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La trahison de la révolution russe a-t-elle commencé avec la signature des accords de Brest-Litovsk comme le prétendent les communistes de gauche tels Boukharine et Radek ?

18 juin 2012, 09:03

En 1918, les choses n’allèrent pas jusqu’à la scission. Les communistes de "gauche" se bornèrent à constituer un groupe à part, une "fraction" au sein de notre parti, pas pour longtemps d’ailleurs. Dans la même année 1918, les représentants les plus marquants du "communisme de gauche", Radek et Boukharine par exemple, reconnurent ouvertement leur erreur. La paix de Brest-Litovsk était à leurs yeux un compromis avec les impérialistes, inadmissible en principe et nuisible au parti du prolétariat révolutionnaire. C’était bien, en effet, un compromis avec les impérialistes, mais il était justement celui que les circonstances rendaient obligatoire.

Aujourd’hui, lorsque j’entends attaquer, comme le font par exemple les "socialistes-révolutionnaires", la tactique que nous avons suivie en signant la paix de Brest-Litovsk, ou lorsque j’entends cette remarque que me fit le camarade Lansbury au cours d’un entretien : "Nos chefs anglais des trade-unions disent que les compromis sont admissibles pour eux aussi, puisqu’ils l’ont été pour le bolchevisme", je réponds généralement tout d’abord par cette comparaison simple et "populaire " :
Imaginez-vous que votre automobile soit arrêtée par des bandits armés. Vous leur donnez votre argent, votre passeport, votre revolver, votre auto. Vous vous débarrassez ainsi de l’agréable voisinage des bandits. C’est là un compromis, à n’en pas douter. "Do ut des" (je te "donne" mon argent, mes armes, mon auto, "pour que tu me donnes" la possibilité de me retirer sain et sauf). Mais on trouverait difficilement un homme, à moins qu’il n’ait perdu la raison, pour déclarer pareil compromis "inadmissible en principe", ou pour dénoncer celui qui l’a conclu comme complice des bandits (encore que les bandits, une fois maîtres de l’auto, aient pu s’en servir, ainsi que des armes, pour de nouveaux brigandages). Notre compromis avec les bandits de l’impérialisme allemand a été analogue à celui-là.

Mais lorsque les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires de Russie, les partisans de Scheidemann (et dans une large mesure les kautskistes) en Allemagne, Otto Bauer et Friedrich Adler (sans parler même de MM. Renner et Cie) en Autriche, les Renaudel, Longuet et Cie en France, les fabiens, les "indépendants" et les "travaillistes" ("labouristes") en Angleterre, ont conclu en 1914-1918 et en 1918-1920, contre le prolétariat révolutionnaire de leurs pays respectifs, des compromis avec les bandits de leur propre bourgeoisie et, parfois, de la bourgeoisie "alliée", tous ces messieurs se comportaient en complices du banditisme.
La conclusion est claire : rejeter les compromis "en principe", nier la légitimité des compromis en général, quels qu’ils soient, c’est un enfantillage qu’il est même difficile de prendre au sérieux. L’homme politique désireux d’être utile au prolétariat révolutionnaire, doit savoir discerner les cas concrets où les compromis sont inadmissibles, où ils expriment l’opportunisme et la trahison, et diriger contre ces compromis concrets tout le tranchant de sa critique, les dénoncer implacablement, leur déclarer une guerre irréconciliable, sans permettre aux vieux routiers du socialisme "d’affaires", ni aux jésuites parlementaires de se dérober, d’échapper par des dissertations sur les "compromis en général", à la responsabilité qui leur incombe. C’est bien ainsi que messieurs les "chefs" anglais des trade-unions, ou bien de la société fabienne et du Parti travailliste "indépendant", se dérobent à la responsabilité qui pèse sur eux pour la trahison qu’ils ont commise, pour avoir perpétré un compromis tel qu’il équivaut en fait à de l’opportunisme, à une défection et à une trahison de la pire espèce.

Il y a compromis et compromis. Il faut savoir analyser la situation et les conditions concrètes de chaque compromis ou de chaque variété de compromis. Il faut apprendre à distinguer entre l’homme qui a donné aux bandits de l’argent et des armes pour diminuer le mal causé par ces bandits et faciliter leur capture et leur exécution, et l’homme qui donne aux bandits de l’argent et des armes afin de participer au partage de leur butin. En politique, la chose est loin d’être toujours aussi facile que dans mon exemple d’une simplicité enfantine. Mais celui qui s’aviserait d’imaginer pour les ouvriers une recette offrant d’avance des solutions toutes prêtes pour toutes les circonstances de la vie, ou qui assurerait que dans la politique du prolétariat révolutionnaire il ne se rencontrera jamais de difficultés ni de situations embrouillées, celui-là ne serait qu’un charlatan.
Pour ne laisser place à aucun malentendu, j’essaierai d’esquisser, ne fût-ce que très brièvement, quelques principes fondamentaux pouvant servir à l’analyse des exemples concrets de compromis.

Le parti qui a conclu avec les impérialistes allemands un compromis en signant la paix de Brest-Litovsk, avait commencé à élaborer pratiquement son internationalisme dès la fin de 1914. Il n’avait pas craint de préconiser la défaite de la monarchie tsariste et de stigmatiser la "défense de la patrie" dans une guerre entre deux rapaces impérialistes. Les députés de ce parti au parlement prirent le chemin de la Sibérie, et non pas celui qui conduit aux portefeuilles ministériels dans un gouvernement bourgeois. La révolution qui a renversé le tsarisme et créé la République démocratique, a été pour ce parti une nouvelle et grande épreuve ; il n’a accepté aucune entente avec "ses" impérialistes, mais a préparé leur renversement et les a renversés. Une fois maître du pouvoir politique, ce parti n’a laissé pierre sur pierre ni de la grande propriété terrienne ni de la propriété capitaliste. Après avoir publié et annulé les traités secrets des impérialistes, ce parti a proposé la paix à tous les peuples, et n’a cédé à la violence des rapaces de Brest-Litovsk qu’après que les impérialistes anglo-français eurent torpillé la paix, et que les bolcheviks eurent fait tout ce qui était humainement possible pour hâter la révolution en Allemagne et dans les autres pays. La parfaite justesse d’un tel compromis, conclu par un tel parti, dans une telle situation, devient chaque jour plus claire et plus évidente pour tous.

Les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires de Russie (comme d’ailleurs tous les chefs de la lie Internationale dans le monde entier en 1914-1920) avaient commencé par trahir, en justifiant, directement ou indirectement, la "défense de la patrie", c’est-à-dire la défense de leur bourgeoisie spoliatrice. Ils ont persisté dans la trahison en se coalisant avec la bourgeoisie de leur pays et en luttant aux côtés de leur bourgeoisie contre le prolétariat révolutionnaire de leur propre pays. Leur bloc, d’abord avec Kérensky et les cadets, puis avec Koltchak et Dénikine en Russie, de même que le bloc de leurs coreligionnaires étrangers avec la bourgeoisie de leurs pays respectifs, marqua leur passage aux côtés de la bourgeoisie contre le prolétariat. Leur compromis avec les bandits de l’impérialisme a consisté, du commencement à la fin, à se faire les complices du banditisme impérialiste.

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