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Les révolutions paysannes de Chine

19 novembre 2012, 10:14

A Canton, au début de 1926, la quasi-totalité du pouvoir était de fait passé aux mains du comité de grève de la grève-boycott de Hong-Kong, qui, depuis juin 1925, organisait les travailleurs, disposait de milices armées et rendait même la justice. Dirigée par des militants communistes, cette structure comparable aux soviets de 1917 était néanmoins paralysée par les consignes de l’IC de ne pas remettre en cause la direction de la révolution par le Kuomintang et la « bourgeoisie progressiste ». Cette situation de double pouvoir, d’un coté la direction du Kuomintang essayant de reprendre la main, de l’autre la classe ouvrière organisée ne sachant pas que faire de ce pouvoir, ne pouvait durer bien longtemps sans que la balance ne finisse par pencher d’un coté ou de l’autre. C’est Tchang Kaï-chek qui prit l’initiative, le 20 mars 1926, d’un coup de force contre les piquets de grève de Canton. S’appuyant sur les cadets de l’académie militaire de Huang Pu, fils de la petite bourgeoisie formés par des conseillers soviétiques, Tchang Kaï-chek proclama la loi martiale, fit désarmer les piquets de grève, disperser les tribunaux populaires et arrêter les communistes qui dirigeaient la grève. Ce premier coup de poing contre les communistes était pour Tchang et la droite du Kuomintang l’occasion de tâter la résistance du PCC. Ce qu’ils virent leur plut : les communistes ne réagirent pas, paralysés par les consignes d’apaisement données par la direction de l’IC tandis que celle-ci démentait même la nouvelle et réaffirmait son soutien à Tchang Kaï-chek et au Kuomintang. Ayant ainsi assuré son pouvoir sans coup férir, la direction du Kuomintang se sentait assez forte pour expulser les communistes de tous les postes de direction qu’ils détenaient. Le 15 mai, lorsque cela fut rendu officiel par l’exécutif du Kuomintang, les communistes ne résistèrent pas plus que lors du coup de force du 20 mars.

En juillet de la même année, ayant réduit les communistes à l’obéissance, Tchang Kaï-chek lança enfin la grande offensive militaire contre les seigneurs de la guerre. Prévue depuis longtemps, elle avait pour but de marcher jusqu’à Beijing pour écraser les seigneurs de la guerre du Nord et restaurer la république sur l’ensemble du territoire chinois. « L’expédition du Nord », débutée le 7 juillet 1926, avança sans problème dans les territoires tenus par les féodaux, elle était précédée par une marée d’insurrections paysannes. Partout, les paysans pauvres se soulevaient contre les propriétaires et les exploiteurs et réalisaient directement la réforme agraire qui était promise par la propagande du Kuomintang. Ce qui ne faisait pas les affaires de la direction nationaliste, représentante de la bourgeoisie nationale qui était liée par une multitude de canaux aux propriétaires féodaux et à leur système. En de nombreux endroits, des unités de l’ARN ayant chassé les seigneurs de la guerre grâce aux paysans insurgés continuaient à avancer vers le front et étaient remplacés à l’arrière par des unités fidèles à la direction, composées de petits-bourgeois, qui annulaient les redistributions de terre, dispersaient les comités de paysans pauvres et fusillaient les récalcitrants. Malgré tout, l’avance de l’ARN déclencha une gigantesque vague de soulèvements paysans qui, souvent, ne put être domptée par le Kuomintang, même avec l’aide des communistes qui, par endroits, avancèrent des mots d’ordre de patience, expliquant que la réforme agraire devait être faite dans le cadre des lois du Kuomintang.

