je me souviens bien de ces flux et de ces reflux, des offensives, et puis des longues périodes d’attente. Une armée se tient en face d’une autre, chacune serrant l’autre de tout près, une tranchée contre l’autre ; tout est calculé, tout est prêt. L’opinion publique française commence à s’impatienter. Foch, la bourgeoisie et le peuple en général commencent à grommeler : " Combien de temps encore le front, ce terrible serpent, va-t-il sucer le sang de notre peuple ? Où y a-t-il une issue ? Qu’attendons-nous ? Arrêtons la guerre, ou remportons la victoire en prenant l’offensive et obtenons la paix. C’est l’un ou l’autre. " La presse bourgeoise se met alors à prodiguer ses encouragements : " La prochaine offensive, demain, après-demain, au printemps prochain, portera aux Allemands le coup mortel. "

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.