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La trahison de la révolution russe a-t-elle commencé avec la signature des accords de Brest-Litovsk comme le prétendent les communistes de gauche tels Boukharine et Radek ?

21 juin 2012, 12:00

Première partie

SOUVENIRS D’UN COMMISSAIRE DU PEUPLE
Steinberg

Au cours des premières semaines qui suivirent la victoire d’octobre, lorsque la Russie adressa à tous les États la proposition d’une conférence pour négocier la paix, Lénine avait eu lui aussi un faible espoir. Je me souviens d’un soir, au début du mois de décembre, où nous étions réunis chez Lénine, il avait alors l’humeur joyeuse et gaie. Se penchant vers nous, il nous raconta avec satisfaction la conférence qui avait eu lieu ce jour-là, entre Trotski et l’ambassadeur français Noulens. Il parla avec une vague espérance du coup de téléphone de l’ambassadeur à Trotski et de leur causerie au sujet du costume que devait porter notre commissaire à la conférence. C’était la première rencontre entre la diplomatie soviétique et la diplomatie capitaliste… Sans doute il n’était pas encore sûr que l’entente participât aux négociations de paix. Cependant l’ambassadeur s’était informé des pourparlers à Brest-Litovsk. Qui sait, peut être se décideraient-ils ?...

II
Mais, dans la suite, lorsque nous restâmes à Brest-Litovsk, face à face avec les puissances centrales, et lorsque Lénine se fut rendu compte de la volonté inflexible des négociateurs de paix allemands, il prit la résolution ferme de conclure la paix avec eux immédiatement, à tout prix ! Il s’opposait à ce qu’on traînât les négociations de paix en longueur, à ce qu’on ajournât le moment décisif, à ce qu’on espérât une insurrection des ouvriers allemands et il combattit la résolution du 10 février : « ni guerre, ni paix » ! Mais il n’avait pas de majorité derrière lui, dans son propre Comité central. Il laissa donc l’opinion de Trotski et des socialistes révolutionnaires de gauche l’emporter. Pour quelle raison ne s’était-il pas lancé à l’assaut plus tôt ? Peut-être parce qu’il entretenait dans son cœur un faible espoir dans le succès de la ligne de conduite officielle ; peut-être parce qu’il supposait cette expérience nécessaire pour convaincre les utopistes rebelles de son camp. Dès le 7 janvier, au lendemain de la dissolution de l’assemblée nationale, il rédigea et communiqua secrètement à son parti, ses « Thèses sur la paix avec l’Allemagne ». Dès ce moment, il avait exposé tous les argumentés qu’il utilisa après au cours des discussions publiques. Il disait : Vous pensez qu’une paix séparée représenterait objectivement une collaboration avec les impérialistes allemands et un renoncement complet à l’internationalisme. Mais lorsqu’un ouvrier signe, après l’échec d’une grève, des conditions nuisibles pour lui et profitables pour le capitaliste, il ne trahit nullement de socialisme. Vous affirmez qu’en concluant cette paix, nous devenons objectivement les agents de l’impérialisme allemand, car nous lui livrons ainsi des millions de prisonniers, des armes, etc. Mais, si nous commençons une guerre révolutionnaire, nous deviendrons objectivement aussi les agents de l’impérialisme anglo-français, car nous l’aiderons ainsi à atteindre ses buts. Les États-Unis n’ont-ils pas proposé à notre commandant en chef Krylenko, une pension mensuelle de cent roubles par soldat, si nous voulions continuer la guerre...
On n’a pas le droit de distinguer parmi les impérialismes, mais il faut n’envisager que les intérêts de la révolution socialiste. On affirme que nous avions directement promis dans une série de déclarations de faire une guerre révolutionnaire et que la paix séparée ne serait ainsi qu’un démenti donné à nos propres paroles. Cela n’est pas vrai. Nous avons parlé de la nécessité de préparer une guerre et de la faire, et il nous faudra, bien entendu, la préparer quand même. Mais la question se pose de savoir si nous sommes en mesure d’entrer immédiatement en guerre. Pendant les mois prochains, notre armée ne pourra nullement résister à l’attaque allemande... Si la révolution allemande éclatait dans trois ou quatre mois, une guerre révolutionnaire n’anéantirait peut-être pas notre révolution. Mais qui peut le savoir ? Le sort de la révolution russe ne devrait pas être mis en jeu pour des conjectures sur la révolution allemande qui peut éclater aujourd’hui ou demain. Il serait aventureux de courir ce risque... La révolution allemande ne restera pas en place à cause de la paix séparée que nous allons conclure. Tout au contraire, l’exemple de la république soviétique russe éveillera tous les autres peuples... Tous ces arguments de Lénine ne firent alors aucune impression sur les autres dirigeants bolchevistes. Le scrutin du 9 janvier donna au Comité central les résultats suivants : douze voix pour la prolongation des négociations avec l’Allemagne autant que possible et une voix contre (celle de Lénine, naturellement) ; neuf voix pour la formule de Trotski (ni paix, ni guerre) et neuf contre. On décida donc de continuer les négociations à Brest-Litovsk. Lénine se taisait. Cette atmosphère qui régnait dans le camp bolcheviste, le ver du doute et l’idée de la capitulation qui rongeaient sa charpente, tout cela restait caché aussi bien à nous qu’au monde.
Mais maintenant que les troupes allemandes envahissaient le pays des soviets, Lénine se mit à exécuter son propre plan de conduite avec la certitude d’atteindre son but. Le Comité central bolchéviste se réunit dès le 17 février. L’atmosphère avait déjà changé depuis le mois de janvier. Lénine demanda qu’on commençât immédiatement des pourparlers pour conclure la paix avec l’Allemagne. Mais parmi les onze leaders présents, cinq seulement (Lénine, Staline, Sverdlov, Sokolnikov et Srnilga) votèrent pour et six, parmi lesquels Trotski, contre. Cependant, la position des opposants était revenue faible et incertaine. Car, lorsqu’on vota sur la deuxième question (s’il fallait aussi signer la paix dans le cas où l’attaque allemande deviendrait un fait accompli et où aucun mouvement révolutionnaire ne se produirait en Allemagne ou en Autriche), Trotski abandonna son parti et passa du côté de Lénine. La position de Trotski devenait, de cette façon, équivoque. Lénine avait ainsi pour la première fois la prépondérance dans cette question.
Il ne laissa plus tomber cet avantage. Lorsque Trotski annonça le 18 février au Comité central que les Allemands avaient commencé leur avance sur le front russe, Lénine posa de nouveau la question décisive : faut-il envoyer ou non en Allemagne une dépêche pour solliciter la paix. Les quatre orateurs disposaient chacun de cinq minutes seulement, Trotski et Boukharine se déclarèrent contre l’envoi de la dépêche, Zinoviev et Lénine pour l’envoi. Lénine parla clairement : Hier nous avons voté en faveur de cette démarche dans le cas où une attaque aurait lieu et où aucun soulèvement ne se produirait en Allemagne... L’attaque a commencé. Maintenant, nous ne devons plus perdre un seul instant, l’action s’impose. Il faut choisir entre la guerre révolutionnaire que les masses comprendront et les négociations de paix. Cette fois non plus, Lénine n’obtint pas la majorité. Sa proposition d’envoyer immédiatement une dépêche fut repoussée par sept voix contre six. Le sort de cette question tournait sans cesse autour d’une seule voix. Lénine cacha son mécontentement et attendit son heure pour conquérir la voix manquante. Le soir même il gagna cette voix, par une attaque fougueuse et brusquée.

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