Alors que les incendies de la révolution paysanne se répandaient dans les campagnes du sud de la Chine, l’armée du Kuomintang approchait de Shanghai, balayant devant les armées démoralisées et désorganisées des seigneurs de la guerre. La prise de Shanghai, la plus grande métropole de Chine regroupant à elle seule la moitié des ouvriers d’usine du pays, représentait pour les communistes un atout de premier plan dans la poursuite de la révolution. Des milliers de travailleurs avaient rejoint le PC à Shanghai, malgré la clandestinité et la répression des seigneurs de la guerre et des impérialistes de la concession internationale, et représentaient un réservoir suffisant pour créer une « armée rouge chinoise ». Le port de Shanghai aurait servi de déversoir pour les hypothétiques livraisons d’armes et de matériel venant d’URSS pour armer la classe ouvrière. Les communistes de Shanghai, comptant une avance rapide de l’ARN vers la ville, lancèrent une première insurrection contre les seigneurs de la guerre en février 1927. Celle-ci, malgré tout son héroïsme, fut un échec sanglant. L’ARN avait en effet stoppé son avance, les généraux nationalistes comptant sur les seigneurs de la guerre pour liquider les communistes avant leur arrivée. Malgré cet échec, le PC se réorganise et relance une insurrection le 21 mars. Mieux organisée, celle-ci est victorieuse et ouvre la ville aux troupes de Tchang Kaï-chek qui, craignant de voir la ville tomber aux mains des communistes, se sont remises en marche.

A partir de la prise de Shanghai, tout s’accélère. Tchang Kaï-chek prend contact avec les représentants des puissances impérialistes pour négocier leur soutien s’il combat ses alliés communistes. Dans les campagnes, des troupes nationalistes, composées pour la plupart de soldats des seigneurs de la guerre passés à l’ARN lors des campagnes récentes, écrasent les paysans révoltés et tirent même sur des grévistes. Les chefs communistes, inquiets des préparatifs de putsch de Tchang, préviennent Moscou, soutenus sur ce point par les délégués de l’IC en Chine, qui envoient dès le mois de mars un rapport avertissant que Tchang et la direction du Kuomintang s’éloignent de la révolution et se rapprochent des impérialistes [8]. Trotsky écrit lui aussi une lettre à la direction stalinienne de l’IC pour dénoncer le risque d’un coup d’état de Tchang et réclamer l’indépendance du PCC vis-à-vis du Kuomintang. En réponse, Staline, le 5 avril, affirme qu’un coup d’état est « impossible » de la part de Tchang et que les communistes doivent se soumettre à la discipline du Kuomintang qui vient de demander le désarmement des milices ouvrières de Shanghai.

Une semaine plus tard, le 12 avril 1927, les troupes de Tchang Kaï-chek, appuyé par les seigneurs de la guerre attaquent les syndicats et toutes les organisations ouvrières de Shanghai. Des milliers de communistes ou de sympathisants sont exécutés, certains sont même brûlés vifs dans des chaudières de locomotive. La réponse de l’IC à ce massacre arrive le lendemain sous la forme d’un télégramme demandant à Tchang de ne pas prendre « d’initiative unilatérale ». Pendant ce temps, les communistes sont pourchassés et massacrés partout par les troupes de Tchang qui attaquent même l’ambassade soviétique.

Le 21 avril, face aux piles de cadavres qui s’amoncellent dans les rues de Shanghai et de Canton, Staline reconnaît la « trahison de Tchang Kaï-chek », mais affirme que les événements ont confirmé la justesse de la ligne de l’IC. Le PCC est sommé de s’allier au Kuomintang de gauche, qui regroupe les membres de la direction du Kuomintang non communistes mais opposés à Tchang. Trotsky condamne cette politique, appelle à nouveau à l’indépendance du PCC et prédit une réconciliation prochaine entre Tchang et le soi-disant « Kuomintang de gauche ». Celui-ci, après avoir interdit les grèves et fait massacrer des syndicalistes, se ralliera à Tchang Kaï-chek dès le mois de juillet. Dans le PC soviétique, les oppositionnels sont exclus et bientôt déportés pour éviter toute critique de la ligne stalinienne tandis que l’IC accuse la direction du PC chinois d’être responsable de l’échec de la révolution et la somme de lancer immédiatement des insurrections pour créer des « soviets chinois ». La répression par le Kuomintang de ces insurrections absurdes et mal organisées fera des dizaines de milliers de morts.

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